Émission exceptionnelle cette semaine dans « Au bonheur des livres ». Claire Chazal reçoit un invité unique, qui a pour particularité d’avoir été Président de la République avant de redevenir aujourd’hui député de la Corrèze : François Hollande. Mais ce n’est pas seulement l’homme politique, rompu aux joutes parlementaires et élyséennes, qui est ainsi convié sur le plateau de Public Sénat : c’est aussi l’homme de plume, habitué des succès de librairie, qui livre aujourd’hui son histoire de la gauche, sous le titre : « Le Défi de gouverner. La gauche et le pouvoir de l’affaire Dreyfus jusqu’à nos jours » (Ed. Perrin). Une telle façon d’intituler son ouvrage montre bien que l’ambition de François Hollande est d’aborder le passé en véritable historien du courant de pensée qui est le sien, mais également d’envisager le présent… et peut-être son propre avenir, puisqu’il semble loin de vouloir prendre sa retraite politique. Une conversation sans concessions avec Claire Chazal, avec le recul nécessaire pour nous éclairer sur le positionnement d’un acteur majeur du jeu politique contemporain. Année de Production :
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00:00Retrouvez « Au bonheur des livres » avec le Centre National du Livre.
00:05Musique
00:24Bienvenue dans l'émission littéraire de Public Sénat.
00:27Je suis ravie de vous retrouver pour un nouveau numéro d'« Au bonheur des livres ».
00:32Vous savez que nous essayons de vous donner l'envie de lire des livres
00:35et puis aussi de découvrir ou de mieux connaître leurs auteurs.
00:39Alors aujourd'hui, une émission un peu exceptionnelle car nous avons un seul invité
00:43mais il faut dire qu'il s'agit d'un ancien Président de la République
00:46et qu'il a écrit un livre qui est une sorte de somme,
00:49qui revient sur toute l'histoire de la gauche depuis l'affaire Dreyfus,
00:52c'est-à-dire sur plus de 100 ans, c'est bien sûr François Hollande.
00:55– Bonjour Claire Chazal.
00:56– Merci beaucoup de venir dans notre émission.
00:58Alors je précise que vous avez déjà beaucoup écrit dans votre vie,
01:01d'homme politique bien sûr, y compris d'ailleurs pour le jeune public,
01:04pour la jeunesse, et là donc vous nous proposez une fresque
01:09qui revient sur cette histoire de la gauche que vous connaissez bien
01:13mais que vous nous détaillez depuis l'affaire Dreyfus,
01:16c'est-à-dire on va dire cette affaire qui se situe entre 1894 et 1906,
01:20mais on va y revenir, et ça s'appelle « Le défi de gouverner ».
01:24Alors je ne rappelle pas que vous avez été président de la République
01:26bien sûr de 2012 à 2017, que vous aviez été élu député socialiste
01:30en 88 pour la première fois, et puis que là vous venez d'être réélu,
01:34et oui en Corrèze, vous aviez été aussi bien sûr premier secrétaire
01:37du Parti Socialiste de 1997 à 2008.
01:41Alors vous donc, vous nous revenez sur toutes les grandes dates de la gauche
01:46depuis le début du XXe siècle disons, ça s'appelle « Le défi de gouverner ».
01:51Est-ce que ça veut dire déjà, François Hollande, que cette histoire,
01:54que cette gauche que vous nous décrivez, à laquelle vous appartenez,
01:57il y a plusieurs gauches bien sûr, c'est ce qu'on va dire,
01:59mais au fond elle s'est toujours heurtée, et peut-être encore aujourd'hui,
02:03à la difficulté d'accéder au gouvernement, de se faire un parti de gouvernement.
02:08– Oui, d'accepter même l'idée de gouverner, d'admettre qu'à un moment
02:13il va falloir sortir de la posture, de la protestation,
02:18de l'évocation d'un avenir radieux pour arriver à la responsabilité.
02:24Et à quel moment, c'est pour ça que je date l'histoire
02:28de la gauche au pouvoir, de l'affaire Dreyfus,
02:30à quel moment il y a eu cette prise de conscience ?
02:33Eh bien c'est au moment précisément où la gauche,
02:37à l'époque c'était le mouvement socialiste dans toute sa diversité,
02:40se pose la question, est-ce que l'affaire Dreyfus,
02:44un capitaine juif qui a été accusé, sans doute est-il innocent,
02:50mais faut-il soutenir cette cause ?
02:53Ou est-elle finalement secondaire par rapport à l'objectif
02:57qui est de défendre le prolétariat, d'attendre la révolution,
03:00et éventuellement de lutter pour que l'égalité puisse se faire ?
03:05– Une grande égalité.
