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Zamor est représenté dans un tableau de Jean-Baptiste-André Gautier-Dagoty, aux côtés de Jeanne Bécu, comtesse du Barry, favorite du roi Louis XV.
Né vers 1762 à Chittagong (actuel Bangladesh), Zamor a été capturé à l'âge de 11 ans et offert à Madame du Barry.
Il servait de page à la comtesse et était souvent présenté comme un objet de divertissement à la cour.
Pendant la Révolution française, Zamor embrassa les idées révolutionnaires et devint jacobin.
Il dénonça sa maîtresse, Madame du Barry, au Comité de salut public, ce qui contribua à la condamnation à mort de celle-ci.
Après la Révolution, Zamor s'exila avant de revenir en France après la chute de Napoléon.
Il mourut à Paris en 1820, dans la pauvreté, exerçant le métier d'instituteur.

Cette histoire illustre les complexités des relations entre maîtres et esclaves à la fin de l'Ancien Régime, ainsi que les bouleversements sociaux engendrés par la Révolution française.
Transcription
00:00Cette gravure représente la comtesse du Barry, maîtresse du roi Louis XV.
00:10Réalisée en 1771 par Gauthier d'Agothy, elle est conservée au château de Versailles.
00:16Au bord du cadre de profil, un garçon à la peau noire.
00:21Pourquoi apparaît-il sur un portrait de la femme la plus puissante de France ?
00:27Nous avons analysé des centaines d'archives sur Internet pour retracer sa vie.
00:32Notre investigation montre comment cet enfant, né au bout du monde, a été vendu comme esclave,
00:38pour finir en toute illégalité à la cour de Versailles.
00:42Sur le site Internet du château de Versailles, où l'œuvre est conservée,
00:57la notice donne un premier indice sur ce personnage.
01:00Son nom, Zamor. Mais qui est-il ?
01:05Quand il est représenté sur cette gravure aux côtés de la favorite du roi Louis XV, la comtesse du Barry,
01:11elle réside au château de Versailles, dans ses 350 mètres carrés,
01:16considérés comme les plus raffinés du palais.
01:21Zamor habite-t-il lui aussi à la cour ? Et quel est son rôle auprès de la comtesse ?
01:29C'est aux archives départementales de Paris que nous retrouvons la première trace de sa présence en France.
01:36Son certificat de baptême, daté de 1772, nous apprend qu'il se nomme plus exactement Louis-Benoît Zamor,
01:44et qu'il est âgé d'environ dix ans.
01:47La mention « attaché à Madame du Barry » indique que cet enfant fait partie de ses serviteurs.
01:53Aucune précision, en revanche, sur le lieu de naissance de Zamor. Il est simplement qualifié de nègre.
02:03Sur le site de l'Académie française, le dictionnaire de l'année 1762 précise que le mot « nègre » est utilisé pour qualifier les esclaves.
02:16Sur Gallica, le site numérique de la Bibliothèque nationale de France, nous analysons la biographie de Madame du Barry,
02:23écrite par l'historien Charles Vattel, qui précise les origines de Zamor.
02:30« Zamor n'était pas un nègre à proprement parler. C'était un homme de couleur, né dans l'Inde, au Bengale.
02:39Il avait été enlevé à quatre ans à sa famille. »
02:43Cette phrase laisse entendre que Zamor a été un enfant esclave.
02:50Au XVIIIe siècle, la France pratique le commerce triangulaire depuis une centaine d'années.
02:56Elle trouve l'essentiel de ses esclaves en Afrique, mais une partie provient de l'océan Indien.
03:04Dans quel contexte Zamor, âgé de seulement quatre ans, est-il devenu esclave ? Et à quel prix a-t-il été vendu ?
03:14Pour le déterminer, nous nous appuyons sur ce document trouvé aux archives nationales, l'inventaire de succession d'un planteur de Saint-Domingue.
03:23Il précise la valeur de ses 138 esclaves.
03:28« Les hommes jeunes et vaillants sont les plus chers, comme Jean-Baptiste, 17 ans, gardien d'animaux, à 3 000 livres colonials.
03:38Les esclaves blessés, eux, n'ont plus de valeur marchande. Jonquille, estropié d'un bras, vaut 5 livres.
03:45Apparaissent ensuite les négresses et les négrillons, qualificatifs donnés aux petits garçons noirs.
03:52Les enfants sont également achetés, mais se négocient moins cher que les adultes, comme Simon, 4 ans, le même âge que Zamor quand celui-ci est vendu.
04:02Son prix, 800 livres. »
04:06Ces esclaves partent travailler dans des exploitations agricoles ou comme domestiques dans les colonies.
04:12Ce n'est pas le cas de Zamor. Nous savons, grâce à son certificat de baptême, qu'il est envoyé en France, à Versailles.
04:22Sur le territoire français, l'esclavage est pourtant théoriquement interdit.
04:28Le magistrat Jean Baudin exprime ce principe dans un ouvrage du XVIe siècle.
04:34« L'esclave est libre, sitôt qu'il a mis le pied en France. »
04:39Comment expliquer la présence de Zamor à la cour de Versailles alors que l'esclavage est illégal en France ?
04:48Pour le savoir, nous poursuivons notre investigation dans les principaux ports négriers.
04:53Ils sont une douzaine à se disputer le commerce des esclaves.
04:57Nantes est le plus important. C'est donc dans cette ville que nous avons cherché des traces de la présence d'esclaves.
05:07Sur le site du musée d'histoire de Nantes, des peintures de 1753 attirent notre attention.
