Caroline Ducey, actrice, raconte le viol qu’elle a subi sur le tournage de Romance de Catherine Breillat et dénonce également l’emprise de la réalisatrice. Elle lance un cri d’alarme pour éveiller les consciences dans le milieu du cinéma, où les agressions sexuelles sont encore trop banalisées.
Son livre, La Prédation (Nom féminin), est disponible en librairie.
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00:00Je devais jouer une scène où je me fais brutaliser.
00:02Il n'y avait pas marqué viol.
00:03Mais je vais la confronter en 2012.
00:05Catherine, j'ai besoin de savoir quel était ton degré de conscience
00:07au moment où tu as organisé que je sois violée pour de vrai sur ton film.
00:12Quand je reçois le scénario romance,
00:15sans X à l'époque, de Catherine Breillat,
00:17j'ai 21 ans, nous sommes en 1998.
00:20C'est le trajet d'une femme qui, en fait,
00:23est très amoureuse de l'homme qu'elle a épousé,
00:25sauf que lui ne veut pas la toucher
00:26parce qu'il considère que la sexualité est quelque chose de sale.
00:28D'autant plus avec son épouse.
00:30Mais donc, c'est le trajet de cette jeune femme
00:33qui va essayer de faire comme les hommes dans ses relations sexuelles
00:35pour essayer de comprendre la psyché de l'homme en matière sexuelle,
00:38pour essayer, elle, de s'en sortir
00:40et d'avancer dans sa quête initiatique du plaisir.
00:43Alors, à l'écrit, dans le scénario de romance,
00:46oui, il y avait des scènes à caractère sexuel détaillées.
00:50J'ai appelé mon agent tout de suite en ayant lu le scénario,
00:52qui avait mon âge à l'époque.
00:53Il était tout jeune et il ne connaissait pas plus Catherine Breillat que moi.
00:56Donc, on avait 21 et 24 ans, Catherine Breillat ayant 30 ans de plus.
01:00Je l'appelle tout de suite en lui disant,
01:02écoute, voilà, j'ai lu le script de romance,
01:04je le trouve extrêmement bien écrit,
01:05très intéressant pour une comédienne, une interprète.
01:08Il y a un rôle de tragédienne à jouer.
01:09Mais effectivement, il y a des scènes qui sont quand même très décrites.
01:12Et qu'est-ce que ça veut dire ?
01:14Il me dit, Caroline, c'est pas parce que c'est écrit que ça va être filmé.
01:17Et c'est la logique du cinéma de fabriquer du vrai avec du faux,
01:21l'art de la mise en scène.
01:22Et donc, on peut suggérer des choses parfois qui ont été écrites au scénario,
01:25mais ça peut être filmé de dos, ça peut être filmé.
01:27Donc, je dis oui avec cette information au film.
01:31J'ai eu un contrat absolument normal de comédienne classique
01:34avec juste une clause où il était inscrit qu'en aucun cas,
01:37le film ne devait entrer dans la catégorie des films pornographiques.
01:40Mais je crois que je n'ai même pas lu la clause
01:42parce que je ne me suis pas posé la question deux secondes.
01:44Voilà, c'était pour moi cadré dans des mains qui osaient interroger des vraies choses,
01:49mais qui restaient justement du côté du consentement.
01:53Alors, Catherine Breillat, j'ai dû la voir peut-être trois fois avant le tournage.
01:56Je l'ai appelée en lui disant,
01:57Catherine, quand même, j'aimerais qu'on parle de ces scènes
01:59où il y a des descriptions sexuelles qui sont assez précises.
02:03Et elle me répond, Caroline, non, je ne veux pas qu'on en parle.
02:06Je suis trop puritaine pour cela.
02:08Cela ne me regarde pas.
02:09Et voilà, et c'est là où le piège s'est refermé sur moi,
02:12puisque je l'ai cru.
02:13Quand elle me dit cela ne me regarde pas,
02:15je pense que du coup, ça ne me regarde que moi
02:17et que c'est moi qui vais décider de ce qui va se passer avec mes partenaires.
02:20La phrase que me dit Breillat avant de démarrer le tournage,
02:23c'est je veux sortir la représentation de la sexualité
02:28du ghetto de la pornographie.
02:31Donc, c'est un beau projet.
02:32En fait, les deux premières semaines de tournage ont lieu
02:35dans un studio à Arpajon.
02:37On dort le soir à côté du studio dans un hôtel.
02:39Ils ont été concentrés toutes les scènes à caractère sexuel dans ce lieu.
