Les députés ont adopté ce vendredi 25 octobre dans l’hémicycle, contre l’avis du gouvernement, un amendement LFI au budget de l’État pour créer un nouvel impôt sur le patrimoine des milliardaires, après avoir repoussé des tentatives de rétablissement de l’ISF. Cette "taxe Zucman", comme l'a mentionnée le député Eric Coquerel dans l'hémicycle, devra toutefois survivre à la navette parlementaire et un éventuel recours au 49.3 pour espérer rentrer en vigueur. Pour tout comprendre à la taxation des "très très riches", nous avons fait débattre les économistes Gabriel Zucman et Olivier Blanchard. Regardez.
Cet échange est extrait d'un des "grands débats éco du 'Nouvel Obs'", à retrouver en intégralité sur notre site : https://bit.ly/debat-Zucman-Blanchard
Cet échange est extrait d'un des "grands débats éco du 'Nouvel Obs'", à retrouver en intégralité sur notre site : https://bit.ly/debat-Zucman-Blanchard
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00:00Les milliardaires ne payent pas d'impôt sur le revenu. Quasiment pas d'impôt sur le revenu. Pourquoi ? Parce qu'à ce niveau de patrimoine-là,
00:10c'est très simple de structurer sa fortune de façon à ce qu'elle ne génère pas de revenu imposable. D'accord ? Donc il n'y a pas de revenu fiscal.
00:18Ils le font en utilisant des sociétés holding, différents montages. Mais le résultat est toujours le même. Très peu de revenu fiscal,
00:24dont très peu d'impôt sur le revenu payé. D'où une proposition que j'ai formulée. J'ai beaucoup travaillé en particulier dans le cadre du G20
00:33pour essayer d'avancer la discussion internationale sur ces questions, qui consiste à dire qu'on peut créer un impôt minimum sur les très grandes fortunes
00:41pour s'assurer qu'elles payent un minimum d'impôt sur le revenu chaque année. Pour que ça marche, il faut que le minimum soit exprimé non pas en fonction
00:49du revenu taxable fiscal, qui est quasiment nul, ce qui est malheureusement la proposition dans le budget Barnier de taux minimum à 20%.
00:57Ça ne marche pas. Il faut que le taux minimum soit exprimé en fonction du patrimoine lui-même. Bon. Donc la proposition que j'ai formulée,
01:05c'est taux minimum de 2% de la fortune. Bon, quelqu'un qui paierait déjà beaucoup d'impôt sur le revenu pour des raisons XY,
01:12ça peut arriver, n'aurait rien de plus à payer. Mais quelqu'un qui paie 0 impôt sur le revenu – et c'est plutôt la norme parmi les milliardaires –
01:18devrait maintenant payer en impôt sur le revenu 2% de son patrimoine. Alors si on fait le calcul, combien ça pourrait rapporter sur la base des chiffres disponibles ?
01:27Donc on peut prendre le classement des 500 plus grandes fortunes Challenge. Elles ont à peu près 1 200 milliards d'euros de patrimoine.
01:36Elles payent très peu d'impôt sur le revenu. Donc 2% de ça, déjà, ça fait 24 milliards d'euros. Bon. Alors il y a des incertitudes.
01:44Certaines de ces grandes fortunes ne sont pas résidentes fiscales en France. Peut-être que Challenge serait stimulant en richesse.
01:49Peut-être qu'ils sont stimulants en richesse. Mais donc il y a une marge d'erreur. Mais mettons qu'avec un taux minimum de 2% sur ces toutes petites catégories de la population –
01:59on parle de vraiment très très peu de ménages –, on peut espérer 15 à 25 milliards d'euros de recettes fiscales, donc de 0,6 à 0,9 point de PIB.
02:09Ce qui, je pense, dans la trajectoire budgétaire, ça va pas tout résoudre. Mais ça permet de résoudre peut-être à terme à peu près un tiers de notre problème de déficit excessif.
02:27Et puis on parle de gens, encore une fois, avec la capacité contributive maximale et qui payent extrêmement peu. Donc il n'y a aucune raison de ne pas le faire.
02:35Le débat, effectivement, est particulièrement important. C'est comment on règle les problèmes d'exil fiscal potentiel.
02:41C'est-à-dire est-ce qu'il n'y a pas un risque que ces gens de fortune prennent leur valise, des ménages en Belgique ou en Suisse.
02:46Donc je voudrais répondre brièvement sur ça parce que c'est effectivement le cœur du problème.
02:49Et ce qui est très important à comprendre, c'est que l'exil fiscal, la concurrence fiscale internationale de façon plus générale, c'est pas une espèce de loi de la nature.
02:58C'est en fait un choix qu'on fait de la tolérer. Mais on pourrait faire d'autres choix.
