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Interview ou reportage d'une émission cinéma produite par CANAL+ autour d'un film disponible sur CANAL+ ou sortant en salles, un événement ou une actualité du 7ème Art
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Transcription
00:00Gilles Lelouch, bonjour. Je suis ravie de vous recevoir.
00:02Alors, on se voit souvent, souvent en tant qu'acteur.
00:04Là, c'est la troisième fois qu'on se voit en tant que réalisateur.
00:07Ce mot réalisateur, il représente quoi pour vous ?
00:10Est-ce qu'on s'y fait, d'ailleurs, au fait d'être un réalisateur ?
00:13Je ne sais pas si on s'y fait, mais on s'y habitue en tout cas.
00:17En tout cas, moi, je m'y habitue de plus en plus parce que je prends beaucoup,
00:19beaucoup, beaucoup de plaisir à réaliser des films,
00:22pas simplement pour le tournage, mais aussi pour tout ce que ça représente
00:25d'imaginaire avant.
00:28L'écriture prend une grande place dans ma vie.
00:30Quand je commence l'écriture d'un film, en fait, c'est quelque chose qui n'est pas anecdotique.
00:33Pour moi, réaliser un film, ce n'est pas une lubie, ce n'est pas une coquetterie,
00:36ce n'est pas un truc en plus, l'acteur qui veut se faire des frissons.
00:39C'est vraiment une part de moi, c'est vraiment une tranche de vie.
00:41La preuve, c'est que j'ai mis 15 ans avant de faire un film entre mon premier et le deuxième.
00:45Et là, 6 ans, donc je ne suis quand même pas très rapidement rouleux.
00:48C'est quand même assez inouï et assez fou d'imaginer qu'on peut avoir des rêves,
00:53d'écrire tout seul dans sa cuisine à 3 heures du matin,
00:55et que tout d'un coup, il va y avoir 100 personnes autour de vous pour concrétiser ce rêve
00:58et le rendre possible, c'est quand même pas mal.
01:00Le rendre possible et le rendre formidable, parce que ce film, il porte bien son nom,
01:05il est assez ouf, il est démesuré, il est fait avec énormément d'amour et de respect pour le cinéma.
01:10Mais il faut être un peu fou pour se lancer dans un projet comme celui-là,
01:13sur le papier, c'est tellement riche, il y a tellement de choses dedans.
01:15Oui, alors en fait, en même temps, il m'habite depuis tellement longtemps.
01:18C'est Benoît Poulevard qui m'a offert un bouquin il y a 17 ans maintenant,
01:21toujours à cette même cadence.
01:23Et je suis tombé fois amoureux de ce récit, mais quand j'ai commencé à l'adapter,
01:27je me suis rendu compte que non seulement je n'avais pas les épaules,
01:29mais je n'aurais pas eu les moyens pour le faire.
01:31J'avais une vision assez, comme vous l'avez dit, grandiloquente, démesurée.
01:36J'avais envie de faire une fresque, un truc extrêmement large,
01:39comme une ode à l'amour au cinéma, à l'insouciance, aux premières fois, à l'adolescence.
01:45Et je me suis rendu compte que vraiment, ce n'était pas le bon moment.
01:48Quand Le Grand Bain a eu le succès qu'on lui connaît et que je n'attendais pas,
01:51à ce point-là en tout cas, je me suis dit que c'était le moment ou jamais
01:54de me plonger à nouveau dans ce film qui m'habitait vraiment,
01:57très sincèrement, de façon très tenace.
02:00J'avais des images, j'avais des idées, j'avais même des plans dans la tête.
02:04Et je suis ravi que 17 ans après, j'ai eu la fidélité à mon propre choix,
02:08on va dire, pour les transformer.
02:10Mais c'est ce que j'allais dire, ça ne m'étonne pas,
02:12parce que quand on regarde le film, alors on pense en plus à tous les genres de cinéma.
02:15Il y a du polar, il y a de la comédie musicale, il y a de la comédie romantique,
02:19il y a de l'action, on sent effectivement cet énorme appétit de cinéma,
02:22que vous avez surtout.
02:24Oui, et puis c'est un truc auquel je tiens particulièrement,
02:27c'est le mélange des genres.
02:29J'avais envie de faire un truc...
02:31Un truc fou.
02:33Oui, j'avais envie de faire un truc fou et puis j'avais envie de pousser les curseurs
02:36de tout, c'est-à-dire de mon romantisme peut-être un peu naïf,
02:39mais d'y aller à fond.
02:41J'avais envie de coucher de soleil, j'avais envie de turbo-violence
02:44et de jaillissement de sang.
02:46En fait, j'avais envie de faire du cinéma.
02:48J'avais envie de faire un film pour le cinéma.
02:50Il y a une fureur de vivre aussi dans ce film-là.
02:53Oui, mais presque de rage de vivre en fait.
02:55Comme des battements de cœur incessants et très forts.
02:58C'était aussi un hommage à l'adolescence, aux premières fois,
03:01au bouleversement qu'est le choc amoureux quand on a 16 ans
03:04et qu'on n'en a pas connu avant.
