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Caroline Hinault, écrivaine, nous présente son roman "Traverser les forêts" dans le cadre de la troisième édition du festival « Le temps de l’arbre » de Quimper, à l'invitation de la médiathèque Alain-Gérard, le samedi 5 octobre,

« Aujourd’hui, en Europe, Bialowieza est la dernière forêt primaire. Elle se trouve en Pologne et est menacée par un mur barbelé de 187 km de long pour 5 m de haut, à la frontière biélorusse. Une barrière mortelle pour les animaux qui tentent de la traverser et qui met en péril la migration de certaines espèces. »

C’est dans cette forêt que l’écrivaine Caroline Hinault fait évoluer ses trois personnages féminins de son deuxième roman « Traverser les forêts » : « Véra une journaliste biélorusse contrainte à l’exil, Nina revenue s’installer dans la ferme familiale forestière et Alma qui tente de franchir la frontière ».

Caroline Hinault, enseignante et écrivaine à Rennes, a reçu le Prix Bretagne 2024 pour ce roman.

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Transcription
00:00Et donc Caroline, rapidement un petit peu ton portrait, tu es née en 1981 à Saint-Mrieux.
00:17Aujourd'hui tu es agrégée de lettres modernes et tu es professeur de lettres.
00:25Et donc aujourd'hui on te reçoit pour ton troisième lit, puisque le premier c'était quand même plus, je ne l'ai absolument pas du tout lu,
00:36mais plus un essai autour de la natalité.
00:39Alors ce n'était pas le premier, en fait j'ai écrit deux romans et un récit-essai.
00:43Le premier livre que j'ai publié aux éditions d'Urwerk, c'est un roman qui s'intitule Solak.
00:48Et le deuxième livre que j'ai publié, c'est effectivement un genre un peu hybride, parce que c'est entre le récit et l'essai,
00:55sur la question, c'est un texte féministe sur la question du corps, de la grossesse, voilà.
01:02Et puisque tu parlais de Solak, je disais donc, Traverser les forêts, tu as eu Prix Bretagne,
01:09mais à travers Solak, tu as aussi eu 8 Prix littéraires, le Prix Michel-Lebrun, le Prix Trophée, le Prix Marie-Claire Blais.
01:22Et donc, vraisemblablement, du coup, ta plume porte.
01:29Oui, il faut croire. Alors ça, ce n'est pas moi de le dire, mais oui, Solak a eu beaucoup de récompenses, c'est très chouette.
01:38Et en source d'inspiration, mais ça très certainement, Régine, tu auras l'occasion de le redire un peu plus tard,
01:44mais en source d'inspiration à Traverser les forêts, nous, ce qu'on a pu voir, c'est que tu étais et à la fois bercée par la musique,
01:54comme à travers le personnage d'Anne-Marie, dans lequel Nina Simone est rattachée,
02:00et également la chanteuse Beyoncé à travers le personnage de Nina, mais bien sûr, Jean Hallouy aussi, Antigone, Sophoque, Francis Hallé,
02:13du côté de la forêt, je pense que c'est pour toi une grande source d'inspiration, mais également, et pas qu'un petit peu, vraiment beaucoup, Dante.
02:23Oui, alors c'est vrai que là, ça fait un peu hétéroclite, toutes les inspirations.
02:26On commence peut-être pas par le plus simple, je sais pas, de vous parler des inspirations, de ce qui traverse le texte, pour le coup.
02:32Peut-être la musique, on en parlera un peu plus tard, parce que je crois que vous voulez évoquer les personnages.
02:36La musique, elle est liée, on va dire, à la psychologie des personnages.
02:40Mais effectivement, peut-être le plus grand fil conducteur du texte, d'un point de vue poétique, d'écriture, c'est Dante.
02:47Quand je dis Dante, souvent, ça fait un peu peur, parce que tout le monde a vaguement entendu parler de Dante, de la divine comédie,
02:53l'enfer, le purgatoire, le paradis.
02:56Peu de gens l'ont vraiment lu, parce que c'est un texte qui fait peur.
02:59C'est quand même un texte, bon, traduit de l'italien, mais du Moyen-Âge.
03:03Mais on sait que c'est un texte patrimonial, pour le coup, qui a vraiment, comment dire, infusé notre imaginaire.
03:11Et moi, c'était cette dimension-là qui m'intéressait dans le texte de Dante.
03:14C'est comment il nous a donné des espèces de catégories de pensée.
03:18Immédiatement, si je vous dis l'enfer, le purgatoire, le paradis, ça vous évoque des choses.
03:22Ça vous évoque des tableaux, ça vous évoque des représentations visuelles, poétiques, personnelles ou religieuses.
03:29Et donc, ça a été un fil conducteur dans cette forêt, justement, obscure, très complexe, avec des strates multiples.
03:37Et il me fallait une porte d'entrée littéraire, parce que moi, c'est d'abord ça qui me porte.
03:42C'est vraiment d'abord la littérature.
03:44Et donc, Dante a été une sorte de guide, parce que la figure du guide en forêt est très importante.
03:50Et elle est très importante dans le livre « Qui guide qui ? »
03:53Quel guide cherchons-nous dans la vie, dans l'existence, pour nous orienter, nous réorienter ?
03:57Donc, oui, Dante, d'abord.
04:00Et peut-être aussi, vous parliez de Francis Salé.
04:03Enfin, j'imagine qu'on va en reparler, mais effectivement, se lancer dans un texte sur la forêt.
04:08Enfin, une des dernières forêts primaires d'Europe, et peut-être la plus connue de Bialowieża.
04:12Pardon pour la prononciation, si ce n'est pas exactement ça, s'il y a des spécialistes dans la salle.
04:17Mais effectivement, c'est un peu impressionnant.
04:20Alors, je dis tout de suite, comme ça, peut-être l'action sera posée, je n'y suis pas allée.
04:23Donc, ça peut paraître étonnant d'écrire sur une forêt qu'on ne connaît pas.
04:27Mais pour moi, ça a été une plus grande liberté.
04:31Dans mon premier roman, j'ai écrit « Sola », qui se passe au nord du cercle polaire arctique, sur la banquise.
04:36Et même chose, je n'y suis pas allée.
04:39Donc, j'adore être complètement illégitime dans ce que je fais.
04:43C'est-à-dire que ce qui m'intéresse, c'est vraiment de l'exploration poétique du territoire.
04:48Donc, je me renseigne beaucoup, je me documente beaucoup.
04:51Mais ce n'est pas un livre de naturaliste, ni « Sola » que ni celui-ci.
04:55J'essaie de ne pas dire de bêtises.
04:57En revanche, j'essaie de vraiment transmettre la réalité botanique, naturaliste du lieu.
05:01Mais pour moi, l'enjeu est un peu ailleurs.
05:04C'est-à-dire que si on peut parler de cet aspect-là, c'est bien.
05:06Mais il n'y a pas que ça dans le livre.
05:08Sinon, on lit justement un livre de Francis Hallé, ce qui est très bien aussi, évidemment.
05:12Donc moi, je l'ai beaucoup lu, beaucoup écouté.
05:14Parce que c'est le grand spécialiste en France de la forêt primaire.
05:17Et qu'il a ce projet de recréer une forêt primaire, etc.
05:20Mais j'avais beaucoup lu aussi des ouvrages sur l'arbre.
05:25Vous parliez de l'arbre tout à l'heure.
05:27Et j'étais au tout début de l'écriture, je voulais écrire là-dessus.
05:30Je ne savais pas par quel prisme.
05:32Mais je me disais, quand même, il faut écrire sur les arbres.
05:35Il y a beaucoup de traités, beaucoup d'essais sur l'arbre,
05:39à l'heure de l'urgence écologique, du réchauffement climatique, etc.
05:43Mais le roman, c'est difficile.
05:46Un roman sur des arbres.
05:48Là, il y avait un vrai challenge pour l'écriture.
05:51Comment faire des arbres, des personnages à part entière,
05:54donc du vivant non humain, l'ériger au rang de personnage.
05:59Ça, ça a été un autre défi dans l'écriture,
06:02de donner une place entière, comme la banquise dans Solac,
06:06à cet organisme vivant dont nous dépendons.
06:09On l'oublie un petit peu trop.
06:11Et en faire quelque chose avec la force de la littérature.
