François Ruffin, député "Debout !" de la Somme était l'invité du Face-à-Face sur BFMTV et RMC.
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00:00Il est 8h32 et vous êtes bien sûr RMC et BFM TV, bonjour François Ruffin, merci d'avoir choisi RMC et BFM TV pour votre première interview de rentrée.
00:08Vous êtes député de la Somme, député Picardie-Debout, vous étiez compagnon des Insoumis, vous siégiez dans le même groupe.
00:16La rupture est désormais consommée, on y reviendra, vous le racontez, vous racontez votre parcours d'ailleurs dans un livre qui sort aujourd'hui, ça s'appelle Itinéraire.
00:24Ma France en entier, pas à moitié, et ça, ça veut dire beaucoup puisque vous insistez sur le fait qu'il faut une France qui va des bourgs et des tours,
00:34conjuguer la France des quartiers et la France des clochers. Mais d'abord un mot sur l'actualité immédiate de ce gouvernement introuvable d'un Michel Barnier
00:47qui cherche des ministres, qui cherche peut-être aussi une confiance qu'il trouvera ou non auprès des députés. Est-ce que vous, vous voterez quoi qu'il arrive, la défiance,
00:58est-ce que vous voterez une motion de censure ?
01:00Oui, je voterai une motion de censure. Dire d'abord ce qu'on peut éprouver, en tout cas ce que j'éprouve depuis maintenant deux mois, d'un espèce de cirque triste,
01:07d'un théâtre où le réel disparaît derrière des noms qui sont jetés en série, j'éprouve de la fatigue, de l'inquiétude et du dégoût.
01:15Et je pense que c'est un sentiment qui est largement partagé par les Français.
01:18Maintenant, pourquoi il y aura une motion de censure ?
01:21Parce qu'il y a aujourd'hui quelque chose qui réunit ceux qui vont se rassembler derrière Michel Barnier et derrière Emmanuel Macron.
01:31Je dirais, pour citer Gabin, c'est « ne touchez pas au Grisby », c'est-à-dire qu'il y a une crise fiscale qui est en cours.
01:36Bruno Le Maire a creusé les déficits comme jamais, à la pelleteuse, à la fois le déficit budgétaire qui dépasse ses 5 %,
01:44qui sera sans doute au-delà de 6 % l'année prochaine, alors que, je le rappelle, il n'y a pas eu d'investissement pour autant,
01:49et même, on pourrait insister, sur le déficit commercial aussi.
01:52Donc, il y a, et j'appartenais moi, avant la dissolution, à la commission d'enquête à l'Assemblée nationale sur la dette publique
01:59qui avait été lancée par Les Républicains, parce que je considère que c'est une question importante.
02:03Qu'est-ce qui apparaît ? C'est que cette crise aujourd'hui-là, cette crise budgétaire, elle n'est pas due à des dépenses qui seraient en hausse,
02:11elle est due à la crise des recettes et au fait que, comme sont venus l'expliquer les économistes en série lors des auditions,
02:18qu'on a baissé les impôts sur le capital et que cette baisse d'impôts sur le capital représente au moins la moitié de nos déficits.
02:24– Michel Barnier dit « il ne faut pas s'interdire plus de justice fiscale ».
02:29– Et tout ce qui sera à prendre, nous le prendrons.
02:32Vous savez, moi, si jamais il se fait faire un compromis pour le caddie des auxiliaires de vie, je le fais.
02:37Donc, si jamais on peut déplacer une virgule dans les temps à venir sur une mesure fiscale, nous le ferons.
02:43Mais maintenant, il faut bien voir qu'il s'agit de faire aujourd'hui, ce n'est pas de la réformette, de la mesurette sur le système fiscal,
02:51c'est une remise à plat du système fiscal.
02:52– C'est-à-dire ?
02:53– Aujourd'hui, on est dans un pays où les petits payent gros et les gros payent petits.
02:59Ou, dans notre pays, vous, madame Apolline de Maillard, mais le salarié lambda qui part à l'usine, qui part au bureau,
03:06est taxé aux alentours de 50% et c'est à peu près la moitié pour les multimilliardaires de ce pays.
