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🇨🇲 "J'ai passé 17 années dans une cellule au Cameroun, sans lumière, infectée, victime de détention arbitraire."

Ancien entrepreneur, Michel Thierry Atangana a été emprisonné pendant 17 ans pour "détournement de deniers publics." Une détention arbitraire selon l'ONU.
En février 2014, il est libéré et lutte depuis plus de 10 ans pour sa réhabilitation. Son combat, il le raconte dans son nouveau livre "Survivre à l'injustice". Brut l'a rencontré.

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Transcription
00:00J'ai passé 17 années dans une cellule au Cameroun sans lumière, infectée,
00:07victime de détention arbitraire reconnue par les Nations Unies.
00:12Et je voulais partager avec vous cette expérience
00:16parce qu'après dix années de lutte, je suis encore sur le chemin de la réhabilitation.
00:30Vous avez passé 17 ans dans une prison camerounaise.
00:46On va revenir sur cette histoire d'abord avant de parler de votre libération,
00:49de tout le combat qui a suivi cette libération.
00:51Est-ce que vous pouvez nous raconter d'abord votre arrestation
00:55et les premiers instants de votre détention ?
00:58Les nuits de la violence ne se racontent pas.
01:02Quand vous êtes happé en pleine rue le 12 mai 1997
01:08et qu'on vous enferme 52 jours dans une cellule,
01:14vous n'avez pas à le raconter.
01:15Tout le monde peut imaginer ce que cela peut être.
01:19Vous êtes coupé de tout et vous êtes seul, sans avocat, sans assistance.
01:24Et quand on vous arrête comme ça, qu'est-ce qu'on vous explique ?
01:28Qu'est-ce qu'on vous explique au moins quelque chose ?
01:30Quand je suis arrêté, on commence à chercher comment constituer un dossier.
01:37L'arrestation n'est pas basée sur un dossier.
01:40On cherche des éléments.
01:42Et quelques jours plus tard, 12 jours sans eau, sans pouvoir me laver,
01:48on me propose de réfléchir à mon état en portant de fausses accusations
01:55contre un homme qui a dit qu'il était candidat aux élections présidentielles.
02:02On me précise que si je signe ces documents, comme tous les autres,
02:06cette personne sera condamnée à mort sans jugement.
02:10Je refuse donc de céder à cette pression.
02:14Et de là découle une violence qui peut être morale, psychique, physique.
02:22On vous accuse de quoi alors au final ?
02:24Je vous précise qu'à ce moment, il n'y a pas d'accusation.
02:28Il n'y a rien.
02:30On cherche comment coller une accusation.
02:34Et l'amplitude est large.
02:36On va partir d'une atteinte à la sécurité intérieure,
02:41à la détention d'armes.
02:43Et quelque part, on arrivera plus tard à un détournement des déniers publics.
02:50Or, je n'avais pas en gestion des déniers publics.
02:53Au début, comme vous dites, vous ne comprenez pas trop ce qui vous arrive.
02:57À partir de quand vous vous dites que cette affaire-là va durer longtemps ?
03:01Je ne pense pas qu'elle va durer longtemps, pour être vrai.
03:06Étant de nationalité française uniquement,
03:11j'étais convaincu que la France allait intervenir immédiatement et de manière énergique.
03:18Ce qui n'a pas été le cas.
03:20C'est-à-dire ?
03:21J'ai passé 13 longues années sans assistance consulaire.
03:28Aucune.
03:29Jamais quelqu'un vous a appelé, jamais vous les avez contactés ?
03:32C'est jamais rien passé du côté de la France ?
03:34Au regard des lourdes responsabilités qui étaient les miennes,
03:38j'aurai dû bénéficier d'une protection consulaire majeure.
03:45J'ai vu l'assistance française être actionnée pour d'autres Français.
03:52Et je pense que je n'ai pas eu le minimum qui me permet d'être soutenu par mon pays.
