• il y a 2 mois
Cet épisode de "Au bout de l'enquête" se penche sur l'affaire tragique de Jacqueline Sauvage, une femme condamnée pour avoir tué son mari, après des années de violences conjugales. En revisitant les détails de cette affaire emblématique, l'épisode analyse les éléments clés de l'enquête, les témoignages et les enjeux juridiques qui ont marqué ce procès médiatisé. À travers des interviews d'experts, de journalistes et de proches, la vidéo propose une réflexion sur la violence domestique et les difficultés rencontrées par les victimes dans le système judiciaire.

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Transcription
00:00...
00:20Est-ce la fin du crime parfait ?
00:22Bienvenue dans Au bout de l'enquête.
00:2410 septembre 2012, une femme abat son mari,
00:283 balles dans le dos.
00:30Elle s'appelle Jacqueline Sauvage.
00:33Pour justifier cet acte terrible, elle explique avoir été battue
00:36pendant plus de 20 ans, elle et ses enfants.
00:39Elle devient alors le symbole des femmes battues
00:41et déclenche une large mobilisation.
00:43Mais la justice va-t-elle pour autant être plus clémente ?
00:46Nous décrypterons avec Alain Bauer, professeur de criminologie,
00:48cette saga judiciaire, sociétale et politique.
00:52Affaires, Jacqueline Sauvage, légitime défense,
00:55c'est un film d'Agnès Rossmann.
00:57...
01:03Le 10 septembre 2012, le téléphone sonne chez les pompiers
01:07et une femme complètement affolée dit
01:09j'ai tué mon mari, venez tout de suite, j'ai tué mon mari.
01:12...
01:14Ils arrivent et ils voient un homme couché sur la terrasse
01:17dans une mare de sang.
01:18...
01:20Madame Sauvage, elle est très désorientée,
01:24très déboussolée, complètement perdue.
01:27Tout de suite, elle dit qu'elle a tué son mari,
01:29que ça fait suite à une énième dispute qu'elle a eue avec lui,
01:33qu'elle a en gros perdu ses esprits
01:36et qu'elle a utilisé une arme de chasse
01:39qui se trouvait dans le domicile, qu'elle a approvisionnée
01:42et l'a tirée sur son mari qui s'est coulé et puis voilà.
01:46A l'évidence, il était assis sur une chaise,
01:47il est tombé en avant et il est tombé sur le ventre,
01:50coincé dans la chaise, c'était une espèce de fauteuil plastique.
01:54Les premiers intervenants se sont rendus compte
01:56que Jacqueline Sauvage avait une plaie au niveau de la lèvre.
01:59C'est la raison pour laquelle on a fait intervenir les pompiers
02:03et qu'on l'a emmenée à l'hôpital.
02:06...
02:10Le médecin l'examine sa blessure à la lèvre,
02:12lui fait quelques points de suture,
02:14remarque quelques bleus sur le corps, mais qui paraissaient anciens
02:18et surtout remarque un tatouage au niveau du coeur,
02:21c'est NM Norbert Marot.
02:23C'étaient les initiales de son mari.
02:26...
02:28Les gendarmes ont appelé le maire du village de la Selle-sur-le-Biais,
02:32qui appelait les filles, puisqu'il les a connues depuis toutes petites,
02:34pour les prévenir qu'il y avait eu un drame dans la maison.
02:37Elles décident de s'arrêter au domicile de leur frère
02:41pour prévenir du décès de leur papa et de ce qui s'est passé.
02:45Et lorsqu'elles rentrent dans le domicile,
02:48elles ne le trouvent pas tout de suite.
02:50Elles appellent, personne ne répond et quand elles arrivent au dernier étage,
02:53elles trouvent leur frère pendu.
02:54...
02:56On fait intervenir un médecin légiste,
02:58qui, aux premières constatations,
03:00déterminera que le décès remonte à 48 heures
03:03avant le meurtre de M. Norbert Marot.
03:06...
03:08Et après, il faut prévenir Jacqueline Sauvage.
03:10Jacqueline Sauvage est en cellule de garde à vue
03:12et on lui annonce la mort de son fils.
03:14Elle vient de tuer son mari et elle apprend que son fils s'est suicidé.
03:19Le père et le fils se sont très, très violemment disputés
03:22la veille de son suicide.
03:24Le père a mis Pascal dehors de chez lui
03:26en lui disant, tu ne travailleras plus ici
03:28et je ne veux plus jamais te voir.
03:30Et Pascal est parti
03:32et, vraisemblablement, il s'est suicidé le soir même ou le lendemain.
03:35...
03:40C'était une journée à peu près ordinaire chez les Marots,
03:43une journée où le père était en colère.
03:46On particulait ce jour-là parce que l'affaire ne marchait pas très bien,
03:49donc il était très à fleur de peau.
03:52Donc ça ne s'est pas très bien passé, ils se sont pas mal engueulés.
03:55Elle est allée faire la sieste.
03:56Il l'a réveillée de la sieste en tapant très violemment à la porte
04:00au point de casser la poignée de la porte.
04:02Elle finit par lui ouvrir et puis, tout de suite,
04:06ça a été des brimades.
04:07Elle reçoit plusieurs coups, dont un à la lèvre.
04:12Ensuite, il se dirige dans la cuisine,
04:14elle se fait arracher son pendentif.
04:16...
04:20Et elle est remontée, elle est restée dans sa chambre.
04:23Je ne sais pas ce qu'elle y a fait au juste
04:26puisqu'elle ne se rappelle pas elle-même.
04:28...
04:29Donc il y a un blanc de plusieurs heures.
04:31Pendant ce temps-là, Norbert Marot boit des whiskys sur sa terrasse.
04:36Et à 19h30, Jacqueline Sauvage a pris un fusil.
04:39La maison a été remplie de fusils.
04:40...
04:43Il y avait des fusils, mais il y avait aussi des munitions,
04:45des cartouches en tout genre,
04:47de la plomb, des brénèques,
04:49enfin, il y avait de quoi tenir un siège.
04:52Elle dit...
04:55Un éclair m'est passé dans la tête.
04:57J'ai pris mon fusil, je suis descendue.
04:59Dans le couloir, il était de trois quarts,
05:02il me tournait le dos.
05:04Jacqueline Sauvage a chargé le fusil,
05:06a visé dans le dos de son mari et lui a tiré trois balles.
05:08...
05:13Elle était chasseuse, très, très bonne chasseuse.
05:16Elle avait pris des balles pour tuer le sanglier,
05:18et donc, il est mort sur le coup.
05:20...
05:22Norbert est donc conduit à la morgue,
05:24dans la région parisienne,
05:26et à ce moment-là, on se rend compte que sur son coeur,
05:28il a lieu aussi deux initiales JS,
05:31pour Jacqueline Sauvage.
05:32...
05:34Après la mort de son mari, elle a repris son nom de jeune fille,
05:37qui est le nom de Sauvage, Jacqueline Sauvage.
