Au menu ce samedi : un débat sur les milliards d'économies qui nous attendent, un détour par l'Inde, une question sur la TVA sociale et un focus sur l'économie de l'édition. Entre concentration, intelligence artificielle et auteurs mécontents de leur rémunération, le secteur se voit chamboulé. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/on-n-arrete-pas-l-eco/on-n-arrete-pas-l-eco-du-samedi-13-avril-2024-3715020
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00:00 Et notre invité ce samedi matin, c'est le président du grand groupe d'édition Editis.
00:04 Bonjour et bienvenue Denis Oliven.
00:06 Bonjour, merci de votre invitation.
00:08 Editis, c'est un groupe qui comprend 56 maisons d'édition, c'est ça ?
00:12 Oui.
00:13 Plomb, Robert Laffont, je dis un peu aux auditeurs parce que c'est vrai qu'on ne voit pas l'importance
00:17 de cette galaxie.
00:18 Nathan, La Découverte, qu'est-ce que j'oublie ? Il y a tout, il y a du scolaire, du pratique.
00:21 Exactement, il y a des romans, des essais, des livres populaires, des livres pugilitis,
00:26 du livre pratique, de l'illustré, du livre scolaire.
00:29 On a toute la gamme de l'édition.
00:31 Vous avez entendu le reportage avec nous.
00:34 Hier, Rachida Dati, la ministre de la Culture, a indiqué qu'elle souhaite que les résultats
00:38 de cette discussion entre auteurs et éditeurs, et notamment sur le partage de la valeur,
00:42 soient traduits dans une loi.
00:43 Est-ce qu'elle est en train de vous mettre un petit peu la pression, la nouvelle ministre
00:46 de la Culture ? Pour que ça aboutisse enfin, ça fait quand même des années.
00:51 Est-ce qu'il faut une loi à votre avis ? Un peu comme chez les agriculteurs, avec
00:55 Egalim.
00:56 D'abord, je voudrais rappeler que le droit d'auteur est un élément essentiel de la
01:01 vie de l'édition, et même de la vie des œuvres de l'esprit plus généralement.
01:04 Vous savez que les deux grandes révolutions du livre, c'est l'invention de l'imprimerie
01:08 au XVe siècle, et c'est 1791 Beaumarchais, le droit d'auteur.
01:12 Parce que la juste rémunération des auteurs, d'abord, c'est un principe d'équité,
01:18 mais c'est en plus, du point de vue économique, le moteur de la production et de la création.
01:22 Donc, ce principe est légitime.
01:25 Deuxième point, on observe, c'est l'étude qui est citée par le syndicat du livre dans
01:30 votre reportage, on observe qu'aujourd'hui, les auteurs reçoivent à peu près 20% de
01:39 la rémunération, 25% plus exactement, de la rémunération qui revient, enfin qui est
01:48 hors diffusion, hors librairie.
01:50 Non, je vous entends Denis Levin, mais on ne va pas faire là, on ne peut pas faire
01:54 ce matin.
01:55 Ce qui est important, c'est de comprendre ce qui se passe.
01:56 Ce qui se passe, c'est que globalement, quand on regarde, en littérature générale,
02:01 en moyenne, le fameux seuil de 10% est observé.
02:05 Pour les illustrés, pour la bande dessinée, il y a souvent un auteur et un illustrateur.
02:10 Donc, ça divise par deux la rémunération.
02:12 Mais globalement, si on les regroupe, le seuil des 10% est également observé.
02:17 Alors, pourquoi est-ce qu'il y a la perception par les auteurs d'une situation qui est injuste ?
02:21 Et faut-il une loi ?
02:22 Deux raisons principales.
02:24 Je réponds à votre question en l'expliquant.
02:26 Deux raisons principales.
02:27 La première, c'est que depuis 10 ans, on a multiplié par deux le nombre des livres,
02:32 mais on a divisé par deux le tirage.
02:33 Et donc, c'est à somme nulle en termes de volume de livres vendus.
02:37 Mais en revanche, pour les auteurs, ce n'est pas du tout la même chose.
02:40 Donc, le sentiment de la rémunération n'est pas le même.
02:44 Deuxième point, l'univers du livre est très dispersé.
02:47 On publie chaque année 70 000 livres.
02:50 Il y a 700 éditeurs, il y a 100 000 auteurs.
02:52 Et donc, il y a une forte dispersion entre les auteurs.
02:55 Tous ne sont pas logés à la même enseigne.
02:56 Si on forçait la main, c'est pour ça que sur la loi, à la limite la loi, peu importe,
03:02 le point clé, c'est qu'est-ce qu'il y a dans cette loi ?