03:58J'étais expatrié et j'apprends plus tard que j'étais un binational.
04:05Or, au Cameroun, il n'y a pas de double nationalité.
04:11D'où donc, on dit que la France ne peut pas intervenir,
04:15puisque la loi du Cameroun s'applique à moi, dans ma binationalité.
04:22C'est, à mon avis, le refuge diplomatique, politique, pour ne rien faire.
04:29Et donc, je me trouve enfermé dans l'incapacité de pouvoir me défendre.
04:37Et je ne suis pas dans une prison après 50 jours de garde à vue.
04:44Je me retrouve enfermé dans un sous-sol à la gendarmerie, dans un camp militaire.
04:50Ce qui n'est pas acceptable.
04:52Comment est-ce qu'on survit 17 ans dans ces conditions ?
04:55Le seul moyen de survivre, c'est d'avoir envie de témoigner.
05:01Et aujourd'hui, je suis devant vous pour témoigner.
05:05Ma contribution ne consiste pas à donner une méfiance par rapport aux États.
05:17Mais ma contribution, c'est de participer au respect de la dignité humaine,
05:23qui doit revenir à chaque citoyen.
05:26Si je me tais, je contribue à l'impunité.
05:31La raison d'État, les conventions secrètes entre les États,
05:37ne doivent pas participer à abîmer la vie.
05:41Si aujourd'hui, il y a tant de méfiance dans les relations diplomatiques
05:46entre les pays, notamment l'Afrique, la France et l'Europe,
05:50c'est parce que les cas comme les miens ne sont pas pris en considération.
05:55Il faut mettre fin à cela.
05:57C'est cette force intérieure qui m'a pu me détenir pour être là devant vous aujourd'hui,
06:02pour dire plus jamais ça.
06:05Vous vous êtes senti quelque peu sacrifié par ces jeux diplomatiques, c'est ça que vous dites ?
06:11J'ai été instrumentalisé par les conventions diplomatiques,
06:17qui sont indignes et ignobles.
06:20Cette prison de 17 années, vous l'avez déjà racontée dans un premier livre
06:26qui s'appelait « Otage judiciaire, 17 ans de prison pour rien »,
06:29qui est paru en 2021.
06:32Vous l'avez racontée et très bien, vous avez été instrumentalisé,
06:36mais de l'autre côté, vous racontez dans ce livre qu'il y a aussi beaucoup d'abandon quelque part,
06:41notamment de la part de la France.
06:43Instrumentalisé, comme je l'ai dit, c'est les rapports secrets qu'il y a entre les États,
06:50où l'individu disparaît.
06:53C'est ça la place, c'est ça mon combat.
06:57Si nous voulons absolument que les jeunes, les hommes et les femmes aient confiance aux politiques,
07:04il ne faut pas que ce style de situation se reproduise.
07:10Et on abîme une chaîne humaine.
07:13Dans le premier livre, je raconte, je rapporte la souffrance de ma mère, qui en meurt.
07:20Vous êtes libéré il y a dix ans ?
07:22Le 24 février 2014.
07:25Racontez-nous ce jour-là.
07:27Ce jour, j'arrive à l'ambassade de France à Yaoundé et l'ambassadeur me propose un dîner.
07:36J'aurais préféré voir un médecin, une cellule d'écoute,
07:43parce que ça faisait 17 années où je n'avais pas pu m'asseoir à une table convenable.
07:50Et les odeurs de la cellule qui m'accompagnaient, moi j'avais honte,
07:55s'en suivent plutôt des restrictions.
07:59Interdiction de parler aux journalistes.
08:02Interdiction de revoir tous ceux que je peux voir,
08:05qui se préoccupent de mon extraction nortune, là où j'étais.
08:12Et du coup, la demande qui m'est faite de trouver les moyens pour payer mon billet d'avion pour rentrer en France.
