Thierry Breton, ancien commissaire européen au marché intérieur et ancien ministre de l'Économie, invité mercredi de franceinfo soir.
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00:00Vous étiez jusqu'à il y a encore quelques jours commissaire européen au marché intérieur,
00:06notamment vous avez été ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
00:10Israël promet de riposter aujourd'hui après une attaque de missiles iraniens massifs
00:15contre son territoire hier.
00:17Certaines voix évoquent une attaque des sites nucléaires iraniens.
00:21Est-ce que la situation vous inquiète ?
00:24Est-ce que vous craignez un embrasement général de la région ?
00:28Bien sûr que la situation est très inquiétante, extrêmement préoccupante.
00:34Les iraniens étaient devant un dilemme.
00:39Soit ils ne réagissaient pas,
00:42évidemment ça les mettait dans une situation très difficile.
00:45Ce sont déjà du reste vis-à-vis de leur propre opinion publique et de leur proxy.
00:49Soit ils réagissaient et évidemment Israël devra réagir à son tour.
00:56L'Iran a décidé de réagir avec à peu près 180 missiles, vous venez de le rappeler,
01:00qui ont été tirés la nuit dernière.
01:02Pratiquement tous interceptés par le dôme de fer, dont des missiles hypersoniques.
01:08Et maintenant évidemment Israël ne va certainement pas rester les bras ballants, c'est une évidence.
01:17Israël va certainement réagir.
01:20Mais qu'est-ce qu'il peut faire la France ?
01:22Il y aura évidemment des discussions, elles sont obligatoires avec les Etats-Unis,
01:26puisque une réaction en Iran ça ne peut se faire évidemment qu'en discutant avec les Etats-Unis,
01:33même si on le sait Benjamin Netanyahou aujourd'hui fait beaucoup de choses tout seul,
01:39en particulier, dans ce moment particulier, on pense évidemment aux élections américaines
01:44et les Etats-Unis sont beaucoup moins focalisés sur l'international, on le comprend.
01:49Donc il va utiliser évidemment ce moment, comme il l'a déjà fait il y a quelques jours.
01:53Maintenant évidemment on le sait, depuis très longtemps, l'un des objectifs d'Israël c'est évidemment de freiner
02:00la progression de l'Iran en ce qui concerne le développement nucléaire.
02:06Est-ce que ce sera maintenant ? Est-ce que ce sera plus tard ?
02:09Nul ne sait, on va attendre, mais il faut attendre évidemment à une réaction d'Israël.
02:14Et la France dans tout ça, est-ce que la France doit soutenir l'Etat hébreu dans sa défense, dans sa riposte ?
02:20La France, on l'a vu, et notamment après la visite du nouveau ministre des Affaires étrangères,
02:27Jean-Noël Barraud, au Liban, la France d'abord se préoccupe de nos concitoyens, de nos compatriotes.
02:34On en a 23 000 qui sont au Liban. Elle est très présente, je le rappelle, avec la finule et plus de 700 soldats
02:43qui sont engagés avec la finule. Donc la France est extrêmement attentive.
02:50Et la France fait également attention dans ce moment très particulier aux propos qu'elle doit tenir, et je pense qu'elle a raison.
02:56Séré Breton, il y a quelques jours vous exhortiez le Premier ministre à ne pas actionner le levier de l'augmentation des impôts.
03:02Eh bien, il va l'utiliser. 20 milliards de prélèvements nouveaux, annonce Bercy aujourd'hui. Est-ce que c'est une erreur ?
03:08Je ne vais pas me prononcer sur le fait de savoir si c'était une erreur ou pas par rapport à la situation, je crois que le Premier ministre l'a dit, catastrophique,
03:17l'a-t-il rappelé hier à l'Assemblée, de nos finances publiques, qui vaut, je le rappelle pour nos auditeurs, à la France d'être désormais
03:26parmi 7 autres États membres sous procédure de déficit excessif. Et ce n'est pas rien.