05:39C'est vrai que c'est un nom qu'on retient.
05:41...
05:49Elle a rencontré Norbert, donc son futur mari,
05:52elle avait 15 ans.
05:53Et elle dit, c'était le plus beau mec du village.
05:57Et elle dit, mes copines étaient jalouses,
05:58parce que c'était moi qui l'avais eu.
06:00Et elle dit aussi,
06:02mes frères ne voulaient pas que je le fréquente,
06:04parce que c'était un voyou, un mauvais garçon.
06:06Elle était intelligente, elle avait fait des études,
06:10elle était d'une famille relativement cultivée.
06:13C'était pas du tout le cas de Norbert.
06:14Norbert était un peu un enfant des rues,
06:16un enfant qui avait été élevé en institution.
06:19C'était quelqu'un de très dur,
06:22physiquement fort,
06:25qui était tout à fait capable de donner une paire de claques
06:30à n'importe qui qui lui résistait,
06:34et qui se faisait respecter.
06:36Et elle tombe enceinte à 17 ans.
06:38Et elle l'épouse dans la foulée, parce qu'elle est enceinte,
06:40elle l'épouse, contre l'avis de sa famille.
06:42Donc en fait, ce qu'on comprend assez vite,
06:45c'est qu'elle l'aime envers et contre tous.
06:48Elle s'est créée une fiction amoureuse avec ce type,
06:51qui était violent, qui était rustre, qui était...
06:55Voilà, et elle s'est dit, je vais le changer.
06:57Avec mon amour, je vais en faire un.
06:59Et elle a eu quatre enfants avec lui.
07:04Ils avaient une entreprise qu'ils avaient montée à bout de bras,
07:08Norbert et Jacqueline, surtout Jacqueline, d'ailleurs,
07:10puisque Norbert était quelqu'un de...
07:12Pas un alphabète, mais pas loin.
07:15Une entreprise qui a été créée en 1998,
07:17c'est une entreprise de transport,
07:19dans laquelle étaient employés
07:22M. et Mme Marot et leurs enfants.
07:25C'était la réussite de la famille, cette entreprise.
07:27Ils avaient d'ailleurs une assez belle maison
07:29dans les hauts de la Seine-sur-le-Biais.
07:31Elle a construit cette fiction de ce couple
07:34qui apparaissait aux yeux des gens comme un couple
07:37impressionnant.
07:38C'était un peu... Ils possédaient l'entreprise de transport routier.
07:41Ils étaient membres de la société de chasse.
07:43Ils chassaient ensemble.
07:44Il y avait une vitrine sociale
07:47qui, pour elle, avait beaucoup d'importance.
07:49Personne n'a rien vu à l'extérieur
07:51parce que son but était justement que personne ne voit rien,
07:54car elle était dans la poursuite d'une respectabilité.
07:59Son mari ne la frappait pas tous les jours.
08:01Ce qu'il faut comprendre avec Jacqueline Sauvage,
08:02c'est qu'on est dix femmes battues, parce que c'est un bon résumé,
08:04mais c'est pas quelqu'un qui prenait des coups
08:06dans la figure tous les jours.
08:07Déjà, son mari est chauffeur routier.
08:08En général, la semaine, il n'est pas là.
08:10Et elles disent, d'ailleurs,
08:11elle et ses filles, on avait la paix, il n'était pas là.
08:13Le week-end, il revient, il est en colère, ça va jamais,
08:16il n'y a rien qui va, il est tous les nerfs.
08:18Et il y a des violences physiques récurrentes.
08:20J'ai envie de dire peut-être qu'il la tapait
08:22quand vraiment il avait trop bu, parce qu'il était alcoolique,
08:24mais il y avait des violences psychologiques permanentes.
08:29Au cours de leurs auditions,
08:31les filles de M. Marot vont aborder
08:35des faits de viol et d'attouchement
08:36dont elles auraient été victimes au cours de leur adolescence.
08:40Et ça, en fait, on la reprend de leur bouche.
08:43Mme Sauvage ne le dira pas.
08:45C'est seulement lorsqu'on lui posera la question
08:47qu'elle affirmera qu'en fait, effectivement,
08:50elle avait été au courant de ces agissements-là.
08:54Mais elle n'avait rien fait.
08:59La grande tension qui s'est produite à ce moment-là
09:03a été la faillite qui s'approchait, la faillite économique.
09:07Mme Marot, qui, elle, tenait les comptes,
09:10évoquait souvent à son mari les difficultés financières.
09:13Et lui, on partait tout de suite dans une colère,
09:16certainement due aussi à sa consommation d'alcool.
09:19Et on est arrivé à ce moment
09:23où Norbert Marot
09:27et sa famille s'est aperçus que...
09:31c'était fini.
09:33L'entreprise devait s'arrêter.
09:35Et lui, il voyait pas ça de cet oeil-là.
09:38Jacqueline, il la menaçait.
09:40Si elle osait partir, il tuerait tout le monde, bien sûr elle,
09:43mais surtout les enfants et les petits-enfants.
09:45Donc Jacqueline était terrorisée.
09:47De toute façon, elle savait qu'il pouvait finalement passer à l'acte.
09:51Ça s'est passé ce jour-là parce que la coupe était pleine.
09:56Elle aurait aussi bien pu se suicider,
09:58mais elle ne s'est pas suicidée parce qu'elle avait des enfants
10:02et qu'elle leur devait sa protection.
10:05Et donc, elle les a protégés en tirant sur son mari.
10:10Je pense que cinq minutes avant,
10:13elle ne savait pas qu'elle allait faire ça.
10:17Les voisins savaient que ça se passait très mal à l'intérieur de la famille
10:20et que Norbert était épouvantable.
10:21Et d'ailleurs, quand ils ont entendu les coups de fusil,
10:23parce qu'il y a beaucoup de voisins qui ont entendu les trois coups de fusil,
10:25ils ont tout de suite pensé que c'était lui qui avait tué sa femme.
10:28Le 24 octobre 2014, plus de deux ans après le meurtre,
10:32Jacqueline Sauvage comparaît libre.
10:34À ses côtés, son avocat, et devant elle, ses trois filles.
10:38Seule la presse régionale a fait le déplacement.
10:49Après un an et demi prison, elle est autorisée à sortir.
10:51Elle est en liberté provisoire.
10:53Et elle n'arrivera donc que libre à son premier procès.
10:56Il n'y a presque personne au premier procès.
10:59C'est une affaire banale, entre guillemets,
11:02c'est-à-dire une femme qui tue son mari,
11:03il y en a une vingtaine par an.
11:05Elle se présente au procès en étant plus taisante que jamais,
11:10comme elle a été toute sa vie, forte et digne.
11:15Voilà quelqu'un qui prend un fusil,
11:17qui tire trois balles successives à un maître,
11:20pour être bien assurée que la première,
11:23si elle était insuffisante, sera supplée par les deux autres.
11:26Or, elle ne dit rien.
