Hervé Bonnaud explique quels changements l’hôpital devra opérer pour allier innovation, excellence et contraintes budgétaires.
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00:00Et on commence cette émission avec l'édito d'Hervé Bonneau.
00:08Hervé, tu nous expliques quel changement l'hôpital devra opérer pour allier innovation,
00:13excellence et contraintes budgétaires, rien que ça.
00:16Merci Alix.
00:17Excellente question.
00:18Effectivement, une alliance a priori difficile à réaliser puisque coincée entre des intérêts
00:23fort divergents.
00:24Certains pensent et beaucoup pensent que l'hôpital doit rester un centre d'excellence, d'innovation
00:30d'avenir, évidemment, mais certains autres politiques pensent que c'est un centre de
00:35coûts et la conciliation de ces intérêts divergents va poser débat, mais je vais vous
00:41laisser en parler.
00:42Ce qui est intéressant, c'est que de plus en plus, j'entends dire, c'est une idée communément
00:47admise, que l'hospitalité de l'hôpital va être remise en cause.
00:51Ça ne sera plus forcément le centre d'activité essentiel de l'hôpital.
00:54On voit qu'on peut se faire opérer une prothèse de hanche le lundi et sortir le lundi.
00:58C'est comme ça que ça se passe maintenant dans les hôpitaux, d'où le développement
01:02de l'hospitalisation à domicile, notamment et pourtant, historiquement, et c'est ça
01:07qui m'a intrigué, c'est que cette notion d'hébergement était la fonction première
01:11de l'hôpital.
01:12En ancien français, hôpital, c'est comme ça qu'on disait, vient de hospitalia, qui
01:19veut dire chambre pour les hôtes, les hôtes, les hosp en latin.
01:22Donc, c'était bien pour accueillir ses invités et il n'y avait pas un centre de soins du
01:27tout.
01:28Et d'ailleurs, dans l'Antiquité, l'hospitalité était réservée à la famille, on ne s'occupait
01:31pas des étrangers, jamais, et il n'y avait aucun lieu public d'hospitalité pour les
01:36gens qui n'avaient pas de famille, les pauvres, les invalides, les vieillards, etc.
01:40Alors, ça change un peu à l'époque médiévale, mais ça n'était pas encore des centres
01:45de soins, c'était juste des centres d'hospitalité, donc des centres hospitaliers, dans ce sens-là
01:50qu'il fallait le comprendre.
01:51Et à l'époque, on vivait un christianisme d'État qui s'occupait des pauvres et des
01:55malades, et il n'y avait pas de médecins dans les hôpitaux, il y avait juste des représentants
02:00d'ordre religieux qui s'occupaient avant tout des âmes des gens qui venaient à l'hôpital,
02:07et l'important, c'était la prière et la confession.
02:10On s'occupait aussi des corps en leur donnant une soupe chaude et une couche qui n'était
02:14pas à l'extérieur, mais c'était ça la fonction hospitalière, d'ordre qui s'appelait
02:19par exemple l'ordre des hospitaliers du Saint-Esprit.
02:22C'est bien pour vous dire le mélange des genres entre la religion et l'hospital à
02:26cette époque.
02:27Donc l'hôpital à l'époque possédait différents noms, on pouvait parler d'hospice quand c'était
02:33pour accueillir les pauvres un jour ou deux, d'hôtel d'yeux quand c'était un accueil
02:38un peu plus durable pour notamment les femmes ensuite de couche, les vieillards, on parlait
02:44aussi de maison de charité pour les pauvres du Christ, c'est comme ça qu'on les appelait,
02:48les pauvres qui avaient une vie qui rappelait la souffrance du Christ sur terre.
02:52Donc très clairement, l'hospitalisation était catholique, gérée par l'église catholique
02:57de France.
02:58En disant ça, on comprend mieux les noms des hôpitaux à l'époque.
03:02Ils s'appelaient Saint-Joseph, Saint-Antoine, l'hôtel d'yeux, la Croix-Rousse, etc.
03:06Ils ne s'appelaient pas Georges-Compédoux ou Robert-Debré.
03:08Ça, ça a changé après.
03:10Donc ça, c'était le premier point et le financement de ces hôpitaux était assuré
03:15pour partie par l'église catholique et aussi par les riches, pour une partie par
03:21une charité chrétienne sans doute un peu démonstrative et aussi par peur personnelle
03:25du jugement dernier.
03:26Donc les super-riches participaient au financement de l'hôpital.
03:30Je fais un petit saut pour arriver à l'époque du grand siècle, Louis XIV, 1656, qui crée
03:37l'hôpital général.
03:38L'hôpital général a une fonction dans l'esprit de Louis XIV, c'est de remplacer
03:42des structures qui existaient, qui s'appelaient le grand bureau des pauvres ou l'hôpital
03:46des pauvres enfermés.