06:15Comment l'écriture peut faire ressentir d'une manière différente qu'un essai.
06:20L'essai, ça s'adresse davantage au rationnel à la part de nous.
06:24Et tant mieux, à la part de la pensée.
06:27Mais le roman, ça a aussi cet intérêt formidable
06:32de nous faire ressentir les choses, de nous faire tressaillir.
06:35J'avais envie d'essayer dans ce livre
06:38de donner cette place aux arbres, à la forêt,
06:42à côté de personnages humains.
06:44Mais que ce soit pas, vous avez employé le mot tout à l'heure, un décor.
06:47Ça, vraiment, j'espère que ce n'est pas un décor.
06:50Vraiment pas.
06:51C'est un acteur à part entière.
06:53Une actrice, cette forêt, plutôt.
06:57Complètement.
06:58Avant d'aller un peu plus loin, bien entendu, par rapport à ton deuxième roman.
07:03Comme tu l'as dit, Solak, l'inspiration également des grands espaces
07:08et de la nature au sens large,
07:10sur un huis clos qui se déroule avec quatre hommes
07:14dans l'Arctique.
07:16La découverte de cet environnement est masculin.
07:19Et puis, le grand espace, du bois.
07:24Éventuellement, pour les participants qui ne connaissent pas encore ton livre,
07:31en quelques mots, Traverser les forêts,
07:34je te laisse me présenter.
07:36Alors, en quelques mots.
07:38Je me suis déjà prêté à l'exercice tout à l'heure.
07:40Ce n'est pas si facile.
07:42Il s'agit de trois femmes.
07:44Il y a trois personnages humains, pour le coup.
07:47Alma, Nina et Vera.
07:49Ces trois femmes ont trois âges et trois nationalités différentes.
07:53Alma, on comprend que c'est une jeune Syrienne, environ 18 ans,
07:57qui est une réfugiée qui demande l'asile en Europe
08:00et qui traverse cette forêt.
08:02On va voir pourquoi.
08:04Le deuxième personnage s'appelle Nina.
08:06Elle a une quarantaine d'années.
08:08Elle est polonaise.
08:09Elle a toujours vécu là, au village de Bialowieja.
08:12Elle est divorcée.
08:14Elle élève seule son fils.
08:16Elle vit dans une maison
08:18qu'elle a héritée de ses parents.
08:20Elle est assez pauvre.
08:22Elle vivote.
08:24Cette maison forestière est à la lisière
08:26de cette forêt primaire.
08:28La forêt primaire, il y a le parc national
08:30qui est un parc protégé.
08:32Mais il y a toute une partie de la forêt primaire
08:34qui est...
08:36Il y a des maisons isolées.
08:38Il y a des petits hameaux, etc.
08:40Elle n'est pas dans le parc national, évidemment.
08:42Elle vit dans une de ces parties de la forêt primaire.
08:44Le troisième personnage s'appelle Vera.
08:46C'est une femme d'une cinquantaine d'années
08:48qui est biélorusse
08:50qui est une journaliste en exil.
08:52Je me suis beaucoup inspirée
08:54de la réalité, évidemment.
08:56Les journalistes biélorusses
08:58vivent tous en dehors
09:00de la Biélorussie.
09:02Les journalistes indépendants, persécutés
09:04par le régime de Loukachenko
09:06qui est extrêmement autoritaire
09:08et qui, de toute manière, impose sa ligne.
09:10Les journalistes vivent en exil.
09:12J'ai imaginé ce personnage de Vera
09:14qui a lutté toute sa vie
09:16pour essayer de maintenir
09:18une information indépendante
09:20et fiable et qui, finalement,
09:22à ce moment-là de sa vie, doit quitter la Biélorussie.
09:24Au lieu d'aller à Varsovie,
09:26comme c'est le cas pour beaucoup de journalistes biélorusses,
09:28elle va choisir
09:30– c'est pour les besoins de la fiction –
09:32d'aller s'isoler pendant quelques mois
09:34par le biais d'une ONG
09:36dans une espèce de cabane forestière
09:38dans cette forêt.
09:40Elle a besoin de faire le point,
09:42de trouver une respiration, un souffle,
09:44une clairière dans sa vie.
09:46Elle est à un moment un peu
09:48de burnout professionnel, existentiel.
09:52Je dois ajouter pour ce personnage
09:54qu'elle se pose la question d'écrire.
09:56Il y a aussi la question du langage à travers elle.
09:58Trois femmes
10:00qui sont dans des situations très différentes.
10:02L'idée, c'est que le quatrième personnage,
10:04c'est cette forêt
10:06qui est extraordinaire parce qu'elle est
10:08tellement protéiforme,
10:10elle est tellement…
10:12Dans ma tête, quand j'écrivais,
10:14je la voyais comme une espèce de polygone
10:16qu'on peut retourner sous tous les angles
10:18et qui n'en finit jamais de vous surprendre.
10:20C'est-à-dire qu'elle a toutes ses facettes
10:22à la fois majestueuses,
10:24qui nous dépassent totalement.
10:26Une forêt primaire,
10:28c'est quand même une forêt en libre évolution
10:30qui se passe très bien des hommes,
10:32puisqu'il n'y a pas eu d'intervention humaine
10:34depuis des millénaires,
10:36c'est une situation qui nous dépasse complètement.
10:38Et donc,
10:40qui est un sanctuaire de biodiversité,
10:42un puits de carbone.
10:44Il y a ce côté fascinant du lieu,
10:46magnifique aussi d'un point de vue esthétique.
10:48Et puis, il y a
10:50les enjeux géopolitiques qui traversent ce lieu.
10:52Et les enjeux géopolitiques,
10:54actuellement, à l'heure où nous parlons,
10:56sont encore très prégnants,
10:58puisque c'est à la frontière entre la Biélorussie
11:00et la Pologne.
11:02Et au moment où je me suis mise à écrire,
11:04la Biélorussie venait
11:06d'affrêter,
11:08de promettre à des réfugiés
11:10des passeports pour l'Europe,
11:12et à affrêter des avions,
11:14avec l'appui de la Russie.
11:16C'était à l'automne 2021, vous vous en rappelez peut-être,
11:18parce que ça a quand même été assez médiatisé,
11:20c'était une crise vraiment abominable,
11:22où on a fait venir
11:24des gens, volontairement, sciemment,
11:26en leur promettant un passage en Europe.
11:28Les Biélorusses les ont
11:30amenés dans cette forêt,
11:32et les ont abandonnés dans cette forêt.
11:34Et on s'est retrouvés avec des hommes, des femmes,
11:36des enfants, à mourir
11:38de faim, de froid, d'épuisement,
11:40dans une forêt qui est devenue une zone de non-droit,
11:42qui est devenue,
11:44qui a été appelée par le gouvernement
11:46polonais à une zone rouge.
11:48Donc ça, ça m'a
11:50fait comme une espèce de tilt en termes d'écriture,
11:52ce qui m'a fait penser à Dante, en fait, à l'enfer.
11:54Une zone rouge de plusieurs kilomètres
11:56carrés, dans laquelle les humanitaires
11:58n'ont plus le droit d'intervenir,
12:00les spécialistes n'ont plus, les locaux n'ont plus.
12:02Et ces gens sont en errance.
12:04Et d'un côté, la Pologne
12:06faisait le... pratiquait le push-back,
12:08qui est une pratique interdite
12:10par le droit international, mais qui est
12:12sciemment violée. Et donc,
12:14on repousse les migrants d'un côté,
12:16enfin, les personnes en situation
12:18de migration, et puis la Biélorussie
12:20fait de même. Et s'est instauré
12:22un ping-pong, comme ça, mortifère,
12:24dans cette forêt, où on interdisait aux gens
12:26de passer en Pologne. Quand ils arrivaient à passer
12:28les barbelés ou le mur, on les renvoyait
12:30de l'autre côté, et ainsi de suite, ainsi de suite.
12:32Vous avez peut-être entendu parler d'un film,
12:34j'en parlais tout à l'heure, Green Border,
12:36un film terrible, mais qui montre cette réalité.