03:06– Et là, Jean Jaurès, après avoir réfléchi…
03:09– Parce que ce qui est important, c'est ce que vous décrivez,
03:11c'est que ces quelques grandes figures qui prennent position pour Dreyfus,
03:15c'est Blum, c'est Jaurès, elles sont à gauche.
03:19– Elles sont à gauche, il y en a aussi qui sont plus modérées,
03:22plus républicaines, et notamment Valdez-Crousseau,
03:26qui va être le président du Conseil de 1899,
03:30parce qu'il va prendre conscience qu'il faut régler cette affaire Dreyfus,
03:34et donc au sein du mouvement socialiste, Jaurès dit,
03:37écoutez, nous avons sans doute des luttes à mener,
03:40nous avons cette priorité qui doit être accordée à la révolution,
03:45mais il faut d'abord soutenir un innocent.
03:47Quand Jules Guedde, l'autre fraction du socialisme,
03:51dit non, non, non, ne nous occupons pas de ça,
03:53nous verrons bien ce qui se passera, c'est le gouvernement bourgeois.
03:56Et pour la première fois, un socialiste qui s'appelle Millerand,
03:59bon après il aura une vie à peu près…
04:01– Oui, parce qu'après on va le retrouver dans notre lit.
04:03– Oui, à peu près, plus à droite, mais en tout cas,
04:05ce socialiste-là accepte d'entrer au gouvernement,
04:08et c'est la première fois qu'un socialiste vient siéger dans un gouvernement
04:12pour régler l'affaire Dreyfus,
04:15mais aussi pour faire avancer un certain nombre de textes,
04:18notamment déjà sur la limitation du temps de travail.
04:21– Alors sur ce dilemme, gauche de gouvernement ou pas,
04:25il y aura bien sûr, et c'est une autre étape,
04:27parce que dans votre livre, il y a énormément de choses,
04:29ça fourmille bien sûr de détails, c'est un livre pour étudiants, on peut le dire.
04:32– Oui, c'est vrai.
04:33– C'est un manuel pour… – C'est un livre d'histoire.
04:35– C'est un livre d'histoire pour tous ceux qui veulent faire Sciences Po,
04:37une maîtrise d'histoire, ou tous les autres d'ailleurs,
04:39pour nous rappeler, nous rafraîchir la mémoire sur notre propre histoire.
04:43Alors bien sûr, cette gauche qui est déjà divisée,
04:46entre ceux qui vont adhérer au marxisme
04:48et ceux qui vont rester dans cette optique-là de social-démocratie,
04:51pour dire les choses, bien sûr il y a le congrès de Tours,
04:54et ça c'est une chose très importante,
04:56dans laquelle Léon Blum va certes être minoritaire,
04:58mais définir cette ligne.
05:00– Alors voilà, c'est la deuxième séparation,
05:02après celle au moment de l'affaire Dreyfus,
05:04il y a la révolution russe qui était intervenue en 1917,
05:07les communistes soviétiques posent des conditions
05:11pour adhérer à une nouvelle internationale,
05:14la majorité à l'époque du parti socialiste
05:17va souscrire à ces conditions-là,
05:20et puis une minorité, animée par Léon Blum, va dire non.
05:24Nous, on considère que même si on peut soutenir une révolution,
05:28les principes démocratiques, les libertés individuelles et collectives,
05:32les institutions ne sont pas négociables,
05:35et que s'il doit y avoir un jour une prise du pouvoir,
05:39elle devra se faire dans le respect des constitutions,
05:43des institutions et de la liberté individuelle,
05:46c'est la coupure entre les socialistes et les communistes,
05:49et elle va durer longtemps.
05:51– Très longtemps, jusqu'à aujourd'hui bien évidemment,
05:53alors cette coupure, ça nous amène François Hollande
05:55à aborder votre définition des identifiants du socialisme,
06:00au fond c'est ça qui aussi nous intéresse,
06:02alors vous dites, ce socialisme est fondé sur plusieurs identifiants,
06:07la République, la laïcité, l'Europe, les conquêtes sociales,
06:10voilà comment vous définissez votre…
06:12– Oui, et ce n'est pas toujours facile à concilier
06:15les conquêtes sociales et les engagements européens
06:19ou l'ouverture au monde,
06:21est-ce que pour faire avancer les progrès,
06:25il faut se couper, se barricader,
06:30en se disant le monde est dangereux, le monde c'est la concurrence,
06:33l'Europe qui se construit progressivement
06:36risque d'être un enfermement et un empêchement
06:40de mener des conquêtes sociales,
06:42et c'est là qu'arrive une nouvelle coupure,
06:44je crois que c'est François Mitterrand qui en est le responsable,
06:49et je salue d'ailleurs son sens de la responsabilité,
06:511983, au moment où il y a eu des conquêtes sociales,
06:55et pour les digérer, pour les traduire dans le temps,
07:00pour qu'elles puissent mûrir,
07:02il faut quand même respecter des règles économiques.
