Grâce à un accès extraordinaire au smartphone utilisé par trois Britanniques partis combattre en Syrie, Mobeen Azhar découvre ce qui a poussé ces trois personnes à rejoindre Daech et ce qui leur est arrivé.
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00:00On peut en apprendre beaucoup sur une personne en examinant le contenu de son téléphone portable.
00:06Quand je visionne ces images, j'ai l'impression de regarder un groupe d'adolescents en vacances.
00:14Aujourd'hui, ils sont tous morts. Ces trois jeunes britanniques ont quitté leur pays natal
00:23pour rejoindre les rangs de Daesh et s'entraîner à tuer. Au final, ils ont perdu la vie en combattant
00:29en Syrie. Ils se sont filmés avec des smartphones. On a retrouvé ces vidéos que personne n'était
00:34jamais censé voir dans les décombres de l'organisation Etat Islamique. Ces documents
00:40authentiques dévoilent de l'intérieur l'univers du groupe terroriste le plus tristement célèbre
00:44de notre époque. Ces vidéos racontent une histoire d'espoir et de désillusion. Deux
00:52civils qui jouent aux soldats, d'étudiants ordinaires devenus des tueurs. Je m'appelle
00:58Moby Nazar. Je suis journaliste et j'ai passé des années à tenter de comprendre comment quelqu'un
01:03peut se transformer en terroriste sanguinaire. Au départ, la plupart de ces jeunes me ressemblaient.
01:08Des fils d'immigrés nés en Grande-Bretagne à qui une belle vie tendait les bras. Mais ils ont
01:14pris un autre chemin. En l'espace de six ans, on estime que 900 Britanniques auraient fait le même
01:20choix. Pourquoi avoir quitté leur pays et leur famille pour s'engager dans une guerre utopique
01:26à des milliers de kilomètres de chez eux ? Les réponses se trouvent peut-être dans ce smartphone.
01:44Louise Callahan est journaliste au Sunday Times. Elle couvre l'actualité en Irak et en Syrie et
01:54consacre beaucoup de temps à passer en revue des histoires de guerres effroyables. Son appartement
01:59à Istanbul lui sert de pied-à-terre. C'est au cours de l'un de ses périples qu'elle a mis la main sur
02:05le portable. Louise, bonjour, comment ça va ? Bien et toi ? Je t'ai envoyé les fichiers qui étaient sur
02:16le disque dur. Parle-moi un peu de ce téléphone. Raconte-moi comment tu es tombée dessus. Quand
02:22j'étais en Syrie, je travaillais avec deux collègues. L'un d'eux s'appelle Osama Mohamed.
02:27Ensemble, on s'est efforcé d'établir le contact avec des gens sur le terrain. On a rencontré un homme
02:33qui possédait un certain nombre de ces disques durs. Il nous a proposé de jeter un œil à leur
02:39contenu. J'ai donc ouvert le répertoire et je suis restée sans voix. Osama et moi, on regardait ça et
02:47on se disait « c'est incroyable, on n'a encore jamais vu un truc pareil ». Qu'avez-vous trouvé ?
02:54Il s'agissait principalement de vidéos, de photos et de captures d'écran provenant d'un portable dont
03:00c'était servi ces jeunes britanniques pendant qu'ils vivaient en Syrie. C'est une chronologie
03:05très détaillée de leur vie, simplement à travers les photos qu'ils ont prises et les recherches
03:10qu'ils ont effectuées en ligne. Ce serait si simple de faire une croix sur eux en disant que
03:16ce n'était que des bourreaux. Mais on doit essayer de comprendre pourquoi c'est arrivé, si l'on veut éviter que ça se reproduise.
03:22Il faut que je sache ce qui s'est passé avec ces trois jeunes, parce qu'en l'espace de six ans,
03:29près de 900 personnes en Grande-Bretagne ont fait le même choix. Ça fait longtemps que j'essaie de
03:36trouver des réponses à cette question. Comment expliquer ce phénomène ? J'ai interviewé des
03:42hommes qui fabriquaient des ceintures d'explosifs. Je me suis fait tirer dessus par les talibans.
03:46J'ai discuté avec des terroristes condamnés. Mais l'histoire du smartphone, c'est autre chose.
03:52Des souvenirs personnels dénués de tout le simulacre de la propagande et qui n'auraient
03:58jamais dû tomber entre mes mains. Le premier utilisateur du portable s'appelle Fatloum Chalakou.
04:06Ce londonien est né de parents albanais et kosovars. Il n'avait que 18 ans quand il est
04:14parti pour la Syrie. Il aimait aller à la salle de sport et se mettre en scène. Certaines photos
04:23me font plus penser aux membres d'un boy's band qu'à un soldat. Fatloum prenait même le temps
04:29de frimer devant la caméra alors qu'il se trouvait dans une zone de combat. Il est arrivé dans les
04:35premiers. Cette vidéo date de juin 2013, un an avant la proclamation du califat de l'état islamique.
04:41On voit un chaton. On est loin de la ligne de front. C'est Fatloum là.
04:52Il rit ou quoi ?
05:22C'est tellement caricatural. Il fait des signes de gang comme un jeune de Londres.