12:38Donc, moi, je fais partie un peu loin pour résumer
12:40le livre, mais tout ça pour dire que moi, je suis partie de cette crise,
12:42en fait. Je suis partie de ça
12:44parce que je voulais écrire sur
12:46l'aspect écologique de cette forêt,
12:48et puis j'ai été rattrapée par la violence
12:50du monde, en fait, tout simplement, qui me travaille
12:52évidemment beaucoup. Et j'étais
12:54en plus, à ce moment-là, moi-même,
12:56travaillée par les questions
12:58migratoires, alors à titre personnel,
13:00et beaucoup plus, à petite échelle,
13:02à côté de chez moi, à Rennes, où il y avait,
13:04voilà, des personnes qui vivaient
13:06sous une tente dans le parc à côté de chez moi.
13:08Et donc, il y avait vraiment la volonté
13:10d'écrire sur les politiques migratoires
13:12européennes. Qu'est-ce qu'on veut faire, en fait ?
13:14Une forteresse, ce qui est
13:16en train de se passer, d'ailleurs.
13:18Mais il me manquait quelque chose pour écrire,
13:20et je savais pas encore quel axe
13:22prendre, et un jour, j'ai vu,
13:24à l'automne 2021,
13:26un reportage, un soir, chez moi,
13:28je vois un reportage où je vois ces gens
13:30en train d'errer dans cette forêt.
13:32Et ça m'a vraiment fait,
13:34je sais pas comment vous dire, c'est venu
13:36me harponner,
13:38me transpercer, et j'ai
13:40pensé à Dante. J'ai pensé à Dante
13:42que j'avais lu il y a longtemps, et au début
13:44de l'Enfer de Dante,
13:46les premiers vers de la Divine Comédie,
13:48c'est « Au milieu du chemin de notre vie,
13:50je me trouvais perdue par une forêt
13:52obscure car la voie droite était perdue ».
13:54Et c'est ça, le début de l'Enfer.
13:56Le début de l'Enfer, c'est être perdu
13:58dans une forêt sans issue.
14:00Et là, il y a eu, vous voyez,
14:02la porte d'entrée poétique pour moi.
14:04C'est-à-dire que Dante s'est venu m'aider
14:06à écrire sur
14:08cette forêt majestueuse,
14:10l'enjeu écologique qu'elle représente,
14:12la beauté des arbres époustouflantes,
14:14et de cette société.
14:16C'est une société, une forêt primaire, de cet organisme.
14:18Et à côté, l'enjeu
14:20géopolitique, tout ça traversé
14:22d'abord par la question du langage.
14:24C'était trop long comme résumé, je suis désolée.
14:26Quand je suis partie, je ne m'arrête plus.
14:28Je vais peut-être rebondir
14:30un petit peu sur les personnages
14:32pour parler plus précisément
14:34d'Alma
14:36et de la langue que vous avez utilisée
14:38pour l'évoquer.
14:40On sent que c'est
14:42une jeune femme qui est
14:44battante, déterminée, qui veut s'en sortir.
14:46Je crois qu'elle veut
14:48devenir chef cuisinière.
14:50Elle a des objectifs.
14:52J'ai envie
14:54de lire
14:56un petit passage
14:58qui montre bien sa personnalité.
15:00Alma
15:02ne crèvera pas ici.
15:04Elle s'élance, arrache
15:06les branches, pulvérise
15:08la structure de bois mort,
15:10brise tout ce qui l'entrave,
15:12tout ce qui l'empêche.
15:14Elle fait ployer les rejets qui explosent
15:16comme une multitude
15:18d'incendies végétaux. Frappe,
15:20lève les pieds, les poings,
15:22se protège le visage,
15:24les branches cassent, la mort,
15:26le bois explose,
15:28fait gélir des étincelles
15:30des chats. C'est un combat
15:32inégal, un feu sans flamme.
15:34Elle saigne, pousse des cris
15:36sans mots, grognements de
15:38hargne et de volonté. L'obsession
15:40de la frontière au fond
15:42du crâne, ligne
15:44rageuse et satiante,
15:46promesse crue, là, à portée
15:48de pied baissée. Voilà, on voit bien
15:50un petit peu, je trouve. Et donc, comment
15:52vous avez choisi d'écrire Alma ?
15:54Voilà.
15:56Finalement, il y a une photo,
15:58on voit bien l'entremêlement
16:00de cette forêt qui est comme une
16:02espèce de barbelé
16:04aussi, à certains endroits. Alors,
16:06elle n'est pas comme ça partout, du tout,
16:08dans ce que j'en ai lu et vu.
16:10Mais il y a des moments où c'est
16:12inextricable. Donc, la langue
16:14d'Alma, donc Alma, c'est ce premier personnage,
16:16c'est la jeune réfugiée, parce que
16:18chacune de ces femmes est écrite dans une langue différente.
16:20Enfin, une langue, j'aime bien dire une langue, mais
16:22une écriture différente.
16:24Et Alma, il n'était pas
16:26question, j'ai lu beaucoup de témoignages de réfugiés,
16:28de gens qui ont vécu ça, dans cette forêt.
16:30Et à chaque fois, ce qui m'a fascinée,
16:32ce qui m'a bouleversée,
16:34c'était comment
16:36ces gens ne sont absolument pas passifs.
16:38C'est-à-dire le courage, la volonté,
16:40l'action. Et en fait,
16:42quand on parle aujourd'hui,
16:44tous les jours, on entend parler de migrants.
16:46Ce mot derrière
16:48lequel on met tout et son contraire.
16:50Et en fait, je trouvais que quand même,
16:52si je me mettais à parler de quelqu'un
16:54qui était dans une situation de migration,
16:56il fallait être extrêmement juste
16:58en termes de dignité,
17:00puisque moi, je n'ai pas vécu ça. Donc là, c'est
17:02la vraie problématique de l'écriture romanesque.
17:04Par exemple, je ne peux pas dire « je »,
17:06c'est à la troisième personne. Mais je voulais
17:08absolument qu'on ressente à quel point
17:10c'est être en permanence dans une lutte,
17:12en action. À quel point il y a une
17:14dignité dans cette action. À quel point il y a
17:16une pulsion de vie, une énergie.
17:18Il y a une volonté. Ce n'est pas
17:20des gens qui attendent qu'on vienne les sauver.
17:22Et voilà, il y a
17:24vraiment cette idée-là. Et donc,
17:26Alma, j'ai adoré l'écrire parce que
17:28elle est pubnace. Il y a
17:30quelque chose en elle de...
17:32D'ailleurs, ce sont des phrases très courtes.
17:34Il y a énormément de verbes. C'est une femme qui est dans l'action.
17:36C'est une jeune femme. Elle est très jeune.
17:38Elle est dans l'action. Elle est dans la survie.
17:40Et...
17:42Et voilà, elle est entièrement traversée.
17:44Oui, ce que j'avais en tête, c'était cette idée de la
17:46pulsion de vie. Que je trouve magnifique, en fait.
17:48Malgré tout, quand on est en train de traverser
17:50des choses aussi abominables que ce qu'elle traverse,
17:52malgré tout,
17:54il y a cette force, cette espèce de
17:56feu, de puissance en elle.
17:58Et il fallait qu'elle rejaillisse dans l'écriture.
18:00Donc, il ne fallait pas que ce soit lyrique.
18:02Il ne fallait pas que ce soit...
18:04Ça ne pouvait pas être doux, cette écriture.
18:06Ça devait être son corps.
18:08Pour moi, l'écriture, c'est vraiment
18:10une histoire de sensation.
18:12C'est une traduction
18:14presque de mon corps
18:16quand j'écris au corps du lecteur
18:18à travers le corps des personnages.
18:20On est là dans une espèce de
18:22partage d'expérience. C'est quand même ça
18:24la beauté de la littérature. C'est vraiment
18:26faire ressentir ce que l'autre ressent.
18:28Se mettre à la place de l'autre.
18:30C'est l'empathie, mais avec un grand E.
18:32Donc, il fallait qu'on puisse
18:34être Alma, être dans cette forêt.
18:36D'ailleurs, j'ai adoré parce qu'il y a des gens qui m'ont dit,
18:38même quand ils lisaient Alma,
18:40alors c'est horrible parce que c'est pas sadique,
18:42mais ils suffoquaient presque
18:44d'être dans cette forêt et d'avoir
18:46l'impression d'y être
18:48pour le coup.
18:50De vivre cette traversée.
18:52C'est aussi un des pouvoirs du langage.