07:04– Alors ça, ça sera le tournant de la rigueur,
07:06on va en parler bien sûr, et ce sera ces concessions
07:08qu'il faut faire pour être un parti gouvernement.
07:10– Et de la même manière pour la laïcité et les libertés,
07:12aujourd'hui on voit bien qu'il y a eu quelques tourments
07:17au moment de la question de l'école privée,
07:20et puis aujourd'hui c'est une autre façon
07:22de poser la question de la laïcité,
07:24certes, la liberté religieuse, la liberté de conscience,
07:28la liberté de pouvoir assumer ses origines,
07:32doit trouver sa limite dans la laïcité.
07:34La laïcité ce n'est pas une contrainte,
07:36c'est ce qui nous permet de vivre ensemble,
07:38et là aussi, la gauche doit être parfaitement claire
07:40par rapport à cet engagement.
07:42– Alors bien sûr, toutes les étapes sont détaillées,
07:45on va arriver au Front populaire, 1936,
07:48qui était aussi très fondateur,
07:50mais auparavant, il y a le cartel des gauches,
07:52il y a quelque chose de fondamental,
07:54vous vous rappelez qu'au fond, la gauche tombe
07:56sur quelque chose d'habituel, le mur de l'argent.
07:58Est-ce que c'est ce que vous avez vécu aussi, vous ?
08:01– C'est une constante dans cette histoire.
08:03– C'est une constante, voilà.
08:05– Le cartel des gauches, c'est le mur de l'argent,
08:07le Front populaire, c'est les 200 familles,
08:09François Mitterrand, c'est le capital, le marché, la mondialisation.
08:15– Vous, vous essayez de faire une taxe sur les…
08:17– Et moi, c'est la finance.
08:19– C'est la finance, voilà.
08:21– Donc il y a une constante, et comment doit-on affronter
08:25ce mur de l'argent qui est toujours là ?
08:27Est-ce qu'on l'ignore et on se fracasse sur lui ?
08:31Ça, c'est le cartel des gauches.
08:33Est-ce qu'on essaye de trouver des compromis,
08:36c'est le Front populaire, avec toutes les difficultés,
08:40c'est la pause, et puis il ne va pas très loin ?
08:42– Voilà.
08:43– Ou est-ce qu'on fait, comme François Mitterrand,
08:45un état de grâce qui permet de faire de grandes conquêtes,
08:48puis après on fait une rigueur, mais c'est douloureux de faire la rigueur.
08:51Ou est-ce qu'on essaye de trouver un équilibre qui n'est jamais facile,
08:55ce que Lionel Jospin a su faire pendant la période où il était Premier ministre,
09:00où à la fois il y a eu des créations d'emplois,
09:02et il y a eu des conquêtes sociales,
09:05mais c'est sur d'autres sujets que ça s'est, disons, mal terminé.
09:10La division de la gauche, et puis les polémiques
09:13sur la sécurité et l'immigration.
09:15Et puis mon quinquennat, ma politique,
09:18qui a été contestée par une partie de la gauche,
09:21parce que précisément il y avait une nécessité
09:25d'affronter les réalités économiques,
09:27tout en faisant des réformes sociales,
09:29mais comment mettre le curseur ?
09:31Mais c'est là que la gauche, souvent, et c'est même une répétition,
09:36elle se divise lorsqu'elle affronte la réalité.
09:40Mais si elle ignore la réalité, elle ne gouverne plus.
09:43– Elle ne gouverne plus.
09:44Alors parlons des grandes figures qui vous ont marquées,
09:47François Hollande, bien sûr on a parlé de Léon Blum, ça c'est en 1936.
09:51Vous précisez au passage d'ailleurs que quelques-uns de ses députés,
09:5590 sur 126, ont voté quand même les pleins pouvoirs à Pétain.
09:59Voilà, c'est une façon aussi quand même de remettre les choses à leur place.
10:04Il y a bien sûr De Gaulle, Mendes, France, Mitterrand.
10:07Vous en faites des portraits tout à fait intéressants.
10:11Est-ce que toutes ces figures vous ont inspirées ?
10:14Elles restent votre Panthéon ou vos références ?
10:19– Oui, elles sont inspirantes avec leur immense qualité
10:23et forcément les défauts qui peuvent apparaître.
10:27Jean Jaurès, lui, il est au Panthéon.
10:30– Il meurt très vite assassiné en 1914.
10:33– Il est assassiné et qu'il n'a jamais été finalement confronté à l'exercice du pouvoir.
10:39Non pas qu'il n'ait pas voulu le pouvoir, mais il n'a pas pu y accéder.
10:44Ensuite il y a la figure de Léon Blum.
10:46Léon Blum, il a un rapport compliqué au pouvoir.