05:51Parce que c'est ce qu'il est en fait. Celui qui filme prononce l'expression astaghfirullah,
05:58ce qui veut dire que Dieu me pardonne. C'est ce qu'on dirait quand on voit quelqu'un faire le
06:05clown par exemple. Ils sont tous impliqués dans cette farce pitoyable. Ce type là semble assez
06:12mal à l'aise dans cette situation. On voit Fatloum agiter sa mitraillette dans tous les sens comme
06:17si c'était un jouet. Alors que c'est une arme bien réelle. Il n'a pas l'air très dégourdi. On
06:24dirait un petit voyou qui joue à un jeu vidéo de guerre. On a l'impression de regarder un bêtisier
06:29de Daesh. C'est la facette de l'état islamique qu'on ne nous montre jamais. Fatloum a supprimé
06:39ses comptes sur les réseaux sociaux avant son départ pour la Syrie. Il a fait disparaître tous
06:43les selfies et les indices comme s'il voulait tirer un trait sur son ancienne vie. J'aimerais
06:49trouver quelqu'un qui le connaissait à l'époque. J'ai donc contacté énormément de personnes en
06:54espérant que l'une d'elles sera disposée à me parler. En attendant, j'ai trouvé l'ancienne
06:59adresse de Fatloum. Mais sa famille ne vit plus ici. Des voisins m'ont expliqué qu'ils n'avaient
07:06pas réussi à tourner la page et qu'ils avaient déménagé pour repartir à zéro. Plusieurs de
07:14ses camarades d'école ont pris la peine de me répondre pour me dire qu'ils ne voulaient pas
07:18me parler. Néanmoins, un certain Zach a accepté de me rencontrer à condition qu'on ne montre pas
07:25son visage. Pourquoi vous ne voulez pas qu'on voit votre visage? Pourquoi mettre un masque? Je me
07:31sens mieux pour vous parler avec un masque, vous comprenez? Vous vous sentez plus libre de vous
07:35confier? Oui. Vous connaissiez bien les parents de Fatloum? Oui, ils étaient sympathiques, bienveillants,
07:42souriants, des gens simples. Il y a des personnes comme ça qui respirent l'humilité et la gentillesse.
07:48Vous savez où ils sont? Je suis allé chez eux et personne n'a ouvert. Je sais qu'ils ne veulent
07:53pas en parler, ils sont encore traumatisés, ils se posent des tas de questions. Quel souvenir avez
07:59vous de votre enfance ici? C'était la jungle, l'anarchie totale ici quand on était môme. Certains
08:04marocains appelaient cet endroit Jahanam. Jahanam, c'est-à-dire l'enfer? Oui, d'ailleurs Portland Road,
08:09c'est la rue la plus divisée d'Europe. Dans la même rue, vous avez d'un côté 5% des habitants
08:14les plus pauvres du pays et du côté le plus chic, 20% de la population la plus riche. Pour Fatloum
08:20et vous, pour vous deux en particulier, est-ce que c'était difficile à l'école? L'établissement
08:26où on était scolarisé, c'était un terrain d'expérimentation. Quand on grandit dans un
08:30quartier sensible où les autres gamins vous persécutent sans arrêt, à un moment, il faut
08:34riposter, sinon on s'en sort pas. On apprend à rebondir. On connaît rien d'autre que la cité,
08:39la promiscuité, la pauvreté et les difficultés. C'est comme si on vous obligeait à grandir très
08:45vite ici. Quelles étaient ses motivations? Pourquoi est-il allé là-bas? Personnellement,
08:50j'ai entendu dire que Fatloum était parti là-bas pour apporter son aide à la population. Je pense
08:57qu'il s'est fait manipuler, au point de penser que ce qu'il faisait était sûrement une bonne chose.
09:01Pour moi, il est parti là-bas parce qu'il avait la rage. Pourquoi Fatloum était tellement en colère?
09:07Après 2001, on a senti beaucoup plus d'animosité. Ça a changé des choses. L'islam,
09:13on parlait plus que de ça. Vous voulez dire le 11 septembre? Ouais. Dès qu'on allumait la télé,
09:18dans n'importe quel pays, tout ce qu'on voyait, c'était des soldats d'origine américaine ou
09:24même britannique qui étaient déployés au Moyen-Orient ou qui pilotaient des drones pour
09:29bombarder des écoles ou d'autres cibles. Forcément, les gens étaient très en colère. Donc, ils étaient
09:36furieux, ils sont partis là-bas. Mais la violence est omniprésente. On n'y échappe pas. Fatloum avait
09:4218 ans quand il a quitté son pays pour la Syrie, soit disant révolté par ce qu'il considérait
09:47comme une injustice. Une théorie que j'ai entendue des dizaines de fois. Mais la plupart des gens qui
09:53veulent rendre le monde meilleur ne quittent pas leur famille pour prendre les armes. Les raisons
09:58sont plus complexes. Je dois poursuivre mon enquête. Le deuxième utilisateur du portable s'appelle
10:07Choukri El Khalifi. Contrairement à Fatloum, il n'est pas taciturne. Il a toujours le sourire. Il est
10:14parti pour la Syrie en 2012. Il faisait partie de la première vague de britanniques qui se sont
10:19engagés là-bas. Dès son arrivée, juste à côté d'Alep, il était heureux d'endosser le rôle du clown.
10:25Il se prend pour David Attenborough.
10:56Il est très joyeux. Il a l'air vraiment heureux. Le gars qui filme a aussi l'accent de l'ouest de
11:06Londres. On ne sait pas ce qu'ils fabriquent avec un vautour au sommet d'une colline. C'est
11:16totalement absurde. Limite grotesque. Une scène grotesque comme savent si bien le faire les
11:21anglais. Apparemment, il essaie de s'exprimer comme un vieil homme blanc. Il loue le Seigneur.
11:32C'est ce qu'il dit en gros. Vénérons la création de Dieu. Il semble exalté par tout ce qu'il a
11:38autour de lui. Il n'est pas blasé, ça c'est clair. Il se comporte comme un gamin, mais qui tient une
11:44arme très imposante dans ses mains. Choukri habitait à quelques pas de chez Fatloum. En
11:52y regardant de plus près, ils sont loin d'être les seuls dans le quartier de Westway à avoir
11:56choisi de s'engager dans cette voie. Des noms, j'en ai trouvé des dizaines. Forcément,
12:03on ne peut que se demander ce qui s'est passé dans ce microcosme de Londres.
