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Reportage : Nicolas Fillon

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Transcription
00:00Adeline tend l'oreille pour traduire les souffles de son mari.
00:03Adeline...
00:05Adeline...
00:07T'étais en fauteuil roulant, oui.
00:09En quelques semaines.
00:10La jeune femme brune regarde et serre tendrement la main de son mari.
00:14Emilien est comme prisonnier de son propre corps
00:17à cause de cette satanée maladie de Charcot.
00:20Sa forme génétique de sclérose latérale amyotrophique
00:23touche en France une centaine de patients.
00:26Atteint de tétraparésie, ce fan de punk breton
00:29percé des deux oreilles et coiffé d'une dreadlock
00:32ne contrôle plus ses muscles.
00:34Il navigue en fauteuil roulant électrique
00:36et communique grâce à la voix synthétique
00:38qui sort de sa tablette à commande visuelle
00:41en sélectionnant les lettres et les mots avec les yeux.
00:44J'ai eu des symptômes au printemps 2020.
00:46Emilien n'arrivait plus à relever la pointe du pied droit,
00:49ce qu'on appelle le releveur.
00:51On ne s'est pas inquiétés tout de suite
00:53parce qu'on n'est pas des gens pessimistes.
00:56Il y avait eu une chute avant
00:58et on ne s'est pas inquiétés.
01:00Sauf que plus le temps passait
01:02et plus la paralysie de la jambe s'est étendue.
01:07Et après, c'était le releveur de l'autre pied.
01:10Les premiers examens ne donnent rien
01:12mais en octobre 2020, le diagnostic tombe.
01:15Quand on vous annonce une maladie
01:17qui est d'emblée en soins palliatifs
01:19donc pas du tout de traitement curatif possible,
01:22on avait notre petite fille
01:24qui venait juste d'avoir 3 ans.
01:26Ça a été très compliqué
01:28donc on n'a pas forcément entendu le protocole.
01:30Le sénoné a 35 ans
01:32quand on lui annonce que son espérance de vie
01:34n'est que de quelques mois.
01:36A l'époque, il pense d'abord à l'euthanasie
01:38en Belgique avec l'aide d'Adeline.
01:40La hantise d'Emilien
01:42c'était de garder l'usage de son cerveau
01:44mais de perdre l'usage de son corps.
01:46Je ne voulais pas d'une déchéance
01:48et de souffrance inutile.
01:50Mais presque au même moment
01:53Emilien intègre une étude thérapeutique
01:55grâce au service neurologie
01:57de la Pitié-Salpêtrière à Paris
01:59qui le suit toutes les 4 semaines.
02:01On lui injecte un médicament
02:03en provenance des Etats-Unis
02:05le calçodi, une piqûre dans la colonne vertébrale
02:07comme une ponction lombaire.
02:09Au début, le jeune homme alterne
02:11entre injection du calçodi
02:13et celle d'un placebo.
02:15Je pouvais constater la progression
02:17de la maladie entre le soir au coucher
02:19et le matin au réveil tellement
02:21que la pression était fulgurante.
02:23Je perdais également, à chaque hospitalisation
02:2510% de capacité respiratoire.
02:27Vous le ramassez à la petite cuillère
02:29ça vous fait mal au cœur
02:31mais vous dites qu'il faut tenir le coup
02:33parce que si vous plongez avec lui c'est fini.
02:35J'ai eu des moments de doute.
02:37Oui, parce qu'en fait
02:39on a eu des moments extrêmement
02:41difficiles et douloureux
02:43quand Emilien parle de moments de doute
02:45parce que des fois, ils n'arrivent pas forcément
02:47à piquer du premier coup.
02:49Il y a eu des fois où ils ont piqué
02:517, 8 fois et
02:53il faut savoir que c'est quelque chose
02:55qui est quand même douloureux
02:57à répétition et du coup
02:59il y a des fois où
03:01Emilien a voulu quitter l'étude parce qu'il
03:03en avait juste marre de souffrir.
03:05Si vous voulez, c'est comme si on vous maintenait
03:07la tête sous l'eau quand ça se passe mal.
03:09Et c'est en juin 2021 qu'Emilien
03:11intègre l'extension de l'étude expérimentale
03:13avec la certitude
03:15d'avoir uniquement le médicament
03:17En injection, les progrès ne tardent
03:19pas pour l'icôner.
03:21La maladie s'est quasiment stoppée. J'ai retrouvé
03:23de la mobilité de la jambe gauche.
03:25La respiration a cessé de se dégrader.
03:27J'ai même retrouvé de la mobilité
03:29au niveau de la mâchoire.
03:31Je suis donc passé d'une mort certaine
03:33et rapide à un état quasi stabilisé.
03:35Mais c'est vrai qu'ils n'ont pas compris et donc
03:37il y a plusieurs
03:39neurologues de manière individuelle qui sont venus dans la
03:41chambre parce qu'en fait ils n'arrivaient pas à y croire
03:43et ils n'ont pas réussi à nous expliquer
03:45ce qu'il se passait. On est quand même passé d'un projet
03:47de mort à...
03:49On est tombé sur des gens au top et
03:51c'est vrai qu'on est passé d'un projet de mort
03:53à un petit espoir.