02:43On est au début, il y a eu des tensions,
02:45Catherine a viré une partie de l'équipe, enfin bon.
02:47Mais je reste absolument concentrée, concentrée, concentrée
02:49sur le personnage que je dois interpréter.
02:52Je découvre, la veille du tournage,
02:54Catherine me dit, ben voilà, c'est Rocco.
02:55Je serre la main du gars qui a un accent italien,
02:59qui me serre la main, qui a l'air très gentil.
03:02Et je m'en vais.
03:03J'apprends que mon partenaire, effectivement,
03:05va être la plus grande pornstar et qui s'appelle Rocco Siffredi.
03:08Donc, je suis surprise.
03:09Mais je me dis, bon, en même temps, comme le lendemain,
03:11les huit pages de texte que j'ai à lui dire
03:12sont destinées à détruire, entre guillemets,
03:15l'intérêt de la pornographie,
03:16Catherine a fait fort puisqu'elle a choisi le roi du porno
03:19pour que je lui assène ses quatre vérités.
03:20Donc, je suis censée venir pour une mise en place pour cette scène.
03:23J'arrive, j'ai mon texte à la main
03:25et, en fait, je découvre un homme en train de se masturber non-stop
03:29avec les yeux qui se vident comme un poisson mort.
03:32Moi, j'ai mon texte à la main
03:33et, en fait, j'éclate en sanglots.
03:35Là, j'ai l'impression d'être face, en fait, à un mort vivant
03:37en train de machinalement se masturber comme une bête, quoi.
03:41Et là, Catherine me réconforte.
03:42Elle me dit, mais non, Caroline, on va y arriver.
03:44Concentre-toi sur le texte, concentre-toi sur le texte.
03:46Je vois Rocco complètement qui a arrêté de se masturber
03:49et qui est complètement décomposé
03:51et qui me regarde perdue, comme un enfant,
03:53dans le même état que moi, en fait.
03:55Et ça, ça me rassure parce que, d'un coup,
03:56j'ai plus affaire à une machine, mais à un être humain.
03:59Oui, il a essayé de me pénétrer, mais je me suis fermée
04:02et il a eu, on va dire, l'élégance de ne pas insister ou abuser trop fort.
04:07J'ai eu l'espace de pleurer, j'ai eu l'espace, quelque part,
04:10de consentir, alors forcé, quand même par l'élément.
04:14Pourquoi je sépare ce qui s'est passé entre Rocco Siffredi et la scène de viol ?
04:18C'est qu'une scène d'amour à moitié simulée de ce que j'ai vécu
04:23n'a rien à voir avec une scène de viol destinée à me violenter.
04:28On va dire qu'à rapport à ce que je vais connaître trois jours plus tard,
04:31là, j'ai eu le temps de rien.
04:32C'est-à-dire que cette scène s'appelait la scène de l'inconnu de l'escalier.
04:36Elle se retrouve baptisée une heure et demie avant la scène de viol.
04:39Ah, je ne connaissais pas du tout mon partenaire.
04:41Là, on arrive, c'est le dernier jour des 15 premiers jours de tournage en studio à Arpajon.
04:45Et après, il y a encore trois semaines de tournage.
04:47Moi, j'ai perdu 6 kilos en 15 jours.
04:48Et je pense qu'ayant menacé de quitter le plateau, si on refaisait des surprises,
04:52je pense que j'ai passé le pire avec l'histoire de Siffredi.
04:54Je pense que c'est bon, que là, maintenant, il ne peut rien m'arriver.
04:56Sauf qu'en fait, c'est toute l'action des prédateurs,
04:58là, en l'occurrence d'une prédatrice, c'est de petit à petit,
05:01défaire toutes vos défenses, alterner la violence et l'extrême douceur.
05:06L'enjeu de la scène, c'est que mon personnage
05:09achève cette quête initiatique sexuelle
05:12en ayant une aventure dans un escalier avec un inconnu.
05:15Je devais jouer une scène où je me fais brutaliser.
05:17Il n'y avait pas marqué viol.
05:19Quand bien même il y aurait eu marqué viol,
05:22jamais de ma vie, je n'aurais pu penser que ça puisse se produire pour de vrai.
05:24Sauf que les choses, et c'est toute, encore une fois, le mécanisme des prédateurs,
05:28c'est que, non seulement je ne devais pas connaître le gars,
05:31mais c'est que lui a l'info de le faire pour de vrai
05:33et que moi, je n'ai toujours pas d'info.