03:34Ça veut donc dire qu'il faut impérativement que la France représente un plan, elle a un mois pour le faire, pour revenir sous la barre des 3%,
03:41qui est notre engagement, et qui est l'engagement que nous avons pris tous collectivement.
03:45Oui, mais Séré Breton, vous disiez, il ne faut pas augmenter les impôts.
03:48J'ai effectivement été de ceux qui ont dit depuis longtemps que le problème majeur de la France, ce n'est évidemment pas les prélèvements obligatoires,
03:57mais c'est les dépenses publiques. On a aujourd'hui à 6%, ça veut dire qu'on a un trou de 150 milliards par an, 6% de déficit,
04:06ça veut donc dire qu'on dépense beaucoup, beaucoup, beaucoup trop en France par rapport à ce que l'on gagne.
04:11Il faut revoir la dépense publique. Et c'est vraiment d'un point de vue de la méthode, me semble-t-il.
04:17Ça a été dit, du reste, il l'a redit hier, le Premier ministre, on va d'abord commencer à s'attaquer à la dépense publique,
04:24et puis on comblera le reste. Il a parlé de deux tiers, un tiers. Il faut être prudent sur les chiffres parce qu'ils bougent beaucoup.
04:30On parlait d'abord de 30 milliards, ensuite 40 milliards, aujourd'hui c'est 60.
04:34Aujourd'hui, il parle d'un effort de 60 milliards, 40 milliards, 20 milliards de prêts.
04:38Ça veut donc dire deux points de PIB. Le PIB de la France, c'est 2 800 milliards, ça veut dire deux points de PIB.
04:43Donc ça voudrait dire qu'en fait, si c'est 60 milliards, comme l'objectif, si j'ai bien compris, l'année prochaine, c'est de revenir à 5%,
04:51ce qui est déjà gigantesque de déficit, ça voudrait dire qu'on est plutôt sur une tendance de plus de 6 ou 7, donc il faudra un peu...
04:58Vous pensez que l'effort est trop important, 60 milliards ?
05:00Il faut regarder dans le détail, je crois que c'est beaucoup trop tôt, là, les chiffres qui viennent de sortir.
05:03Mais ça vous paraît trop ?
05:04Non, d'abord, je ne dirai jamais, moi, que ça me paraît trop, parce qu'on part de tellement loin qu'il faut vraiment se retrousser les manches.
05:12Et sincèrement, il faut vraiment, vraiment le faire. Alors maintenant...
05:18Par exemple, faire contribuer les plus riches, par exemple, est-ce qu'il sait, Michel Barnier, hier, sans entrer dans les détails,
05:26est-ce qu'il fera une contribution exceptionnelle, un seuil minimum d'impôt sur le revenu ?
05:30Mais ça, c'est une bonne idée ou pas ?
05:32Il faut voir évidemment ce que ça rapporte, et si c'est exceptionnel.
05:36On se souvient qu'en 2012, Nicolas Sarkozy, voyant la dérive massive des dépenses publiques à la fin de son quinquennat,
05:45avait décidé d'augmenter très massivement, on s'en souvient, c'était 30 milliards les impôts des Français,
05:50et il avait dit, ce sera exceptionnel. Cette tranche supplémentaire exceptionnelle, elle court toujours.
05:56Donc, en matière de fiscalité, il faut se méfier des caractères exceptionnels.
06:02Maintenant, 20 milliards, si c'est vraiment 20 milliards, c'est une ponction gigantesque.
06:07Donc, il faut regarder dans le détail, est-ce que c'est un début ? Est-ce qu'il va falloir discuter ?
06:11Parce que maintenant, évidemment, tout ça va être discuté dans les semaines qui viennent, avec le Parlement.
06:18Je crois qu'il faut prendre ça, ces chiffres, avec prudence.
06:21Mais qu'est-ce qu'ils nous disent, finalement ?
