Au menu ce samedi : un débat sur les priorités économiques de Michel Barnier, un détour par Rome, une question sur la confidentialité de nos fiches de salaire. Et surtout un dossier sur la voiture électrique, avec reportage et entretien avec un invité rare, le patron du groupe Renault, Luca de Meo. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/on-n-arrete-pas-l-eco/on-n-arrete-pas-l-eco-du-samedi-07-septembre-2024-3355078
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00:00Et l'homme au volant du groupe Renault est dans ce studio, c'est le directeur général
00:05du groupe.
00:06Luca Demeo, bonjour et bienvenue ! Alors ce coup de frein sur les ventes de voitures électriques
00:11dont on vient de parler, qui dépassent en réalité les frontières de la France, est-ce
00:14que ça vous inquiète ?
00:15Oui évidemment, parce que comme le disait quelqu'un des intervenants, l'industrie
00:22a quand même engagé 250 milliards d'investissements et donc il faut qu'on fasse tourner le business
00:31parce que sinon ça va être un problème.
00:33Et notamment pour Renault en France, vous savez très bien que la situation de Renault
00:38en France il y a quelques années a été compliquée avec pas de solution pour des
00:41usines comme Dieppe, Mobeuge, Douai, Sanduil, des installations comme Lardy et c'est justement
00:49en amenant la France sur la partie la plus haute, la plus moderne de la chaîne de la
00:52valeur qu'on a donné un futur à tous ces sites.
00:55Donc si ça ne marche pas, évidemment ça nous préoccupe.
00:59Et donc comment est-ce que ça peut marcher ? Dans le reportage on entend que c'est le prix,
01:03ce serait le prix l'obstacle numéro 1 avec des voitures qui pour l'instant ne sont pas
01:07achetables, neuves à moins de 25 000 euros, vous êtes un homme de marketing, ça serait
01:13quoi le prix pour relancer le marché ? D'abord est-ce que c'est ça le problème le prix
01:16et quel prix faudrait-il pour relancer ?
01:19Je pense qu'il y a beaucoup de facteurs qui font que la vitesse de montée en cadence
01:25de l'électrique est la moitié de celle qu'on aurait besoin pour atteindre les objectifs
01:30qui nous permettraient de ne pas payer des amendes à la communauté européenne.
01:34Donc on est à la moitié de la vitesse, un peu tous, je ne parle pas de Renault, mais
01:41là-dedans ça a été évoqué, il y a des thèmes de prix, il y a des thèmes d'infrastructures,
01:47il y a une incertitude sur les subventions, est-ce qu'un pays va lâcher, est-ce qu'on
01:53aura l'argent pour pouvoir soutenir une demande qui n'est pas naturelle, pour l'instant
01:59à ces niveaux.
02:00Donc je pense que l'histoire des prix est un peu exagérée, dans le sens que, je vais
02:05vous donner un exemple, nous on va finalement sortir une Renault 5 qui est, moi je pense,
02:12elle va être la plus belle petite voiture au monde.
02:16En tout cas elle sera au Mondial de l'Auto, ça sera la star, ça fait longtemps qu'on
02:20en parle, c'est la R5 électrique.
02:22Exactement, en fait la Renault 5 elle va partir en prix à peu près à 25.000 euros, au début
02:30peut-être on va vendre des voitures plus riches, avec des plus grosses batteries, mais on a
02:34fait quelque chose d'assez compétitif, aujourd'hui on vend une Clio hybride à 24.000 euros,
02:42donc on n'est pas très loin de tout ça.
02:44Si vous comparez un Scenic, qui est une voiture moyenne, à l'Austral qui est son correspondant
02:50en hybride, en coût d'utilisation de la voiture, on est déjà au même niveau.
02:56Donc si on se fixe que sur le prix catalogue, et on ne considère pas qu'une voiture électrique
03:01ça coûte moins cher à utiliser, un tiers pour faire 100 km, même avec les prix très
03:08hauts de l'électricité, si on considère que l'électrique ça a beaucoup moins d'entretien,
03:15si on ne considère pas qu'une voiture électrique ça dure plus longtemps qu'une voiture à
03:20combustion, je pense qu'il faut aussi expliquer aux consommateurs qu'il n'y a pas que le
03:24prix catalogue qui compte.
03:25Mais on l'a entendu quand même, il n'y a pas que le prix catalogue, mais il y a aussi
03:30une demande qui n'est pas naturelle, et qui a donc besoin d'être soutenue par les pouvoirs
03:33publics.
03:34Alors vous avez entendu sans doute le débat, vous étiez dans les couloirs, le débat
03:38sur le projet de budget en France 2025, le bonus à l'achat pour les voitures électriques
03:44il pourrait être réduit, c'était dans les tuyaux, ça c'était le projet de Gabriel
03:48Attal, maintenant il y a Michel Barnier, est-ce que vous, le patron de groupe Renault, vous
03:52avez un message sur le bonus à l'achat ?