11:30La présidente de la Cour est complètement surprise
11:34de l'attitude de Mme Sauvage,
11:38qui vient dire qu'elle a subi 30 ans de harcèlement,
11:43alors qu'elle n'en a jamais parlé.
11:46Ce qu'elle disait n'était établi par rien.
11:51Il n'y a pas de témoignage autre que celui de la sphère familiale.
11:55C'est une femme qui ne montre pas ses faiblesses,
11:58qui n'a évidemment jamais porté plainte contre son mari,
12:01qui ne s'est jamais confiée à personne.
12:03Elle a raconté lors du procès qu'il lui arrivait d'être frappé,
12:07d'avoir des bleus sur le visage.
12:09Elle dit qu'elle ne sortait pas pendant trois jours,
12:11elle envoyait ses filles faire les courses,
12:12pour ne pas qu'on la voie avec ce bleu.
12:14Si elle le quittait, elle perdait tout.
12:16Elle perdait l'environnement,
12:18elle devait tout reconstruire pour continuer à vivre,
12:23dans des conditions qui sont les siennes.
12:25Il faut qu'elle subisse.
12:27Et bien, elle subissait.
12:34Il ne faut pas sous-estimer la peur.
12:36C'est-à-dire, elle a dû se dire,
12:39si je pars, il va venir me chercher,
12:41il va me tuer avec le fusil de chasse.
12:43À un moment, elle part de la maison, du pavillon,
12:46elle va chez une de ses filles, Norbert revient la chercher,
12:48vient la chercher, et elle le suit.
12:51Est-ce qu'elle le suit parce qu'elle a peur ?
12:52Est-ce qu'elle le suit parce qu'elle l'aime encore ?
12:54Honnêtement, c'est très mélangé, je ne sais pas.
12:56Mais c'est, encore une fois, complexe.
12:59Elle a fait deux tentatives de suicide, une fois,
13:01dans sa voiture, avec le tuyau d'échappement, le gaz.
13:05Et une autre fois, elle dit qu'elle était au volant,
13:07qu'elle a failli se foutre dans le fossé,
13:08qu'au dernier moment, elle avait fait un coup de poing,
13:10qu'elle avait fait un coup de poing,
13:12qu'elle avait failli se foutre dans le fossé,
13:13qu'au dernier moment, elle avait pensé à ses enfants.
13:15Les filles parlent de ce qu'elles ont subi,
13:18et notamment de leur viol.
13:22Donc, elles ont commencé à dire qu'il y a eu des attouchements,
13:25que leur père les avait violées une fois.
13:28Elles ne l'ont pas affirmé comme quelque chose de gravissime,
13:31ce qui est le cas.
13:33On a presque l'impression qu'elles récitent.
13:36Elles sont extrêmement gênées.
13:38Et cette gêne, elle est perçue, elle est perçue par tous,
13:42comme étant...
13:46comme laissant peut-être un doute.
13:49C'est-à-dire que c'est une famille qui était fermée,
13:51qui était fermée sur elle-même.
13:52Donc, aller dire à tout le monde,
13:54j'ai été violée,
13:55alors que tout ça était resté dans le secret de la sphère familiale,
13:58c'était très, très difficile pour elles.
14:00Et les filles ont mis beaucoup de temps
14:01avant de pouvoir en parler à leur mère,
14:03mais elles en ont parlé, l'une et l'autre l'ont dit.
14:07Jacqueline Sauvage n'a rien dit.
14:09Et Jacqueline Sauvage les a fait travailler dans l'entreprise
14:12alors qu'elle savait très bien que leur père avait abusé d'elle.
14:18Ce qui n'a pas claidé en sa faveur,
14:19c'est qu'à peu près 20 ans auparavant,
14:21Norbert était tombé amoureux d'une vendeuse
14:24qui travaillait pour eux.
14:25Il en a fait sa maîtresse et il est parti.
14:27Il est allé vivre avec elle.
14:30Et Jacqueline Sauvage n'a pas supporté
14:32et elle est allée le rechercher.
14:34Elle a fait un scandale, elle est allée rechercher son mari
14:37et quand il est revenu dans la maison,
14:38elle a pointé une arme sur lui en disant « je vais te tuer ».
14:41Et c'est une de ses filles qui l'a empêchée de le tuer.
14:46Il n'a jamais été question que Norbert Marot parte,
14:50il a été question qu'il la remplace.
14:55C'est-à-dire, elle va devenir sa femme,
14:58elle va prendre ma place dans l'entreprise,
14:59c'est-à-dire qu'elle va avoir la belle maison,
15:03elle va diriger la société.
15:07Or, elle l'avait subie, elle l'avait payée
15:11et par conséquent, elle voulait conserver ce pour quoi elle l'avait payée.
15:17Personne n'est arrivé à prouver qu'elle avait été victime
15:19pendant des années et des années.
15:22Par exemple, le fait qu'elle n'ait pas dénoncé le viol de ses filles,
15:26ça a joué contre elle, absolument contre elle.
15:28C'est très, très violent.
15:30Une mère qui ne défend pas ses enfants,
15:32la même chose quand elle est allée poursuivre la maîtresse de son mari
15:36et qu'elle est allée récupérer Norbert
15:38alors que, normalement, elle était déjà une femme battue à ce moment-là.
15:41Donc, tout ça était très compliqué.
15:47La seule défense qui était possible,
15:49c'est-à-dire de soutenir
15:51qu'elle était dans une situation
15:54où ses capacités de choix étaient abolies.
15:59Et que cette abolition l'avait amenée à faire un acte
16:02qui était totalement imprévu.
16:07Je pense que la cour a appréhendé qu'il était possible
16:14que ce que disaient Mme Sauvage et ses filles soient justes.
16:21Et ça explique la clémence dont elle a bénéficié.
16:25Parce que la peine encourut ses réclusions criminelles à la perpétuité,
16:31avec ou sans préméditation, puisque c'est sur les poux,
16:35et elle a 10 ans.
16:38C'est quand même une réduction énorme.
16:42Ces 10 ans de prison parurent lourds.
16:44Même si on avait du mal à prouver qu'elle l'a été extrêmement violemment
16:49pendant des dizaines d'années,
16:51c'était manifestement une femme battue
16:53et une femme qui vivait certainement dans la peur
16:55une bonne partie de sa vie.
16:57Jacqueline Sauvage fait appel du verdict tombé mardi aux assises du Loiret.
17:02La peine infligée de 10 ans de prison
17:04suscite beaucoup de réactions dans le milieu judiciaire et associatif.
17:08Jacqueline Sauvage a changé d'avocate.
17:10Elle prend un duo d'avocates,
17:12qui sont donc Nathalie Tomazini et Jeannine Bonagiunta,
17:16avocates spécialistes des femmes victimes de violences conjugales.
17:20L'idée nous est apparue évidente
17:22de lui écrire une lettre de soutien
17:25en disant que nous comprenons parfaitement cette problématique
17:29et nous sommes aujourd'hui effarés de savoir
17:31qu'elle va passer les 10 prochaines années en prison.