10:49– C'est un intellectuel.
10:50– C'est un intellectuel, il est très clair sur les institutions
10:53et parce qu'il sait qu'il faut travailler dans les institutions,
10:57il hésite à gouverner au moment du cartel de gauche,
10:59il n'est pas dans le gouvernement.
11:01Et en 1936, il a gagné.
11:03Alors il ne peut pas faire autrement que de gouverner.
11:05Mais il sait que ça va être une épreuve.
11:07Il parle d'un calice qu'il faut avaler.
11:09– Il va d'abord être blessé.
11:11– Il sait ce que ça va être, il sait ce que le pouvoir va avoir
11:16comme conséquence sur lui-même.
11:18Il est molesté, puis ensuite au pouvoir il est contesté
11:23et Thorez n'aura pas de mots assez durs pour évoquer sa trahison
11:28puisqu'il n'aura pas décidé de l'intervention en Espagne.
11:32Et donc il a toujours ce rapport distant à l'égard du pouvoir,
11:35même s'il est très fier et il peut l'être,
11:37et nous sommes tous admiratifs de ce qu'ont été
11:40les grandes conquêtes du Fonds populaire.
11:42Ensuite il y avait l'Indes-France, si on veut sauter des étapes.
11:45– Oui parce que là on a sauté de Gaulle, on n'a pas dit s'il était…
11:48– De Gaulle.
11:49– Est-ce qu'il est de gauche ou pas de Gaulle ?
11:51Il n'est pas gouverné avec les communistes ?
11:53– De Gaulle reste…
11:54– Il y a des avancées sociales, il y a des sécurités.
11:56– Bien sûr, les grandes avancées sociales,
11:58et économiques aussi, les nationalisations, le service public,
12:02la sécurité sociale, c'est la période de la libération
12:07dans laquelle De Gaulle joue un rôle majeur,
12:10dans laquelle les communistes jouent un rôle…
12:12– 26% !
12:13– Premier parti de France.
12:15Et c'est ce qui va faire qu'il y a une union qui se produit
12:19liée à la libération du pays, qui ne dure pas,
12:24qui se fracasse sur la guerre froide et la séparation de blocs.
12:29Mais je crois qu'il faut reconnaître au général De Gaulle
12:32qu'il a encadré, peut-être qu'il a essayé de la limiter,
12:36mais en tout cas il l'a accompli, et notamment sur la sécurité sociale.
12:40La sécurité sociale c'est le bien commun de ce qu'était la droite sociale
12:45que représentait le général De Gaulle,
12:47qui n'aurait pas voulu qu'on dise qu'il était nécessairement de droite,
12:50mais en tout cas c'est le bien commun de la droite sociale
12:53et de la gauche républicaine, et de la gauche également communiste.
12:56– Alors il y a bien sûr Mendes France qui est particulier,
12:59qui est à part lui, il voulait donner une place…
13:01d'ailleurs il gouverne très peu bien sûr, enfin très peu de temps.
13:04– Très peu de temps.
13:05– C'est le problème de l'Indochine qu'il va régler d'ailleurs mais…
13:09– Mendes France c'est celui qui aura gouverné finalement le moins
13:14et dont la mémoire est la plus forte pour l'action gouvernementale.
13:18C'est à la fois celui qui a réglé des problèmes très difficiles, l'Indochine.
13:22– C'est le début de la décolonisation.
13:24– Et qui n'a aucun bilan sur le plan économique et social.
13:27C'est Mendes France qui a la conscience qu'il faut changer les institutions,
13:32que ce n'est plus possible de rester dans un régime de partis,
13:36mais qui refuse la Vème République
13:39et donc l'idée d'une candidature à l'élection présidentielle.
13:42Et donc il a aussi un rapport au pouvoir qui est compliqué.
13:45– Voilà.
13:46– Et Mitterrand lui, il n'a aucun rapport compliqué au pouvoir,
13:49il veut le pouvoir et pour le pouvoir il va recréer un grand parti,
13:53il va accorder à l'Union de la gauche une place déterminante dans la stratégie
13:58et il va être une incarnation.
14:00– Évidemment, rester au pouvoir très longtemps, 14 ans,
14:03vous rappelez bien sûr les larmes de Pierre Mendes France
14:06au moment de l'investiture de François Mitterrand en 1981.
14:09– Oui, ces larmes-là sont à la fois des larmes de joie,
14:12de voir que François Mitterrand a réussi là où lui-même n'a pas voulu aller
14:17et sans doute des larmes de regret.
14:21Pourquoi sans doute a-t-il pensé, c'est lui et ce n'est pas moi,
14:25mais il n'a jamais exprimé la moindre rancune
14:29parce que c'est lui-même qui s'était mis dans cette situation
14:32de ne pas accepter les institutions de la Vème République.