18:54Donc, c'était ça le choix de son écriture.
18:56C'est vraiment la force
18:58de ton écriture, Caroline.
19:00Comme tu le disais, tu étais
19:02énormément documentée
19:04pour faire vivre les personnages et faire vivre réellement
19:06la forêt, tout en n'allant pas
19:08toi-même directement dans la forêt
19:10de Bialowieża,
19:12tout en nous faisant quand même ressentir
19:14réellement tous les côtés naturels
19:16de cette énorme forêt
19:18primaire.
19:20C'est vrai que c'est un des paradoxes.
19:22On m'avait beaucoup questionné pour Solak,
19:24je me permets une petite parenthèse.
19:26Dans Solak, vous avez compris mon premier roman qui se passe dans la banquise
19:28où je ne suis jamais allée.
19:30C'est pareil.
19:32Un des plus beaux compliments qu'on m'ait fait,
19:34parce que le livre avait eu le prix France-Québec.
19:36J'ai été invitée au Québec, où quand même, il fait plus froid qu'à Quimper.
19:38J'y suis allée.
19:40En plus, c'était la fin de l'hiver.
19:42Il faisait extrêmement froid.
19:44C'était génial.
19:46Des gens me disaient que c'était incroyable.
19:48J'avais froid en vous lisant.
19:50J'avais l'impression d'être sur cette glace, etc.
19:52Je trouve que c'est un hommage magnifique
19:54au pouvoir du langage.
19:56Les simples mots peuvent vraiment nous faire ressentir.
19:58C'est vraiment le pas de côté
20:00que permet le langage.
20:02Quelque part, on accède à plus de réalité
20:04qu'en vivant l'expérience elle-même.
20:06Finalement, je me suis quand même posée
20:08la question d'être légitime ou pas.
20:10Parce que banquise, je n'y suis pas allée.
20:12Biélovégia, je n'y suis pas allée.
20:14Paradoxalement, je me sentais beaucoup plus libre.
20:16C'est-à-dire que je n'écris pas sur ce que je connais bien.
20:18Je pense que ça me paralyserait.
20:20J'aime aussi aller chercher.
20:22Moi aussi, je suis dans une espèce de traversée
20:24quand j'écris.
20:26J'essaye d'être au plus juste, finalement.
20:28J'avais rencontré quelqu'un
20:30qui était allé sur la banquise,
20:32par exemple, pour Solac,
20:34et qui m'avait dit que je n'arrivais pas à écrire.
20:36Parce que finalement, quand vous avez vraiment vécu les choses,
20:38vous devez des comptes au réel.
20:40Vous devez une fidélité au réel.
20:42Et moi, je ne dois pas de fidélité au réel.
20:44J'en dois une
20:46parce que je ne peux pas dire n'importe quoi
20:48sur cette forêt, etc.
20:50Sur la faune, la flore, je me renseigne.
20:52Mais après,
20:54la grande liberté de la création,
20:56il faut qu'elle continue,
20:58c'est quand même
21:00le pouvoir de l'imaginaire.
21:02Quand j'écris,
21:04je me mets dans un état de grande concentration
21:06où ce qui m'intéresse, c'est comment le langage
21:08peut traduire ce qu'on ressent
21:10dans un tel lieu.
21:12Comment on ressent le froid, l'humidité.
21:14Je vais puiser dans mes propres souvenirs
21:16de balades en forêt, mais qui ne sont pas du tout
21:18des forêts primaires,
21:20des forêts bretonnes.
21:22Mais il n'empêche, je vais aller
21:24chercher dans une espèce
21:26de mémoire du corps, de mémoire des lectures,
21:28de mémoire cinématographique.
21:30Et finalement, ça suffit.
21:32Enfin, dans mon cas, je trouve
21:34que ça suffit. Je ne dis pas que c'est une recette du tout.
21:36Mais il se trouve que moi,
21:38j'ai trouvé que j'étais plus libre.
21:40J'avais l'impression d'explorer complètement
21:42le lieu. J'ai l'impression d'y être allée
21:44pour le coup. C'est aussi fou que ça puisse
21:46paraître. J'ai mis deux ans à écrire le livre
21:48et à la fin des deux années,
21:50j'avais l'impression d'avoir passé
21:52un temps fou dans cette forêt.
21:54C'est bizarre, quoi.
21:56C'est comme une espèce de voyage mental, un peu.
21:58Et puis,
22:00on peut noter aussi, je trouve,
22:02que pour avancer,
22:04elle a un travail,
22:06des souvenirs
22:08heureux, en fait.
22:10La cuisine de ses parents,
22:12elle a un souvenir d'un amoureux.
22:14Donc, les verres, comme disait Pierre Jaurès
22:16tout à l'heure de Nina Simone, l'aident.
22:18Et vous avez imaginé aussi
22:20que ce type peut...
22:22qu'il peut l'aider, en fait, à tenir.
22:24Oui, parce que je me suis demandé
22:26qu'est-ce qui nous aide à tenir quand tout va mal ?
22:28Qu'est-ce qui nous aide ?
22:30Et en fait, je me suis dit,
22:32cette jeune fille,
22:34elle puise en elle, elle appelle ça ses phares intimes,
22:36ses phares intérieurs, ses lumières intérieures.
22:38Je crois qu'on en a tous.
22:40Et qu'est-ce qui nous aide ?
22:42D'abord, le lien humain, ça, c'est sûr.
22:44L'amour, l'amitié,
22:46nos proches.
22:48Donc, elle pense à tout ça.
22:50Et puis, elle trouve une force en elle
22:52à travers la chanson d'Nina Simone que sa mère chantait.
22:54Et qui vient comme ça
22:56être un moteur intérieur
22:58immense. Je crois qu'il y a
23:00des ressources en nous qui, pour moi,
23:02sont liées à l'humain,
23:04à l'humanité et à l'art.
23:06Mais peut-être parce que moi, ce sont mes moteurs.
23:08Mais en tout cas, j'ai projeté sur elle
23:10l'idée qu'elle trouvait de la force en elle
23:12là-dedans, en fait.
23:14Tout simplement, oui.
23:16Je vais revenir à un
23:18deuxième personnage, Nina,
23:20qui a cru à temps que le mannequinat lui ouvrirait
23:22les portes de l'Occident.
23:24Mais la concurrence,
23:26on va dire, fut rude.
23:28Et elle est revenue
23:30à sa vie quotidienne.
23:32Et donc, là, elle a dû
23:34revenir vivre dans la forêt suite à son divorce.
23:36Et au décès de ses parents.
23:38Donc, ce n'est pas un choix non plus.
23:40Tout à l'heure, Pierre Jauré s'évoquait
23:42Beyoncé. On sent que c'est une femme
23:44peut-être plus légère, qui a du mal
23:46à s'émanciper.
23:48Elle vit beaucoup dans le regard
23:50des autres. Elle est jolie.
23:52Elle vit dans le...
23:54Elle sent le désir des hommes
23:56sur elle. Elle peut en jouer aussi, peut-être.
23:58Mais c'est aussi, pour elle,
24:00difficile, en fait,
24:02je dirais, de réussir
24:04à s'affirmer, de trouver sa voix.
24:06Et donc,
24:08quelle langue, quelle écriture
24:10vous avez choisi pour ce personnage-là ?
24:12Ce deuxième personnage,
24:14c'est Nina, la Polonaise, qui, effectivement,
24:16traverse plutôt une sorte de purgatoire.
24:18Elle incarne plus le purgatoire
24:20dans le livre. Et elle, elle connaît très bien cette forêt
24:22puisqu'elle y a grandi. Donc, elle n'est pas
24:24dans le même état d'émerveillement
24:26que nous, quand on en parle, ou de fascination.
24:28C'est son quotidien. Elle le vit
24:30comme une espèce de lieu un peu ambivalent.
24:32Oui, certes, c'est beau, mais en même temps,
24:34elle le vit comme un boulet de...
24:36de ronce qui l'attache là, à ce lieu,
24:38et elle voudrait partir. Et je trouve
24:40que c'est intéressant d'avoir un pers... Enfin,
24:42chacune de ces femmes, de toute manière, ça s'appelle
24:44Traverser les forêts, est dans une traversée de sa vie
24:46à un moment où on les
24:48prend à un point A au début du livre, on les quitte
24:50à un point B, et chacune,
24:52elle cherche à s'émanciper, d'une manière
24:54ou d'une autre, de certaines choses, de leurs
24:56histoires, de leur passé, etc.