17:41Jacqueline Sauvage, c'était l'affaire
17:45où j'ai senti qu'il y avait un vrai potentiel
17:48pour d'une part souligner tous les dysfonctionnements
17:51du système police-justice,
17:53mais également faire avancer les lois.
17:56Maître Bonagiunta et Tomazini
17:58rencontrent tous les journalistes qui vont couvrir le procès
18:01pour expliquer leur stratégie de défense.
18:03La médiatisation, il faut le savoir,
18:05c'est une stratégie depuis le début de la création de notre cabinet.
18:09La presse est un outil formidable
18:13pour amplifier, donner de la résonance à un message sociétal.
18:17Elle déroule vraiment un discours très préparé,
18:20qui est, nous allons plaider la légitime défense différée,
18:23le fait que cette femme était sous l'emprise de son mari,
18:25donc ne pouvait pas résonner de manière rationnelle,
18:28et qu'au Canada, elle nous parle beaucoup du Canada,
18:30au Canada, on reconnaît la légitime défense différée.
18:33Mais elles vont plaider devant une cour d'assises française.
18:37Ça me paraît assez osé.
18:45Les avocates de Jacqueline Sauvage plaident la légitime défense différée.
18:49Déjà, Alain, comment définit-on la légitime défense ?
18:52C'est le Code pénal qui définit très précisément la légitime défense
18:55comme une cause d'irresponsabilité
18:57ou d'atténuation de la responsabilité.
19:00Les articles 125 et 122.6 précisent
19:04que n'est pas pénalement responsable la personne qui,
19:07devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui,
19:11accomplit dans le même temps un acte commandé
19:14par la nécessité de la légitime défense,
19:17d'elle-même ou d'autrui,
19:18sauf s'il y a disproportions entre les moyens de défense employés
19:22et la gravité de l'atteinte.
19:24Tous ces éléments doivent être considérés
19:27comme inextricablement imbriqués.
19:30On ne peut pas en enlever un morceau
19:32pour justifier un peu plus ou un peu moins de légitime défense.
19:35Et c'est ce qui fait toute la complexité du système français.
19:39Et la légitime défense différée, alors ?
19:42C'est un dispositif qui a été inventé et reconnu au Canada
19:46en 1994, suite au procès d'Angélique Lavallée,
19:50qui avait abattu son conjoint après des années de maltraitance.
19:53Le Code pénal canadien a alors reconnu juridiquement
19:56aux femmes victimes de violences conjugales
19:59la légitimité de se défendre, même de manière différée,
20:03face à un emploi de force qui, lui, est continu.
20:06Mais le Code pénal français n'est pas allé aussi loin.
20:08Et pourtant, dans le cadre du procès de Jacqueline Sauvage,
20:11ses avocates vont tenter de faire prendre en compte
20:13cette légitime défense différée.
20:15Musique douce
20:17...
20:26Le procès commence en décembre 2015.
20:29Quand on la voit dans le box, on se dit,
20:31voilà, c'est une femme physiquement assez frêle,
20:34pas souriante, avec pas de maquillage, pas d'après.
20:38Et quand elle va s'exprimer, on va sentir quand même
20:41qu'il y a une grande force intérieure dans cette femme.
20:43C'est vraiment paradoxal.
20:44...
20:48Elle m'a apparu comme quelqu'un de grave, évidemment,
20:51au visage grave, et de déterminé.
20:54Le récit qu'on avait eu du premier procès,
20:56c'était une femme froide, qui n'avait exprimé aucun remords,
20:59qui n'avait pas pleuré, qui était très dure.
21:01Et c'est pas du tout tel qu'elle apparaît.
21:02Dès qu'elle commence à parler, elle est assez émue.
21:05On sent qu'elle a du mal à dire ce qu'elle ressent,
21:09mais elle a envie de parler, donc elle parle beaucoup, beaucoup.
21:11...
21:13Les trois filles ont crédibilisé les violences
21:16que subissaient leurs mères, puisqu'elles ont dit au effort
21:18que leur mère était battue, que leur mère avait souffert.
21:21Et là encore, finalement, la cour doutait,
21:25doutait du fait qu'elles parlent enfin,
21:28mais qu'elles auraient dû parler plus tôt.
21:30...
21:32J'avais l'impression que ces femmes étaient à nouveau violentées
21:34par la justice, alors qu'elles avaient enfin le courage
21:37de parler.
21:38Évidemment, la cour d'assises, c'est pas le salon
21:41dans lequel on discute, c'est pas non plus
21:42le café du commerce, c'est pas les réseaux sociaux.
21:45Alors, est-ce que la présidente de la cour d'assises
21:48a malmené Mme Sauvage ou ses filles ?
21:51Moi, je n'en ai pas eu le sentiment.
21:53...
21:57Nous, nous avions fait venir une vingtaine de témoins,
22:00tout le village, et ce village,
22:02dont sa grande majorité, confirme le fait
22:06que Norbert Marot était un monstre.
22:09...
22:11Sa voisine se faisait bronzer dans le jardin voisin.
22:15Il disait à son mari,
22:16« Rentre ta femme, ce tonneau-là, ça gâche le paysage. »
22:18Il avait un problème majeur,
22:20c'est qu'il avait ces énormes camions
22:22qui garaient devant les propriétés de ses voisins,
22:25et quand les voisins râlaient, il allait mettre le contact
22:27et il laissait les moteurs de ses camions
22:30marcher pendant des heures.
22:31...
22:34Il y a une femme qui est venue à l'audience,
22:36qui s'est tournée par Jacqueline Sauvage,
22:37qui a dit « Merci, madame ! On a enfin la paix ! »
22:40L'une des voisines est même allée jusqu'à dire
22:43« Depuis qu'il est mort, les arbres repoussent. »
22:45On a des récits qui, pour moi,
22:48sont tellement concordants entre le suicide du fils,
22:51ce que racontent les filles, ce que racontent les voisins,
22:54qu'il y a dans cette famille un climat de violence épouvantable.
22:58Donc dire que ça n'est pas avéré,
23:00moi, je comprends pas qu'on puisse dire ça,
23:01c'est pas possible de dire ça.
23:03On était là pour juger quand même
23:05le fait qu'il était reproché, Abraham Sauvage,
23:07d'avoir abattu son mari de trois balles dans le dos,
23:09à bout portant.
23:11C'est ça, l'affaire Sauvage.
23:13Alors après, qu'on vienne expliquer
23:15que son comportement est le résultat de violences subies,
23:19oui, c'est ce que dit madame Sauvage,
23:21mais on n'a pas fait un procès là-dessus.
23:24Si on avait pu, si on avait dû,
23:26juger monsieur Norbert Marot sur les violences,
23:28on aurait entendu un certain nombre de témoins
23:31de la part de madame Sauvage,
23:32mais peut-être de monsieur Marot aussi,
23:34qui avait peut-être des témoins à faire valoir,
23:36des circonstances à déterminer.