08:21J'aurais préféré qu'on transforme le coût du dîner qui m'était offert
08:26en ce billet d'avion qui m'était indispensable,
08:29car j'avais hâte de retrouver la France pour voir mes enfants.
08:36Et être sûr qu'effectivement, ce n'était pas un rêve.
08:41Ce n'étaient pas les conditions de ma libération.
08:46Une notaire au Cameroun, qui était représentante des sociétés qui m'employaient,
08:51va rassembler les fonds pour payer le billet d'avion.
08:57J'arrivais à Paris, le ministre chargé des Français de l'extérieur
09:02m'accueille au nom du président de l'Unique.
09:05J'ai dit « Madame la ministre, j'aimerais parler avec le président pour lui dire ce qui s'est passé.
09:11Parce que la libération faite par un décret de grâce présidentielle
09:18n'efface pas les séquelles de la lourde tension qui m'a été infligée injustement.
09:27Je verrai le président le 28 mars 2014, un mois plus tard.
09:33Il va m'écouter. Il m'a accordé un temps d'écoute.
09:38Mais il me dit « ce cas est inédit. Il faut trouver des solutions qui n'existaient pas.
09:44On n'a jamais vu ça.
09:48Donc c'est donc là que je dois engager un autre combat
09:52qui date de ce moment jusqu'à ce moment où je n'ai encore eu, pour l'instant,
10:01aucune voie à indemnisation.
10:04Vous avez dit tout à l'heure que ce combat, c'est le combat de vos droits,
10:09vos droits les plus basiques.
10:11Quand vous arrivez à Paris, qu'est-ce qui vous manque ?
10:13Question pertinente.
10:15Quand vous êtes un salarié qui ne perçoit pas son salaire pendant 17 longues années,
10:21comment payer vos charges ? Comment nourrir votre famille ?
10:25Quand vous êtes un salarié qui n'a pas codisé aux caisses de retraite,
10:31comment garantir, je dirais, la survie de votre parcours professionnel ?
10:38Quand vous n'avez plus de droits, même pas la sécurité sociale,
10:43comment faire pour être soigné ?
10:46Et quand vous avez inscrit dans votre casier judiciaire
10:53une lourde détention de 17 longues années,
10:59comment faire pour trouver un emploi ?
11:03Où allez-vous vous présenter avec une attestation émise par le Quai d'Orsay
11:09qui précise la détention pendant 17 longues années
11:14sans préciser que cette détention était arbitraire selon les Nations Unies ?
11:20Si vous trouvez des réponses à ces questions, vous comprendrez ce que j'ai vécu.
11:25En 2014, on voulait que j'entre dans une autre forme d'emprisonnement,
11:31qui est celle d'une mort économique et sociale.
11:36Et aujourd'hui, dix ans après, est-ce que vous diriez que vous avez pu obtenir tout ça ?
11:42Dix ans après, pour être précis, je n'ai rien obtenu pour l'instant.
11:49Rien, sur aucun plan ?
11:51Je n'ai rien obtenu. J'ai des processus qui sont en cours.
11:55J'ai un processus irréversible, apparemment, d'anonymisation,
11:59mais qui n'est pas encore acté.
12:02J'ai obtenu une première victoire au niveau de la cour pénale
12:11où la matérialité des faits que j'ai présentés devant la justice française a été reconnue
12:21pour dire qu'il y a raison de penser qu'il y a torture, séquestration et violence physique.
12:29Pour moi, c'est très important.
12:32Et enfin, la décision du défenseur des droits, qui a dit en juin 2021
12:40que le délai raisonnable de jugement n'était pas respecté dans mon cas.
12:47Comment vous allez-vous ?
12:55Je ne sais pas. Je ne sais pas comment vous dire.
12:59Je suis seulement là, vivant devant vous, combatif.
13:02Mais tous vos mots pour vous donner mon état d'esprit, je n'aurai pas, malheureusement.

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