12:15Nous nous trouvons dans le secteur de Gigi, éducatrice spécialisée depuis des années. Elle
12:21s'occupait d'enfants et d'adolescents à l'époque où Fatloum et Choukri sont partis. Je sais qu'elle
12:27a un point de vue pertinent sur ce sujet. Je ne peux pas généraliser, mais je peux vous dire
12:32qu'un certain nombre de jeunes étant passés par nos services il y a des années sont morts en Syrie.
12:36Le dernier chiffre qu'on a porté à ma connaissance, et ce n'est qu'une supposition bien sûr,
12:41s'élèverait à 26 disparus. De ce quartier ? Oui, rien que de l'ouest de Londres. Ça fait beaucoup
12:4826 ? Je suis bien d'accord. Et parmi ces 26 jeunes, est-ce qu'il y a des points communs ? L'âge,
12:56le sexe, deuxième génération d'immigration, est-ce qu'ils étaient violents ? Non. Avaient-ils été
13:03élevés dans des foyers ultra conservateurs ? Non plus. Les médias en général et plusieurs
13:10journalistes de renom à la télévision ont pointé ces jeunes du doigt et en ont fait des boucs-émissaires.
13:16Aujourd'hui, ils représentent tout ce qui va de travers dans le monde. Résultat, ces ados paumés
13:22vont se mettre en quête d'une personne qui sera en mesure de leur expliquer pourquoi on leur fait ça.
13:27Et qui leur dira, je vais t'écouter, fais appel à moi. Je comprends tout à fait. Bon, je suis moi-même
13:33un bronzé, vous voyez ? Je porte la barbe. Et j'ai effectivement le teint un peu foncé. Mais
13:40qu'on se sente un peu différent ou bien intégré, ce n'est pas une raison pour faire un tel choix.
13:44Absolument. Certains gagnent leur confiance en leur disant, rejoins-nous, ici on t'accepte comme tu es.
13:50Est-ce qu'ils s'habillaient ou se comportaient différemment ? Est-ce que certains aspects
13:55avaient changé chez eux ? Ces jeunes avaient tendance à se renfermer et n'avaient plus trop
14:00envie de participer à des activités mixtes de leur âge. Mixité entre hommes et femmes, vous voulez dire ?
14:05Oui, ils refusaient d'aller à la MJC parce qu'il y avait des filles. Ils essayaient de reproduire ou
14:10de s'approprier une tendance qui n'existait même pas au Moyen-Orient. Ils avaient totalement basculé
14:15de l'autre côté, s'allait au-delà du conservatisme. Ils s'étaient totalement monté la tête. Exactement.
14:20Même si 26 jeunes ne sont jamais revenus, je suis convaincue qu'il y en a beaucoup plus qui ont
14:25été sauvés grâce au travail qu'on a accompli avec eux. Pourtant, Fatloum et Choukri n'ont pas pu
14:33être sauvés, victimes d'un phénomène qui les dépasse. De jeunes hommes ne décident pas de
14:38devenir terroristes en se levant un matin. Il y a forcément des raisons. Bien sûr, on peut toujours
14:46évoquer le fait de se sentir à l'écart de la société. La plupart des reportages vont se
14:51concentrer sur la religion, mais aucun de ces facteurs n'explique pourquoi la situation est ce
14:56qu'elle est. Ces jeunes avaient des histoires de vie et des raisons personnelles qui ont fait qu'ils
15:01se sont retrouvés là-bas. Certaines de mes recherches ont porté leurs fruits. J'ai déniché le numéro du
15:08frère de Choukri. Je lui ai parlé au téléphone. Il préférerait qu'on ne le voit pas. Finalement, il a
15:14accepté de me rencontrer, mais sans l'équipe de tournage. Il a été assez froid, mais en parlant
15:21avec lui, j'ai compris qu'il se sentait investi d'une mission. Il est très contrarié par la façon
15:26dont l'histoire a été rapportée. Il m'a raconté que Choukri avait fréquenté une école pour enfants
15:32souffrant de troubles de l'apprentissage. Autrement dit, son frère était un garçon vulnérable. Il
15:37n'a pas arrêté de me le répéter. Je ne sais pas si ce sera suffisant pour qu'il accepte de se laisser
15:42filmer, mais il va y réfléchir. Il ne me reste plus qu'à attendre.
15:59Il n'a pas décroché. Il m'a envoyé un SMS très poli et voilà ce qu'il dit.
16:09Assalamu alaikum, merci de m'avoir contacté, vous faites du bon travail. Nous espérons que vous
16:14allez écrire un récit authentique qui sera basé sur la conversation que nous avons eue et que vous
16:21serez en mesure de présenter le côté impartial de l'histoire et pas ce qui a été raconté par le
16:28passé. Après en avoir longtemps discuté, nous avons décidé de décliner votre offre d'interview.
16:34Nous vous souhaitons bonne chance. C'est un message du frère de Choukri et si même son
16:43propre frère admet ouvertement qu'il ne veut plus rien avoir à faire avec lui, qui d'autre va parler
16:49de lui ? Beaucoup me demandent si je vais rédiger une histoire positive ou négative et je réponds
16:54toujours de façon très claire qu'il n'y a absolument rien de positif dans le fait que votre
16:59frère, votre fils ou votre ami est parti en Syrie et s'est fait tuer là-bas. Après le refus de la
17:06famille de Choukri, j'en reviens au portable. Il contient plusieurs captures d'écran, des gros
17:11titres sur l'histoire des djihadistes britanniques. C'est perturbant de voir qu'il collectionnait ce
17:16genre d'articles. Choukri lisait-il ce qui lui était consacré ? Était-il fier de toute cette
17:21attention médiatique ? On le voit ici au côté d'Israfil Yilmaz, recruteur notoire de Daesh
17:26et redoutable outil de propagande à lui tout seul. Ça commence à faire beaucoup. Je vois désormais
17:32Choukri sous un autre jour.
17:56Il est mort. Un petit homme chinois, un petit homme noir. Tenez-le comme je t'ai dit. Tenez-le comme un homme. Non, non, non, non, mon frère, tenez-le.