23:38Si on avait dû s'intéresser
23:40aux problèmes des violences conjugales
23:41subies par madame Sauvage,
23:43c'était un autre procès.
23:46Je trouve qu'elle a été mal jugée
23:48parce qu'on a passé, en tout et pour tout,
23:50une demi-heure sur la psychologie de Jacqueline Sauvage.
23:52C'est le vrai scandale de ce procès,
23:54sachant qu'on a passé deux heures sur l'expertise balistique,
23:58alors qu'elle ne conteste rien.
24:00Elle ne va pas du tout réussir à convaincre,
24:03elle ne va pas du tout réussir à provoquer de l'empathie
24:07chez les jurés.
24:12Nous avons deux plaidoiries.
24:14Je plaide les circonstances atténuantes.
24:16Je ne dis pas noir sur blanc, je plaide les circonstances atténuantes.
24:19Mais dans mon discours et dans ma plaidoirie,
24:22il est évident que je plaide en faveur de cette femme
24:26qui a commis cet acte monstrueux,
24:29mais dans des circonstances particulières.
24:31Et moi, je m'attelle, sur le plan juridique,
24:35à démontrer que les jurés doivent aller plus loin
24:40que la définition archaïque de la légitime défense
24:44et déclarer Jacqueline en état de légitime défense différée.
24:51Je demande l'acquittement, puisque la légitime défense
24:53est une cause d'irresponsabilité pénale.
24:56Pour nous Français, la notion de légitime défense
25:00ne peut pas être combinée avec la notion de différée,
25:04puisqu'il faut que l'attaque soit immédiate
25:06et que la riposte soit en relation avec une attaque.
25:10J'essayais d'ouvrir une brèche et de modifier ces textes
25:13qui n'étaient pas adaptés à ces femmes
25:17violentées dans le huis clos pendant des années.
25:19Donc, je jouais un va-tout important à la fois pour ma cliente
25:24et pour la société.
25:25Et donc, pour moi, on gagnait de toute façon.
25:30Présemblablement, les jurés n'ont pas compris
25:33la plaidoirie de la défense.
25:34Elles voulaient absolument que Jacqueline Sauvage soit libérée
25:38parce qu'elles estimaient que c'était de la légitime défense différée.
25:43Leur point de vue, c'est de dire qu'une femme battue
25:45est en permanence en état de légitime défense,
25:48puisqu'elle a peur de se faire tuer en permanence.
25:50Elles n'ont pas défendu une femme, elles ont défendu cette cause-là.
25:54Et je pense que ça n'a pas marché auprès des jurés.
25:56C'était une plaidoirie à sens absolument unique.
25:59Il n'y avait aucune autre option que de la considérer comme non coupable.
26:03Et ça, ce n'était pas possible.
26:05Le problème qui se posait à la cour d'assises,
26:07c'était de savoir, est-ce qu'on doit déclarer coupable
26:10une femme qui tire à trois reprises sur son mari pour lui donner la mort ?
26:14La réponse, c'est oui.
26:15Et heureusement qu'on déclare encore coupable une femme
26:18dans les conditions qui ont été celles de madame Sauvage.
26:21Heureusement qu'on les déclare encore coupables,
26:24sinon, on va vers une société qui va régler ses comptes.
26:27Et il y a plein de comptes à régler.
26:29Mais c'est pas comme ça qu'on peut faire.
26:31Donc je voulais qu'on remette un peu le sens de l'interdit.
26:36Contrairement au premier procès, où elle était apparue très froide,
26:40elle a pleuré, elle a exprimé des regrets, elle a beaucoup avancé.
26:43On se dit, à quoi ça sert de la garder en prison ?
26:46On pense tous qu'il va y avoir un verdict d'apaisement.
26:48On a compris que cette femme avait énormément souffert,
26:51qu'elle serait condamnée, mais à une peine.
26:53Et quand elle reprend dix ans de prison, c'est vraiment l'accélération.
26:57Là où j'ai été choquée, c'est sur le quantum de la peine.
27:01En réalité, lorsqu'un condamné a une peine
27:04qui est supérieure ou égale à dix ans,
27:07il doit effectuer nécessairement la moitié de sa peine
27:11avant de demander une libération.
27:13Il faut savoir que si elle prenait huit ans de prison,
27:16elle sortait très, très rapidement.
27:18Avec les dix ans, il y avait un coup près qui tombait,
27:21qui faisait qu'elle avait au moins deux ans et demi à faire de détention.
27:25Parce que là, franchement...
27:26...
27:30Je me fiche des caméras, je me fiche de la justice,
27:33je veux ma mère dans mes bras, c'est tout ce que je veux.
27:36Maman !
27:37Tu me fais des joies, hein !
27:40C'est rien, c'est rien.
27:42Courage.
27:43On va se le faire, on fait rien.
27:45Musique douce
27:47C'est rien.
27:51Je me souviens qu'après ce verdict,
27:54j'étais totalement déboussolée
27:57et j'ai appelé un confrère, ami,
28:00et il m'a dit, écoute,
28:02je vois pas, il n'y a plus que la grâce.
28:05...
28:09À l'issue du jugement, dix ans de prison,
28:12c'est l'emballement sur les réseaux sociaux.
28:14Le tribunal médiatique transforme le fait divers
28:17en fait de société.
28:19...
28:25L'histoire de Jacqueline résonne en moi
28:27parce que j'ai moi-même subi, pendant six ans,
28:31des violences conjugales avec un conjoint qui m'a fait la totale.
28:36J'ai porté plainte trois fois contre cette personne
28:40et il ne s'est rien passé.
28:42Et moi, j'ai pas eu justice.
28:44Je sais qu'à plusieurs reprises, j'avais qu'une envie,
28:47c'était de le planter.
28:48Je me dis, au moins, il crève, c'est fini, ça arrête, tant pis.
28:52Et le jour du procès, je vais sur Twitter
28:55et là, je découvre qu'elle a été condamnée à dix ans de prison
28:59et ça m'a...
29:01Je sais pas comment dire, rien que d'en parler, j'en ai des frissons.
29:03Je me dis, mais c'est double peine pour elle, en fait.
29:05...
29:08Je considère qu'une victime n'a pas à aller en prison, en fait.
29:11Elle a fait ce qu'elle a pu.
29:13Pour moi, la justice de ce pays a été défaillante.
29:14Elle a pas protégé Jacqueline Sauvage.
29:16Son entourage l'a pas protégée.
29:18Les voisins n'ont pas fait le nécessaire.
29:20Donc, on était vraiment sur une culture de l'omerta,
29:22une culture du silence,
29:23et Jacqueline, en fait, a failli en mourir
29:25puisqu'elle n'a pas été protégée.
29:27...
29:29Là, je me dis, allez, hop, je fais une pétition, on verra bien.
29:32Je demande la grâce présidentielle pour Jacqueline Sauvage.