03:47Pour vous dire de quoi on parlait, encore une fois, il n'y avait pas de médecin là-dedans.
03:51Et c'était très clairement pour accueillir les pauvres mendiants, des mendiants poussés
03:56à la famine par les guerres et tout ce qui se passait à l'époque.
03:59Vous vous souvenez d'ailleurs de ce qui se passera quelques années après.
04:02La Révolution française arrivera de tout ça.
04:04Et la mission de l'hôpital était sanitaire, certes.
04:07Il y avait ce qu'on appelait un médecin qui accueillait les patients.
04:11Et puis, il y avait surtout une fonction sécuritaire, c'était enfermer dans un endroit bien clos
04:17des fauteurs de troubles potentiels qui étaient les mendiants, les infirmes, les prostituées.
04:21Et ça, c'était le décret qu'a signé Louis XIV.
04:24Donc, voilà.
04:25Et ça veut bien vous expliquer qu'à l'époque, seuls les pauvres allaient à l'hôpital.
04:30J'ai une anecdote qui va vous prouver que les riches n'y allaient pas.
04:33L'expression, c'est « passer sur le billard ».
04:35Les chirurgiens reconnaissent ? Qu'est-ce que ça veut dire, « passer sur le billard » ?
04:38Les pauvres restaient à l'hôpital, les bourgeois se faisaient opérer chez eux.
04:41Et quand le chirurgien arrivait chez le bourgeois, il disait « il me faut un plan dur pour opérer ».
04:46Donc, qu'est-ce qu'il y avait comme plan dur ? Dans la salle de jeu, le billard.
04:50Et c'est là qu'on opérait le bourgeois.
04:52Et c'est une anecdote tout à fait vraie qui explique que les chirurgiens ont consacré cette expression.
05:00Quelques années après, la Révolution française va arriver, née en partie des familles dont je parlais.
05:06Et la Révolution française va avoir deux conséquences pour les hôpitaux.
05:09D'abord, elle va nationaliser les hôpitaux, c'est-à-dire que, clairement,
05:14elle va supprimer le pouvoir de l'Église catholique sur les hôpitaux, ce qui va créer un problème.
05:21Les biens sont saisis, carrément, les hôpitaux sont nationalisés.
05:25Et l'État pense pouvoir gérer les hôpitaux tout seul.
05:29En fait, il ne s'en sort pas, il y a trop de pauvres, il y a trop de famines, trop de guerres.
05:32C'est un problème. Donc il refile la gestion des hôpitaux aux communes.
05:36Ce qui vous explique que, pendant des années, le maire de la commune était toujours le président de l'hôpital public.
05:42Ce qui a changé avec la loi HPST.
05:44Mais pour l'anecdote, le maire, aujourd'hui, reste président du conseil de surveillance de l'hôpital.
05:49C'est quand même pas très, très loin.
05:51Donc en tout cas, ça s'est étatisé à ce moment-là.
05:53Et puis un tout petit peu après, Bonaparte arrive, il fait le concordat.
05:57Le concordat aura trois conséquences pour la vie de l'hôpital.
06:00La première qui est, on va dire, sympathique, c'est qu'il va repermettre aux congrégations religieuses de venir.
06:06Et on va voir réapparaître les sœurs, etc.
06:09Et on va voir l'hôpital, les petites sœurs des pauvres qui vont se redévelopper.
06:13Donc le religieux revient un peu dans la gestion.
06:18Et puis, surtout, il y a deux axes qui vont se développer, la formation et la spécialisation.
06:22Donc formation, ça paraît bête, mais à l'époque, les médecins n'avaient pas de diplôme.
06:26Et donc, c'est à cette époque que l'hôpital crée des concours, l'externat, l'internat.
06:32Et le premier concours d'internat a lieu en septembre 1802.
06:3864 candidats, 24 nommés, 38% de reçus.
06:41Ça rappelle ou pas les taux actuels de transformation de l'opéra, de l'internat à Paris.
06:48Et à l'époque, donc, avant, il n'y avait pas de diplôme.
06:51Et apparaissent à ce moment-là donc deux populations de soignants, les médecins.
06:55Puisque eux, ils n'avaient pas un doctorat et ils étaient aptes à soigner.
06:58Et les officiers de santé, dont le statut fut même créé par décret en 1803.
07:04Titre qu'on voit réapparaître régulièrement dans les débats publics.
07:07Et la deuxième conséquence du concordat, c'est la spécialisation des hôpitaux.
07:13Et clairement, on va catégoriser les hôpitaux en deux catégories.
07:17Les hôpitaux dits généraux pour soigner les affections ordinaires.
07:22Donc, ils vont s'appeler Cochin, Necker, Saint-Antoine, L'Hôtel-Dieu, etc.
07:26Et puis, les hôpitaux spécialisés.