03:12Donc, il y a un énorme souci de justice fiscale.
03:15Si demain, on veut non seulement…
03:17– Que le travail paye davantage ?
03:18– Et que le capital paye davantage, au moins à l'égal du travail.
03:22Or, aujourd'hui, ce n'est pas du tout ce qui se passe.
03:24Si on veut à la fois combler le déficit et investir, notamment sur la transition écologique,
03:31c'est ce qu'avait dit Jean-Pyzani-Ferry, il y a la nécessité d'aller chercher de l'argent là où, aujourd'hui, il se trouve.
03:37Je rappelle ces chiffres qui sont quand même étonnants.
03:41Il y a 25 ans, au lancement du classement de Challenge, les 500 fortunes françaises possédaient l'équivalent de 5% du PIB.
03:50À l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, c'est 20%.
03:52Et aujourd'hui, on a dépassé les 40%.
03:54Donc, on voit qu'il y a un gavage gigantesque.
03:56Et je dis, ce qui réunit aujourd'hui les gens qui vont se trouver derrière Michel Barnier,
04:01mais avec Emmanuel Macron, c'est ne toucher pas au Grisby.
04:03C'est-à-dire que les questions de dividendes, de profits, de bénéfices, elles sont quasiment interdites.
04:08– Et c'est là-dessus que vous voudriez concentrer l'effort fiscal ?
04:12– Oui, par exemple, si vous prenez, je vais entrer dans un peu de technique,
04:15en France, les sociétés écrans ne sont pas taxées.
04:18Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les dividendes qui ont explosé,
04:20il y a un rapport qui est encore sorti hier qui dit que ça a explosé dans le monde,
04:24ça a explosé en Europe et ça explose en France, plus 7% en France,
04:27c'est-à-dire largement au-delà de l'inflation pour le coup.
04:30Bon, dans notre pays, les plus riches font ce qu'on appelle des sociétés écrans
04:38plutôt que de toucher les dividendes directement.
04:40Et elles ne sont pas taxées, ce qui leur permet de payer 1 ou 2% d'impôt
04:43à la place d'en payer 30%.
04:45Aux États-Unis, ces sociétés écrans sont taxées.
04:48Et ça, ça rapporterait aux alentours de 20 à 30 milliards d'euros.
04:50Donc là, c'est là que se trouvent les marges de manœuvre,
04:54alors que qu'est-ce qu'ils vont faire ? On le sait d'avance,
04:57ils vont faire ce qu'ils prétendent faire depuis 40 ans maintenant,
05:00c'est-à-dire d'agir sur les dépenses en venant aller chercher sur l'hôpital,
05:04sur l'éducation, sur le sport.
05:06Le premier budget qui va être touché à la sortie des Jeux olympiques
05:10par les réductions de budget, c'est le sport,
05:12ou alors encore même sur les arrêts maladie.
05:14– Et vous estimez-vous, François Ruffin, que sur le sport,
05:16et c'est d'ailleurs la première proposition de loi
05:18que vous voulez déposer à l'Assemblée nationale,
05:20– Que j'ai déposée cette semaine.
05:21– Que vous avez déposée déjà cette semaine,
05:22alors qu'elle n'est pas encore complètement ouverte,
05:24la nouvelle session parlementaire,
05:26organiser des mesures de soutien aux bénévoles des clubs sportifs,
05:28aux artisans du quotidien, du sport pour tous, ça marche comment et c'est qui ?
05:32– Alors, il y a 3,5 millions de bénévoles dans les clubs sportifs dans notre pays,
05:35et il faut bien voir que ce sont eux aussi qui participent à tenir le pays debout,
05:40en tout cas à tenir le sport debout.
05:42On a vu combien durant les Jeux olympiques, le sport de haut niveau a brillé.
05:46Mais il ne faudrait pas que ça soit une illusion,
05:48et que derrière ça soit le tissu associatif,
05:51le tissu des clubs populaires qui sont en train de se déchirer.