06:23Ils nous disent que la situation est extrêmement critique, elle est même très grave,
06:27et qu'il va falloir vraiment se retousser les manches. C'est comme ça qu'il faut le lire.
06:31Il y a une mesure d'économie, c'est de reporter l'indexation des retraites à juillet au lieu du mois de janvier.
06:41Elle a reporté de 6 mois, donc elles ne seront pas indexées sur l'inflation dès le mois de janvier.
06:47Vous trouvez que c'est courageux comme mesure ?
06:49Ça, c'est ce qu'on appelle, dans le jargon de Bercy, que j'ai bien connu, le musée des horreurs.
06:55À Bercy, il y a tout un tas de mesures qui sont rangées dans les tiroirs, ça s'appelle le musée des horreurs,
07:03et qu'on se prépare à sortir au cas où les politiques demanderaient de faire des économies.
07:10Évidemment, ça en fait partie.
07:12Ça fait 4 milliards d'euros.
07:13Ça en fait partie.
07:14Donc, est-ce que ça sera utilisé ? Est-ce que ça sera d'autre ?
07:17Moi, je ne veux pas prendre position sur l'une ou l'autre.
07:19C'est l'ensemble complet qu'il faut évidemment voir.
07:24Mais il est clair aussi qu'il faut, et on le voit bien, et c'est toute la difficulté du reste de la tâche de Michel Barnier et de son ministre des Finances,
07:33il va falloir évidemment mettre beaucoup de capital...
07:36Il aurait dû éviter cette mesure ?
07:38Non, je ne dis pas du tout ça.
07:39Il va falloir mettre beaucoup de capital politique sur la table pour convaincre évidemment nos concitoyens du bien fondé de ces mesures.
07:46Personnellement, je dis que dans la globalité, elles sont absolument nécessaires.
07:50Avec une coalition très fragile, vous pensez qu'il va durer, ce gouvernement ?
07:55Eh bien, je le crois.
07:56Je le crois parce que lorsqu'on regarde, au-delà évidemment des discussions que nous avons à l'instant,
08:01et qui vont faire l'objet de débats certainement passionnés au Parlement, n'en doutons pas,
08:06si on regarde les forces politiques qui composent aujourd'hui le Parlement,
08:13on a évidemment le Rassemblement National qui n'a que, entre guillemets, 130 députés, alors qu'il en attendait 287.
08:20Donc on voit bien que pour l'instant, le Rassemblement National ne va pas bouger.
08:23Il est du reste assez calme, on l'a encore vu hier.
08:27Les socialistes, ils ont eu un espèce de don du ciel.
08:32En multipliant quasiment par deux leurs députés, ils ne vont certainement pas vouloir les nouveaux élections.
08:36C'est l'équilibre de la terreur, vous pensez que ça va tenir comme ça ?
08:41Les députés du groupe Renaissance, ils escomptaient 80, ils en ont 120.
08:45Donc je pense qu'aujourd'hui, personne n'a vraiment envie, ni même intérêt à aller à nouveau devant les électeurs.
08:51Donc oui, moi je crois sincèrement que ce gouvernement, il est fait pour durer, il va durer pendant les deux années et demie qui viennent.
08:57Ce sera évidemment à utiliser par Michel Barnier, par son gouvernement.
09:03Je ne doute pas qu'il va le faire, mais on le voit, les discussions que nous avons à l'instant le prouvent.
09:07Les décisions qui vont devoir être prises, voient des décisions très difficiles.
09:11On sort d'une crise politique majeure, la France n'a pas eu de gouvernement.
09:16Il y a aussi cette situation budgétaire très difficile, vous le dites.
09:21Est-ce que la voix de la France est affaiblie sur la scène internationale à cause de ça ?
09:25Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, il y a quelques jours disait
09:29il est indécent qu'un pays comme la France ait un budget aussi peu présentable.
09:33Non mais, quand on est un pays fondateur de l'Europe et la France, évidemment, l'un de ceux-ci, on doit respecter les traités.