03:04C'est-à-dire que là, pour le moment, ce que la France fait, comme la plupart des autres pays – pas tous, mais la plupart –, la France dit « Quelqu'un qui a vécu très longtemps en France,
03:12devenu très riche et maintenant part s'installer en Suisse, on arrête immédiatement de la taxer, cette personne ».
03:17Bon, pourquoi pas ? C'est le choix qui est fait. Mais enfin, on pourrait faire d'autres choix.
03:20On pourrait dire « Quelqu'un qui est devenu extrêmement riche en France en ayant vécu longtemps, donc qui a bénéficié des services publics, des infrastructures, de l'éducation, de la santé,
03:29et qui maintenant part s'installer dans un paradis fiscal, nous allons continuer à taxer cette personne ».
03:35Nous allons continuer à la taxer pendant 5 ans, pendant 10 ans, pendant 15 ans. Enfin, je veux dire, on peut discuter.
03:40Mais enfin, l'idée de dire « On arrête immédiatement de la taxer », rien ne nous oblige de le faire. Et c'est trop extrême.
03:45Donc, avec des mécanismes de cette nature-là, où l'impôt minimum de 2% sur les patrimoines pourrait continuer à suivre les ex-résidents,
03:55s'ils ont vécu longtemps en France, ont devenu très riche en France, on continue à les taxer un peu après leur départ.
04:00C'est comme ça qu'on peut résoudre en grande partie ces problèmes d'exil fiscal.
04:05Deux réactions. La première, c'est qu'il y a eu une discussion parallèle sur la position des multinationales, où Gabriel a fait un très bon boulot et il y a des progrès.
04:13Et ça implique en effet un accord entre différents pays. Mais j'ai l'impression qu'on va dans la bonne direction.
04:19Sur l'imposition des très riches, l'ironie, c'est que les États-Unis sont tout à fait en avance, sur la France en particulier.
04:28Ils ont deux choses. Ils ont ce qu'on appelle l'exit tax. C'est-à-dire que Gabriel voulait taxer pendant 5 ans.
04:35Ils le font une fois quand tu sors. Et ça peut être assez substantiel. Donc, l'exit fiscal est moins attirant.
04:42L'autre, c'est la manière dont les gens très riches évitent de payer des impôts.
04:48Comme Gabriel l'a dit, c'est en gros d'avoir des revenus réels très importants, de les mettre dans une boîte et de se payer des dividendes relativement limités.
04:58Donc le revenu fiscal est limité. Mais ça veut dire que dans la boîte, dans la compagnie que tu as, il y a de plus en plus d'argent.
05:06Parce que tu sors pas l'argent. Mais il est là. D'accord ? Aux États-Unis... En France, tu peux faire ça. Il n'y a pas de limite.
05:12Tu peux avoir une boîte. Moi, par exemple, j'ai une boîte. Je ne sais pas. Je n'essaie pas de faire de l'optimisation fiscale.
05:16Mais tu vois, les revenus arrivent. Et je sors ce dont j'ai besoin. Et l'argent qui s'accumule, personne ne me dit rien.
05:22Aux États-Unis, si je faisais ça et si ce que j'accumulais était trop large, l'IRS vient me voir et me dit
05:29« Monsieur, vous avez tout cet argent dans cette boîte. Vous avez l'intention d'en faire quoi ? »
05:33Si je leur dis « Oui, non. J'ai un projet d'investissement l'année prochaine. J'ai vraiment besoin du fric. Je vais le faire. »
05:38Ils disent très bien. Si tu n'as pas de bonne réponse, ils te disent « Vous sortez l'argent et ça apparaît dans le revue fiscal. »
05:45Ce n'est pas pour dire que les États-Unis sont extraordinaires du point de vue de la taxation des très riches.
05:50Mais tu vois, souvent, quand Gabriel parle, on a l'impression de « Qu'est-ce que c'est que ce type qui a des idées absolument invraisemblables ?
05:59C'est totalement impossible, avec toute l'amitié que j'ai pour Gabriel. »
06:03Mais ce n'est pas le cas. Il y a des mesures qui sont prises.
06:07Sur le multinational, il y a eu du progrès qui paraissait impossible autrefois.
06:11Là-dessus, il me semble qu'on peut faire des choses.
06:13Là encore, ce que je veux séparer, c'est que je ne suis pas sûr du chiffre de Gabriel.
06:17Parce que d'abord, moi je fais 1%. Toi, tu fais 2%.
06:20Je pense que 1% serait plus acceptable pour les très riches. Il y aura moins d'exit fiscal.
06:24Et puis, il y aura tout de même de l'exit fiscal.
06:26Je pense qu'on n'est pas du tout dans quelque chose qui résout le problème global.
06:30Mais il faut absolument le faire pour des raisons morales, pour des raisons politiques, pour des raisons éthiques.
06:37Il n'y a pas de raison que les gens très riches paient moins d'impôts que les autres.