05:54Or, c'est ce qui advient dans plein de clubs,
05:56il y a des difficultés à trouver un président, un trésorier, un secrétaire,
06:00des difficultés sur l'engagement, et pourquoi ?
06:02Parce que d'une part, les subventions à ces clubs
06:06comptent pour moitié moins qu'il y a 20 ans.
06:08Donc ça veut dire qu'à la place, on doit faire des tombolas,
06:10on doit faire des galas, on doit faire des paella,
06:14vous voyez, donc on doit faire tout ça.
06:15Et en plus, derrière, il y a plus de travail administratif.
06:19Il s'est renforcé.
06:20Ce qui est apparu l'année dernière,
06:22au début de l'année, avec la crise des agriculteurs,
06:25qui disaient qu'on a trop de travail administratif,
06:26on nous demande non plus de remplir nos dossiers,
06:28mais d'être sur des plateformes en permanence.
06:30En fait, c'est vrai pour des tas de secteurs dans le pays,
06:33et en particulier pour les associations sportives,
06:35qui, avec le passeport, ont des tas de fichiers à remplir en permanence.
06:39Donc d'un côté, on leur donne moins de subventions.
06:41C'était quand même une bonne chose l'histoire du passeport.
06:42Très bien, c'est insuffisant aujourd'hui
06:44pour qu'il y ait un accès de tous au sport.
06:46On voit que dans les familles les plus modestes,
06:48c'est 78% des enfants qui ne sont pas inscrits dans des clubs sportifs,
06:52alors que c'est moitié moins dans les familles qui sont les plus aisées,
06:58on va dire, dans notre pays.
06:59Donc là, il y a quand même un souci d'accès au sport pour tous,
07:02malgré le passeport.
07:03Mais on fait reposer le travail administratif sur des bénévoles
07:06qui, du coup, sont usés, parce que dans le même temps,
07:08Emmanuel Macron a divisé par cinq le nombre d'emplois aidés.
07:11Donc je dis, attention, on a un problème de crise de vocation dans notre pays,
07:15on a un problème de crise de vocation dans l'éducation nationale,
07:18on a un problème de crise de vocation dans l'hôpital,
07:20et là, on arrive à une crise de vocation dans le monde associatif.
07:24Il y a un rapport du CESE qui témoigne de ça,
07:27et qui dit, voilà, attention, c'est en train de se déchirer.
07:30Et donc là, qu'est-ce qu'il s'agit de dire ?
07:31Il s'agit de dire, d'une part, on redonne des moyens via des emplois aidés
07:35qui ont pu exister, on redonne du souffle aux associations,
07:38on permet qu'il y ait un guichet unique
07:40et qu'on ne leur demande pas de remplir des dossiers en permanence,
07:43c'est-à-dire une simplification, comme on l'a proposé aux agriculteurs,
07:46qu'on fasse la même chose, et enfin, qu'on ne baisse pas encore,
07:52à nouveau, de 10%, puisque c'est annoncé, le budget du ministère des Sports.
07:56François Ruffin, est-ce que Jean-Luc Mélenchon est la gauche des Noirs et des Arabes,
08:01et vous, la gauche des Blancs ?
08:04Moi, je veux rassembler, d'accord ?
08:06Vous savez pourquoi je vous pose cette question ?
08:07Je pense qu'il faut faire notre France en entier et pas à moitié.
08:11Je veux rentrer de manière moins polémique dans le débat.
08:15Je voudrais simplement lire un morceau de votre livre,
08:19le témoignage sur la toute dernière élection, l'élection législative,
08:23et j'ai repris vos mots, en réalité, puisque vous dites
08:26« Nous avons mené une campagne au faciès.
08:28Dans les immeubles d'Amiens Nord, quand je tombais sur un Noir ou un Arabe,
08:32je sortais la tête de Mélenchon en bien gros sur les tracts.
08:36C'était le succès presque assuré.
08:38Son nom servait de passe-partout, l'étendard d'une dignité retrouvée.
08:41Mais dès qu'on tombait sur un Blanc, pas seulement dans les campagnes,
08:45même dans les quartiers, ça devenait un verrou. »
08:48– Alors ça, c'est la campagne d'il y a deux ans.