24:58Et elle, elle a du mal parce qu'elle s'est pas
25:00construite... Je dis qu'elle a pas d'architecture
25:02intérieure. C'est une très belle femme.
25:04Donc elle s'est toujours construite dans le regard des autres,
25:06et en fait, elle a rien construit de solide
25:08en elle. Donc elle est très influençable,
25:10elle cherche juste...
25:12Elle est séduite, là, par le petit fasciste
25:14du coin, leader nationaliste
25:16du coin, parce que lui, je voulais
25:18le traiter aussi, hein, cette montée du fascisme
25:20en Europe, donc il est incarné par un personnage
25:22dans le livre, qui est
25:24euh... voilà,
25:26la jeune garde-montante, là,
25:28nationaliste, qui veut mettre tous les migrants
25:30dehors, etc. Violente,
25:32enfin, qui a un discours extrêmement violent,
25:34et elle sent bien que son attirance
25:36pour cet homme-là, bon, elle en est pas très
25:38fière, elle voit bien que les valeurs sont pas terribles,
25:40et elle sait pas trop comment se positionner,
25:42d'un point de vue même éthique,
25:44j'allais dire. Et ça m'intéressait d'avoir un
25:46personnage comme ça, ambivalent, un peu trouble,
25:48parce que, quelque part,
25:50parler de la montée du fascisme
25:52en Europe, de ce désir,
25:54en fait, d'une certaine partie de la population pour l'extrême-droite,
25:56je voulais pas juste dire dans le livre,
25:58ah ben c'est mal.
26:00Si il y a tant de gens qui ressentent ça, c'est bien
26:02qu'il y a quelque chose, que ça prend sa source dans quelque chose.
26:04Donc, cette femme,
26:06elle est attirée par ces idées-là,
26:08et par cet homme-là, parce que, aussi,
26:10c'est une abandonnée
26:12de l'économie
26:14polonaise, là, en l'occurrence,
26:16mais enfin, ça pourrait être tous ceux qui se sentent laissés
26:18pour compte, elle a l'impression
26:20qu'il y a pas de perspective dans sa vie,
26:22elle remache une forme de frustration,
26:24et donc, j'avais envie que ce soit
26:26un personnage qui réfléchisse à comment sortir
26:28de cet état, est-ce qu'on peut sortir ou pas
26:30de cet état de, qu'est-ce que j'ai fait de ma vie,
26:32de frustration, etc., que tout le monde traverse
26:34sans doute à un moment en plus dans sa vie,
26:36moi, je me sentais assez proche d'elle, finalement,
26:38est-ce que j'ai fait les bons choix, etc.,
26:40des choses très basiques, finalement.
26:42Donc, c'est un personnage qui est plus
26:44ambivalent,
26:46on sait pas forcément trop quoi en penser,
26:48mais j'aime bien, moi, qu'il y ait des personnages comme ça
26:50où on sache pas, elle est ni gentille
26:52ni méchante, voilà, c'est pas le bon ou le méchant,
26:54c'est quelqu'un qui sait pas trop
26:56comment se positionner dans la vie, mais qui va devoir
26:58faire des choix parce qu'elle vit dans cette forêt,
27:00justement, et qu'elle est confrontée à quelque chose
27:02de plus grand qu'elle, il y a des migrants qui sont là,
27:04bon, bah, qu'est-ce qu'on fait ?
27:06Qu'est-ce qu'on fait quand ils sont à votre porte ?
27:08Voilà, c'est ça aussi sa question à elle.
27:10Tout à fait. Alors, pour revenir
27:12au troisième personnage, c'est
27:14Véra, comme vous disiez tout à l'heure, une journaliste
27:16de 50 ans qui a pas mal
27:18bourlagué, qui n'a pas
27:20d'enfant, on sent qu'elle s'est vraiment
27:22consacrée à son métier,
27:24et là, comme vous disiez,
27:26elle fait une sorte de burn-out,
27:28elle est las de la violence
27:30du monde, on va dire, elle est las de
27:32ses combats, peut-être,
27:34et elle vient dans cette forêt,
27:36mais elle a, justement,
27:38un exemplaire
27:40de la divine comédie,
27:42et on sent que, comme
27:44Dante est un
27:46guide tout au long du livre,
27:48pour elle aussi, c'est un peu comme un livre de cheval
27:50auquel elle va
27:52lire des passages,
27:54ça a vraiment beaucoup d'influence sur elle,
27:56et on sent,
27:58plus en avant, parce que quand elle arrive,
28:00elle a du mal à écrire, il y a la solitude
28:02de la forêt, et là, vous faites de très belles
28:04descriptions, justement, poétiques
28:06de cette forêt, j'ai vraiment aimé,
28:08et on sent que
28:10c'est une femme, là, du coup,
28:12l'écriture va être plus lyrique.
28:14Complètement.
28:16Il fallait quand même bien dire la beauté de cette forêt.
28:18Je veux dire, c'était quand même,
28:20parce que s'il n'y a que la noirceur, là, je vais vous plomber,
28:22en plus, mais, donc, il y a la
28:24noirceur, bien sûr, il y a tous les aspects, puis
28:26Vera, en plus, elle arrive plus tôt, elle arrive au printemps.
28:28J'avais envie de décrire la forêt au printemps,
28:30et donc, là,
28:32oui, lâcher prise lyrique totalement,
28:34parce qu'il fallait dire
28:36ce sanctuaire, mais
28:38en même temps, le mot sanctuaire, il est dangereux, parce qu'il est
28:40un peu, il fossilise un peu,
28:42alors qu'au contraire, c'est vivant, c'est en mouvement
28:44permanent, enfin, il y a quelque chose d'incroyable
28:46dans ce renouvellement
28:48qui agit, là, cette vie qui est
28:50aussi invisible, mais qui, en même temps,
28:52est bien réelle. Donc, ça a été
28:54un plaisir d'écrire des pages de découvertes
28:56de la forêt à travers les yeux de
28:58cette femme qui est revenue de tout,
29:00de la violence du monde, d'une dictature,
29:02voilà, quand même, elle ne va pas
29:04très bien, et d'un coup,
29:06cette forêt qui lui offre cet éblouissement,
29:08cette beauté, et moi,
29:10j'avais aussi envie de le vivre, pour le lecteur,
29:12en tout cas, comme le bienfait,
29:14justement, que peut faire aussi, parfois,
29:16juste regarder un arbre, ou la beauté
29:18de la forêt, cette espèce d'apaisement
29:20que ça apporte, ou
29:22je ne sais pas comment dire,
29:24la noirceur du monde se suspend,
29:26un instant, et on se remet dans
29:28quelque chose de plus organique,
29:30de plus présent, de plus ancré,
29:32et qui nous remet complètement à notre place,
29:34aussi, qui nous déplace
29:36complètement de l'anthropocentrisme
29:38dans lequel on est en permanence,
29:40ça nous remet à notre petite place de virgule humaine,
29:42et ça,
29:44ça a été un grand plaisir,
29:46et malgré tout, cette femme,
29:48donc il y a toutes ces descriptions,
29:50elle arrive dans cette petite cabane, là, où elle vit en forêt,
29:52mais elle est quand même très vite rattrapée
29:54par sa question de
29:56bon, et maintenant, quoi, qu'est-ce que je fais ?
29:58Je veux dire, elle ne va pas rester vivre là toute sa vie,
30:00quoique, elle pourrait, peut-être,
30:02mais c'est quand même très compliqué,
30:04et donc, la question, aussi,
30:06de l'écriture,
30:08de la poésie, puisqu'elle lit Dante,
30:10et, en fait,
30:12c'était aussi une question très personnelle,
30:14c'était à quoi bon encore lutter,
30:16à quoi bon encore écrire,
30:18vouloir dire la complexité,
30:20la beauté, la violence du monde
30:22dans un monde si chaotique,
30:24si rempli de violence
30:26et de noirceur.
