En politique, le diable est dans les détails. Et plus encore dans les citations. Patrick Cohen fait le point.
L'édito Politique dans le 7/9 par Patrick Cohen (7h43 - 4 Octobre 2024)
Retrouvez toutes les chroniques de Patrick Cohen sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique
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00:00Le 6-9 sur France Inter.
00:04Et c'est avec vous, rebonjour Patrick Cohen ! Bonjour Marion ! En politique, le diable
00:08est dans les détails et plus encore dans les citations ! Oui, c'est l'une des survivances
00:11des discours de l'ancien monde, les grands anciens continuent d'être appelés à la
00:15rescousse pour donner un peu de relief à une étendue de platitude, commencer une prise
00:19de parole par « comme disait De Gaulle » ou « comme disait Victor Hugo », produit toujours
00:23son petit défait, à condition d'avoir ensuite une phrase qui n'ait pas été tuée par
00:27un effet de mode.
00:28Ainsi la citation « Le Camus, mal nommé les choses, s'est ajoutée au malheur du
00:31monde » est devenue un tel poncif qu'à force de rabâchage, plus personne n'y prête
00:36attention.
00:37Moins littéraire, le « Arrêtez d'emmerder les Français » de Pompidou sert de fond
00:41de sauce à tous les discours démagogiques, qui oublient de préciser que cette phrase,
00:45Pompidou ne l'a jamais prononcée en public, mais qu'elle aurait été entendue en 1966
00:50par un jeune conseiller nommé Chirac, qui l'aurait répétée au journaliste du Figaro
00:54Thierry Desjardins, lequel en a parlé pour la première fois, 34 ans après, dans un
00:59livre auquel il a donné ce titre.
01:01Voyez si c'est solide, mais comme le dit le journaliste de « L'Homme qui tue à
01:05Liberty Valence », « quand la légende est perçue comme un fait, imprimez la légende
01:08».
01:09Oui, celle-ci est souvent déformée.
01:11Mais oui, de parade des citations, le numéro un, c'est toujours De Gaulle, que Michel
01:15Barnier a brandi dès la quatrième ligne de son discours de mardi « Faire beaucoup
01:20avec peu », et que Bruno Retailleau enrôle dans son combat contre l'immigration.
01:24Le ministre de l'Intérieur, qui brûle de renverser les barrières constitutionnelles,
01:28prend appui sur le général dans une interview au Figmag.
01:31Comme disait De Gaulle, en France, la cour suprême, c'est le peuple.
01:36Et le peuple qui pourrait donc modifier ou abolir nos principes de valeurs constitutionnelles
01:40comme la déclaration de 1789.
01:42Voilà ce qu'on appelle l'état de droit, on y revient.
01:44Éric Zemmour s'est servi de la même citation de De Gaulle dans un de ses livres, pour dénoncer
01:49le carcan d'un gouvernement des juges.
01:51Sauf que, Zemmour et Retailleau font dire à De Gaulle ce qu'il ne dit pas, c'est
01:56un classique.
01:57D'abord, la phrase est tirée d'une conférence de presse donnée le 1er octobre 1948, dix
02:01ans avant la naissance de la Vème République et de la création du Conseil Constitutionnel.
02:06Ensuite, il n'est pas du tout question ici de droits fondamentaux, mais comme c'est
02:10étrange, d'un Parlement sans majorité.
02:13Je vous lis le passage, la question et la réponse de De Gaulle.
02:16« Mon Général, prévoyez-vous au-dessus du chef de l'État une cour suprême comme
02:20aux États-Unis ? ». On vient de proclamer la 4ème République.
02:23Réponse de De Gaulle.
02:24Avec l'accent.
02:25« Je crois qu'en France, la meilleure cour suprême, c'est le peuple.
02:30Et que lorsqu'il y a divergence entre exécutif et législatif, ou bien lorsque le pouvoir
02:34législatif ne parvient pas à dégager une majorité, le meilleur arbitre est alors le
02:39peuple.
02:40Et je suis convaincu qu'une des faiblesses de la 3ème République, c'est que le droit
02:44de dissolution n'existait pas.
02:46Voilà, Charles De Gaulle, en 1948, faisant l'éloge de la dissolution et non pas de
02:51l'illibéralisme.
02:52Magie des citations détournées.
02:55Et à propos de citations non détournées, enfin, un livre que vous vouliez citer ?
02:57Un livre vieux de 15 ans, rempli de citations, une histoire abracabrantesque, abeccédaire
03:03de la 5ème République, chez Calman Levy, je le cite pas seulement parce que c'est
03:06un trésor de drôlerie politique, mais parce que Jean-Yves Lomo, qui a signé ce recueil
03:11avec Marie-France Lavarini, vient de nous quitter, il est passé par le monde des libérations,
03:16j'ai les services politiques de ses deux quotidiens, Lomo était un grand journaliste,
03:20je l'ai beaucoup lu et je tenais à lui rendre cet hommage.