07:29Et là, vous les connaissez à Paris.
07:30La maternité de Port-Royal, la pédiatrie des enfants malades, la dermatologie à Saint-Louis.
07:36Saint-Louis, parce que comme il a eu la peste, il avait des problèmes cutanés.
07:40C'est pour ça que cet hôpital porte le nom du roi Louis IX, qui se faisait appeler Saint-Louis.
07:46Et puis, les hospices de Bicêtre pour les hommes et les folles, on les mettait à Pitié-Salpêtria.
07:51Les folles, je dis ça, ce n'est pas une invention de ma part,
07:55puisqu'à l'époque, c'est là qu'on enfermait dans cet asile les hystériques et les schizophrènes.
08:00Et que même le célèbre psychiatre Charcot organisait le bal des folles,
08:04c'est-à-dire qu'il les faisait s'habiller, il les rendait très belles.
08:07Et il invitait le tout Paris à venir s'encanailler en regardant ces femmes déguisées qui venaient danser et chanter.
08:15Ensuite, l'évolution de l'hôpital va être plus rapide.
08:17Moins de 20 ans vont séparer la fin de l'hôpital Hospice en 1941 de l'hôpital Excellence,
08:25voulu par la loi de Robert Debré, qui était professeur de médecine, en 1958.
08:31Et à l'époque, on parlait déjà d'hospitalocentrisme parce que c'est la loi Debré qui a vraiment implanté ce nouveau concept.
08:38Alors, ce débat peut être lancé autour des questions alimentées par l'histoire.
08:44Comment associer dans un futur proche innovation et hospitalité ?
08:49Peut-on associer technique et humanisme ?
08:52Et comme en 1789, l'hôpital doit y faire sa révolution.
08:57Est-ce que quelqu'un veut réagir ?
08:59L'hôpital doit-il faire sa révolution pour introduire notre débat ?
09:04Je pense qu'effectivement, l'hôpital doit faire sa révolution.
09:08On est un peu focalisés aujourd'hui parce qu'il y a une révolution technologique très importante en cours,
09:14qui vient aussi brasser les cartes.
09:19On a l'impression, pour nous, qu'on a une table qui s'est retournée.
09:25Je peux parler pour la chirurgie, on s'intéresse surtout à la chirurgie.
09:30Et jusqu'à présent, ce qui se produisait, c'est que quand on inventait quelque chose,
09:35quand on progressait en chirurgie, l'artisan, le chirurgien, avait une idée pour un traitement.
09:44Et cette idée, il allait regarder, il fabriquait ses instruments très souvent,
09:49et il allait chercher avec d'autres artisans pour trouver l'outil qui était nécessaire.
09:57Et là, les progrès de la chirurgie ou les progrès de l'interventionnel ou de la médecine en général viennent du haut.
10:04C'est l'inverse. La table est retournée, et ce qui se passe, c'est que c'est la technologie qui redescend
10:10et impose la transformation complète du soin, de l'organisation du soin.
10:15Donc on a aussi ce phénomène qui ne s'est pas produit pendant toutes ces années,
10:20où sans être véritablement un développement linéaire, on a eu un développement progressif,
10:27d'acrémentation sans un bouleversement, un changement de paradigme aussi important que celui-là.
10:33– Northèle ?
10:34– Oui, peut-être aussi pour compléter, ça a été évoqué par Hervé,
10:37mais en plus de ce que vient d'évoquer mon confrère,
10:42il y a aussi deux autres vents très importants qui nous poussent dans cette transformation.
10:47La première, c'est les crises successives qu'on a vécues ces dix dernières années,
10:51la crise du Covid, les pénuries de soignants, et puis maintenant la crise inflationniste
10:55avec aussi des budgets de santé qui se réduisent et donc les moyens de l'hôpital
10:59qui finalement ne suivent pas ces tendances, voire même les mettent en péril.
11:05Et la deuxième tendance que je voulais évoquer aussi,
11:08c'est la voix des patients qu'on entend de plus en plus.
11:13On évoquait le fait qu'aujourd'hui les patients passent de moins en moins de temps à l'hôpital
11:18et qu'il y a ce terme hospitalisé, en tout cas d'accueil à l'hôpital qui prend de moins en moins de place.
11:24Mais aujourd'hui, le prendre soin du patient passe par la voix du patient
11:27et le patient n'a plus envie d'être à l'hôpital.
11:30Et donc il faut qu'on soit aussi en mesure d'écouter ces voix-là
11:34et de développer les nouvelles prises en charge qui font ce lien ville-hôpital
11:37sur lesquelles les frontières sont de plus en plus floues.
11:40On a parlé de l'hospitalisation à domicile, de tout ce qui est télémédecine aussi.
11:44Et on voit bien que tout ça, ça challenge l'hôpital aussi.