03:06C'est dire on est ultra amoureux, comme on est ultra malheureux,
03:09comme tout est nouveau, comme tout est neuf,
03:11comme tout est une première fois.
03:13C'est des ascenseurs émotionnels que, hélas, on perd un peu avec le temps.
03:16Qu'est-ce qu'il y a de vous alors dans ce film ?
03:18Un peu de tout. Il y a mon goût déjà, pour la musique.
03:21Ah oui, ça, on va en parler.
03:23Il y a mon goût pour la rêverie adolescente, pour la fantaisie, pour le fantasme.
03:26Je me souviens que quand j'étais adolescent,
03:28j'écoutais de la musique sur mon Walkman,
03:30qui est un vieux mot que je ne reconnais pas.
03:32Ah, j'ai connu.
03:34J'écoutais de la musique le soir en réinventant mes journées,
03:36en les sublimant probablement.
03:38Ou alors je comptais les carreaux de la fenêtre
03:41et je me disais, tiens, si mon amoureuse,
03:43si les lettres de son prénom correspondent aux carreaux de la fenêtre,
03:45c'est qu'elle m'aime. Complètement crétin.
03:47Mais des histoires de petites croyances,
03:49de petites religions qu'on se fait avec soi-même,
03:52et de petites rêveries qu'on a.
03:54C'est pour ça, par exemple, que je fais battre un chewing-gum.
03:57C'est ce que j'allais dire. Est-ce que vous portiez les chewing-gums de vos amoureuses ?
04:00Il y a une phrase du film qui dit « bien, c'est pas suffisant ».
04:03Elle vous va bien, cette phrase ?
04:05Oui, je ne sais pas.
04:07Mais en tout cas, c'est un peu une utopie aussi.
04:09C'est un rêve, mais j'imagine que la passion amoureuse,
04:12elle ne souffre pas du banal, du médiocre ou de l'à-peu-près, en fait.
04:15On peut aussi être en couple juste pour se rassurer,
04:17mais ça, c'est presque de l'ego et pas de l'amour.
04:19Je pense que quand on est vraiment, vraiment fou amoureux,
04:22c'est un jaillissement absolument incontrôlable.
04:24Donc bien, c'est pas suffisant.
04:40« All I close my eyes, and I wonder why, I don't despise.
04:51Now all I think of you. Love what this world. »
04:58C'est un film complètement ouf, démesuré, avec un casting ouf, forcément.
05:02Comment vous l'avez construit ce casting ?
05:04C'est pas évident, déjà, vous deviez former non pas un duo de cinéma,
05:07mais deux, je vais au cinéma.
05:09En fait, ça s'est passé au fur et à mesure.
05:11Evidemment, comme j'ai mis 17 ans à faire ce film,
05:13j'ai eu plusieurs options.
05:15J'ai eu plusieurs options dans ma tête.
05:17Mais assez naturellement,
05:19quand j'ai vraiment commencé
05:21à rendre ce projet concret en écriture,
05:23je me suis retrouvé à tourner Bac Nord,
05:25de Cyril Giménez, et dans Bac Nord, il y avait une scène
05:27que je jouais en commun
05:29avec Cary Bleuclou, François et Adèle.
05:31Et quand j'ai vu François et Adèle
05:33en face à face se regarder, je me suis dit
05:35« Ah, il y a quand même une belle magie qui s'opère. »
05:37Je les trouvais évidemment très beaux, mais pas qu'eux.
05:39Je trouvais qu'il y avait une vraie alchimie
05:41entre eux. En ce qui concerne Malory et Malik,
05:43c'était un casting. J'ai vu plein, plein,
05:45plein de jeunes, et eux ont vraiment
05:47émergé, ils sont sortis du lot.
05:49Ils avaient une fougue, un plaisir à être là,
05:51une envie à faire du cinéma qui était incontournable.
05:53Et en plus, il y avait une correspondance
05:55assez évidente physiquement entre les quatre.
05:57Et le reste du casting,
05:59évidemment, ça fait depuis que j'ai 20 ans
06:01que je rêve de tourner avec Alain Chabat
06:03ou avec Benoît Poulouard, mais ça, c'était déjà fait.
06:05Mais ça se fera encore et toujours,
06:07tellement je l'aime. Et puis,
06:09des gens comme Vincent Lacoste
06:11ou Jean-Pascal Zaddy, avec qui j'ai fait le film de Quentin Ducieux.
06:13J'ai beaucoup de plaisir
06:15à réaliser des films aussi
06:17parce que j'ai beaucoup de plaisir à être au milieu
06:19de gens que j'aime,
06:21dans lesquels je me sens bien.
06:23La vie ne nous offre pas toujours des endroits
06:25d'épanouissement. On se sent
06:27totalement libre et soi-même.
06:29Forcément, Adèle et François, c'est un duo qui fait
06:31énormément parler, avec cette alchimie
06:33visuelle et palpable à l'écran.