09:42On doit respecter les traités.
09:44Et tous les traités qui nous engagent dans le projet commun, le projet européen.
09:50Y compris celui qui concerne nos finances publiques, bien entendu.
09:53Donc ceux qui ne respectent pas les traités, en particulier celui-ci, évidemment,
09:59n'ont pas une voix qui porte aussi fort que ceux qui le respectent.
10:04Lorsque j'étais ministre moi-même, l'Allemagne était dans une plus mauvaise situation que la France.
10:08Et je me souviens que mon homologue allemand, le ministre Pierre Steinbrück,
10:11il avait moins de force lorsqu'il parlait. Il était à 67% de déficit d'endettement.
10:17La France était à 64%.
10:20Ceux qui sont les moins bons élèves ont moins de force de parole que ceux qui respectent les traités.
10:27Et vous êtes bien placé pour le savoir, Thierry Breton, parce que vous avez dû démissionner de votre poste de commissaire européen.
10:34Ursula von der Leyen, la présidente de la commission qui est allemande,
10:37proposait à la France un périmètre réduit avec vous à ce poste ou alors un périmètre élargi.
10:44Mais alors à ce moment-là, il fallait changer de visage.
10:46Et vous, vous avez été contraint d'une certaine façon à la démission.
10:49Est-ce qu'Emmanuel Macron a cédé à l'Allemagne ? Est-ce qu'il vous a lâché ?
10:53Alors vous avez raison de rappeler que je n'ai pas dû, j'ai démissionné.
10:59Lorsque j'ai vu qu'effectivement, lorsque j'ai compris, j'ai appris que tel était l'enjeu qui était en discussion,
11:06j'ai estimé que pour des raisons qui me sont propres, et en particulier aussi de gouvernance et de méthode,
11:12que je ne souhaitais pas être à nouveau commissaire dans la commission nouvelle.
11:17Et donc j'ai indiqué, avant toute chose et avant toute discussion, parce que c'était ma décision personnelle de décider.
11:27C'est vrai que si jamais j'étais resté, j'aurais eu, selon les échanges qu'il y avait à ce moment, un portefeuille plus restreint.
11:40Voilà, je n'ai pas voulu que cette situation, ce dilemme, de certaine façon, se présente.
11:47Et donc j'ai préféré partir.
11:49Et pour autant, vous dites que la France aujourd'hui est quand même reléguée, déclassée dans l'Union Européenne ?
11:54Je n'emploie pas ce mot.
11:55Ou en la Roumanie, vous dites, et la Finlande ?
11:57Je n'emploie pas ce mot, parce qu'encore une fois, la France fait partie des pays fondateurs.
12:01Je n'emploie pas ce mot.
12:03Encore une fois, chaque commissaire représente non pas son pays, mais représente une voix parmi les 27.
12:09Mais il est vrai que lorsque l'on décide de donner la présidence de la Commission Européenne pour dix années, c'est long, dix ans,
12:19donc finalement à l'Allemagne qui va l'assurer, et notamment par la personne de Mme van der Leyen,
12:25c'est vrai qu'il faut garder, il faut en permanence avoir aussi cette notion d'équilibre,
12:29qui est consubstantielle du projet européen.
12:33Il faut un équilibre.
12:35S'il te reste pour ça, vous savez qu'au fond, depuis maintenant des années et des années,
12:39en particulier dans la Nouvelle Europe, après la chute du mur de Berlin,
12:42on choisissait plutôt des personnalités qui venaient de petits pays pour être président de la Commission Européenne,
12:49pour éviter précisément ces risques peut-être un peu plus d'hégémonie,
12:55et je ne vise personne en disant cela,
12:57mais c'était peut-être un choix de l'ensemble des États membres.
13:00Voilà, un autre choix a été fait, il faut veiller à cet équilibre.
13:04Merci beaucoup d'avoir répondu aux questions de France Info.