30:28Bon, moi, vraiment, à ce moment-là,
30:30j'étais très, très atteinte par ce qui se passait
30:32dans le monde, ça n'a pas changé,
30:34depuis, là,
30:36le monde ne va pas mieux,
30:38et au moment où j'ai commencé à écrire,
30:40c'était encore la guerre en Ukraine,
30:42c'était complètement fou, parce que j'ai commencé à écrire en 2021,
30:44et j'étais plongée
30:46dans l'écriture, et six mois après,
30:48il y a eu une attaque de l'Ukraine,
30:50donc, il y avait, comme ça, quelque chose qui venait
30:52résonner, en plus, c'était, voilà, c'était pour la parenthèse,
30:54mais, en tout cas, donc, ce personnage
30:56s'inquiète,
30:58se questionne sur
31:00notre rôle, en fait, d'être
31:02humain, notre responsabilité dans ce monde,
31:04et elle est un peu abattue,
31:06elle se dit, mais, finalement, est-ce qu'il faut encore lutter ?
31:08Donc, bon, la réponse est dans le livre,
31:10mais,
31:12voilà, en tout cas, elle est
31:14tiraillée, et la fréquentation
31:16de cette forêt, et puis aussi d'un homme qui la guide
31:18dans cette forêt, qui est
31:20un militant écologiste local,
31:22personnage que j'ai inventé,
31:24parce que, justement, c'est quelqu'un qui, lui, est investi
31:26d'un point de vue politique, militant
31:28pour la défense de ces
31:30arbres, parce que c'est une forêt qui a été vraiment attaquée
31:32dans la réalité, le gouvernement polonais a été
31:34condamné par la Cour européenne
31:36pour avoir abattu des arbres, par
31:38exemple, illégalement, et donc,
31:40il y a des militants sur le terrain qui font ce
31:42travail-là. Donc, elle, elle rencontre
31:44ce militant, et il lui montre la forêt, aussi,
31:46sous un autre jour.
31:48Ces espèces, aussi, alors, c'est vrai qu'on n'a pas beaucoup parlé
31:50des animaux, mais, moi, ce qui me fascinait
31:52dans cette dernière forêt d'Europe, si je suis allée
31:54la chercher, aussi, c'est ça que j'ai adoré,
31:56c'est là qu'il y a les derniers bisons d'Europe.
31:58Et,
32:00je ne sais pas pourquoi ça me fascinait, je pense que
32:02ça m'a évoquée, et d'ailleurs, la figure est très présente
32:04dans le livre, pour moi, ça m'évoquait
32:06le minotaure. Et donc,
32:08d'un point de vue narratif, c'est assez génial
32:10d'avoir un minotaure dans une forêt,
32:12et de pouvoir placer des personnages
32:14comme ça, qui tournent autour de ce minotaure.
32:16Et comme cette forêt, je l'envisage comme un labyrinthe
32:18que chacun des personnages doit traverser,
32:20vous voyez qu'il y avait un fil narratif
32:22à tirer, qui était assez
32:24jouissif. Voilà.
32:26Samia Lowe, déjà, donc, du coup, ce qui est complètement
32:28fort dans ton livre,
32:30vraiment fort, c'est ce
32:32contraste entre, du coup, la richesse
32:34de la biodiversité des animaux dont tu parles,
32:36et que l'on peut voir projeter
32:38dans nos dents, en même temps,
32:40autant sur les loups que les loutres,
32:42que les lynxes,
32:44et donc, du coup,
32:46ce que tu disais aussi tout à l'heure, quand même,
32:48un peu sur
32:50le côté où il y a quand même toujours le développement
32:52de l'éco-tourisme,
32:54également, il y a vraiment des personnes qui viennent
32:56pour en faire rencontrer, et faire connaissance
32:58avec cette forêt que tu fais vraiment
33:00vivre à travers
33:02ce personnage forêt, et donc, du coup,
33:04le personnage féminin, mais en même temps,
33:06il y a aussi vraiment tout ce contraste
33:08et toute cette
33:10folie humaine que tu transcrives
33:12à travers l'inspiration
33:14et l'écriture de danses,
33:16mais c'est vrai qu'on le sent
33:18réellement, quoi, et comme tu disais aussi,
33:20on a vraiment l'impression d'être au cœur
33:22de cette forêt, quoi, et au milieu
33:24de tout ce
33:26contraste. Donc, juste pour
33:28que vous donniez un peu
33:30un autre aperçu de cette
33:32transcription de la forêt, et description
33:34de la forêt.
33:36« Des images de baignoires chevelues
33:38te traversent l'esprit.
33:40Vous redescendez sous la canopée et l'espace
33:42s'élargit de nouveau.
33:44Les arbres sont de plus en plus impressionnants,
33:46indécents de gigantisme.
33:48Vous marchez maintenant aux pieds
33:50de chênes qui
33:52atteignent presque quarante mètres de haut
33:54et font tomber sur vos
33:56crânes une pluie d'écailles printanières.
33:58Vous longez une
34:00rivière au flux nourri par le dégeluressant.
34:02L'air a une odeur
34:04de fleurs douchées.
34:06Le sol est souple, jonché par
34:08endroit de souches ou de troncs recouverts d'une
34:10mousse presque fluorescente
34:12d'où se déploient
34:14de drôles de champignons étagers,
34:16comme autant de toits terrestres pour
34:18insectes primaux excédents,
34:20sagruides créatures fantastiques,
34:22antennes polymorphes,
34:24thorax coloré,
34:26carapace graphique,
34:28tout un monde qui fait tourner à sa hauteur
34:30le carrossel de cet écosystème
34:32complet. Ça, c'est
34:34vraiment un monde connecté,
34:36glisse Zegorski
34:38en souriant.
34:40Et en effet, tout autour de vous,
34:42de jeunes pousses cohabitent avec
34:44des arbres centenaires.
34:46Ça se décompose et ça se régénère
34:48concomitamment
34:50concomitamment
34:52minuit des siècles entremêlés,
34:54comme si les différentes étapes
34:56et strates d'un même processus
34:58s'enlaçaient sous vos yeux et que le temps
35:00libertin exposait sans complexe
35:02étirement nu de ses cycles, les secrets
35:04de sa chair.
35:06J'allais proposer à Régine,
35:08si tu t'en souviens, d'aborder ce thème-là,
35:10mais c'était pas forcément un thème évident
35:12à aborder comme ça,
35:14mais c'est vrai qu'il y avait, à travers ton écriture,
35:16moi j'ai ressenti ça, en tout cas à travers les personnages
35:18féminins, un côté quand même
35:20charnel. Oui, oui.
35:22Si, c'est vrai.
35:24Après, ce que je disais, c'est que pour moi,
35:26l'écriture, c'est beaucoup une question de sensation,
35:28de traduction par les mots, et puis
35:30le rapport... J'ai quand même écrit un livre qui s'appelle
35:32Incarna, qui veut dire dans la chair,
35:34sur le corps et la grossesse,
35:36donc c'est dire si la question m'intéresse,
35:38parce que le corps,
35:40c'est... Alors pour paraphraser
35:42Foucault, le philosophe, qui dit
35:44c'est le lieu sans recours auquel nous sommes condamnés.
35:46Mais moi, j'aime bien le me dire
35:48plutôt que nous sommes condamnés,
35:50c'est le lieu sans recours par lequel je vis
35:52le monde, et par lequel
35:54j'accède au monde. Donc donner
35:56une parole au corps, le remettre à sa place,
35:58arrêter de scinder le corps et l'esprit,
36:00mais au contraire de montrer que tout ça
36:02est complètement connecté, comme cette forêt
36:04qui est en interdépendance
36:06permanente, je trouve
36:08que c'est vraiment intéressant,
36:10parce que c'est ça la vie. La vie, c'est avoir un corps,
36:12ressentir les choses,
36:14et les vivre dans notre chair.
36:16C'est ça qui est passionnant.
36:18Si vous voulez rendre des personnages
36:20aussi crédibles, j'allais dire,
36:22il faut qu'ils soient, pour moi en tout cas,
36:24il faut qu'ils soient organiques, il faut qu'ils soient
36:26de chair et d'os, il faut qu'on les sente
36:28vivre, vibrer. Donc oui, elles ont
36:30des corps qui sont plus ou moins
36:32imparfaits, qui
36:34vivent des choses, qui éprouvent des choses.