03:04 Si on forçait la main, je vous mets en garde, si on forçait la main sur ce type de mécanisme,
03:09 on préparerait probablement un effet malthusien, c'est-à-dire qu'on pousserait les éditeurs.
03:15 D'abord, on ferait disparaître les petites maisons, mais surtout, on ferait disparaître les petits auteurs
03:20 parce qu'on pousserait l'édition à se concentrer encore davantage,
03:24 à se baissélériser encore davantage qu'elle ne l'est.
03:27 Donc, je ne suis pas sûr que ce soit la chose la plus intelligente du monde.
03:30 En revanche, que ces discussions aboutissent et qu'elles trouvent des formules intelligentes
03:35 d'accord entre les éditeurs et les auteurs, ça me paraît légitime.
03:38 - Et vous dites, on publie trop en France.
03:40 Alors, Editi, vous publiez, je crois, environ 5 000 ouvrages par an.
03:43 Est-ce que ça veut dire que vous, vous êtes président depuis novembre,
03:46 vous dites, allez, on va publier moins et vous mettez même un objectif.
03:50 Vous dites, on fera moins de 5 000.
03:51 - Je n'ai pas mis d'objectif qualifié parce que l'édition, ce n'est pas de l'industrie.
03:54 C'est un travail de prototype.
03:57 Et puis, quels sont les critères de sélection ?
04:00 Moi, je pense que c'est les éditeurs qui doivent choisir.
04:02 Mais de fait, les éditeurs doivent ne publier que des livres qui comptent pour eux.
04:08 Qui comptent, ce n'est pas forcément qui comptent au sens commercial.
04:10 - J'entends, j'entends, mais bon...
04:11 - Très important parce que c'est une manière de mieux traiter les auteurs aussi.
04:17 Aujourd'hui, beaucoup d'auteurs se sentent maltraités parce qu'ils arrivent comme des petits chevaux
04:21 sur la ligne de départ et ils ont le sentiment que leur livre n'est pas traité
04:25 en termes de publicité, de marketing, d'accompagnement.
04:28 Et c'est vrai.
04:29 - Mais donc, le marché se porterait mieux ?
04:30 Les auteurs se porteraient mieux si on avait quoi, 10 % de livres en moins tous les ans ?
04:35 - Je ne suis pas capable de vous dire quels chiffres.
04:36 Et ça serait bien, comment dirais-je, peu fondé en raison de donner un chiffre.
04:42 Mais il faut que nos...
04:42 En tout cas, pour Edith Hysse, je ne me mêle pas de l'avis des autres.
04:45 Pour Edith Hysse, on a demandé à nos éditeurs de s'engager profondément
04:49 dans chacun des livres qu'ils publient.
04:51 Mais ça peut être des livres, des premiers livres, des livres qui n'auront pas d'audience,
04:55 des livres qui vont changer l'histoire de l'humanité, mais pas celui des bons...
04:57 - Mieux de livres, mais moins de livres, j'entends.
05:00 Denis Olivier, nous avions quand même tous, éditeurs, un défi énorme pour l'avenir.
05:03 Il y a cette étude, cette semaine, du Centre National du Livre.
05:06 Les jeunes consacrent 10 fois moins de temps aux livres qu'à leurs écrans.
05:10 Même le Premier ministre Gabriel Attal a déclaré dans l'hémicycle
05:14 "Je ne veux pas d'un pays où TikTok remplace les romans".
05:17 Est-ce qu'on peut encore l'éviter ?
05:19 - Je ne suis pas sûr qu'il faille être à ce point catastrophiste,
05:22 parce qu'il reste quand même, quand on voit les chiffres,
05:24 il reste quand même un bon niveau de lecture des jeunes.
05:26 Simplement, moi, ce qui m'a frappé, c'est la chose suivante.
05:29 C'est qu'il y a le temps de lecture entre les enfants des couches favorisées
05:34 et les enfants des couches populaires, c'est du simple au double.
05:38 Donc, ce n'est pas simplement un enjeu d'édition.
05:40 C'est un enjeu politique, c'est un enjeu démocratique, c'est un enjeu d'égalité.
05:44 Faire que l'école se soucie, peut-être davantage qu'elle ne le fait,
05:49 de l'accès, même si elle le fait, de l'accès à la lecture des jeunes,
05:53 c'est un enjeu d'égalité sociale.
05:56 - C'est aux écoles, c'est aux professeurs, c'est aux instituteurs, c'est aux maîtres d'école de le faire, ça ?