14:35– Alors on parle de François Mitterrand,
14:37quel est celui que vous préférez au fond, François ?
14:39Enfin je dis ça, c'est un peu une caricature, on ne peut pas y répondre,
14:42mais celui de 1980 ou celui de 1988 ?
14:44On a parlé du tournant de la rigueur,
14:46on a parlé de cet élan au début puis de l'obligation de faire marche arrière.
14:51Est-ce que vous…
14:53– Les seconds mandats, mais il n'y a aucun rapport avec l'actualité,
14:56sont souvent les plus éprouvants.
14:59– Mais pourtant il est très bien réélu, relativement, pas mal.
15:02– Il est réélu non plus sur un programme, mais sur une idée,
15:06la France unie, et contre ce qu'il appelle les factions,
15:11le risque, ce que représente à l'époque la candidature de Jacques Chirac.
15:18Mais il n'a pas de projet, il a une lettre aux Français
15:21qui se résumera dans l'énigme successive.
15:24Or, même s'il a fait de grandes choses dans ce second mandat,
15:28et qui reste aujourd'hui, l'Europe,
15:30c'est pendant son second mandat que le mur de Berlin s'effondre.
15:34Et François Mitterrand, même s'il a été critiqué,
15:37a été l'homme d'État qui a permis que le rapport
15:41entre la France et l'Allemagne demeure,
15:43que l'Allemagne accepte la perspective de la monnaie unique,
15:47que la France accepte la réunification de l'Allemagne,
15:50et que la démocratie puisse prévaloir.
15:53Donc, même si son bilan, dans le second mandat,
15:57c'est Michel Rocard qui le porte en réalité.
15:59– Oui, et d'ailleurs vous faites un portrait très flat, Thomas.
16:01– Oui, Michel Rocard.
16:02– Quelqu'un auquel vous êtes très attaché, on le sait.
16:04– Qui a, à mon avis, un discours d'investiture
16:07qui est encore d'une très grande actualité,
16:10mais c'est Michel Rocard qui porte sur la Nouvelle-Calédonie,
16:12sur le RMI, sur...
16:14– Et pourtant, il ne s'entendait pas bien, on le sait.
16:16– Il ne s'entendait pas bien, ça s'est d'ailleurs mal fini,
16:18à un moment, dans un couple, la séparation s'est faite,
16:22et elle a été très coûteuse, et pour François Mitterrand,
16:25et pour Michel Rocard.
16:27Ensuite arrive Lionel Jospin,
16:29qui finalement est l'homme de la synthèse.
16:32– Il cohabite déjà.
16:34– Il cohabite, il est obligé de faire une synthèse
16:37entre la gauche plurielle, et ça marche.
16:40– C'est un bon gouvernement.
16:41– C'est un bon gouvernement.
16:42– Il y a de bons résultats économiques.
16:44– Très bons résultats économiques, mais là aussi,
16:46il va être attrapé par les conflits dans la cohabitation,
16:50et les récupérations des thèmes qu'on connaît d'habitude,
16:53et qui reviennent chaque fois, lorsque la gauche est au pouvoir,
16:56l'insécurité, l'immigration, on voit bien que ces thèmes-là demeurent.
17:00Et puis par la division, toujours ce spectre de la division.
17:05Il y a deux spectres qui hantent la gauche française.
17:07– C'est l'argent, on en a parlé.
17:10– Oui, l'argent, la trahison,
17:12est-ce que vous n'allez pas trahir par rapport à vos engagements,
17:14et la division, qui est d'ailleurs liée à la suspicion de la trahison.
17:17– Mais ce que vous avez vécu vous-même, franchement.
17:19– Ce que j'ai vécu exactement moi-même,
17:21c'est-à-dire, l'union se fait au moment de l'élection,
17:25et puis ensuite, face aux réalités, qui tient bon ?
17:28Qui cède ? Dans quel sens va-t-on ?
17:31Est-ce qu'il n'y a pas un risque de basculer du côté d'une gestion
17:34qui serait sans âme, ou au contraire, un risque de basculer
17:37vers une incantation qui, finalement, se fracasse sur la réalité ?
17:41– Et c'est ça que vous allez affronter.
17:43Alors, il y a un chapitre qui vous est consacré, c'est François Hollande.
17:46– C'est le chapitre le plus dur à écrire.
17:48– J'imagine. Il n'y a pas beaucoup d'autocritiques,
17:51mais est-ce que là, vous avez regretté de ne pas être plus dur,
17:55justement, vis-à-vis de ces flondeurs,
17:57ou de ne pas être plus tranchant, au fond,
18:00et de ne pas briseler les envies de trahison autour de vous,
18:04qui apparaissaient, y compris celles peut-être d'Emmanuel Macron ?
