L'alpiniste Sophie Lavaud est entrée dans la légende en réussissant l'ascension des 14 sommets de plus de 8000 m. Cet exploit, elle le raconte en vidéo à travers le prisme des "limites".
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00:00Je ne me suis pas réveillée un matin en me disant « je vais aller faire l'Everest ».
00:06Moi je n'ai pas des crampons et un piolet dans la main depuis que je suis toute gamine,
00:11je pense que je ne suis pas particulièrement douée,
00:14donc j'ai une approche presque amateur.
00:19Le sommet, partout dans le monde, n'importe quel sommet, c'est la moitié du chemin.
00:31Je suis tombée dans le bain de l'alpinisme en fait finalement très progressivement,
00:37mais ça a toujours été un long chemin,
00:40parce que très vite j'ai été attirée par vouloir aller toujours un petit peu plus haut.
00:45Et donc après les 4000 mètres des Alpes, c'était trouver un 5000 mètres,
00:51puis c'est passé, après 6000 mètres, après 7000 mètres,
00:56et puis après au fil des années on arrive à la barre fatidique des 8000 mètres,
01:01ce basculement dans la très très haute altitude.
01:04Et puis ça a marché finalement, j'ai réussi deux sommets en une saison.
01:10Le rêve du 8000 mètres était déjà acquis, si je puis dire ça comme ça,
01:16mais cette quête d'altitude m'a amenée naturellement à vouloir tenter l'Everest.
01:23Et c'est en redescendant de l'Everest, où je pense que j'ai vraiment eu ce déclic
01:31de me dire mais j'ai pas envie d'arrêter en fait.
01:35C'est pas parce que j'ai été au plus haut que j'avais envie d'arrêter.
01:40Et c'est là où je me suis mis ce défi, ou ce rêve, ou ce grand défi,
01:46ou cette quête un peu dingue de me dire mais tiens si je tentais les 14 8000 mètres.
01:52Plus tu montes et moins il y a de femmes, donc ça c'est quand même quelque chose à essayer de rééquilibrer.
01:57La limite elle va pas forcément se situer d'un point de vue physique,
02:02mais c'est plus mental.
02:04Je pense que d'une façon générale, les femmes vont se mettre plus de barrières,
02:08plus de limites, que les hommes.
02:11Donc elles vont être beaucoup plus modestes dans leurs ambitions,
02:15mais une fois qu'elles s'y collent,
02:17elles ont le mental qui va faire que ça va prendre le relais et puis ça va passer.
02:27Aujourd'hui effectivement oui, je suis la première personne en France à avoir réussi ça.
02:32Mais c'est pas parce que j'ai été au plus haut que j'ai pas envie d'arrêter,
02:36je suis la première personne en France à avoir réussi ça.
02:40Mais c'était pas du tout ça l'objectif, c'est vraiment une quête personnelle.
02:45Les limites d'un projet quel qu'il soit,
02:48je pense que c'est effectivement toujours très intéressant d'aller les côtoyer.
02:56Quand je suis partie sur ma première expédition en 2012,
02:59je disais j'ai envie d'aller flirter avec les 8000.
03:03Ou l'Anapurna, ou un Angaparbat.
03:08Dans tous les récits, ce sont des montagnes qui font peur,
03:13ne serait-ce que le fait de prononcer le nom.
03:15Le mental est là, la condition physique est là,
03:18la limite elle serait plutôt technique.
03:20Il faut oser, il faut essayer justement d'épasser un tout petit peu ces limites
03:30pour aller voir ce que ça donne.
03:33Et effectivement ça va pas marcher à chaque fois,
03:36mais quand ça marche, déjà ça procure beaucoup de satisfaction
03:41et ça permet de monter d'un cran.
03:45Le K2 de 2016, au début j'ai pas dit où j'allais,
03:49j'assumais pas du tout le fait d'aller au K2,
03:51en me disant je suis pas capable finalement.
03:53On va aller voir, on va aller tenter et tout,
03:55mais je suis beaucoup dans ce fonctionnement.
04:00Je vais voir si je suis capable.
04:06Ça a été un super beau sommet.
04:08J'ai rarement eu autant d'émotion.
04:11Je suis super fière.
04:13Putain j'étais au sommet du K2, bordel.
04:16La limite elle peut se décliner sous plusieurs angles finalement.
04:23Il y a une limite naturelle technique,
04:25il y a une limite physique,
04:27il y a une limite temporelle
04:29et elle s'associe forcément à, pour moi en tout cas,
04:33la notion de renoncement.
04:35Si on n'a pas cet angle du renoncement,
04:41on peut très très vite se mettre en danger.
04:43Ça m'est arrivé finalement assez peu
04:45de devoir renoncer par une limite.
04:49Le renoncement le plus probant que j'ai quand même vécu,
04:54où j'ai vraiment pris la décision de renoncer,
04:57c'est au Kanchenjunga en 2018.
05:03J'ai fait demi-tour, 130 mètres sous le sommet.
05:06On est donc presque à 8400m.
05:09On est en hypoxie totale,
05:11donc la capacité de réflexion est totalement altérée.