08:50C'est la campagne de 2022.
08:52– Mais il vous a été reproché la même chose avec des tracts,
08:54parfois avec Jean-Luc Mélenchon, d'autres fois non.
08:56– Je le dis, oui, et c'est un souci, je l'éprouvais comme une honte
09:00quand je venais à faire ça.
09:01Et malheureusement, je me confiais à mes camarades qui me disaient
09:05« mais on fait la même chose ».
09:06Et nous retrouvons à l'Assemblée nationale,
09:10le récit est venu de tous les députés, de deux campagnes différentes,
09:13d'une campagne menée dans les quartiers,
09:15qui était bien différente de la campagne menée dans les partis.
09:17– Et d'ailleurs Jean-Luc Mélenchon en quelque sorte l'assume,
09:19puisque ce samedi dans le cortège des manifestations,
09:24s'adressant à une manifestante, il a eu ces mots
09:27« il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers,
09:29là se trouve la masse des gens qui ont intérêt à une politique de gauche,
09:32tout le reste on laisse tomber ».
09:34Et il dit même « c'est perdre son temps ».
09:37Est-ce que c'est perdre son temps que de parler aux éboueurs d'Abbeville
09:40qui se lèvent à 4h du matin et qui viennent de perdre leurs primes ?
09:44Est-ce que c'est perdre son temps que de parler à l'aide soignante
09:48dans la clinique à côté qui se prive de vacances depuis 3 ans
09:52et qui là à la rentrée ne pourra pas offrir à sa fille son activité ponée ?
09:56Est-ce que c'est perdre son temps que de parler aux ouvriers de chez Goudieur
10:00qui soient d'Amiens Nord ou de flics secours
10:03et qui ont à faire les 4-8 et qui ont dit que leurs pneus sont trop chers
10:07comparés à l'Estonie ?
10:08Est-ce que c'est perdre son temps que de parler aux vigiles de Securitas
10:13qui étaient à mon premier meeting et dont 7 sur 8 étaient en contrat
10:19à durée déterminée de 2 mois, renouvelés depuis 2 ans ?
10:22Je ne crois pas que ce soit perdre son temps que de parler à tous ces gens.
10:25Et je le dis, même s'ils ne votent pas pour nous,
10:28même s'ils s'abstiennent, même s'ils votent Rennes,
10:31je pense que c'est l'honneur de la gauche,
10:33c'est son devoir de devoir parler aux classes populaires en entier
10:37et pas à moitié et de vouloir faire France ensemble.
10:39Là, il y a un choix qui depuis 2 ans nous sépare avec la direction des Insoumis,
10:46qui est un choix de se dire est-ce qu'on parle au pays en entier
10:49ou est-ce qu'on parle au pays à moitié ?
10:51Mais ça veut dire qu'au fond, vous racontez de l'intérieur
10:54une forme de clientélisme politique,
10:56vous parlez même d'ethnicisation,
11:00au fond, le Rassemblement National comme la France Insoumise
11:03ethnicise le rapport à l'injustice sociale,
11:05c'est-à-dire un clientélisme à la fois social et ethnique,
11:08vous osez le mot ?
11:09Ça, c'est un habitant des quartiers, un intellectuel des quartiers,
11:13qui est libre de ça.
11:14Et donc, vous partagez visiblement le constat.
11:16Je vais vous prendre un exemple qui, moi, m'a choqué ces dernières années.
11:21Il y a un an à peu près, il y avait un crime commis à Crépole,
11:26le jeune Thomas à la sortie d'un bal, vous vous souvenez,
11:28qui se fait poignarder.
11:29Et à ce moment-là, vous avez le Rassemblement National
11:34qui pose des questions à l'Assemblée, qui tweet, qui retweet,
11:37et vous avez un silence des dirigeants insoumis
11:39qui ne disent pas un mot, pas un tweet sur Thomas Crépole.
11:43Vous avez, deux jours plus tard, me semble-t-il,
11:45un jardinier, Morade, qui se fait poignarder à son tour,
11:50étranglé brutalement par un raciste qui le traite de bougnoule
11:55en commettant cet acte.