06:00 C'est-à-dire, à l'école, ils mettent les mêmes livres pour tout le monde ?
06:02 - Non, mais je pense que la bataille pour le goût de la lecture,
06:06 et notamment pour le goût de la lecture chez les enfants des couches populaires,
06:10 des classes défavorisées, est une bataille,
06:13 pour moi, c'est la mer des batailles de l'éducation nationale, avec les mathématiques.
06:17 - Et alors, les éditeurs, ils peuvent faire quoi pour ça ?
06:21 - Les éditeurs, ils peuvent... Je crois que les éditeurs,
06:24 et d'ailleurs les médias, je dirige par ailleurs un groupe de médias,
06:27 c'est Philippe Pierre dans mon propre jardin.
06:30 Je pense que nous avons, nous nous sommes snobinardisés
06:34 dans la façon dont nous promouvons le livre.
06:37 Nous nous sommes enfermés, quand on en parle, dans la lecture pour l'élite éclairée,
06:42 alors qu'on devrait pousser les modes de lecture qui sont des accès à la lecture.
06:48 La bande dessinée, le manga, la littérature populaire, qu'on regarde peut-être parfois avec des dents,
06:52 c'est des glissements progressifs vers le plaisir de la lecture.
06:56 Et donc, on devrait se promouvoir aussi ces lectures qui sont une façon,
07:00 au lieu de les regarder avec mépris, qui sont une façon d'accoutumer
07:05 ceux pour qui la lecture n'est pas évidente à cette lecture.
07:09 - Le gouvernement veut soutenir les libraires, c'est toujours le plan de soutien au livre de Rachida Dati,
07:14 aider les libraires à s'installer dans les quartiers, aller dans les zones rurales,
07:17 élargir les horaires d'ouverture des bibliothèques, tout ça c'est bien ?
07:20 - Très bonne idée, vous savez que la France se caractérise par le fait que,
07:24 notamment grâce à l'invention ingénieuse du prix unique du livre,
07:28 nous avons maintenu un réseau de libraires, notamment de libraires indépendants,
07:33 qui est décisif pour la lecture en France et donc pour l'avenir du livre.
07:37 Donc tout ce qui est fait pour soutenir la librairie est bienvenu.
07:40 - Et pendant deux ans, alors ça aussi c'est fait pour soutenir, mais qu'en pensez-vous ?
07:44 Vous allez pouvoir faire de la publicité pour les livres à la télévision ?
07:47 Ce matin sur France Inter, on avait Antoine Gallimard, le président du groupe Madrigal,
07:50 qui s'est dit très surpris, pour lui il y a urgence à retirer ce décret qui vient d'être publié.
07:55 Il explique que ça profitera d'abord au best-seller, aux grosses maisons d'édition.
07:59 Est-ce que vous, Denis Oliven, chez Editis, vous aussi vous souhaitez l'abrogation de ce décret ?
08:03 - Nous on fait partie des groupes qui avons beaucoup de best-seller.
08:06 Et pourtant, je vais vous surprendre, mais je suis d'accord avec Gallimard.
08:10 Je pense que, et ça c'est mon expérience des médias,
08:14 je pense que ça va profiter, en effet ça va continuer d'accélérer la concentration du marché
08:21 sur ses plus gros vendeurs au détriment de la diversité.
08:24 Parce que seuls les best-sellers peuvent supporter les coûts d'une publicité à la télévision.
08:32 Donc je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure idée.
08:34 On ferait mieux de mettre de l'argent dans des émissions de télévision
08:39 qui promeuvent la lecture et la lecture pour le plus grand nombre plutôt que de faire ça.
08:46 - Et je pense que le message est clair, donc retirer le décret.
08:49 Editis a un chiffre d'affaires de près de 800 millions d'euros.
08:53 Un de mes confrères de West France nous avait expliqué qu'avec le même chiffre d'affaires,
08:56 le groupe est trois fois moins rentable qu'il y a cinq ans.
08:59 Et alors pour améliorer cette rentabilité, vous misez entre autres sur l'intelligence artificielle.
09:04 J'imagine que là, les éditeurs, les correcteurs, les traducteurs doivent tendre l'oreille.
09:08 Est-ce que vous imaginez que les IA vont remplacer ces professions-là ?
09:12 - D'abord, sachez que je mise sur l'intelligence naturelle
09:15 avant de miser sur l'intelligence artificielle, sur le travail, sur les auteurs.
09:19 J'ai d'ailleurs dit que l'IA pour moi, ça voulait dire d'abord l'importance des auteurs
09:23 avant de vouloir dire l'intelligence artificielle.