18:07– Oui, il y avait pour moi la nécessité de durer dans une période
18:13où nous affrontions le terrorisme et des défis majeurs
18:18sur le plan international.
18:20– Ce quinquennat est marqué par ces crises majeures.
18:22– Le terrorisme, la Syrie, le Mali, le Ukraine.
18:25Donc, ces questions internationales, là aussi,
18:28c'est une dimension que je veux éclairer dans cette histoire de la gauche.
18:33C'est qu'elle se fait élire, et c'est bien légitime,
18:37sur des questions de politique intérieure,
18:39question sociale, la question économique, voire même budgétaire,
18:42puisque nous avons redressé les comptes publics.
18:44Mais en réalité, la gauche, parce qu'elle va gouverner,
18:47ce qu'elle a gouverné, affronte des questions internationales majeures
18:51auxquelles nous ne sommes pas nécessairement préparés.
18:55Eh bien là, c'est là que je veux aussi saluer ce qu'a fait la gauche dans l'histoire,
18:59c'est qu'elle a plutôt tenu bon et défendu les intérêts de la France.
19:05Même Léon Blum, à qui on a reproché la non-intervention en Espagne,
19:09il évite que son gouvernement n'éclate là-dessus,
19:14et il aide les Républicains par une autre façon.
19:18Il a été plutôt digne, et il a été assez lucide sur ce qui se passait en Allemagne, notamment.
19:24Et François Mitterrand, je l'ai dit, peut critiquer François Mitterrand sur beaucoup de points,
19:29mais sur sa gestion des grandes crises, il a été à la hauteur.
19:33On peut dire ça aussi de tous les présidents, d'une certaine façon.
19:36Oui, c'est vrai.
19:37Chacun se fait élire sur des questions de politique intérieure,
19:41et affronte des questions de crise majeure.
19:43Et c'est là qu'on juge les hommes et les femmes d'État.
19:46Bien sûr. Alors vous, François Hollande, d'où ça vient, ces idées de gauche ?
19:51Est-ce qu'elles sont inscrites chez vous, jeunes ?
19:55Je rappelle que votre père, lui, il a plutôt été inscrit sur des listes d'extrême droite,
19:59vous l'avez raconté.
20:00Oui, il était chérif français.
20:02Alors que votre mère, assistante sociale, qui est vraiment imprégnée des valeurs humanistes.
20:08Oui, de christianisme social, on va dire.
20:11C'est avec ces deux choses que vous grandissez,
20:13et qu'est-ce qui vous amène à ce moment-là, vous, vers la gauche ?
20:17D'abord, c'est une chance d'avoir des parents qui parlent politique.
20:23Ces générations, c'était rare, quand même.
20:25C'était rare, et c'est pour ça que je leur ai toujours dit
20:31combien j'étais heureux d'avoir pu avoir ces contradictions devant moi
20:36qui s'exposaient, qui s'expliquaient.
20:39C'est pas trop violent ?
20:40Si, c'était dur, c'était dur.
20:43Et puis ça rend curieux.
20:45Et donc, assez tôt, quand j'ai vu à la télévision la première campagne présidentielle,
20:50ça remonte à 1965, j'ai 10 ans, je regarde.
20:55Il y avait le canuet.
20:56Le canuet, François Mitterrand, Charles de Gaulle.
20:59Bon, je me dis, c'est quand même une passion.
21:03Ça vous a intéressé aussi ?
21:04Ça m'a intéressé, et j'ai suivi à ce moment-là le personnage de François Mitterrand,
21:09qui n'était pas le plus convaincant à la télévision.
21:12Non, c'était pas forcément le plus sympathique.
21:14Non, mais ça m'a paru être celui qui ouvrait un chemin,
21:18et donc je me suis dit intéressé.
21:20Et très tôt, dès le lycée, je me suis engagé à Gaulle.
21:24Mais toujours, alors, peut-être une constante chez moi,
21:28je me suis toujours engagé sur la gauche pour gouverner.
21:32J'ai toujours été contre les extrêmes gauches.
21:35Que je trouvais bavardes, que je trouvais impuissantes,
21:38que je trouvais violentes, parfois.
21:40Les deux gauches, puisque finalement, dans ce livre,
21:43on voit bien qu'il y a deux gauches.
21:44Bien sûr.
21:45Et qu'elles sont là encore sous nos yeux.
21:47Et qu'elles sont encore là aujourd'hui, vous le dites d'ailleurs.
21:49J'ai toujours été dans la gauche réformiste.
21:51Oui, il y a l'UNEF, il y a votre prévention Voltaire à l'ENA,
21:54il y a cette logique-là.
21:56Par exemple, mai 68, vous, ça vous…
21:58Alors, je suis très jeune à l'époque,
22:00je vois mai 68 déboucher sur quoi ?