11:58Et là, vous avez tous les dirigeants insoumis qui tweet et qui retweet
12:03et qui posent une question à l'Assemblée,
12:06pendant que le Rassemblement National, lui, sautait.
12:08Voilà la France que je ne veux pas.
12:11C'est-à-dire deux Frances qui s'ignorent, qui se font face...
12:14– Vous aviez d'ailleurs à l'époque réagi aux deux drames.
12:18– Oui, il faut choisir, selon l'origine, selon le prénom,
12:23selon l'agresseur présumé, à qui va aller et qui ne va pas aller
12:27notre compassion. Voilà ce qu'on ne veut pas.
12:29Voilà. Et il y a un choix, je le dis, face à une extrême-droite
12:34qui construit des murs dans le pays, qui construit des murs
12:37entre les vrais français et les pas vraiment français.
12:40Une extrême-droite qui construit des murs entre la vraie France
12:45des clochers et la mauvaise France des quartiers.
12:48Eh bien, que doit faire la gauche ?
12:50Est-ce que la gauche doit construire d'autres murs ?
12:53Ou est-ce que la gauche doit construire des ponts ?
12:55Est-ce que la gauche doit briser ces murs ?
12:56– Mais quand vous racontez ça de l'intérieur et avec aujourd'hui
12:59une forme presque de libération, on le sent, de votre propre parole,
13:03pourquoi vous êtes si seul ? Pourquoi le reste des Insoumis
13:06ne disent pas ce que vous vous dites ?
13:08– D'abord, il y a un facteur qui est la peur.
13:10– Sur ce clientélisme, quoi ? La peur de qui ?
13:14– C'est un parti où il y a de la peur.
13:16Ce n'est pas une découverte quand même qu'il y a une place de la peur dans ce parti.
13:23– Pourquoi ? Parce qu'on vous intimide ? Parce qu'on vous menace ?
13:27– C'est un regret que j'ai, c'est qu'il n'y a pas de place pour, je dirais,
13:32débattre, discuter, se contredire, échanger,
13:36et je dirais, dépasser les contradictions.
13:38Parce que la contradiction que je pose là, elle est dépassable.
13:42Moi, je suis partisan, non pas de choisir,
13:45non pas de s'oustraire entre campagne populaire et quartier populaire,
13:49mais d'additionner, et je le pose comme projet politique.
13:53Je le dis, c'est le faire ensemble.
13:54Vous connaissez la phrase d'Antoine de Saint-Exupéry,
13:57qui dit que s'aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre,
14:00c'est regarder ensemble dans la même direction.
14:02Eh bien, je pense que ce qui vaut pour un couple,
14:05à savoir que si un couple n'a pas de projet,
14:06de partir en vacances, d'avoir des enfants, de bâtir un pavillon,
14:10ça risque de vite tourner aux petites querelles et à la jalousie,
14:13je pense que c'est vrai pour la société en entier.
14:15Et que, si jamais elle n'est pas portée par un horizon commun,
14:20de faire ensemble, de transformer ensemble le pays,
14:22eh bien, on en vient aux jalousies, aux guerres sur les différences.
14:30Et qu'aujourd'hui, on doit être porté par ce projet de faire ensemble.
14:32Mais une guerre sur les différences qui est nourrie, si on le comprend bien,
14:34qui est presque souhaitée, en quelque sorte.
14:38Ce que vous décrivez de l'intérieur, c'est aussi une gauche qui,
14:42presque, prolifie sur une forme d'opposition entre deux franches.
14:48Je dirais une gauche qui a renoncé, en tout cas, qui renonce,
14:51qui se dit que c'est un choix de l'abandon, pour moi.
14:54C'est un choix de la défaite.
14:55Il n'y a non pas à se dire qu'on s'en fiche des gens qui habitent les campagnes,
15:00et puis tout ça, mais qu'en revanche, c'est foutu.
15:02D'ailleurs, Jean-Luc Mélenchon me le dit,
15:05et il dit que les terres qui votent pour le Rassemblement national,
15:09ce sont des régions qui n'ont jamais accepté ni la démocratie, ni la République.