11:48On va pouvoir l'aborder plus en détail dans notre débat, Nicolas, peut-être que tu as une réponse ?
11:52Je vais peut-être réagir à deux choses,
11:55enfin répondre à deux questions qui ont été posées à la fin de l'édito,
11:58à savoir est-ce que l'hôpital peut rester un lieu d'hospitalité
12:01et est-ce que la technologie et l'humain sont contradictoires ?
12:05Alors est-ce que l'hôpital peut rester un lieu d'hospitalité ?
12:07Oui, bien évidemment, parce qu'il y aura toujours, même s'il y a beaucoup de progrès, en effet,
12:11lié à la chirurgie, lié au traitement, lié à l'anesthésie,
12:13qui ont permis de multiplier par deux, grosso modo, l'ambulatoire ces 20 dernières années.
12:19Il y a quand même des gens qui seront hospitalisés et qui auront vocation à rester à l'hôpital.
12:23Donc oui, il faut que l'hôpital soit un lieu d'accueil et ça, les technologies,
12:27notamment l'intelligence artificielle, sont un très bon outil
12:30parce que ça doit permettre d'aller plus vite aux urgences, de fluidifier le parcours de soins
12:36et donc de libérer du temps, au fond, et de libérer des ressources
12:39pour pouvoir accueillir et garder le cas échéant des gens qui ont besoin d'être hospitalisés.
12:43Ça, c'est la première chose.
12:44Deuxième chose sur la technologie et l'humain,
12:47en fait, ça se complète très bien.
12:50Les deux ne sont pas substituables et il y a souvent cette erreur de perspective
12:54qui consiste justement à penser que plus on a recours aux technologies,
12:57plus on va vers une déshumanisation.
12:59En fait, c'est très exactement l'inverse.
13:01Et d'ailleurs, si j'ai envie de prendre un tout petit peu de recul philosophique,
13:06la spécificité de l'être humain, c'est justement qu'il crée des technologies.
13:09C'est la seule espèce vivante qui crée des technologies
13:11parce qu'on n'a pas d'ailes, on n'a pas de roues, on n'a pas de moteur, etc.
13:15On n'a pas de... On ne va pas vite, on n'a pas beaucoup d'endurance.
13:18Donc, on est très limité dans notre biologie et c'est la raison pour laquelle,
13:21au fond, pour contrecarrer ce mode évolutionniste qui nous a pas fait de cadeaux,
13:25on a été obligé de créer des technologies,
13:27donc des voitures, des avions, des médicaments, des dispositifs médicaux, etc.
13:31Donc, des robots.
13:33Donc, en fait, la technologie est absolument consubstantielle à l'humain.
13:36Et donc, la question, ce n'est pas de savoir technologie ou humain,
13:40ce n'est pas de savoir accueil où on garde les gens juste quelques heures, etc.
13:44C'est comment on utilise les technologies
13:47pour répondre aux besoins de la population en matière de santé.
13:51Et je m'arrête juste là-dessus,
13:52mais ce qui est très intéressant dans le domaine de l'hôpital,
13:54alors les cliniques moins, mais l'hôpital,
13:56c'est en fait l'organisation la plus rigide qui soit.
13:59C'est pour ça que ça m'intéresse.
14:01Moi qui suis, contrairement à vous, à l'extérieur du système,
14:05ça m'intéresse parce qu'en effet, c'est sans doute le secteur
14:07où il y a le plus d'évolution technologique
14:09et c'est le secteur où les organisations sont les plus rigides
14:12et l'hôpital si rigide parce que c'est très régulé,
14:14parce que c'est très gros, parce que c'est très compliqué,
14:16parce que c'est de la fonction publique aussi.
14:19Donc, il y a un statut.
14:19Donc, on ne peut pas faire ce qu'on veut en matière de ressources humaines.
14:22C'est le moins qu'on puisse dire.
14:23Et donc, en fait, la crise, la façon dont je l'analyse,
14:26vous avez évoqué le terme de crise.
14:27Pour moi, la crise, c'est justement la contradiction entre...
14:33J'aime beaucoup ces expressions.
14:35Vous allez dire en fait, la technologie retourne la table,
14:37sauf que la table n'a pas été retournée en fait.
14:40Et c'est ça, toute la difficulté et ce qu'on doit résoudre
14:44et la réflexion qu'on doit avoir sur l'hôpital,
14:47c'est justement comment est-ce qu'on réorganise,
14:49comment est-ce qu'on améliore l'hôpital
14:50pour faire en sorte que les technologies rentrent sans douleur.
14:52Elles entrent aujourd'hui, mais avec beaucoup de douleur.
14:55Comment elles entrent sans douleur et puis surtout pour les patients ?
14:58On va pouvoir rentrer plus en détail sur cette question-là.
15:03C'est parti, c'est l'heure du débat.