05:13Les d'Orbrook, un couple de puissants armateurs, se font représenter avec des domestiques noirs.
05:20Le statut du garçon auprès de M. d'Orbrook ne fait aucun doute.
05:25Il porte un collier de servitude, des créoles et l'uniforme imposé aux esclaves.
05:34A Nantes toujours, aux archives de Loire-Atlantique, nous découvrons un document qui atteste que le commerce d'esclaves n'était pas limité aux colonies.
05:43Les petites annonces de la ville de janvier 1761 proposent des effets à vendre.
05:49Des objets de décoration et un aigre.
05:53Un indien âgé de 18 à 19 ans, servant proprement à table.
05:58Son prix, 1500 livres.
06:04Même si c'est illégal, des êtres humains se vendent donc sur le sol de France.
06:09Mais nous avons découvert qu'ils s'offraient aussi.
06:12Zamor serait-il un cadeau de Louis XV à sa favorite ?
06:18Cette lettre écrite par le gouverneur français du Sénégal montre qu'offrir des enfants noirs se pratique dans la haute société.
06:25Il dresse ici la liste des présents qu'il ramène du Sénégal vers la France.
06:31Une perruche pour la reine, un cheval pour le maréchal de Castres, une petite captive pour monsieur de Beauvau.
06:39En d'autres termes, une jeune esclave.
06:44L'attrait de l'aristocratie pour les enfants noirs est-il réservé à la France ?
06:51La requête Portrait du XVIIIe siècle avec esclaves noirs fait apparaître 150 tableaux.
06:57Nous découvrons la présence de jeunes esclaves dans de nombreuses courses européennes.
07:03Les souverains se font peindre avec leurs serviteurs noirs pour afficher leur puissance et faire ressortir la blancheur de leur peau.
07:11Comme ici, Charlotte d'Angleterre.
07:16Gautier d'Agoti met en scène la comtesse du Barry de la même façon, avec un serviteur représenté à ses pieds et qui lui est totalement dévoué.
07:26Zamor est donc un faire-valoir et se doit d'être vêtu luxueusement.
07:35Dans les livres de contes de Madame du Barry, de nombreuses factures de tailleurs mentionnent des costumes pour Zamor.
07:42La comtesse commande aussi un bonnet à plumes pour souligner ses origines exotiques.
07:48Sur notre gravure, il est d'ailleurs représenté avec un turban et des boucles d'oreilles.
07:58Les factures de la du Barry font aussi apparaître l'achat d'un portrait de Zamor au plus célèbre peintre de cour de l'époque, François Hubert Drouet.
08:10En ligne, impossible de retrouver la trace de ce tableau.
08:14Les seuls résultats sur Zamor sont ces deux portraits, l'un exposé aux Etats-Unis, en Floride, l'autre au musée Carnavalet, à Paris.
08:25Le site du musée parle d'un portrait présumé.
08:30Aucune preuve n'atteste donc qu'il s'agit bien de Zamor.
08:35La notice évoque le tableau du peintre François Hubert Drouet, celui commandé par la comtesse du Barry.
08:42Le musée nous renvoie à une revue d'art qui a publié la seule trace de ce portrait.
08:50Nous savons, grâce aux comtes de la du Barry, qu'il s'agit cette fois d'une représentation authentique de Zamor.
08:59Pourquoi l'histoire de l'art cherche-t-elle à attribuer plusieurs portraits à Zamor, un simple domestique ?
09:06Aurait-il joué un rôle majeur au XVIIIe siècle ?
09:11En 1774, Louis XV meurt. Louis XVI prend sa succession.
09:19Madame du Barry est chassée de la cour.
09:23La comtesse s'installe au château de Louvesciennes.
09:26Grâce à l'inventaire du château, nous découvrons que Zamor la suit. Ils y vivent jusqu'en 1793.
09:34C'est la période de la terreur. Des milliers de suspects contre-révolutionnaires sont exécutés en public.
09:42Septembre de la même année, Madame du Barry est arrêtée et emprisonnée.
09:48Son procès s'ouvre devant le tribunal révolutionnaire.
09:52Dans ce document, conservé aux archives nationales, apparaît la liste des témoins à charge.
09:58Parmi eux, son serviteur depuis plus de vingt ans, Zamor.
10:03Devenu proche des cercles révolutionnaires, il dénonce les fréquentations monarchistes de la comtesse.
10:12La majeure partie des personnes qui venaient chez la du Barry n'étaient pas patriotes.
10:17Ces personnes se réjouissaient des échecs qu'éprouvaient les armées de la République.
10:22Un témoignage décisif. Le 8 décembre 1793, la du Barry est condamnée à la peine de mort.
10:29Ses archives de la police attestent que Zamor est à son tour arrêté car présenté comme agent de la du Barry et considéré comme très suspect.
10:43Il est incarcéré à Paris.
10:46Nous avons retrouvé ses lettres de soutien écrites par les amis révolutionnaires de Zamor pour lui éviter la guillotine.
10:52Cet être, arraché des bras de sa famille à l'âge de 4 ans et mené en Europe pour servir de joujou à la ville maîtresse d'un crapuleux tyran.
11:04Notre vertueux frère Zamor, cet apôtre de la liberté, se digne élève de l'immortel Jean-Jacques Rousseau.
11:11Six semaines plus tard, Zamor est libéré.
11:16Le dernier document sur Zamor est l'inventaire de son décès.
11:20L'ancienne esclave est mort à l'âge de 58 ans, sans descendance et pauvre, bien loin de sa vie avec la comtesse et défaste de la cour de Versailles.

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