15:13On parle du Nord-Pas-de-Calais, on parle de la Picardie,
15:15on parle du Midi-Rouge, on parle de terres qui ouvrent hier,
15:18qui ont envoyé des députés communistes ou socialistes
15:20pendant un siècle à l'Assemblée nationale.
15:22Et il ajoute, la dénazification de l'Allemagne, ça a pris 25 ans.
15:26Donc bon, il faut prendre patience.
15:29Et donc, c'est pour moi plutôt un choix de l'abandon,
15:33un peu dans la continuité de ce que faisait le Parti socialiste,
15:36qui avait dit, de toute façon, les ouvriers, c'est perdu.
15:39– Et vous en parlez d'ailleurs dans votre livre,
15:40vous dites, ce moment où le think tank qui s'appelait Terra Nova,
15:43qui était très proche du Parti socialiste, dit au fond,
15:45bon, arrêtons de s'occuper des ouvriers,
15:48désormais, notre cœur de cible, en quelque sorte, sont plutôt les cadres.
15:51– Et donc, finalement, alors qu'on s'était construit contre ce rapport Terra Nova,
15:57pour dire qu'il fallait continuer à aller les chercher,
15:59continuer à leur parler et vouloir rassembler le pays,
16:02eh bien, il y a un choix inverse qui opérait depuis deux ans,
16:06c'est de parler au pays à moitié et non pas en entier.
16:09– Et en même temps, aujourd'hui, vous vous retrouvez dans un groupe minoritaire,
16:13minoritaire d'un groupe qui lui-même n'est pas encore tout à fait majoritaire,
16:17est-ce que vous n'avez pas peur de faire ça de manière très solitaire ?
16:23– Vous savez, j'ai toujours été un électron libre,
16:24ma liberté est ma force, vous voyez,
16:26et je n'ai jamais cherché à adopter les codes
16:28et à être en position de centralité dans le jeu politique,
16:31ce n'est pas mon sujet.
16:32Aujourd'hui, il y a…
16:34– Mais pour autant, vous dites, il faudra un candidat unique de la gauche.
16:38– Là, je veux dépasser les questions de Popol, d'accord,
16:40de Tambouille, on est pris là-dedans, bon, ce n'est pas le sujet.
16:44Le sujet aujourd'hui, c'est comment on fait pour rassembler le pays ?
16:48– Oui, mais enfin, dans le même temps, le fait que vous alliez censurer
16:52de manière automatique et immédiate un gouvernement
16:55qui n'a même pas fait ses premiers pas,
16:56le fait que toute discussion autour d'un Bernard Cazeneuve éventuel,
17:00alors, sans prétendre qu'Emmanuel Macron l'aurait nommé,
17:03enfin, on sait très bien qu'immédiatement, la gauche s'est élevée contre.
17:07Est-ce qu'au fond, ce n'est pas contradictoire avec ce que vous dites ?
17:11– Là, vous ramenez le sujet sur…
17:13Vous avez… On ne va pas sortir le pays de l'ornière dans lequel elle se trouve
17:17par les péripéties parlementaires.
17:19On doit la sortir…
17:20– Ça veut dire quoi ? C'est-à-dire que pendant trois ans,
17:21de toute façon, il n'y a rien à faire ?
17:22– Non, mais ça veut dire que…
17:24Vous voyez bien qu'une actualité chasse l'autre en la matière,
17:27un nom chasse l'autre, une petite embrouille chasse l'autre,
17:30et moi, je ne veux pas que la politique, que les grands noms,
17:35Macron, Mélenchon, Matignon et ainsi de suite,
17:38viennent éclipser la vie des gens.
17:41Et que c'est à ça, si on veut reprendre pied dans le pays,
17:44c'est là-dessus qu'il faut partir.
17:46Je vais parler de la crise fiscale parce que c'est très concret,
17:48c'est qui va payer la note ?
17:50Est-ce que la note, ça va être payée par les plus riches de ce pays
17:54ou bien est-ce que c'est l'hôpital à qui on va encore serrer la vis ?