29:36Il faut absolument qu'elle finisse ses jours libres.
29:40Et le lendemain, je suis contactée par Sarah,
29:45de Change.org.
29:46Elle me dit, votre pétition marche bien.
29:48J'avais fait 10 000, 15 000 signatures en une journée.
29:51Je comprenais pas d'où ça sortait.
29:53Et elle me dit, il y a une pétition
29:54qui a exactement le même intitulé que le vôtre,
29:57qui commence à bien fonctionner aussi.
29:59Est-ce que vous seriez d'accord pour réunir les deux pétitions ?
30:02Et c'est comme ça que j'ai rencontré Karine Plassard.
30:05Karine fait partie de Oser le féminisme.
30:07C'est probablement ça qui a contribué
30:10à diffuser plus largement la pétition.
30:12Change.org a un fichier de 9 millions de Français.
30:15Donc là, il y a énormément de gens qui ont reçu cette pétition.
30:18Il suffisait de cliquer sur oui, êtes-vous d'accord,
30:20pour que cette femme qui a été battue pendant 47 ans sorte de prison.
30:24On clique sur oui.
30:25Et donc, les oui commençaient à monter, monter, monter.
30:28Et on est arrivé assez vite à 50 000, 100 000 signataires,
30:33200 000 signataires.
30:35Et ça a commencé à faire un mouvement incroyable.
30:38Alors, très vite, il y a des comités de soutien qui se forment.
30:42Eva Darlan nous appelle, nous dit qu'est-ce que je peux faire à mon niveau
30:46pour mobiliser des artistes.
30:48J'ai appris la seconde condamnation de Jacqueline Sauvage
30:53par les réseaux, quand j'ai vu cette ignominie.
30:59Mon sang n'a fait qu'un tour.
31:01En la condamnant, ils ont condamné toutes les femmes.
31:04Toutes.
31:06Toutes celles qui osent se lever,
31:08toutes celles qui osent dire non, toutes celles qui osent se défendre.
31:14C'est une catastrophe.
31:15C'est une ignominie.
31:17Je la reconnais comme victime d'une façon animale,
31:22parce que je l'ai vécue.
31:26J'ai vu que cette femme était une victime,
31:29comme ma mère était une victime.
31:31On organise un premier rassemblement sur la place du Châtelet,
31:34où on est très peu.
31:36Il fait un temps exécrable, les gens partent très vite,
31:40et là, on se dit, bon...
31:42OK, c'est pas grave.
31:45Ah oui !
31:48Oh là là, cette première manifestation, c'était pitoyable.
31:52On était, je sais pas, mais on n'était pas 30, non.
31:55On était 30, on était 30, on était 30.
31:58On était, je sais pas, mais on n'était pas 30, non, non, non.
32:02Libérez Mathie ! Libérez Mathie !
32:05Il y a 2-3 personnes qui sont restées,
32:07et c'était des femmes qui avaient été victimes,
32:09et qui avaient besoin de nous raconter leurs histoires,
32:12et...
32:14Et là, je suis sortie de là, j'étais secouée.
32:17Il se passe quelque chose, mais il se passe quelque chose
32:21pas uniquement parce que c'est Jacqueline.
32:24Il se passe quelque chose parce que cette histoire,
32:26elle ne résonne pas que en moi, elle résonne chez beaucoup de personnes.
32:30C'est la volonté de certaines femmes
32:34de dire, ça suffit, quoi.
32:37Faut que ça s'arrête, faut que ça change, faut qu'on sache.
32:43Le tissu féministe est extrêmement relié.
32:45Je parle avec Eva Darlan, je parle avec Karine Plassart,
32:48ce sont mes principales interlocutrices,
32:50et elles m'expliquent, elles me racontent
32:52qu'elles ont fait un premier rassemblement
32:54où il y a eu très peu de monde.
32:55Et puis, il y a cette pétition qu'il faut faire monter,
32:58il faut qu'il y ait des signatures.
33:00Donc, on se dit, tiens, il va y avoir un deuxième rassemblement,
33:03comment on va donner de la visibilité à l'affaire Sauvage ?
33:06Eh bien, en faisant une action 24 heures avant.
33:09Et là, c'est parti, on imagine que des femmes solidaires,
33:12nous, les fémen, on est solidaires de Jacqueline Sauvage,
33:15et on se rend à la prison de Saran,
33:17et on creuse un tunnel contre le mur d'enceinte de la prison de Saran
33:22pour favoriser son évasion.
33:23Libérez Jacqueline
33:25pour le système matrique !
33:27L'épreuve contre-attaque !
33:29Pour le système matrique !
33:31L'épreuve contre-attaque !
33:33C'était merveilleux, quelle idée de génie !
33:36Formidable.
33:38Jacqueline Sauvage,
33:39la première fois qu'elle a entendu parler des fémen,
33:41elle était très choquée qu'on ait son nom sur nos torses,
33:44sur nos seins, elle était très choquée.
33:46Et 24 heures après, quand on se rend Place de la Bastille,
33:50on est impressionnés, il y a du monde, Place de la Bastille,
33:52il y a presque plus de médias que de militants.
33:55C'est gagné, l'affaire Jacqueline Sauvage,
33:57on va en parler, les médias vont s'en emparer.
34:02Et d'un coup, ça a déroulé,
34:04on a été invitées sur toutes les émissions de grande écoute.
34:08Il y a une mobilisation de dingue,
34:10les pétitions, les millions de signatures.
34:12J'ai fait des sujets avec ces femmes, ces féministes,
34:14que j'ai appelées en disant, pourquoi, qu'est-ce qui se passe ?
34:16Elles disent, là, la colère des femmes se lève.
34:19Donc, l'opinion publique a bien conscience de ça.
34:22C'est que les lois ne sont pas adaptées,
34:24les textes ne sont pas adaptés,
34:26dans ce cas précis de violence profonde que subissent ces femmes.
34:30Je ne pensais pas qu'en tant que femme anonyme,
34:32de femme lambda, aller dire, avant, on le mitoute.
34:35Moi aussi, j'ai été frappée par mon mari.
34:37Je ne l'ai pas tuée, mais je comprends qu'elle l'ait fait.
34:40Les politiques ont commencé à bouger.
34:42Je me suis dit, là, on a quelque chose.
34:44Parce que si les politiques sont là, là, ça va bouger.
34:48Et je me suis engouffrée dans cette brèche
34:50et j'ai commencé à leur faire la danse des sept voiles.
34:53Je n'ai pas eu beaucoup de...
34:55Je n'ai pas eu beaucoup de refus.
34:57Donc, il y a un embrasement généralisé de la société
35:00sur le plan politique, sur le plan artistique,
35:03sur le plan militant.
35:07Et là, je me suis dit, il se passe quelque chose.
35:09Mais la grâce, je ne croyais absolument pas.