22:03Sur une très grande victoire de la droite aux élections législatives,
22:07suite à la dissolution.
22:08Oui, l'attitude de Mitterrand, pas géniale.
22:09Oui, une belle adresse, en tout cas,
22:11de prétendre au pouvoir quand rien n'y conduit.
22:15Mais la nécessité de reconstruire,
22:17et c'est ce que François Mitterrand fait,
22:19c'est-à-dire de se dire, puisque la révolution, ça ne fonctionne pas,
22:22ce n'est pas un mouvement social qui va renverser l'ordre existant,
22:27donc à partir de là, il faut construire.
22:29Il faut construire comment ?
22:30Avec un grand parti,
22:31et un parti qui doit essayer de faire l'union,
22:33mais qui doit rester fidèle à ses valeurs.
22:36Donc c'est ce qui m'a finalement transporté jusque-là, aujourd'hui.
22:40Avec évidemment, comme vous dites, ces dilemmes les mêmes aujourd'hui,
22:44entre la gauche du gouvernement,
22:46et puis l'autre, et l'EFI qui est dans ce…
22:49Mais vous avez quand même accepté d'être dans ce nouveau Front populaire
22:53pour être réélu en 2024,
22:55donc au fond, vous-même, vous avez fait une petite concession
22:57à cette alliance entre les deux gauches.
23:00Oui, comme François Mitterrand l'avait fait…
23:03Oui, au moment du Parlement commun, bien sûr.
23:05Mais là, je l'ai fait aussi parce qu'il y avait une menace
23:08qui me paraissait forte,
23:10la possibilité que l'extrême droite arrive au pouvoir.
23:13C'est pour ça que l'expression de nouveau Front populaire
23:15avait quand même une signification.
23:17Le Front populaire s'était constitué…
23:19Léon Blum et Maurice Torres s'étaient échangés des invectives
23:23tout au long, plutôt Torres sur Blum que Blum sur Torres,
23:26mais quand même,
23:28mais ils s'étaient unis face à la menace d'une extrême droite.
23:32Sauf que le Front populaire, il y a eu une majorité à l'Assemblée,
23:35à la Chambre des députés à ce moment-là,
23:37là, il n'y avait pas de majorité.
23:39Et puis il y avait un parti communiste,
23:41pour des raisons qui tenaient au directif de Moscou,
23:44qui voulait qu'il y ait un Front populaire,
23:47alors que là, l'EFI ne voulait pas vraiment gouverner le pays.
23:51Au fond, vous dites, l'EFI ne voulait pas vraiment gouverner.
23:53La gauche aujourd'hui, celle qui est dans la protestation,
23:58dans la contestation, est plutôt sur une gauche d'empêchement.
24:02Donc elle ferait plutôt du mal à cette gauche ?
24:04C'est pour ça que la gauche réformiste doit,
24:07non pas s'émanciper, elle est émancipée,
24:09mais doit s'affirmer et doit être la plus forte.
24:12Si la gauche réformiste n'est pas la plus forte au sein de la gauche,
24:15la gauche tout entière n'accède pas au pouvoir.
24:18Elle manque peut-être de figure, cette gauche réformiste, aujourd'hui.
24:20Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?
24:21Oui, je suis d'accord.
24:22Pour qu'une gauche, ça vaut d'ailleurs pour toute formation politique,
24:26arrive aux responsabilités, il lui faut un grand parti.
24:31Il faut le reconstituer.
24:33Et pas simplement à gauche.
24:35Il est un peu par terre, ce parti socialiste,
24:37comme peut-être la droite républicaine.
24:39Oui, c'est ça. Il est là, au moins, ce qui est déjà pas mal.
24:42Il faut donc renforcer et l'élargir.
24:45Et puis, deuxièmement, il y faut une stratégie,
24:48l'affirmation des idées.
24:50Et puis, une incarnation. Forcément, une incarnation.
24:53S'il n'y a que l'incarnation et pas le parti et pas d'idées,
24:56on reste dans ce qui est possible pour des populistes.
24:59Une incarnation, on l'a bien vu, peut fonctionner.
25:02Mais pour un parti de gauche, non, ça ne peut pas fonctionner.
25:05Et ce n'est pas le macronisme.
25:07C'est pas un ersatz de la gauche, le macronisme.
25:10C'est un ersatz de politique en général.
25:14C'est-à-dire que, je ne sais pas ce qui restera de la présidence,
25:18mais il ne restera pas un parti politique.
25:20Il n'a pas formé un parti politique.
25:22Il n'a pas construit une doctrine.
25:24Et c'est pour ça qu'il n'aura pas de successeur.
25:26C'est peut-être parce que le centre ne peut pas exister, au fond, en France.
25:29Il ne l'a jamais pu se constituer.
25:32Il y a eu MRP, le centre démocrate,
25:35on parlait de Le Canuet, François Bayrou.