18:03Là, c'est bon. Ok, vous êtes prêts ? Prêts. Tu me l'as enregistré ? Ouais, ouais, ouais. Tu m'as enregistré.
18:12Tirez dans ce trou, là-bas, sur les rochers. Bismillah. Là, c'est bon, mon frère. C'est parti maintenant.
18:18Allahu Akbar, ça va faire un petit pop, incha'Allah.
18:21Allahu Akbar.
18:23C'est fait, c'est fait.
18:28Allahu Akbar, mets-le dans le trou, regarde.
18:30C'est mon homme.
18:31C'est comme ça qu'on le fait. C'est comme ça qu'on le fait, là-bas.
18:39Il est heureux.
18:40Ouais, mon garçon.
18:42Takbir.
18:43Allahu Akbar.
18:45Takbir.
18:46Allahu Akbar.
18:48C'est comme ça qu'on le fait.
18:49Cet homme, il est une légende.
18:52Salam aleykoum, mon frère.
18:53Aleykoum salam.
18:54Ça me rend malade.
18:57Quand il lance la grenade et qu'il dit « Regarde, je l'ai mise en plein dedans », il est surexcité.
19:03On dirait un enfant qui attend que ses parents le félicitent, ou le chouchou du maître d'école.
19:08Il se délecte de l'attention que ses acolytes lui portent.
19:11C'est de l'endoctrinement.
19:13Ou alors, je ne m'y connais pas.
19:14Imaginez, enfant, vous aviez des difficultés d'apprentissage et en grandissant, vous manquiez cruellement de confiance en vous.
19:20Et vous vous retrouvez entouré de ces hommes adultes qui vous répètent que vous êtes quelqu'un de génial.
19:25Ils veulent vous appâter, en fait.
19:34On entend le type qui filme dire d'un ton admiratif « Ce mec est une légende ».
19:39Tout ça parce qu'il a lancé une grenade dans un champ.
19:44Cette adoration, tous ces gars qui l'encouragent, c'est typiquement de l'endoctrinement.
19:50En clair, tu fais maintenant partie du gang.
19:57Choukri n'a pas surgi comme par magie dans un champ près d'Alep.
20:01Pour se faire embrigader ainsi, il devait vraiment avoir une piètre estime de lui-même.
20:06Et ça ne datait sûrement pas d'hier.
20:10J'ai trouvé des articles concernant la vie de Choukri avant la Syrie.
20:14Il avait été jugé pour une série de cambriolages.
20:16L'avocat général a accepté de me rencontrer.
20:19Quand avez-vous entendu parler de lui pour la première fois ?
20:22Il a été arrêté le 3 août 2012 avec deux autres individus.
20:26Il était suspecté d'avoir commis une série de cambriolages dans un rayon de 800 mètres autour de Regent's Park.
20:31Combien de cambriolages ?
20:33Huit, d'après nos informations.
20:35Huit cambriolages en quatre jours.
20:38Leur méthode de prédilection consistait à taser leurs victimes pour les forcer à leur remettre les objets qu'ils convoitaient.
20:44Un taser ? Je vois que la faim justifie les moyens.
20:47Ça neutralise la personne en lui infligeant une violente douleur.
20:51Même non mortelle, c'est une arme réelle.
20:53L'un de ses co-accusés était surveillé par la brigade antiterroriste alors qu'il était en liberté conditionnelle.
20:59Lors de son arrestation, il était en possession d'un pistolet mitrailleur MAC-10.
21:03Un pistolet mitrailleur ?
21:04Oui.
21:05J'imagine qu'on a cherché à savoir à quoi il devait servir.
21:08Les théories ne manquaient pas, mais on avait zéro preuve.
21:11Pas de preuve.
21:12S'il a été interpellé par des agents de la brigade antiterroriste,
21:16il a forcément attiré leur attention à un moment donné.
21:19Après l'interpellation de ces individus, M. El Khalifi a fait une demande de libération conditionnelle
21:24sous prétexte de se rendre au Maroc pour des obsèques familiales.
21:28Le tribunal a accepté.
21:30Et il n'est jamais revenu.
21:32J'ai contacté sa famille et j'ai eu un entretien avec son frère.
21:35Il a déclaré « Il faut que vous compreniez que mon frère avait des difficultés d'apprentissage ».
21:40Est-ce une explication qui revient souvent ?
21:42Oui. Il y a un nombre incroyable de personnes confrontées au système judiciaire qui souffrent de ce genre de problèmes.
21:50M. El Khalifi a été condamné par compte humain à une peine symbolique de six années de prison.
21:55Bien entendu, il ne se trouvait pas au Royaume-Uni à l'époque.
21:58On ne savait pas où il était. Sinon, qu'il était caché quelque part, en alerte.
22:02Il y a notamment une version selon laquelle il se serait dit « Je vais tirer un trait sur tout ça et tout quitter ».
22:08Pensez-vous que ça s'est vraiment passé comme ça ?
22:10Oui. Les personnes qui ont enquêté sur eux en sont arrivées à la conclusion qu'ils réunissaient des fonds pour une cause qui leur tenait à cœur.
22:17Et que ce n'était pas simplement dans un but d'enrichissement personnel.
22:22Je vois. Merci pour cet entretien.
22:24Merci à vous.
22:25Bonne continuation.
22:28La chronologie des événements prend désormais tout son sens.
22:32Un type est jugé pour cambriolage avec violence, il va probablement finir en prison et il en est conscient.
22:37Quelques jours après son procès, il invente une histoire d'enterrement familial et s'enfuit pour la Syrie.
22:44Pour être très clair, le frère de Choukri m'a contacté pour me demander de raconter l'histoire sans détour et sans la déformer.
22:51J'ai essayé de prendre en compte la notion de vulnérabilité, le fait que les gens puissent avoir des histoires personnelles compliquées.
22:58C'est souvent ce qui caractérise les criminels de tous bords.