03:55Mais écoutez, je l'ai déjà dit, je pense qu'on a besoin, quelqu'un des intervenants
04:00disait qu'on a besoin de stabilité, de visibilité, nous on travaille sur des cycles
04:04de 10 ans, les budgets d'Etat se font chaque année, donc on a besoin qu'il y ait une certaine
04:11cohérence parce que sinon ça ne va pas marcher, il y a 3 ans, 4 ans, dans des émissions de
04:16ce type là, on nous disait absolument il ne faut que vous ne fassiez que de l'électrique,
04:23il faut les marchés financiers nous pousser à faire ça, la politique, et maintenant
04:28le risque c'est le retour à la case numéro 1, et ça c'est très très dangereux, c'est
04:34très dangereux, je pense que l'idée de tout ce bashing de l'électrique que j'entends
04:42récemment, je pense que c'est une manière de refuser le progrès, est-ce que l'électrique
04:47va être 100% le 31 décembre 2034, est-ce que ça va être 70%, mais l'électrique ça
04:56va être certainement une partie du progrès, et il n'y a aucune société, aucune industrie
05:01qui a refusé le progrès, qui s'en est bien sorti à la fin.
05:04Mais vous avez entendu, en ce moment il y a des constructeurs, donc vous vous êtes
05:09en train de déployer toute votre offre électrique avec des modèles que vous espérez les plus
05:13compétitifs possibles, on va voir ça au Mondial de l'Auto, mais il y a d'autres constructeurs
05:16on en a parlé, qui sont en train de mettre le pied sur la pédale de frein pour l'électrique
05:21et qui disent ce qu'elle vend en poupe en ce moment c'est l'hybride et donc on va accélérer
05:24à fond là-dessus.
05:25Est-ce que ça vous fait réfléchir pour la stratégie du groupe ?
05:28Ça tombe bien parce qu'en fait nous dès le début on a deux pattes dans notre stratégie
05:32d'un côté, on a un des meilleurs hybrides au monde, qu'on vend très très bien, très
05:37très bien dans les modèles où on a l'hybride on fait 60-70% de mix, pensez à des Clio,
05:43pensez à des Captur, mais on a aussi pensé que l'électrique c'est le futur, surtout
05:48dans certains segments où ça a du sens pour le consommateur, quelqu'un le disait avant,
05:54moi je pense beaucoup dans les petites voitures parce que tu peux mettre des petites batteries
05:58et donc tu peux faire des voitures qui sont moins coûteuses, des voitures à combustion
06:02correspondantes et dans les véhicules utilitaires petits pour les livraisons last mile parce
06:09que ça fait pas de bruit, ça fait pas de fumée dans les villes etc. et c'est très
06:12très pratique.
06:13Donc en 2030 vous vous êtes engagé pour la marque Renault, pas le groupe, à ce qu'il
06:17y ait toute la production soit électrique, cet engagement là vous le tenez ?
06:21Moi, ce qu'on a dit, parce que les mots c'est important, vous le savez mieux que moi, nous
06:25on a dit on va mettre la marque Renault en Europe dans les conditions de pouvoir vendre
06:30100% électrique à partir de 2030 parce qu'il y a toujours des pépins, donc il vaut mieux
06:36que prendre une marge, comme la loi nous dit aujourd'hui qu'en 2035 toutes les voitures
06:42produites en Europe doivent être électriques, il faut qu'on se prenne une marge, c'est ça
06:47qu'on a dit.
06:48Mais ça ne veut pas dire qu'on a complètement abandonné la partie à combustion, d'ailleurs
06:52on a fait une grosse opération avec un constructeur chinois et Aramco etc. pour pousser le moteur
06:59à combustion dans le futur.
07:00Donc moi, dans mon job, moi je ne fais pas de politique, je ne suis pas le régulateur,
07:06mon job c'est de mettre mon organisation dans la condition de respecter la loi, aujourd'hui
07:11la loi elle dit ça.
07:12Mais vous êtes quand même le patron d'un grand constructeur français, vous êtes le
07:16président de l'association des constructeurs européens, vous dites j'écoute ce que décident
07:20les pouvoirs publics mais vous avez aussi des revendications, 2035 par exemple, l'objectif
07:25répété pour dire on va interdire les ventes de moteurs thermiques, est-ce que vous y croyez,
07:31est-ce que là-dessus vous avez un plaidoyer à porter ?
07:34Écoutez, nous, si vous regardez, faites un peu d'historique de ce que nous on a déclaré,
07:39notamment chez Renault et la France, c'était battu pour que la limite soit plutôt de
07:462040, puis ça a été décidé différemment, sans faire aucune analyse d'impact, maintenant
07:51on s'approche de la réalité et tout le monde se préoccupe.
07:54Il y a beaucoup de débats sur 2035 mais le débat, moi je voudrais l'amener plutôt
08:00sur une échéance qui est beaucoup plus courte, qui est celle du café 2025.
08:04Alors là vous avez commencé à en parler, j'explique pour les auditeurs, si vous ne
08:08respectez, en fait vous devez monter en puissance dans les ventes électriques et sinon vous
08:11n'allez pas y aider, très grosses amendes, et ça se passe dès l'année prochaine.
08:14Exactement, donc ça se passe depuis le 1er janvier 2025.