17:57Est-ce que c'est moins d'enseignants dans les écoles ?
17:59Est-ce que c'est ça que vont avoir à subir les gens dans leur quotidien ?
18:02Voilà un sujet pour les Français.
18:04– Vous allez diffuser, et je l'ai vu parce qu'un cinéma
18:08l'annonce en avant-première, un film, c'est pas le premier,
18:11vous aviez fait Merci patron, vous aviez fait Je veux du soleil,
18:14ça c'était sur les gilets jaunes, vous avez fait Debout les femmes,
18:16ça c'était sur les travailleuses femmes, notamment les soignantes,
18:20et celui-ci ça va s'appeler Au boulot,
18:22et justement le sous-titre c'est Réinsérer les riches.
18:25– Peut-on réinsérer les riches ?
18:28Est-ce que c'est cette idée aussi d'une forme de participation fiscale ?
18:30– C'est pas sur la fiscalité, c'est plutôt sur je dirais mon travaillisme
18:35qui est ma conviction que c'est par le travail qu'on fait France ensemble.
18:39C'est par le travail qu'on peut porter un projet de société
18:43qui fait notamment la transition écologique, vous savez c'est du travail.
18:46Si on veut avoir un atelier de réparation par quartier ou par canton,
18:50c'est du travail, si on veut réparer les canalisations, c'est du travail,
18:53si on veut avoir moins d'intrants chimiques et mécaniques dans l'agriculture,
18:56c'est du travail, si on veut remettre les marchandises sur les rails
18:59et un peu moins sur les routes, c'est du travail.
19:02Et donc ma conviction, je suis sans doute une forme de travailliste à la française,
19:06ma conviction c'est qu'on fait société par le travail,
19:08par le travail qu'on met en commun et qu'on fait ensemble,
19:11et que ça, ça doit être porté vers un horizon commun.
19:14Je pense que notre pays se désespère aujourd'hui,
19:16pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'horizon commun.
19:18Qu'est-ce que c'est l'horizon que nous proposent nos dirigeants depuis 40 ans,
19:22quel est leur but ? C'est nous parler de compétitivité,
19:25c'est nous demander d'être concurrentiels à l'échelle internationale.
19:27Qui ça peut faire triper ? À qui ça peut faire envie ?
19:30Et je pense qu'aujourd'hui, nous avons deux défis à remplir,
19:33nous avons un défi démographique qui est qu'il va y avoir de plus en plus de personnes âgées
19:37et de moins en moins de personnes en âge de s'en occuper.
19:39Premier défi, nous avons un deuxième défi, un défi climatique
19:43qui réclame qu'on transforme nos déplacements, nos logements,
19:45notre énergie, notre industrie et ainsi de suite.
19:47Et tout cela, c'est dans votre livre qui commence par une pointe de culpabilité.
19:51On sent en permanence que vous avez l'air presque de vous excuser.
19:54Vous commencez par pleurer en découvrant Bourdieu,
19:57mais non pas parce que vous êtes ému de découvrir Bourdieu,
19:59mais aussi parce que vous vous dites,
20:00mais moi-même, comme j'ai étudié, je suis devenu snob.
20:02Je pense que c'est un risque.
20:04Vous savez, j'appartiens à ce que j'appellerais la classe intermédiaire.
20:08Et vous aussi, sans doute.
20:10C'est-à-dire que c'est une classe à qui l'école donne des armes ou des outils
20:15et on peut choisir au service de qui on met les outils
20:18et on peut choisir de s'éloigner dans les honneurs,
20:20le pouvoir et ainsi de suite,
20:21où on peut tenter de rester fidèle au lieu d'où l'on vient.
20:26Donc voilà, j'ai fait le choix, je le dis,
20:30d'aimer les gens, parfois malgré eux,
20:32parce que des fois, c'est plus compliqué que d'autres.
20:36François Ruffin, Itinéraire, ma France en entier, pas à moitié,
20:39c'est publié à partir d'aujourd'hui.
20:40Merci d'avoir répondu à mes questions ce matin.
20:42Il est 8h53 sur RMC-BFM TV.