23:01J'ai entendu ça des milliers de fois.
23:03Mais utiliser un taser pour dépouiller des gens, partir en Syrie pour rejoindre un groupe terroriste, ce sont des lignes rouges à ne pas franchir.
23:12Et pour une majorité de personnes, ce genre de comportement est impardonnable.
23:22Il y a une dernière vidéo de Choukri sur le portable.
23:25Je t'ai eu, mec.
23:32Cette pêche est comme un bain d'acide.
23:42On dirait qu'ils sont à Magaluf au Baléa ou dans une station balnéaire quelconque.
23:47Mais on voit qu'ils sont armés.
23:49Ce n'est pas Magaluf.
23:55Mais voilà, ce n'est pas la première fois que cette piscine défraie la chronique.
24:00Elle a également servi de lieu de villégiature à Alexandra Côté, membre d'une cellule du groupe Etat islamique baptisé les Beatles
24:07et rendue célèbre par une série de vidéos où ils décapitaient des otages.
24:11Choukri y était aussi à la même période, se mettant en scène dans ses pseudo-vacances de rêve pour djihadistes.
24:18Comme Choukri, les hommes de cette cellule neutralisaient leurs victimes à l'aide de tasers.
24:23Coïncidence troublante, Choukri et l'un de ses bourreaux ont fréquenté la même école à la même période.
24:29Ces images ont été filmées lors des dernières semaines de la vie de Choukri.
24:33S'il n'était pas mort, je me demande s'il aurait fini par se joindre aux Beatles, le groupe de tueurs le plus célèbre de l'ère numérique.
24:46Un mois plus tôt, et probablement à proximité de là, Fatlou m'a été filmé dans une autre vidéo.
24:53J'ai demandé à son ami Zach de m'aider à la décrypter.
24:56Je t'ai envoyé le fichier, ouvre-le et regarde. J'aimerais savoir ce que tu en penses.
25:20J'hallucine.
25:23C'est Fatloum là.
25:27J'y crois pas.
25:30Si tu veux que je sois honnête avec toi, je trouve ça carrément flippant.
25:34On a l'impression qu'ils savent pas ce qu'ils font.
25:37Ça correspond bien à ce que j'avais entendu dire, que Daesh en Syrie était censé être un système bien structuré et que c'était pas le cas.
25:44Y avait aucun cadre, ils ont dû organiser eux-mêmes leur expédition et on voit ce que ça donne.
25:49Pour toi, ils s'attendaient à se retrouver au sein d'une armée efficace et bien organisée ?
25:54Ouais, absolument, bien sûr.
25:57Là, c'est Flamour, son frère aîné.
26:00C'est lui, là, dans la vidéo ? Tu en es sûr ? C'est son frère ?
26:04C'est Flamour, aucun doute.
26:06Tu es catégorique ?
26:07Ouais, à 100%.
26:09Tu le connaissais ?
26:10Ouais, ouais, Flamour était super sympa aussi.
26:12Il prenait toujours tout très au sérieux.
26:14En fait, Fatloum était un peu plus timide et réservé.
26:17Flamour, dès qu'il faisait quelque chose, il était toujours au taquet.
26:22Côté personnalité, franchement, aucun des deux n'était violent ou avait l'air d'avoir des envies de meurtre ou d'autres choses dans le genre.
26:29Il donnait pas cette impression.
26:31Après, peut-être que c'était refoulé et que quelqu'un a su l'exploiter, Dieu leur pardonne.
26:36Tu sais ce qui est arrivé à son frère ?
26:39Il s'est pris une mort.
26:40Tu sais ce qui est arrivé à son frère ?
26:43Il s'est pris une balle dans la tête, je crois.
26:45C'est ce que j'ai entendu dire.
26:48Tu sais pourquoi ou par qui ?
26:51Non, j'en sais rien.
26:53Mais après ça, mon pote Fatloum a voulu se venger.
26:56Alors il a foncé dans un camp d'Irakiens à bord d'un pick-up piégé et il s'est fait sauter avec.
27:04Fatloum a semé la désolation parmi leur famille, leur communauté et leurs amis.
27:08Il a détruit leur vie.
27:10Je prie pour eux et je crois au pardon.
27:15J'ai déjà vu ce visage.
27:17C'est l'homme qui n'avait pas l'air impressionné du tout quand Fatloum faisait l'imbécile en se pavanant avec son fusil d'assaut.
27:25Quelques semaines après la mort de Flammour, l'État islamique a mis en ligne une vidéo où l'on voyait un type qui portait une cagoule.
27:33En étudiant les dates et le lieu, on peut en déduire que l'homme à la cagoule est Fatloum Chalakou.
27:54Et voilà.
27:57Ce sont les derniers instants de sa vie.
27:59Daesh a présenté l'attentat suicide de Fatloum comme un acte de guerre commis au nom de la religion.
28:04Je crois que c'était plus probablement dû à l'immense chagrin qu'il ressentait après le décès de son frère.
28:11La machine de propagande de l'État islamique tient un rôle majeur dans cette histoire.
28:16Ce sont véritablement des experts dans l'art de la manipulation.
28:20Ils ont présenté un meurtre, une cagoule, une cagoule.
28:23Ils ont fait passer l'obscurité pour la lumière, le désespoir pour du courage.
28:28Ils ont bâti un monde où toutes les valeurs étaient inversées.
28:31Sans cette machine de propagande, Choukri et Fatloum ne seraient peut-être jamais partis en Syrie.
28:37Et ils seraient sûrement encore en vie aujourd'hui.
28:43Ravier enseigne à l'université. Il a étudié le théâtre.
28:46Ravier enseigne à l'université. Il a étudié le sujet de manière approfondie.
28:50Il peut en parler pendant des heures.
28:52C'est probablement le plus grand spécialiste sur la question.
28:55Vous pensez donc détenir la plus grande collection de vidéos de Daesh au monde ?