25:37Aujourd'hui, c'est vrai que ça rend plus compliqué
25:40pour la gauche de gouvernement de trouver des alliés.
25:45Puisqu'elle peut se tourner sur sa gauche,
25:47mais c'est une gauche qui s'oppose à elle, en tout cas.
25:51Et au centre, c'est une formation politique,
25:54et aujourd'hui on le voit bien, qui est avec la droite,
25:57enfin le gouvernement d'aujourd'hui, de Michel Barnier.
25:59– Oui, il aurait pu continuer son chemin à vos côtés, Emmanuel Macron.
26:03– Mais il ne l'a pas voulu.
26:05Dès le début, je pense qu'il a été président,
26:08il n'a eu de cesse de se distancier.
26:10– Vous l'avez senti un peu au dernier moment, peut-être,
26:12ou pas assez tôt ?
26:13– On va dire pas assez tôt.
26:15– Pas assez tôt.
26:16Alors, cher François Hollande, je vous propose,
26:19pour terminer notre émission,
26:21de parler d'autres livres en forme de coup de cœur, bien sûr.
26:25Alors là, par exemple, on peut citer ça,
26:27c'est en folio, c'est l'escamoteur de Philippe Collin et Sébastien Goethe.
26:31Philippe Collin, il est formidable, il a fait ce postcard sur Léon Blum.
26:33– Formidable.
26:34– Et qui vient d'ailleurs d'être…
26:35– Qui devient une pièce…
26:36– Une pièce que moi j'ai vue, là, à la Maison de la radio, extraordinaire.
26:39Immersive, où tout le monde participe,
26:41et qui nous raconte vraiment l'histoire de Léon Blum, voilà.
26:44Et là, ça s'appelle L'escamoteur, et c'est une BD historique,
26:47vous avez d'ailleurs fait des bandes dessinées vous-même,
26:49qui revient donc sur, là, c'est autre chose,
26:51sur les dernières actions directes en France,
26:53qui est évidemment très important.
26:55Et puis aussi, C'était mieux, demain,
26:59actualité de la nostalgie, publiée chez Galima.
27:02Alors ça, c'est un ouvrage collectif,
27:04qui est tout à fait inédit, sous la direction de Jean Birambo.
27:08Et pour ma part, je veux citer Boris Vallaud, parce que c'est…
27:12– Oui, sur ses récits de rencontre de permanence, oui.
27:16– Voilà, rencontre de permanence, où il veut,
27:18ça s'appelle d'ailleurs En permanence,
27:20ces vies que je fais miennes,
27:22mais c'est ce que vous avez vécu aussi, vous, en tant que candidat.
27:25Alors il va rencontrer, j'allais dire, les vrais gens,
27:27ou en tout cas montrer qu'on peut être aussi
27:29dans un rapport humain avec la France.
27:31– Oui, c'est ça, le travail politique,
27:33et Boris Vallaud a eu raison de le reconstituer sous forme de livre.
27:36La politique, c'est de rencontrer des gens.
27:39– Voilà.
27:40– Et que des gens viennent vous voir.
27:42– Et vous aimez ça, vous.
27:43– Et moi, je trouve ça très précieux, d'abord parce qu'on en apprend beaucoup,
27:46ensuite parce que ce sont des rencontres qui vous marquent,
27:50qui laissent des traces, la preuve, c'est qu'on peut en faire un livre.
27:53Et la politique, justement, quand elle s'écarte, s'éloigne,
27:57se met en dehors de la vie, et bien elle est sanctionnée…
28:01– Parfois les travers que l'on reproche à nos dirigeants.
28:04– Les protestations qui peuvent aller même jusqu'à des votes extrêmes.
28:06– Bien sûr, alors Boris Vallaud a été réélu, comme vous, député des Landes,
28:09sous l'étiquette du Nouveau Front Populaire,
28:11et il est président du groupe socialiste à l'Assemblée Nationale.
28:14Il s'appelle en permanence « C'est vie que je fais mienne ».
28:16Voilà, merci François Hollande.
28:17– Merci à vous.
28:18– D'être venu nous voir pour ce défi de gouverner.
28:21– Qui reste d'actualité.
28:23– Qui reste d'actualité.
28:24– Même pour ceux qui ne sont pas de gauche.
28:26– Oui, car François Hollande, évidemment,
28:28c'est aussi quelqu'un qui aime l'écriture, la lecture et les livres, bien évidemment.
28:32Merci beaucoup d'être venu nous voir dans Au bonheur des livres.
28:34On peut bien sûr retrouver cette émission en replay
28:37sur la plateforme de Public Sénat, publicsenat.fr.
28:41Je vous retrouve très vite pour un nouveau numéro d'Au bonheur des livres.
28:44– Sous-titrage ST' 501