08:17Je dirais même qu'on est en train de préparer 2025 maintenant, parce qu'on prend les commandes
08:21pour les voitures qu'on va livrer, etc.
08:23Et là, selon nos calculs, si l'électrique simplement reste au niveau qu'il est aujourd'hui,
08:31l'industrie européenne va peut-être devoir payer 15 milliards d'euros d'amende ou renoncer
08:37à la production de plus de 2,5 millions de véhicules et de véhicules utilitaires.
08:44Parce qu'en fait, si tu renonces à une voiture électrique, si tu ne vends pas une voiture
08:50électrique, en fait tu ne peux pas produire 4 voitures à combustion.
08:53C'est ça l'histoire.
08:55Et donc tout le monde parle de 2035, on est dans 10 ans.
08:58Il vaudrait mieux parler en fait de 2025, parce que là on est déjà dans le dur.
09:03Et ça c'est mon plaidoyer.
09:05Et donc là où vous avez dit pour la France j'aimerais, et pour tout, j'aimerais que
09:09les bonus soient stables, là vous avez une demande à la nouvelle Commission européenne ?
09:13Oui, bien sûr.
09:14Vous dites quoi alors ?
09:15On dit qu'il faut qu'on nous donne un peu de flexibilité, parce que si la situation
09:21continue comme ça, et c'est lié à beaucoup de choses, c'est lié au fait que les infrastructures
09:26n'ont pas été installées à la vitesse qu'il fallait, il faudrait multiplier par
09:297 ou par 8 la vitesse, si le prix de l'électricité qui est dans beaucoup de pays indexé à
09:39celui du gaz, à la crise qu'on a eue dans l'Est de l'Europe, ça a monté, si les
09:44Allemands enlèvent les subventions parce qu'ils n'ont plus de budget, ils doivent
09:48faire tourner le budget de l'État, évidemment le marché de l'électrique il plonge, il
09:53y a toute une série...
09:54Et vous avez entendu avant, parce qu'on le voit évidemment, c'est que tous les projets
10:00par exemple de Gigafactory en Europe, ils ont quand même plutôt du retard.
10:05Est-ce qu'elles sont en danger ?
10:06Vous vous en avez...
10:07Il y a des Gigafactory en France.
10:08Ces Gigafactory de batterie, elles sont en danger aujourd'hui avec le changement de
10:11technologie ?
10:12Nous évidemment on a construit de la capacité de production, on est en train de préparer
10:16ça.
10:17Je pense que Renault a eu une approche un peu différente parce qu'on s'est appuyé
10:20sur des partenaires etc.
10:22Donc le problème il est plutôt de leur côté, mais on est ensemble dans cette aventure,
10:30dans ce projet.
10:31Et évidemment si les voitures électriques ne se vendent pas, ces projets-là auront
10:36des difficultés.
10:37La chose à comprendre, pour revenir à la question que vous m'avez posée au début,
10:43c'est que faire une Gigafactory c'est pas faire un four pour sortir des pains au chocolat.
10:47Nous on le sait très bien, on fait des voitures électriques depuis 15 ans, on a mis 10 ans
10:53avant d'avoir des écarts de production qui étaient à moins de 10% avec nos partenaires
10:59qui maintenant sont parmi les meilleurs au monde.
11:01Donc c'est quelque chose qui a besoin de temps.
11:05Ce que nous on dit, c'est comme, vous m'avez dit, on parle de stratégie.
11:08Quand on fait une stratégie dans une entreprise, on a des idées, on les met en place et puis
11:15on a toujours des mécanismes de correction.
11:17Parce que la moitié des choses qu'on a écrites sur PowerPoint au début, ça ne marche pas.
11:21Alors mettre simplement des échéances et des amendes sans avoir la possibilité de
11:29flexibiliser ça, c'est très dangereux.
11:32C'est le message à la commission ce matin.
11:34Une question quand même, parce que le temps tourne.
11:36Luca de Meo, vous avez été pendant des années chez Volkswagen et ça c'est quand même
11:39la grosse annonce du secteur cette semaine.
11:41Volkswagen qui serait prêt à fermer peut-être deux usines sur son sol.
11:45Est-ce que c'est un cas isolé ? Ou est-ce que lorsque le patron dit que toute l'industrie
11:49européenne est dans une situation très sérieuse, est-ce qu'on doit se préparer à avoir des
11:53sites rétrécis voire fermés ?
11:56Écoutez, ça fait je pense 25 ans que l'industrie de l'automobile européenne a 30% de surcapacité.
12:04Depuis que moi je travaille dans l'automobile et heureusement, ce n'est pas le cas de Renault,
12:12parce que malheureusement, il y a quelques années, on a dû faire vraiment un régime
12:16très réduit et donc on a réduit la capacité de production de plus d'un million de véhicules
12:22en baissant le point mort de Renault de 50%.
12:25Donc nous, on tourne aujourd'hui à 90% de capacité.
12:29On est plutôt dans une logique d'embaucher des gens, etc.
12:32Donc je pense qu'on pourrait être anticyclique, mais le contexte, il est très très compliqué.
12:37Luca Demeo, le patron du groupe Renault, merci d'avoir accepté l'invitation, n'en arrête pas l'écho.