28:59Peut-être bien, c'est possible, je ne sais pas.
29:02Daesh a réalisé plus de 1500 vidéos en moins de 5 ans.
29:07Vous avez bien dit 1500 ?
29:09Oui.
29:11D'accord. Et combien en avez-vous détenu ?
29:13Toutes.
29:15La plupart de ces vidéos contiennent des références à Allah.
29:18On dénote une sorte de dévotion, mais qui n'est peut-être que superficielle.
29:21À votre avis, quelle place occuperait la foi dans tout ça ?
29:25Dans les supports de communication diffusés par Daesh, il n'est jamais fait mention de l'islam.
29:30Daesh parle de sujets comme le changement climatique, la pauvreté.
29:34L'État islamique s'adresse à la nouvelle génération,
29:37en s'appuyant notamment sur la culture des jeux vidéo,
29:40et des films d'horreur les plus populaires.
29:43C'est relativement nouveau comme approche.
29:46Tous les fichiers que je vous ai transmis permettent de faire la comparaison
29:49entre les vidéos de Daesh et les éléments culturels dont ils s'inspirent.
29:53Javier, je suis fan depuis toujours du jeu vidéo Mortal Kombat.
29:57Ce que l'on voit là, c'est la réalité,
30:00ou est-ce que ça a été retouché pour donner l'impression que c'est un jeu vidéo ?
30:03Dans les véritables vidéos de Daesh,
30:06ils essaient de faire passer un mouvement sur la réalité.
30:08Par exemple, quand ils exécutent quelqu'un,
30:11on a parfois l'impression de regarder un jeu vidéo,
30:14ou un film d'action à gros budget.
30:17Une vidéo en particulier m'a beaucoup frappé.
30:20J'aimerais la revoir, c'est celle qui s'inspire du film Saw.
30:23Daesh avait pris l'habitude de suivre un schéma bien particulier
30:26lors de l'exécution de certains prisonniers,
30:29à savoir faire pareil que dans Saw.
30:32Pour la vidéo de l'exécution du pilote jordanien
30:35qui était retenu prisonnier dans une cage,
30:38ils avaient fait une campagne sur les réseaux sociaux
30:4124 heures avant la publication de la vidéo.
30:44Ils avaient repris les horloges de l'affiche originale de Saw.
30:47Et ils ont exécuté le pilote jordanien de la même façon,
30:50en utilisant le même style d'effet visuel.
30:53C'était une façon pour eux de déshumaniser totalement leurs victimes,
30:56à tel point que quand on voit comment cet homme a été tué,
30:59on se sent presque déconnecté de la réalité.
31:02Et c'est nettement plus dangereux
31:05parce que ça touche un public beaucoup plus large
31:08Selon vous, pourquoi était-ce aussi important
31:11pour eux d'utiliser toutes ces références
31:14à la pop culture occidentale ?
31:17Il faut savoir que même les musulmans
31:20passent par un processus de sécularisation.
31:23Dans ces pays, même les jeunes les plus radicalisés
31:26ne se rendent pas régulièrement à la mosquée.
31:29Ma théorie, c'est que l'État islamique
31:32est le mouvement djihadiste le plus laïque qui ait jamais existé.
31:35La plupart de ces vidéos cachent un désir de vengeance
31:38pour les musulmans.
31:41Si les pays occidentaux sont partis pour l'Irak et la Syrie,
31:44il faudrait réussir à décrypter cette forme d'expression.
31:47L'utilisation de références aux jeux vidéo
31:50et aux films d'action pour faire connaître Daesh
31:53a parfaitement fonctionné.
31:56Fatloum et les autres recrues s'y sont laissés prendre.
31:59La frontière entre réalité et fiction est devenue floue.
32:02Fatloum et Choukri se croyaient dans un jeu de rôle.
32:05Leur vie était devenue un film d'action.
32:08Il y avait des classiques.
32:11C'est seulement du marketing.
32:14Mais je ne peux m'empêcher de penser
32:17qu'une personne qui franchit la ligne et s'adonne à une telle violence
32:20doit vraiment souffrir d'un profond mal-être.
32:23Le docteur Nafis Hamid, neurologue,
32:26a fait passer une IRM à de nombreux terroristes
32:29pour examiner leur cerveau.
32:32Il a émis l'hypothèse que l'idéologie extrémiste
32:35peut réellement annihiler tout esprit critique.
32:38Toutes les zones bleues que vous voyez là
32:41sont associées à des fonctions exécutives du cerveau,
32:44notamment le raisonnement.
32:47Quand ces terroristes pensent à leur désir de combattre
32:50et de mourir pour leurs valeurs,
32:53cette zone du cerveau ici se déconnecte.
32:56Suivre cette voie correspond-il à un profil de personne
32:59dont ces zones cérébrales seraient déjà désactivées ?
33:02Non. Quand un idéal vous tient vraiment à cœur,
33:05qu'il vous fascine, que vous vous y consacrez avec ardeur
33:08c'est pas d'agir, mais simplement d'agir.
33:11Le processus de radicalisation repose sur ce mécanisme très primaire,
33:14à savoir l'empressement à se sacrifier pour leur idéologie.
33:17On a ici affaire à un individu qui n'hésiterait pas
33:20à donner sa vie pour une idée.
33:23Donc, quand on parle d'un chemin de vie
33:26que l'on veut nous inciter à suivre
33:29et où notre sens moral sera peut-être altéré
33:32ou corrompu, si je peux le dire de cette façon,
33:35comment ça fonctionne ?
33:38Dans le cas de la Noire à Lollaki,
33:41ils lisaient des numéros de la revue de propagande Dabiq.
33:44C'était devenu leur unique source d'information.
33:47Et puis, leurs amis partis pour la Syrie leur envoyaient
33:50des messages disant « tout ce que tu vois dans les médias occidentaux
33:53est un mensonge ». Ils étaient donc convaincus
33:56de mener le combat du bon côté.