35:11C'est-à-dire que je voyais les féministes agir,
35:13mais je me souviens d'en avoir discuté avec une d'elles en me disant,
35:16je pense vraiment que la grâce, vous ne l'aurez pas,
35:18parce qu'elle aussi, ça ne se fait plus, quoi.
35:21France Hollande avait dit qu'elle ne se servirait jamais de la grâce
35:25pendant son mandat. Jamais.
35:26Donc, là, on avait fort à faire, quand même.
35:31Les filles de Jacqueline Sauvage
35:33sont totalement légitimes à demander la grâce de leur mère.
35:37On leur demande de rédiger et de signer une demande de grâce.
35:42Indépendamment de cette demande de grâce, on va dire, officielle,
35:47l'Élysée avait reçu des centaines de lettres,
35:50y compris de Brigitte Bardot.
35:53Peu de temps auparavant, il y avait eu l'affaire Trier-Wehler,
35:56où François Hollande s'était séparé de Valérie Trier-Wehler
35:59par un tweet qui avait quand même pas mal choqué les femmes.
36:03Et donc, c'était le moment pour lui de redorer son blason auprès des femmes.
36:07Je pense que l'affaire est tombée au bon moment.
36:09Je savais que c'était un homme de cœur.
36:11Bon, sa vie privée, c'est le bordel, comme toutes les vies privées, quand même.
36:15À nos yeux, il s'est pas très bien comporté,
36:18c'était pas très élégant, ce qu'il a fait, franchement.
36:21Mais il y avait un petit cœur dans cet homme,
36:24un petit cœur qui battait pour les femmes et pour la justice.
36:28Moi-même, quand j'étais enfant,
36:30j'habitais pas loin de Rouen et à côté de chez mes parents,
36:36il y avait eu un fils qui avait tué son père.
36:40Parce que son père battait sa mère
36:43et était d'une extrême violence.
36:46J'ai été marqué, parce qu'il n'est pas un fait divers,
36:49par cette tragédie.
36:53Donc, pour que je revienne sur ma propre position,
36:56qui était de refuser le droit de grâce,
36:58il fallait qu'il y ait une situation qui soit par nature exceptionnelle
37:02ou qui soit symbolique d'une politique.
37:05C'est-à-dire que la grâce ne venait pas d'une politique,
37:08c'est-à-dire que la grâce ne venait pas pour une personne,
37:12elle venait pour une cause.
37:14Pourquoi elle ?
37:16Mais il y a un moment où une femme devient une cause,
37:20sans l'avoir voulue.
37:23C'est ça, le destin de Jacqueline Sauvage.
37:25Rien ne prédisposait Jacqueline Sauvage, sûrement, à tuer son mari.
37:29Mais je pensais surtout que sa libération
37:32était aussi une libération de la parole
37:34et une forme de libération
37:36par rapport à ce qu'était, depuis des années,
37:39le poids des violences faites aux femmes.
37:44Je reçois un appel téléphonique alors que je suis dans un train.
37:48Je décroche et j'entends l'Elysée à l'appareil.
37:54Là, j'ai le cœur qui bat à 200 à l'heure.
37:59On me dit,
38:01« Maître, le président souhaiterait rencontrer vos clientes.
38:04Est-ce que vous pouvez les joindre
38:08pour qu'on puisse se fixer,
38:10en fonction de leur disponibilité,
38:14un rendez-vous ? »
38:16Exceptionnel.
38:21J'ai reçu la famille, enfin, les filles.
38:24Je voulais savoir si, dans cette famille,
38:26il y avait des phénomènes qui pouvaient être partagés,
38:29de violences entre les deux conjoints.
38:32François Hollande a beaucoup écouté, je pense,
38:34l'histoire de cette famille.
38:36Il voulait, je crois, s'assurer du fait
38:39que ce que l'on mettait en avant était véridique
38:42et surtout que ce n'était pas un couple toxique
38:45où la femme aussi était extrêmement dangereuse,
38:48extrêmement violente, etc.
38:50Donc, les filles ont mis en avant le fait
38:52que le père seul exerçait des violences.
38:58Les filles m'ont dit combien cette mère les avait protégées
39:03et qu'elle était finalement victime d'une violence
39:05qui s'adressait aussi aux filles et aux fils
39:09qui, hélas, étaient disparus.
39:11Donc, voilà, elles m'ont donné la confirmation
39:14que la violence n'était pas partagée,
39:16qu'elle était univoque.
39:18Celles qui ont été tant malmenées par la justice,
39:22celles qui ont tellement peu convaincu les jurés,
39:26sont là, ce jour-là,
39:29écoutées avec beaucoup de respect,
39:32avec un regard et une oreille pleine de compassion.
39:36Je me souviendrai toujours de les voir sortir
39:39du rendez-vous avec François Hollande,
39:40les trois filles de Jacqueline Sauvage, avec le sourire.
39:42Je crois que je ne les avais jamais vues sourire.
39:45Lorsque nous sortons de l'entretien avec François Hollande,
39:48oui, sincèrement,
39:51nous avons confiance.
39:52Nous avons confiance en lui.
39:56J'ai un appel téléphonique,
39:58le service de communication du président,
40:01et tout d'un coup, sans que je m'y attende,
40:04il me dit, « Maître, je vous passe le président. »
40:07Le président me dit textuellement,
40:10« Maître, nous allons faire quelque chose pour votre cliente. »
40:14Il m'explique qu'il ne peut pas aller jusqu'à la grâce totale,
40:18qu'il va faire un geste
40:20et qu'il, finalement, va lever le verrou de la peine de sûreté
40:26et qu'il va accorder donc une grâce partielle à notre cliente.
40:31Il n'était pas question pour moi d'infliger à la justice un camouflet.
40:35Je voulais que la justice toute entière prenne conscience
40:39de cette gravité des féminicides et des violences faites aux femmes.
40:43J'ai donc souhaité une grâce partielle
40:46pour qu'il y ait une condamnation.
40:49Il y avait eu meurtre, il était nécessaire qu'il y ait une condamnation,
40:51mais qu'il n'y ait pas la peine de prison.
40:56Jacqueline Sauvage n'avait rien à faire en prison,
40:58d'abord parce qu'elle ne menaçait pas la société,
41:01et en plus, parce qu'elle était une victime.
41:03La grâce présidentielle partielle,
41:06qui est intervenue dans des temps records.
41:09Quelques semaines après la condamnation du 3 décembre 2015 de Mme Sauvage,
41:14cette grâce partielle permet de contourner la difficulté
41:18de la peine de sûreté obligatoire,
41:20qui faisait que Mme Sauvage aurait dû rester en prison un certain temps
41:23avant de pouvoir solliciter un aménagement de peine.
41:26On n'a pas besoin d'attendre les cinq ans obligatoires,
41:29c'est-à-dire la mi-peine,
41:30pour demander une libération conditionnelle.
41:33On peut d'ores et déjà la demander.
41:36Pour qu'elle soit accordée, ça ne se fait pas immédiatement.