36:36Dans le corps, il y a aussi la pulsion
36:38sexuelle, donc il y a aussi le sexuel qui
36:40entre en jeu dans leur rapport au monde,
36:42dans le rapport aux autres,
36:44et tout ce magma
36:46de pulsions, de charnelités,
36:48ça m'intéresse énormément,
36:50parce que c'est la vie.
36:52Vraiment, je trouve que
36:54c'est ce qui donne une résonance
36:56au personnage, ce qui leur donne une constitution,
36:58vraiment une consistance,
37:00plutôt.
37:02Et je trouve aussi
37:04que les trois femmes,
37:06on a vu, elles ont
37:08beaucoup de différences, mais elles ont des points
37:10communs aussi, parce qu'elles ont tout un peu
37:12des peurs, des doutes, des préoccupations
37:14existentielles, et la forêt,
37:16là, c'est peut-être aussi
37:18on va dire un carrefour,
37:20un lieu de rencontre,
37:22de transformation, parce que comme dans un
37:24conte où le héros
37:26subit des épreuves, il va changer.
37:28Et ça nous laisse à
37:30penser qu'après ces expériences-là,
37:32chacune,
37:34peut-être d'elle,
37:36va changer, va aller vers une autre
37:38vie. Alors on va pas dire si elles se
37:40rencontrent, peut-être qu'elles vont se rencontrer
37:42indirectement,
37:44mais en tout cas
37:46aussi, je trouve que
37:48on voit que dans cette forêt, comme dans la vie,
37:50tous les êtres humains
37:52sont liés entre eux.
37:54Et
37:56on verra d'ailleurs qu'il y a des
38:00en fait, à travers les personnages
38:02masculins que vous avez évoqués,
38:04il y a donc certains,
38:06le militant
38:08nationaliste extrême-droite,
38:10qui lui, vraiment,
38:12est pour le port d'armes,
38:14qui est vraiment pour détruire
38:16les migrants, qui apparaît complètement
38:18horrible. Et puis,
38:20il y a d'autres qui sont plus pacifiques,
38:22comme l'ex-mari
38:24de l'héros Illumina,
38:26qui lui, au contraire,
38:28défend les migrants, qui défend
38:30la forêt, l'écosystème,
38:32et qui avait d'autres habitants
38:34va aider les migrants en déposant
38:36des petits sacs de survie dans la forêt.
38:38Et là, moi, j'ai pensé
38:40aussi au compte, en fait.
38:42Dans une forêt,
38:44par exemple, le petit pousset,
38:46donc, en fait, c'est ça,
38:48les personnes, Dieu merci,
38:50il y aura toujours quelque chose
38:52qui va faire qu'ils arriveront à s'en sortir.
38:54Et donc, peut-être, pour revenir
38:56à l'illumina, oui, tout n'est pas perdu.
38:58Il y a peut-être une lumière,
39:00quelque chose.
39:02– Merci, oui, c'est une belle lecture.
39:04C'était tout à fait ce que j'avais en tête,
39:06donc c'est déjà pas mal.
39:08Mais alors, il y a deux choses,
39:10je vais essayer de ne pas oublier.
39:12D'abord, j'aime beaucoup que vous voyez
39:14la référence au compte, parce qu'évidemment,
39:16quand on se met à écrire sur la forêt,
39:18il y a un nombre de références.
39:20Quand vous pensez forêt,
39:22d'un point de vue métaphorique,
39:24c'est énorme ce que ça draine.
39:26C'est la forêt de l'inconscient,
39:28c'est la forêt en psychanalyse,
39:30vous pouvez aller voir, c'est pas grave,
39:32mais dans le livre, moi, j'ai volontairement semé,
39:34comme Le Petit Poucet,
39:36tout un tas de références
39:38à la mythologie, au compte.
39:40Donc, effectivement, ces femmes peuvent être
39:42des femmes de certains comptes.
39:44Il y a Le Petit Poucet, évidemment,
39:46mais pas seulement. Donc, il y a la mythologie,
39:48on a parlé du Minotaure,
39:50et il y a d'autres références aussi.
39:52Et donc, c'est intéressant, parce que la forêt,
39:54c'est quand même un lieu qui, de toute manière,
39:56est ambigu par essence.
39:58Moi, par exemple, c'est pas du tout mon élément.
40:00Ça, c'était pareil, pour Écrire sur la forêt,
40:02au départ, je me suis dit, mais dans quoi tu te lances ?
40:04Vous avez dit, je suis née à Saint-Brieuc,
40:06donc je suis plus quelqu'un qui aime la mer,
40:08et la forêt, vraiment, c'est pas du tout
40:10un endroit où je vais facilement,
40:12fréquemment, etc.
40:14D'ailleurs, même, il y a des gens qui me disent,
40:16mais pourquoi tu n'as écrit sur la forêt ?
40:18C'est pas du tout quelque chose que tu connais.
40:20Les arbres m'intéressaient, mais la forêt,
40:22vraiment, c'était différent.
40:24Mais je crois que ça m'intéressait,
40:26la complexité d'interprétation.
40:28Ça peut être beaucoup de choses.
40:30Je trouve que la forêt, c'est aussi terrifiant,
40:32par certains aspects.
40:34C'est un lieu aussi anxiogène,
40:36se perdre en forêt, quand on est petit,
40:38d'ailleurs, pas que quand on est petit.
40:40C'est intéressant de ne pas oblitérer
40:42le lieu de ses significations,
40:44de ne pas la voir uniquement comme un lieu
40:46superbe, mais qui aussi,
40:48toute cette ambivalence,
40:50ça, c'était vraiment intéressant.
40:52Et du coup, j'ai perdu le deuxième aspect
40:54sur la rencontre, peut-être, sur le carrefour.
40:56Si, comme ça, c'était un truc très important,
40:58c'est que, si vous lisez le livre
41:00ou si vous l'avez lu, vous verrez que les personnages
41:02se rencontrent, ou en tout cas, ne se rencontrent pas
41:04forcément comme on l'imaginait.
41:06Quand on dit qu'il y a trois personnages dans une forêt,
41:08ce qu'on attend, c'est comment
41:10leurs destins vont se lier.
41:12Donc ça, c'était très intéressant à travailler
41:14dans le livre, dans la structure du livre.
41:16Et en fait, moi,
41:18j'avais en tête que même dans une forêt
41:20où on est complètement isolé,
41:22complètement seul,
41:24etc., on reste, malgré tout,
41:26comment dire,
41:28connecté au corps social.
41:30C'est-à-dire que, c'est une idée qui est
41:32très importante pour moi, cette idée que nous appartenons
41:34à un corps social, qu'on le veuille ou non,
41:36qu'il faut faire avec les autres,
41:38qu'il faut faire société avec les autres. Dans Solac,
41:40c'était déjà le cas. Mon premier livre, c'était déjà
41:42un huis clos où des hommes étaient forcés de faire société.
41:44C'était une espèce de confinement,
41:46avant le confinement, en fait. Comment on se supporte
41:48les uns les autres, et comment on se supporte
41:50le soi aussi. Et la même chose
41:52dans cette forêt. Donc, ça doit être un truc qui me travaille
41:54beaucoup, quand même, parce que c'est vraiment
41:56la même chose, cette idée de
41:58comment on est, malgré tout,
42:00reliés les uns aux autres. Donc,
42:02plutôt que, comme l'idéologie, justement, nationaliste,
42:04de dire, je coupe
42:06avec les autres, faire
42:08avec l'évidence
42:10qui est, nous sommes reliés les uns aux autres.
42:12Donc, comment faire avec ça ? C'est
42:14compliqué, certes. Mais, et donc,
42:16la réponse du livre, elle est un peu dans
42:18l'entremêlement, l'entrelacement des destins.
42:20Et on est...
42:22On peut ne pas se préoccuper du sort d'immigrants,
42:24mais, malgré tout, ce sort nous
42:26concerne, en fait. C'est ça qui m'intéresse.
42:28C'est qu'on peut ne se pas croire...
42:30Pardon, j'ai perdu ma phrase,
42:32mais vous avez compris. Voilà.
42:34Ne croire que l'on n'est pas concerné.
42:36Voilà, c'était ça. Mais, en fait, on l'est.
42:38C'est ça qui m'intéressait.