09:24 Parmi les choses qu'on doit faire, il y a l'intelligence artificielle.
09:27 Mais c'est l'intelligence artificielle pas méprisée mais maîtrisée,
09:33 utilisée par les correcteurs, par les traducteurs, par les éditeurs,
09:36 par les gens qui font du marketing.
09:38 Donc c'est un outil.
09:39 Je ne vois pas demain, je crois que là, il ne faut pas non plus qu'on s'inquiète exagérément,
09:44 je ne vois pas demain que l'intelligence artificielle ait la délicatesse, la finesse,
09:48 la subtilité qui permettent de traduire un grand auteur.
09:51 Donc c'est un outil qui sera mis au service des traducteurs.
09:55 Mais on aura toujours besoin des traducteurs pour ce travail.
09:58 - Le grand écrivain Salman Rushdie, lui, pense que l'IA pourrait conquérir l'écriture de livres,
10:03 on va dire peut-être avec moins de finesse d'écriture,
10:08 la science-fiction ou le thriller.
10:09 Il a dit ça il y a trois semaines dans la revue NRF.
10:12 Est-ce que vous, vous pensez que c'est possible ?
10:15 - Peut-être suis-je ringard mais je n'y crois guère.
10:17 Pour une raison toute simple, c'est que l'histoire des œuvres de l'esprit,
10:21 c'est l'histoire des grandes œuvres, celles qui ont marqué leur temps,
10:25 c'est des œuvres qui ont fait une rupture par rapport au passé,
10:27 qui ont inventé des formes de récits ou de regards sur le monde nouveau.
10:31 C'est vrai pour les essais, c'est vrai pour les romans.
10:34 Or l'intelligence artificielle, elle apprend à partir de la chronique des événements passés.
10:39 Donc elle peut répéter des formes qui existent, elle ne peut pas inventer des formes nouvelles.
10:42 Donc qu'on produise des livres à partir de l'IA, c'est possible.
10:48 Que ce soit ça qui attire finalement le lecteur, je ne crois pas.
10:52 Franchement, je pense que les lecteurs sont suffisamment éclairés
10:55 pour voir la différence entre une œuvre répétitive et une œuvre originale.
10:59 Chez Editis, votre actionnaire, c'est l'homme d'affaires milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.
11:04 Alors évidemment, il y a toute cette grande question de la concentration des maisons d'édition
11:08 aux mains de milliardaires et de la liberté qui est laissée aux éditeurs et aux auteurs.
11:12 Si on proposait à Editis une grande enquête sur les investissements de Daniel Kretinsky,
11:16 des centrales à charbon jusqu'à casinos, vous faites quoi vous, Denis Eliven ?
11:19 Écoutez, c'est comme l'amour, il y a des preuves d'amour.
11:24 Dans les libertés, il y a des preuves. Donc nous, ça fait cinq ans que Daniel est le propriétaire de titres de presse.
11:30 Marianne, elle, etc.
11:32 Là, c'est semi-édition, n'est-ce pas ?
11:35 Dans laquelle il n'est jamais intervenu.
11:36 Dans laquelle il y a eu des articles qui étaient contre lui.
11:40 La seule chose qu'il a dite et qui me paraît légitime, c'est qu'il souhaitait que les maisons d'édition
11:44 ou les titres de presse dans lesquels il est actionnaire,
11:47 aussi impertinents soient-ils sur le fond, soit pertinent sur le fond.
11:53 C'est-à-dire soit rigoureux, soit sérieux et par ailleurs respectent les valeurs démocratiques.
11:57 Donc si c'est des livres enquêtés, contradictoires, sérieux, il n'y a aucun problème.
12:03 Contrairement à certaines maisons d'édition ?
12:05 Ça, c'est vous qui le dites.
12:07 Alors vous allez devenir sans doute bientôt le patron d'un grand groupe qui regroupera la presse et l'édition.
12:17 Est-ce qu'il vous manque une télé ? Vous n'avez pas une magazine de livres ?
12:21 Si l'occasion se présentait d'avoir accès à une télévision ou à une radio, évidemment on la saisirait.
12:28 Il y a des opportunités ?
12:30 Il va y avoir bientôt le renouvellement des fréquences de la TNT.
12:33 Une fois tous les 5, 6 ou 7 ans, il y a un marché de la fréquence de télé ou de radio.
12:39 Mais enfin bon, c'est assez hypothétique.
12:42 Denis Oliven, le président d'Editis et bientôt sans doute de ce groupe Editis Médias France.
12:48 Merci d'avoir été sur France Inter.