Managementwashing : ces solutions superficielles pires que le mal [Ibrahima Fall]

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La « crise » nous dit Didier Fassin, professeur au Collège de France est toujours une construction sociale avec deux composantes indispensables, l’une objective, et l’autre subjective, je cite : « Il ne suffit pas qu’un problème se pose à la société, encore faut-il qu’il soit appréhendé comme tel ».  Le « qui » ici est fondamental car selon son statut et sa force d’entraînement, la crise peut être méthodiquement traité ou ignoré. [...]

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00:00La crise, nous dit Didier Fassin, professeur au Collège de France, est toujours une construction
00:13sociale, avec deux composantes indispensables, l'un objectif et l'autre subjectif.
00:19Je cite « Il ne suffit pas qu'un problème se pose à la société, encore faut-il qu'il
00:25soit appréhendé comme tel.
00:26Le « qui » ici est fondamental, car selon son statut et sa force d'entraînement,
00:32la crise peut être méthodiquement traitée ou ignorée.
00:35Ainsi, dans une crise, dit-il, il peut y avoir une disjonction entre la composante objective,
00:42le phénomène objectif, et la composante subjective, c'est-à-dire son expression
00:47subjective.
00:48Concernant la crise du management, il existe bien un phénomène objectif concernant les
00:54difficultés que traversent les organisations quant à leur management.
00:58Les enquêtes des chercheurs ainsi que les statistiques sur les maux du travail en attestent.
01:04Cependant, a-t-on une expression subjective partagée ? Il me semble que ce n'est pas
01:10le cas, car les différentes parties prenantes au problème n'ont ni les mêmes intérêts,
01:15ni les mêmes perspectives, et par voie de conséquence, il est difficile qu'elles
01:20une subjectivité partagée pour transformer la réalité objective, en partant des causes
01:25profondes et non simplement des conséquences ou des symptômes.
01:29En effet, il y a un désaccord fondamental entre les parties prenantes à l'action
01:35collective, actionnaires, dirigeants, salariés, syndicats, qui ne permet pas de saisir les
01:41difficultés en profondeur, notamment le fait que le maximum d'efficacité implique toujours
01:47le minimum de liberté et donc de capacité à se reconnaître dans ce qu'on fait, source
01:52de santé et de performance soutenable.
01:55D'une créature humaine, nous dit John Ruskin, vous pouvez faire un outil ou un homme, vous
02:01ne pouvez pas avoir les deux en même temps.
02:04Vérité implacable.
02:05Du moment où les différentes parties prenantes ne sont pas liées sur un tel constat et sur
02:11ses conséquences, mais aussi sur le fait qu'il peut y avoir une voie de passage entre
02:16le matérialisme des barbares et le spiritualisme des salons, pour reprendre l'expression de
02:22Mounier, elles ne se donnent pas collectivement les moyens de saisir le problème à la racine
02:28et mettre en œuvre une nouvelle manière de penser et de faire les choses.
02:32Quelles sont concrètement les conséquences d'une telle dissonance épistémique entre
02:38les parties prenantes ? Sans subjectivité partagée, un phénomène de crise devient
02:44un simple appel à l'action, sans la réflexion et les actions nécessaires pour saisir les
02:49causes profondes en acceptant un certain prix à payer pour transformer le réel.
02:55Cela donne par exemple le greenwashing au sujet du changement climatique et le management
03:00washing, voire le travail washing pour parler du travail sans en tirer les véritables conséquences
03:07concernant le management.
03:11Dans les organisations, le résultat est une augmentation des modes managériels et autres
03:16dispositifs sans nécessairement un impact réel sur la cause des effets.
03:22Programmes de développement du leadership des managers et des dirigeants, plans de formation
03:28sur les soft skills, utilisation de l'IA pour créer des expériences, collaborateurs, etc.
03:36D'ailleurs, les dispositions superficielles mises en œuvre peuvent aggraver la crise du
03:41management.
03:42Radicalisation de l'approche par les compétences, avec une couche supplémentaire portant sur
03:48les compétences comportementales, les fameuses soft skills, en oubliant que la faculté n'est
03:53pas le jugement.
03:54Aggravation des maux du travail en traitant de plus en plus les individus, disciplinaires,
04:00coaching, sans traiter les situations de travail.
04:04On peut donc dire que la dite crise du management cache au moins une crise des perceptions sur
04:11le travail et sur le management.
04:13Le langage, encore une fois, par le truchement du mot crise, voile des réalités multiformes
04:19qui ne sont pas neutres dans la capacité à déployer un raisonnement partagé pour
04:23agir de manière soutenable dans le temps et dans l'espace.
04:28C'est pourquoi, sans ajustement des perspectives entre l'ensemble des parties prenantes à
04:33l'action collective, nous continuerons le transformisme actuel, nourri par l'illusion
04:38dialectique au sens kantien dont parlait Jacques Bouvrès, irrésistible dans ses motivations
04:45et condamné à l'échec par la nature de ses prétentions.

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