42:40Par rapport au fait de croire, et
42:42par rapport à ce que tu dis, Caroline,
42:44sur ce contraste entre
42:46la nature, la dernière forêt primaire
42:48quand même, qui, du coup, est vraiment
42:50sauvage, tu nous ramènes aussi
42:52quand même réellement, et là, je pense qu'il faut
42:54qu'on en parle, parce que c'est quand même un sujet
42:56important, sur ce
42:58côté très paradoxal entre la nature
43:00humaine, les faits
43:02de société que tu disais un peu au début de la rencontre,
43:04donc, du coup, que nous entendons maintenant
43:06tous les jours, quotidiennement, par rapport
43:08à l'accueil des
43:10migrants, par rapport à la question des
43:12migrants à traverser.
43:14Et puis, ce contraste, bien sûr, avec
43:16la forêt, et donc,
43:18à travers ton
43:20roman, tu nous proposeras réellement
43:22une exploration aux confins de la
43:24civilisation,
43:26dans lequel se déroule
43:28dans cette forêt, vraiment, l'enfer,
43:30une chasse aux migrants,
43:32une forêt d'épouvante où les gens meurent
43:34face à un mur de béton.
43:36Oui, c'est ce mur dont, d'ailleurs,
43:38j'ai vu qu'il y avait la photo qui est terrible. Vous voyez, moi,
43:40je ne vois pas, mais vous avez dû la voir plusieurs fois.
43:42Du coup, là, la forêt, elle est barbelée.
43:44Au moment où j'écrivais,
43:46le mur était encore, normalement, en construction.
43:48Maintenant, il est achevé.
43:50Alors, au-delà du fait que, ça, c'est plutôt
43:52le discours militant, mais du fait qu'en plus, ça coûte des millions,
43:54qu'il y a des gardes-frontières partout,
43:56que ce mur est une aberration en
43:58termes de pollution, etc.
44:00D'ailleurs, c'est ce que dit très bien l'association
44:02Francis Allais, c'est qu'en fait, ça
44:04empêche la libre circulation,
44:06c'est là qu'on voit l'impasse totale,
44:08la libre circulation des êtres humains
44:10et des espèces.
44:12C'est-à-dire que les animaux, en fait,
44:14sont aussi extrêmement victimes
44:16de ce mur.
44:18Il y a des animaux qui meurent
44:20tous les jours dans les barbelés, pris dans les barbelés,
44:22en fait.
44:24Je parlais des lynx ou autres.
44:26Donc, pour les militants écologistes,
44:28évidemment, c'est vraiment une atrocité
44:30qu'ils essayent de dénoncer.
44:32En fait, ce qui est terrible,
44:34c'est que ce qu'on fait à la planète est aussi
44:36ce que nous nous faisons à nous-mêmes, en fait.
44:38La symbolique de ce mur,
44:40puis ce n'est pas le seul mur dans le monde
44:42qu'on a construit dans cette visée,
44:44mais il est quand même sidérant,
44:46ce mur, en pleine forêt primaire,
44:48avec des barbelés,
44:50avec des moyens colossaux pour empêcher
44:52les gens de passer
44:54d'un côté à l'autre.
44:56Là, on touche vraiment...
44:58C'est une hérésie, d'un point de vue
45:00écologique et humain,
45:02et politique et géopolitique.
45:04Mais malgré tout, c'est la réalité.
45:06C'est complètement à l'encontre
45:08de la protection de l'environnement,
45:10de l'UNESCO,
45:12du côté préservation de la nature,
45:14et c'est aussi complètement à l'encontre
45:16du droit international.
45:18Il y a beaucoup de gens qui se battent
45:20sur le terrain de la justice.
45:22Il y a quand même des militants, des avocats,
45:24qui se battent sur le terrain de la justice.
45:26Mais en fait, je ne vais pas vous apprendre
45:28qu'il y a des États que ça ne dérange pas
45:30de violer le droit international.
45:32Cette pratique du push-back,
45:34des gens qui ont le droit de demander l'asile
45:36et de les empêcher de demander l'asile
45:38pour les renvoyer de l'autre côté,
45:40c'est interdit, c'est condamné par le droit international
45:42et c'est pratiqué tous les jours.
45:44Donc ça, c'est une réalité aussi.
45:46– Et la réalité aussi que les journalistes des ONG
45:48sont complètement chassés,
45:50n'ont pas le droit du tout de mettre le pied aussi
45:52et d'en parler, d'en médiatiser,
45:54comme tu le disais, c'est depuis 2021,
45:56depuis l'automne 2021.
45:58Et là, si on regarde à travers les réseaux,
46:00c'est toujours...
46:02C'est toujours d'actualité.
46:04Là, ils ne sont plus, je crois,
46:06je ne l'ai pas trop suivi dernièrement,
46:08mais au moment où je vous ai dit
46:10qu'ils avaient déclaré la zone rouge en Pologne,
46:12c'était aussi que le gouvernement,
46:14parce que depuis il y a eu des élections,
46:16alors en Pologne ça a changé,
46:18mais c'était l'extrême droite au pouvoir,
46:20ils avaient déclaré l'état d'urgence
46:22qui leur permettait de rendre cette zone
46:24complètement inaccessible,
46:26d'un point de vue humanitaire, etc.
46:28Donc là, pour le coup, c'était vraiment
46:30je me rappelle d'articles dans Le Monde, etc.,
46:32qui disaient qu'on n'a plus accès
46:34à cette zone, on ne sait pas ce qui s'y passe,
46:36plus personne n'a le droit d'y aller.
46:38Donc on imagine bien que ce n'est pas
46:40pour faire respecter les droits humains.
46:42– Vous vous plongez un peu plus dans l'atmosphère,
46:44du coup, cette question concernant directement
46:46ce dont nous sommes en train de parler,
46:48ça lui paraît avoir commencé
46:50il y a des années.
46:52C'était il y a moins d'un mois.
46:54Les adieux à ses parents, les contrôles
46:56à l'aéroport avec BSM et la foule
46:58avec les visages fermés.
47:00Leur passeport est en règle pour la Biélorussie.
47:02Leur nom est sur la liste
47:04des gens autorisés.
47:06Ils sont autorisés.
47:08Le vol est interminable.
47:10Des bus attendent à l'arrivée.
47:12Ils sont attendus.
47:14On les dépose devant de grandes barres d'hôtels.
47:16Le ciel est gris, étranger.
47:18D'autres bus
47:20viennent le lendemain.
47:22Il y a les militaires.
47:24Il faut prendre toutes les affaires.
47:26D'abord, passer au centre commercial
47:28s'équiper pour le froid,
47:30faire des achats.
47:32BSM et Alma obéissent.
47:34Gourdes, chaussettes,
47:36manteaux gris pour lui,
47:38doudounes rouges pour elle.
47:40Les bus repartent,
47:42prennent de grands accès routiers,
47:44puis de petites routes,
47:46c'est la campagne l'inconnue, la foule.
47:48Le bus s'arrête.
47:50Tout le monde descend.
47:52Il y a des arbres.
47:54Les gens paniquent, refusent.
47:56Des enfants pleurent.
47:58Les militaires avancent.
48:00La frontière s'est tout droit enfouie.
48:02Le flot humain
48:04se met en marche, tout droit.
48:06Et le silence se dresse.
48:08Devant eux,
48:10un mur de parvelés.
48:12De l'autre côté, une frise
48:14d'hommes armés plantés dans le sol
48:16à intervalles réguliers.
48:18Ce qui a suivi,
48:20Alma ne peut même plus y penser.
48:22Bessem et elle contraignent
48:24qu'ils ne passeront pas la frontière.
48:26Pavarot, ils observent
48:28longtemps les gens installés
48:30au pied des arvelés.
48:32Enfants, femmes,
48:34hommes, qui attendent,
48:36le visage creusé d'une faille,
48:38une décision, une parole,
48:40quelque chose d'humain,
48:42viennent entailler le métal et dissiper la brûle.
48:44Il fait froid. Il va bientôt faire nuit.
48:46Rien ne vient.
48:48Alors, comme d'autres,
48:50Bessem et Alma s'enfoncent dans la forêt
48:52en quête d'un passage possible.
48:54Et comme d'autres,
48:56ils se perdent.
48:58C'est la même photo que nous avons dans notre dos.
49:00Oui, c'est exactement ça.
49:06Merci.
49:08Merci.
49:20Sous-titrage Société Radio-Canada

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