05:15J'étais encore avec deux copains,
05:18mais on est là, avec les masques à oxygène,
05:20on se parle, on a l'impression qu'on se comprend,
05:22mais personne ne se comprend.
05:24Et je leur dis, je vais récupérer un piolet et un bout de corde,
05:28comme ça on s'encorde et on continue.
05:30Et donc je fais demi-tour, je prends le piolet, les cordes, etc.
05:33Et quand je me retourne, les deux copains étaient partis, sur le sommet.
05:37Et là je me suis dit, si je continue,
05:40comme ils ne m'ont pas attendu là,
05:42ils ne vont pas m'attendre au sommet,
05:44donc à la descente je vais me retrouver seule sur la montagne
05:47et je n'ai pas osé.
05:49Il m'arrive quoi que ce soit, une entorse, je vais mourir,
05:53parce qu'il n'y aura personne qui va être là,
05:55il n'y aura personne qui va être dans la capacité
05:57de venir me chercher ou de m'aider,
05:59et donc j'ai renoncé.
06:01Et je pense que ce sont des décisions
06:03qui se prennent aussi par rapport à une limite physique,
06:07parce que je savais pertinemment que je n'avais pas la capacité de les rattraper.
06:17L'expédition
06:36Dans l'expédition,
06:39le premier objectif, c'est le camp 1.
06:42Les camps de base, en moyenne, sont au-dessus de 5000 mètres.
06:46Donc le camp de base, on est au pied de la montagne,
06:48on n'a encore rien fait, on est déjà au-dessus du Mont Blanc.
06:51Et tu as minimum 3000 mètres au-dessus de ta tête,
06:55qu'il faut encore gravir.
06:57Donc si tu as cette obsession du sommet,
07:00à vouloir toujours...
07:02La limite, elle est là, elle est naturelle,
07:05et très souvent tu es là, mais non, je ne suis pas capable.
07:09Et c'est, je pense, l'erreur que font beaucoup de gens
07:13qui ont un référentiel des Alpes,
07:17et qui, quand ils arrivent en Himalaya,
07:20sont complètement submergés par la tâche,
07:23par l'immensité,
07:26par ce côté impressionnant
07:29de ces grandes, grandes montagnes.
07:32Ouh, j'en ai pas le dos !
07:34Trop raide !
07:38J'ai côtoyé des alpinistes
07:41qui étaient bien plus aguerris que moi, techniquement,
07:44mais qui se sont mis une telle pression,
07:47avec des crises d'angoisse, avec des mecs qui font demi-tour
07:50et qui rentrent à la maison, tu ne sais juste pas pourquoi,
07:53de par l'ampleur de la tâche à accomplir.
07:56Finalement, c'est bien d'essayer de rester dans un précaré
07:59où on sait finalement qu'on est capable.
08:02Cet apprentissage du pas à pas,
08:05d'acquérir de l'expérience,
08:08d'acquérir la façon de se connaître,
08:11c'est un gage de sécurité en Himalaya.
08:32Moi j'ai de plus en plus peur des avalanches,
08:35des crevasses, du brouillard.
08:38Et moi aujourd'hui, j'ai mes dix doigts,
08:41j'ai mes dix orteils,
08:44je n'ai jamais été évacuée, je n'ai jamais été blessée.
08:47Donc je suis assez fière de ça,
08:50parce que sur toutes ces années,
08:53j'en ai perdu trop des amis.
08:56Beaucoup, beaucoup d'accidents sur des 8000
08:59sont dus à l'hypoxie,
09:02avec une mauvaise décision,
09:05parce que ta faculté de réflexion est complètement altérée.
09:17Tu ne sais pas.
09:20C'est justement la grosse difficulté de l'hypoxie.
09:23Et c'est très difficile d'expliquer
09:26comment on est en hypoxie,
09:29parce que ça ferme les tiroirs.
09:32Donc ça laisse très peu de faculté.
09:35C'est cet état un petit peu...
09:38Il faut lutter.
09:41On lutte contre le sommeil en permanence,
09:44et qui rend l'environnement
09:47beaucoup plus dangereux.
09:50Je n'ai pas tellement fumé de pétards dans ma vie,
09:53mais j'imagine que si tu fumes 3-4 pétards,
09:56tu dois être à peu près dans cet état un peu comateux.
09:59Tout est très lent.
10:02Tu mets une chaussure,
10:05tu te rends compte qu'il faut 20 minutes
10:08pour mettre la chaussure dans la tente.
10:11Donc c'est très relatif.
10:14Et si les décisions ont été bonnes,
10:17il y a clairement un facteur chance.
10:20Se connaître, connaître ses limites,
10:23son environnement,
10:26ça limite les risques.
10:29Sur ces 22 expéditions,
10:32j'ai travaillé avec 3 Sherpas différents,
10:35dont Sangé depuis 2018.
10:38Le fait de très bien se connaître
10:41fait que chacun connaît la limite de l'autre.
10:44Et c'est un gage de sécurité de bien se connaître.
10:47Si je suis toujours seule en Himalaya,
10:50c'est parce que j'ai un impact.
10:53Sous-titrage Société Radio-Canada