33:59Cependant, Nafis a découvert que ce processus est réversible.
34:02Si un terroriste conserve des liens avec des influences positives
34:05d'un autre milieu, il peut trouver un moyen de s'en sortir.
34:08Les gens qui sont pourtant comme eux ont des idées différentes.
34:11Exactement. Les groupes terroristes font tout ce qu'ils peuvent
34:14pour couper leurs recrues du reste du monde.
34:17Même eux sont tout à fait conscients que si la personne
34:20est toujours en contact avec un ami ou sa famille
34:23et qu'elle a encore des sentiments forts pour eux,
34:26il est toujours possible qu'elle se reprenne en main
34:29et qu'elle leur échappe.
34:32Choukri et Fatloum étaient partis à plusieurs milliers de kilomètres
34:35de leurs amis et de leur famille.
34:38Ils étaient incités à croire.
34:41La conversation n'allait que dans un sens.
34:44Mehdi Hassan, le dernier à avoir utilisé le portable,
34:47vivait à South Sea, une petite ville côtière peu animée
34:50près de Portsmouth.
34:53Une vidéo de lui circule sur Internet.
34:56On le voit en train de faire du prosélytisme sur High Street.
34:59Il harangue les passants et les invite
35:02à suivre la voie de Dieu.
35:05Il a l'air gêné par l'élan d'affection
35:08de ce monsieur.
35:11Contrairement à Choukri et Fatloum,
35:14Mehdi a laissé tous ses comptes sur les réseaux sociaux actifs
35:17avant son départ pour la Syrie.
35:20Ils contiennent les histoires de toute une vie.
35:23Il se présente comme un garçon tout à fait ordinaire.
35:26Il aime les koalas, comme moi.
35:29Sur des photos, il fait la fête en boîte.
35:32Il apparaît souvent torse nu.
35:35Là, il commence à exprimer plus ouvertement
35:38ses sentiments.
35:41J'ai l'impression qu'il est extrêmement préoccupé.
35:44Son profil numérique commence à changer.
35:47Ce poste date d'août 2012.
35:50Regardez la date.
35:53Il explique qu'il a fait l'itikaf.
35:56C'est une sorte de retraite spirituelle dans une mosquée
35:59au cours de laquelle on échange avec Dieu.
36:02Quand il est sorti de là,
36:05il a entrepris de méditer sur sa vie de péché.
36:08J'ignore ce qu'il voulait dire par là.
36:11On voit bien qu'il est pris
36:14dans une sorte de conflit intérieur.
36:17Ça bouillonne dans son esprit.
36:20Septembre 2012, Mediasan affiche de plus en plus ouvertement
36:23ses croyances religieuses.
36:26Il mentionne des cours privés d'apprentissage du Coran.
36:29En janvier 2013, il parle de questions raciales
36:32et de politique internationale.
36:35L'adepte de musculation et fêtard
36:38donne une consonance arabe à son nom.
36:41Six mois plus tard, il s'envole pour la Syrie.
36:44On le voit ici à l'aéroport de Portsmouth avec sa bande.
36:47On m'a dit qu'ils avaient choisi des itinéraires différents
36:50pour ne pas éveiller les soupçons.
36:53Trois mois plus tard, en janvier 2014,
36:56il encourage les autres à rejoindre Daesh
36:59en faisant un question-réponse sur les réseaux sociaux.
37:02Après s'être fait embrigader,
37:05Mediasan est devenu le prédicateur.
37:08Il est enthousiaste.
37:11Il suggère que ce serait plus intéressant que les études.
37:14Mediasan semble avoir trouvé un but dans la vie.
37:17Au bout d'un an, il est totalement métamorphosé.
37:24Après avoir passé pas mal de temps
37:27à chercher l'ancienne adresse de Mehdi,
37:30je crois que j'ai trouvé quelque chose.
37:33En tout cas, le nom est bon.
37:35C'est donc d'aller à Saousi
37:38et frapper à sa porte.
37:46Saousi est une ville balnéaire ordinaire,
37:49en majorité blanche, paisible
37:52et sûre au point d'en être presque ennuyeuse.
37:56Mehdi a passé pratiquement toute sa vie ici,
37:59dont une bonne partie dans une école privée catholique.
38:01J'aimerais rencontrer sa mère.
38:04Je tiens surtout à discuter avec des gens
38:07dont il était très proche.
38:15J'ai passé une bonne demi-heure
38:18sur le pas de sa porte à discuter avec elle.
38:21Elle a commencé à parler
38:24et au bout de cinq minutes, elle était déjà en pleurs.
38:27Elle a dit, ce n'est pas le genre de notre famille.
38:29Voici ses termes exacts.
38:32On est une famille de la classe moyenne,
38:35on travaille tous, mon autre fils va à l'université.
38:38Puis elle m'a expliqué
38:41que Mehdi avait décidé de redoubler sa terminale
38:44parce qu'il venait d'avoir son bac avec deux A et un B
38:47et qu'il voulait absolument décrocher trois A.
38:50Elle a dit, voilà le genre de famille qu'on est.
38:53Mais pour le moment, elle ne se sent absolument pas prête
38:56à s'exprimer en public
38:59parce qu'elle est détruite.
39:02Elle ne savait pas ce qui se passait dans la vie de son fils.
39:05Elle était toujours occupée à faire des choses de maman.
39:08C'est-à-dire ?
39:11Elle a précisé, j'allais travailler, je faisais la cuisine
39:14et à la maison, je m'occupais de lui du mieux possible.
39:17Moi, ça me fait réfléchir.
39:20Peut-être que quelque part,
39:23elle se dit que si elle avait agi différemment,
39:26ce ne serait pas arrivé.
39:29J'ai aussi remarqué qu'il était en train de construire
39:32sa personnalité d'homme adulte.
39:35On jongle souvent entre différentes identités quand on est jeune.