05:3514h moins le quart, on se met en place sur cet escalier
05:38et là Catherine me dit, ben Caroline, pour qu'on y croie,
05:40il faut que tu enlèves ton collant et un bout de ta culotte,
05:43parce que ce serait quand même ballot pour une scène de viol.
05:45On n'y croit pas.
05:45Donc là, je comprends l'argument.
05:47Effectivement, j'enlève ma culotte et un bout de mon collant
05:49et la mise en place est que, moi c'est ça que j'imprime,
05:52qu'il doit venir, je comprends du coup ce qu'est un cunnilingus,
05:54qu'il doit venir devant moi, mais je ne pense pas qu'il va le faire pour de vrai
05:58et qu'ensuite, il me retournera à telle phrase
06:00pour simuler une sodomie.
06:02Et moi, je me concentre pour pleurer,
06:05le moteur est lancé et le gars arrive
06:06et le cunnilingus commence pour de vrai,
06:08sauf que comme je ne m'y attendais pas du tout,
06:11je tombe dans un abîme sans fond,
06:14c'est-à-dire que je perds connaissance, je perds l'usage de la parole
06:16et l'amnésie traumatique va se mettre en place,
06:18c'est-à-dire que le choc est tellement brutal que j'arrête de parler,
06:20je ne sais pas où je disparais
06:22et que quand je reviens à moi,
06:23même si je ne pense pas m'être évanouie physiquement,
06:26ce qui me fait revenir à la réalité,
06:27c'est le tac-tac-tac-tac de la fin de la pellicule.
06:30Pendant ce laps de temps, je prends le gars par la gorge
06:33et que je lui dis, c'est moi que tu écoutes,
06:35ce n'est pas Breillat, tu comprends ?
06:37Et que le gars comprend que je vais le tuer s'il recommence.
06:40Et donc la deuxième prise, il fait tout pour de faux,
06:43tout semblant et la prise est parfaite.
06:45Et on arrête là et il est 14h45 et c'est fini.
06:48Et moi, j'en prends pour 25 ans
06:49et tout le monde croit que ça va bien.
06:51Le film sort en avril 99
06:53et effectivement, c'est un raz-de-marée,
06:55c'est un énorme succès pour un film d'auteur,
06:57il est vendu partout dans le monde,
06:59même aux Etats-Unis où je ne suis pas conviée,
07:00je ne suis même pas tenue au courant.
07:02Il n'y a pas eu d'attaché de presse qui a discuté avec moi
07:03pour savoir rien.
07:05Je suis allée voir un avocat auquel j'ai tout raconté
07:07qui m'a dit qu'unilingus,
07:08ça va être considéré comme une agression sexuelle,
07:10ça va être prescrit.
07:11Moi, je l'écoute, sauf qu'en fait, de par la loi, non.
07:14Internet a commencé à exister au début des années 2000.
07:17Je dois taper mon nom sur Google en 2005
07:19et là, c'est le carnage.
07:20Alors que j'ai eu la chance, grâce au succès du film,
07:23grâce à mon travail, j'ai pu enchaîner.
07:24Et donc des films qui n'avaient rien à voir avec romance.
07:26Il n'y a que des photogrammes,
07:29ça s'appelle des extraits de romances,
07:31trafiqués avec des sexes d'hommes
07:32en train de m'éjaculer sur la tête, en fait.
07:34Voilà, je vis jusqu'à 2014
07:36et l'arrivée du formulaire du droit à l'oublier
07:38que je remplis,
07:39mais je vais la confronter en 2012
07:40où elle a déjà eu son AVC, donc...
07:42C'est quelqu'un que j'ai aimé, Bria, évidemment,
07:44sinon je ne l'aurais pas fait confiance comme ça.
07:46C'est-à-dire que je suis allée lui poser comme question,
07:48Catherine, j'ai besoin de savoir quel était ton degré de conscience
07:50au moment où tu as organisé
07:52que je sois violée pour de vrai sur ton film.
07:54Et là, elle fait une crise de démence.
07:55C'est-à-dire que je lui pose cette question,
07:56elle part en larmes en répétant comme une malade,
07:58comme un disque rayé,
07:59je savais qu'il était méchant,
08:00je savais qu'il était méchant, en larmes.
08:01Et Catherine Bria me l'a dit,
08:03elle m'a choisi parce que j'étais la plus jeune,
08:04elle n'a pas eu peur de me le dire.
08:06Mais en fait, elle m'a choisi parce que je ne connaissais rien,
08:08assez pratique.
08:09Et en fait, elle m'a fait subir ce qu'elle voulait dénoncer.