41:40Il faut une commission,
41:41une commission qui est composée d'experts,
41:43experts psychiatres, experts psychologues,
41:45qui vont donc avoir des entretiens avec Jacqueline
41:49pour évaluer sa dangerosité ou pas,
41:52savoir si c'est possible qu'elle puisse sortir.
41:59– François Hollande accorde une grâce partielle à Jacqueline Sauvage.
42:03Alain, quelle est l'origine de ce pouvoir ?
42:05– La grâce, c'est ce qu'on appelle un droit régalien
42:07qui permet une suppression ou une réduction de la sanction pénale
42:11et qui est accordée par le chef de l'État.
42:13Historiquement, ça appartenait au roi de France.
42:16Les lettres de justice, en particulier les lettres de rémission,
42:20étaient utilisées par le roi pour arrêter une procédure de justice
42:23ou pardonner une condamnation, c'était un acte extrêmement politique.
42:26Elles sont apparues sous le règne de Philippe VI de Valois,
42:29d'abord réservées aux nobles,
42:31puis élargies grâce à Jean II le Bon à l'ensemble de la population.
42:36À ce jour, la grâce présidentielle est fondée
42:38sur l'article 17 de la Constitution
42:40et depuis 2008, elle ne peut être qu'individuelle.
42:44La condamnation reste néanmoins inscrite au casier judiciaire,
42:47ce qui est très différent de la procédure d'amnistie où elle est effacée.
42:51– Alors, question, cette grâce partielle va-t-elle permettre
42:55à Jacqueline Sauvage de sortir immédiatement de prison ?
43:02– La justice va dire non deux fois devant le tribunal d'application des peines
43:07et ensuite devant la cour d'appel.
43:11Ils ont pris le prétexte fallacieux
43:16de son absence de remise en cause s'agissant de la gravité des faits
43:23en estimant qu'elle n'avait pas eu le temps,
43:27concrètement parlant, de rendre conscience de cette gravité.
43:33– La raison pour laquelle sa libération a été refusée est toujours la même,
43:36c'est-à-dire Jacqueline Sauvage ne se considère pas comme coupable.
43:39Jacqueline Sauvage se considère comme une victime, pas une coupable,
43:42d'autant moins que la France quasi entière
43:46est en train de la considérer comme une victime,
43:48donc c'est encore plus difficile pour elle de dire
43:50mais non, je suis coupable, j'ai tué mon mari.
43:52– Et donc on a réclamé la grâce totale,
43:54et donc là on l'a mis, lui président, face à ses responsabilités.
43:58François Hollande, tu lui donnes la grâce totale,
44:01tu y vas, tu fonces, tu fais preuve un peu d'un courage politique.
44:05– Lorsque le 12 août, je me souviens de la date,
44:07parce que c'est mon anniversaire,
44:09donc lorsque le 12 août j'apprends que Jacqueline Sauvage
44:13n'a pas été remise en liberté,
44:15à ce moment-là, j'ai considéré que c'était infliger encore
44:19une autre violence à Jacqueline Sauvage,
44:24de la laisser en détention.
44:25Et à la fin de l'année 2016, j'ai grâcié Jacqueline Sauvage.
44:31Et c'est là qu'on voit l'effet d'une grâce,
44:34c'est-à-dire le moment où je signe le texte,
44:38le décret de grâce, dans l'heure qui suit, elle est libre.
44:41La grâce est tombée quelques jours après qu'il ait annoncé
44:45qu'il ne se représenterait pas quand même.
44:48Il n'avait plus rien à perdre.
44:50Quelle merveille !
44:52On a pleuré, mon Dieu, comme on a pleuré.
44:54On n'était pas les seuls à pleurer.
44:56Il y avait les filles, il y avait tout le monde, quoi.
44:59– Ça a été un endroit, regardez, j'en ai les frissons,
45:03ça a été un endroit de bonheur,
45:06je me suis assise sur mon lit, je me suis mise à pleurer,
45:08mais de joie, et de me dire que réellement,
45:11on est extrêmement puissante.
45:13– C'était le bonheur, total, total, un moment de grâce, on va dire.
45:19– Moi, c'est ça qui m'a un peu choqué quand même,
45:24c'est que finalement, une décision de justice qui a été prise
45:27avec toutes les garanties qu'offre notre État de droit,
45:31c'est une décision de justice qui a été prise
45:34avec toutes les garanties qu'offre notre État de droit,
45:38a été quand même fouine, a été mise de côté,
45:42pour dire, les juges, ils n'ont rien compris,
45:44et nous, réseaux sociaux, nous, ceci, cela, nous, avec ma pancarte,
45:48moi, je sais ce que c'est que l'affaire Jacqueline Sauvage,
45:51je vais vous dire ce qu'aurait dû dire, ou faire, ou décider à justice.
45:54– C'est ça la grâce, la grâce, c'est de mettre la politique au-dessus du droit.
45:59C'est pour ça que ça ne peut être qu'exceptionnel.
46:02– Après sa sortie de prison, elle est retournée vivre dans la maison,
46:06ce qui est quelque chose de très surprenant,
46:08ça se passe rarement, quand il y a eu un meurtre dans une maison,
46:11en général, les gens la vendent.
46:13– Et quand elle est sortie, elle a voulu nous remercier,
46:18je veux dire, d'une façon très gentille.
46:20Elle a organisé un dîner, un banquet, pour nous, à la campagne.
46:28J'étais assise à côté d'elle et je lui ai dit, maintenant, on va boire un coup.
46:31On s'est pris des mojitos, je lui ai dit, tu ne connais pas les mojitos, tu vas voir.
46:35Voilà, c'était comme ça, c'était simple, c'était gai, c'était paisible.
46:42Elle n'était pas du tout, du tout, du tout, du tout,
46:44faite pour être une héroïne, pas du tout.
46:48– Jacqueline Sauvage, quelque part, elle a été spectatrice de sa propre histoire.
46:54Ce n'est pas elle qui a orchestré tout ça, du tout.
46:59Cette affaire, elle a permis une libération d'une parole.
47:01Et pour moi, elle a été vraiment, vraiment les prémices de Me Too.
47:05Quand Me Too est arrivé, j'ai dit, Jacqueline Sauvage,
47:07c'était le frémissement avant Me Too.
47:08C'était là, c'était prêt à sortir.
47:10– Je pense que ça a été un détonateur pour beaucoup de femmes,
47:13en tout cas, je l'espère, de se dire, il faut que j'arrête de me taire.
47:19– C'est formidable quand un procès, une affaire criminelle,
47:22qui au départ est quand même une affaire sordide, une affaire triste,
47:26devient quelque chose qui fait avancer la société.
47:28Et je pense que cette affaire a fait avancer l'opinion et la société
47:31sur la question des violences faites aux femmes, oui.
47:38– Trois ans et demi après sa libération,
47:40Jacqueline Sauvage meurt dans son sommeil le 23 juillet 2020.
47:44Elle avait 72 ans.

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