39:38Mais une fois la ligne franchie pour intégrer l'État islamique,
39:41c'est compliqué de revenir en arrière.
39:49J'ai localisé l'un des amis d'enfance de Mehdi.
39:52Il a accepté de me rencontrer sur la plage à la nuit tombée.
39:55En attendant, j'ai jeté un coup d'œil
39:58à un certain nombre de ses posts.
40:01Je me suis rendu compte qu'en réalité,
40:04Mehdi était encore en contact avec ses vieux amis.
40:07On peut même voir qu'au cours de ces conversations,
40:10il échange des petits surnoms affectueux avec ses copains.
40:13On a l'impression qu'il envisage la possibilité de rentrer chez lui.
40:17Six mois après son arrivée en Syrie,
40:20il cherche à obtenir le mot de passe pour le système d'inscription scolaire.
40:23Pourquoi poserait-il ce genre de questions
40:25s'il n'avait pas l'intention de revenir ?
40:28Dans un autre poste,
40:31il affirme qu'il est retenu en otage par un groupe de rebelles.
40:34Ça, c'est nouveau.
40:37Et puis il se présente comme un reporter photographe.
40:40Il va jusqu'à poster un message où il déclare
40:43« Je ne suis pas un terroriste ».
40:46C'est comme s'il était en train de réécrire
40:49les deux derniers mois de sa vie.
40:51Et puis il y a cette photo atroce qui a fait le tour de la toile.
40:54Il s'agit de Mehdi,
40:57enfin plus précisément de son cadavre.
41:00Les données de cette photo indiquent
41:03qu'elle a été prise près de la frontière turque.
41:06Une question se pose donc à ce stade.
41:09Est-ce qu'il est mort au combat
41:12ou a-t-il été tué parce que l'État islamique
41:15le considérait comme un déserteur ?
41:21L'idée qu'il avait peut-être changé d'avis
41:24et qu'il voulait réparer le mal qu'il avait causé
41:27est tout simplement déchirante.
41:31Vous veniez souvent ici, gamin ?
41:34Oui, tout le temps.
41:37Ça doit être l'endroit idéal pour se vider la tête
41:40et oublier tous ces problèmes.
41:43Oui, carrément.
41:46Depuis quand connaissiez-vous Mehdi ?
41:48J'étais très jeune.
41:51Avant qu'on entre au lycée,
41:54c'était l'un des plus jeunes de notre bande.
41:57On l'avait surnommé Little Mo.
42:00Et puis une fois ado, il s'est pris de passion
42:03pour l'activité tendance à l'époque, la gonflette.
42:06Il était déjà très sensible aux injustices
42:09et aux inégalités en tout genre.
42:12Je pense que le but de son séjour là-bas
42:15était réellement d'essayer d'aider comme il pouvait.
42:18Comment l'avait-il appris ?
42:21Je ne l'ai pas beaucoup vu au cours des derniers mois
42:24et je n'étais pas le seul.
42:27Beaucoup d'amis ne le voyaient plus du tout non plus.
42:30On trouvait ça bizarre
42:33parce qu'on formait un groupe assez soudé.
42:36C'était comme si, d'une année à l'autre,
42:39il avait changé du tout au tout.
42:42On ne le reconnaissait plus.
42:45Il faut que je vous montre l'un de ces tweets
42:48Vous pensez qu'il a changé d'avis une fois sur place ?
42:55C'est ça le plus triste.
42:58Effectivement, il avait fait volte-face
43:01et il voulait rentrer en Angleterre.
43:04Comment vous le savez ?
43:07Il avait commencé à demander à droite et à gauche
43:10si quelqu'un connaissait des avocats, des trucs comme ça.
43:13Une fois, il m'a envoyé un message
43:15sur les réseaux sociaux pour me dire
43:18qu'il tenait à moi.
43:21Et il avait ajouté cette phrase
43:24Le prophète a déclaré que quand on aime quelqu'un,
43:27il faut toujours lui dire.
43:30Je n'ai pas su quoi lui répondre
43:33et c'est quelque chose qui me ronge encore aujourd'hui
43:36parce que j'aurais voulu qu'il sache
43:39qu'il comptait aussi beaucoup pour moi.
43:42Quand j'ai appris qu'il était mort,
43:45ça a été le pire moment de ma vie.
43:48Un jour, j'ai regardé un tweet qu'on m'avait envoyé.
43:51C'était des photos de son visage, figé, livide.
43:54Il y avait aussi un paquet d'insultes et de commentaires injurieux en dessous.
43:57Et ça, c'est ce qui m'a le plus choqué.
44:00J'ai pris conscience qu'il nous avait réellement quittés,
44:03pour toujours.
44:06Je le considérais comme un véritable ami.
44:09Du coup, je me suis longtemps senti coupable.
44:12Je me disais que j'aurais dû être là pour lui.
44:15C'est un regret qui m'a longtemps hanté.
44:18Et je m'en veux toujours.
44:23Si Mehdi n'était pas parti en Syrie,
44:26c'est lui qui serait là, sur cette plage,
44:29aux côtés de son ami.
44:32Cette histoire se termine ainsi,
44:35sur des noms dits, des occasions manquées,
44:38des vies gâchées
44:41et fauchées.
44:44L'état islamique n'a laissé dans son sillage
44:47que la peur et la souffrance.
44:50Il faut tout faire pour éviter que ça ne se reproduise.
44:53Si peu de personnes ont accepté
44:56de témoigner devant ma caméra,
44:59il y en a tant d'autres qui n'ont pas pu s'exprimer
45:02ou ont craint de le faire.
45:05Des parents, des amis, des communautés entières
45:08n'ont pas eu la possibilité de faire face à ce qui leur est arrivé.
45:11Ce n'est pas suffisant.
45:14Il faut sortir.
45:17Il faut en parler.
45:20C'est le seul élément positif
45:23qui peut ressortir de ce vide
45:26qu'ont laissé derrière Fatloum, Choukri et Mehdi.
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