06:35Est-ce que vous en êtes fier, Gilles ?
06:37Oui, je suis très fier de ce duo.
06:39Tout ça participe à un élan de bonheur et d'amour
06:41qui, évidemment, me réjouit,
06:43comme ça m'a réjoui de voir
06:45mes actrices et mes acteurs heureux sur le plateau.
06:47Mais faire un film, c'est
06:49essayer d'organiser un dîner chez soi.
06:51Quand on organise un dîner chez soi,
06:53qu'on invite les gens dans notre maison, c'est pour qu'ils soient heureux,
06:55a priori, et c'est pour bien les recevoir.
06:57C'est un peu la moindre dépolitesse.
06:59Quand les gens sont sur mes films,
07:01je fais en sorte que ce soit les plus heureux du monde.
07:03Je déteste la contrainte.
07:05Je déteste l'esthétique de la douleur.
07:07Je ne crois pas qu'on puisse manipuler les acteurs.
07:09En tout cas, je n'y crois pas, moi.
07:11Je n'aime pas du tout les gens autoritaires
07:13et les petits chefs, ça ne m'intéresse pas trop.
07:15Vous leur proposez un tournage heureux.
07:17J'essaye.
07:29Tu pleures ?
07:31Non.
07:33C'est le soleil.
07:39Tu pleures ?
07:41Non, c'est le soleil de merde qui me...
07:47On se casse ?
07:49On se casse ?
07:59Le personnage de Jackie joué par Adèle
08:01dit dans le film, à un moment donné,
08:03penser à toi, c'était m'inquiéter pour toi.
08:05Est-ce que l'amour fait nécessairement mal ?
08:07À un endroit, elle écorche forcément
08:09un tout petit peu, hélas.
08:11Mais il n'y a pas davantage sans inconvénients.
08:13Il y a aussi pas mal de violence dans le film.
08:15On le disait tout à l'heure, mais en même temps,
08:17ce n'est jamais gratuit. Ce n'est pas simple à faire,
08:19ce dosage.
08:21C'est une violence que je voulais un peu
08:23à tous les endroits. Ce qui m'intéressait
08:25à l'intérieur de ce film, c'était de faire
08:27encore une fois une espèce de candeur,
08:29de naïveté dans les sentiments,
08:31de gestes très lâchés,
08:33mais aussi contredit par
08:35l'extrême violence de leur vie sociale,
08:37de leur rapport à leurs parents,
08:39de l'abandon de certains, du déterminisme,
08:41de l'aide des classes. Il y a beaucoup de choses
08:43qui rentrent en ligne de compte et qui sont des violences,
08:45si elles ne sont pas physiques, elles sont psychologiques.
08:47Je voulais pousser ce bouchon-là,
08:49encore une fois, dans le rouge,
08:51dans le bleu, et avoir des couleurs
08:53qui soient primaires, mais très fortes.
08:55Il y a une notion aussi de choix
08:57tout au long du film. Le personnage de Clotaire,
08:59il fait toujours les mauvais choix.
09:01Oui, et il fait les mauvais choix même
09:03quand il pense faire les bons. C'est-à-dire qu'hélas,
09:05parfois, on s'auto-détermine,
09:07on s'auto-persuade,
09:09on se donne force de convictions
09:11et d'arguments, mais qui nous mènent dans le mur.
09:13Mais on est persuadé de sa bonne foi,
09:15on est persuadé de faire le bon choix.
09:17C'est ce que je voulais raconter aussi.
09:19C'est la magie, ou le cauchemar
09:21de nos destinées, en fait.
09:23Gauche, droite, bleu, centre, haut, bas.
09:25Quand on est acteur et réalisateur,
09:27on connaît bien l'importance du choix,
09:29n'est-ce pas ?
09:31Vous en parliez tout à l'heure, mais il faut maintenant
09:33qu'on parle de la bande-son du film, qui est absolument démente.
09:35C'est vraiment la compilation rêvée
09:37pour toutes les personnes qui ont grandi dans les années 80-90.
09:39D'ailleurs, j'aimerais bien la voir,
09:41cette bande-son. Comment est-ce que vous avez choisi
09:43tous ces tubes ? En fait, il y en a certains
09:45qui trottaient dans ma tête depuis
09:47les 17 années dont on a parlé.
09:49Autant j'avais des images et des plans en tête,
09:51elles étaient accompagnées de ces musiques-là.
09:53J'entends par la Cure ou Billy Idol, etc.
10:13La musique au cinéma est quelque chose qui me plaît énormément,
10:15que je ne saurais dissocier, et même j'écris en musique.
10:17Donc parfois, pour écrire des dialogues,
10:19si je trouve un morceau qui correspond à l'état
10:21émotionnel des personnages,
10:23je peux l'écouter en boucle, 40 fois, 45 fois,
10:25comme un psychopathe.
10:27Mais en fait, la musique, c'est vraiment
10:29une part entière du film. C'est presque un quatrième personnage.
10:31Et c'était très déterminant dans ma tête
10:33depuis le début.

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