03:55L'été dernier, l'essai thérapeutique
03:57prend fin mais Emilien continue
03:59de recevoir du Calsodi
04:01en accès précoce, c'est-à-dire
04:03prise en charge par le laboratoire américain
04:05Biogen qui produit le médicament
04:07en attendant l'autorisation
04:09de mise sur le marché français
04:11et l'accord avec la sécurité sociale
04:13pour le remboursement de l'injection
04:15qui coûte 30 000 euros par mois.
04:17Sauf que début octobre
04:192024, refus catégorique
04:21de la Haute Autorité de Santé
04:23qui estime le traitement pas assez
04:25efficace, une décision
04:27incompréhensible pour Adeline et Emilien.
04:29Et là en fait
04:31c'est comme si tout ce qu'on avait
04:33fait, toutes les barrières qu'on a
04:35réussi à faire tomber, tout ce qu'on a
04:37entrepris et qui
04:39a abouti de manière positive
04:41c'est comme si on revenait
04:43au 2 octobre 2020. On a un
04:45traitement, nous on a
04:47la preuve qui marche et c'est
04:49comme si depuis 4 ans tout ce qu'on avait fait
04:51avait servi à rien. Et puis
04:53quel message ça envoie aussi
04:55aux patients atteints de maladies rares ?
04:57Ça veut dire que l'État les laisse sur le bord de la route
04:59et les abandonne ? Et puis quel message ça
05:01envoie aussi aux laboratoires et aux équipes
05:03de recherche ? Ça veut dire
05:05venez pas en France parce que ça vaut pas le coup
05:07puisque vous allez faire un travail qui ne va
05:09pas être reconnu et qui va même être
05:11jeté à la poubelle après. Surtout que
05:13ça a été autorisé aux États-Unis,
05:15en Allemagne, en Italie. On peut pas dire
05:17aux gens votre traitement coûte trop
05:19cher donc on vous laisse crever.
05:21Et je n'ai pas fait le cobaye pendant
05:234 ans pour qu'on retire un traitement
05:25prometteur aux malades. Si vous voulez,
05:27on peut pas regarder un malade
05:29mourir dans des souffrances atroces
05:31parce qu'il faut savoir que la faim
05:33c'est la déclinaison
05:35de l'appareil respiratoire. Donc on peut
05:37pas laisser des malades
05:39et on peut pas les regarder et leur dire
05:41écoutez il y a un traitement mais on vous
05:43le donne pas. Pour se faire entendre, le couple
05:45Sénonnet tente d'alerter des députés,
05:47des sénateurs jusqu'au président
05:49Emmanuel Macron.
05:51Surtout.
05:55Surtout on doit se montrer.
05:57Faut savoir que dans la pratique c'était
05:59aussi dans la plupart des cas
06:01une personne comme tout le monde.
06:03Comme vous, comme moi, qui avait une
06:05vie normale et en fait
06:07ça peut toucher tout le monde. A tout moment, ça peut
06:09basculer. Il faut aussi montrer
06:11malheureusement ce que c'est un malade.
06:13Parce qu'une prise de conscience
06:15ça serait bien. Sans réponse, les deux
06:17icones continuent de se battre pour les autres
06:19malades, les soignants, mais aussi
06:21pour qu'Emilien, 39 ans aujourd'hui,
06:23puisse vivre assez longtemps
06:25afin de continuer à voir grandir leur
06:27petite fille. Quand il a été malade
06:29elle avait 3 ans, elle en a 7 aujourd'hui.
06:31On a pu la voir apprendre à nager,
06:33lire, apprendre à faire du vélo,
06:35du roller, rien que
06:37de voir un spectacle de fin d'année.
06:39Parce qu'on se dit, quand on part en vacances
06:41est-ce que c'est la dernière fois qu'on part ?
06:43Est-ce que je vais voir la prochaine fête de l'école ?
06:45Est-ce que je vais pouvoir
06:47profiter ?
06:49On se demande à chaque fois si c'est le dernier
06:51et du coup chaque moment prend une importance
06:53extraordinaire parce que
06:55il faut savoir que là maintenant, Emilien
06:57ne peut plus lire des histoires le soir,
06:59ne peut plus tenir dans ses bras sa fille.
07:01C'est horrible à dire mais
07:03c'est des moments douloureux mais d'un autre côté
07:05il y a juste des moments géniaux
07:07quand elle va à la piscine
07:09et puis qu'elle dit, papa regarde-moi
07:11je sais faire un plongeon
07:13même si c'est un plat
07:15horrible c'est pas grave
07:17mais voilà c'est des moments
07:19vraiment super et c'est bête
07:21mais on les savoure.
07:23L'année dernière, nous avons pu
07:25faire de la montgolfière tous les 3.
07:27Nous partons régulièrement en vacances
07:29cette année nous avons même fait
07:31du camping et j'ai pu faire des bains de mer.
07:33Avec tout ça, je ne comprends
07:35vraiment pas la décision de l'HAS
07:37car si la maladie redémarre
07:39aussi vite qu'elle avait commencé
07:41tous ces petits bonheurs disparaîtront
07:43avec la mort en ligne de mire
07:45et une petite privée de son père.
07:47On ne peut pas ne plus avoir d'espoir c'est pas possible
07:49on l'a goûté donc
07:51on ne peut pas lâcher.
07:53Tu es là c'est déjà bien
07:55on est tous les 3 ensemble c'est le plus important.

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