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Quand il est arrivé sur la scène du crime de Charlie Hebdo, il a prié. Puis il a dû reprendre son travail, malgré l'horreur. L'ancien procureur de la République François Molins raconte à Charles Villa comment il a vécu ce moment.

La grande interview de la "voix des attentats" François Molins par Charles Villa est à voir en intégralité sur notre chaîne YouTube.

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Transcription
00:00C'est un petit peu à part, Charlie Hebdo, on dira.
00:02Vous faites partie des rares personnes dans ce pays à être rentré sur la scène du crime.
00:08Et il y a ce moment très fort dans le livre où vous avez un moment de recueillement,
00:12où vous avez prié sur place.
00:14Pourquoi c'était important pour vous de vous recueillir ?
00:17Si vous voulez, c'est quelque chose d'un peu...
00:18En fait, je dirais que c'est du domaine de l'irrésistible.
00:22Mais ça renvoie en réalité à la gestion des émotions.
00:28Quand vous êtes magistrat,
00:31vous avez nécessairement des émotions face à certaines scènes
00:35que vous êtes obligé de voir dans le cadre de votre travail.
00:39Ces émotions, il va falloir les gérer parce que vous êtes obligé de venir
00:45nécessairement et rapidement à votre exercice professionnel,
00:48donc qui va être précis, rigoureux.
00:51Il faut prendre des bonnes décisions.
00:52Il ne faut pas se tromper.
00:53Il ne faut pas avoir, je l'ai dit, le raisonnement pollué par les affects et les émotions.
00:57Donc, quand on est magistrat, chacun a sa technique.
01:01Ça vient plus ou moins vite.
01:03Il faut s'en...
01:05Ça s'acquiert plus ou moins rapidement.
01:06Ça angoisse en général beaucoup les jeunes magistrats
01:09qui posent toujours des tas de questions là-dessus à l'école de la magistrature.
01:12Et moi, c'est quelque chose que j'ai toujours fait.
01:14Dans ce cas de figure, je crois que ça remonte à assez longtemps.
01:18Je m'accorde deux ou trois minutes de recueillement dans mon fort intérieur
01:22et puis après, je repasse à mon exercice professionnel.
01:24Donc là, je dirais, c'est quelque chose qui...
01:26Je suis face à une horreur indicible,
01:28une salle qui est souillée de sang et de matière partout, dessus, par terre,
01:34au plafond, en passant.
01:36Et je dirais que c'est à la fois un monde recueillement,
01:42un monde communiant et puis aussi un refuge.
01:44Voilà, que je m'accorde deux minutes.
01:46Ça vous apaise sur le moment ?
01:48Oui, oui, certainement.
01:50C'est aussi...
01:50Est-ce que c'est la première fois que vous assistez à une scène d'un massacre
01:54d'une telle ampleur ?
01:54Comme ça, oui, oui, oui.
01:56Est-ce que vous avez un état de sidération aussi ?
01:59Oui, bien sûr qu'on est sidérés.
02:01Ce n'est pas pareil que de les voir en image sur la GoPro de Moi et Mère Mère ?
02:04Non, non, non, du tout.
02:07Moi, j'étais procureur pendant...
02:10À l'époque, c'est 2015, donc je suis procureur depuis 36 ans.
02:15J'en ai vu des dizaines de scènes de crime.
02:18Mais pour autant, je ne suis pas habitué à ça.
02:20Je n'ai jamais vu de scènes comme ça.
02:21C'est la première fois que je vois ce genre de choses.
02:24Donc, c'est vrai que je suis, comme mes collègues, en état de sidération.
02:28Vous êtes aussi rentré dans le Bataclan, où vous avez assisté au massacre.
02:34Vous avez vu tous les corps, etc.
02:36Avec toutes les images traumatisantes que vous avez vues pendant les attentats,
02:39est-ce que vous étiez accompagné psychologiquement ?
02:42On l'a été après, après.
02:44Pas pendant ?
02:45Non, non, pas pendant.
02:46Et est-ce que ça vous a fait du bien ?
02:48Est-ce que ça vous a aidé d'être accompagné ?
02:50Oui.
02:53Je sais qu'il y a beaucoup de gens, notamment des policiers et des militaires,
02:56qui disaient que souvent, en face, les gens, vu qu'ils n'avaient pas vécu ces scènes-là...
03:00Il y a des policiers qui ont déprimé aussi.
03:02Oui, bien sûr.
03:03Donc, il y avait aussi des magistrats qui ont eu des séquelles psychologiques.
03:08On réagit différemment en fonction de sa personnalité, de ce qu'on est.
03:11On n'est pas tous égaux, effectivement, devant ces troubles.
03:14Donc, moi, j'avais noté effectivement avec mes collègues que dans l'équipe,
03:18on était en tout 35 magistrats à intervenir sur ces attentats.
03:23Il y en avait trois ou quatre, on voyait qu'ils n'allaient pas bien.
03:28Moi, à l'opposé, je culpabilisais presque parce que je me disais...
03:33Il y a des moments, je me suis même dit mais en fait, ce n'est pas normal.
03:37Finalement, tu pourrais ne pas supporter.
03:39Tu supportes, il y a quelque chose qui ne va pas.
03:40Ce n'est pas normal de s'être...
03:42Bon, donc du coup, on a demandé à la ministre, à un psychologue qu'on a eu tout de suite.
03:47Il a dû venir quasiment deux jours après les attentats et on est allé le voir.
03:53Et en fait, moi, j'ai voulu donner l'exemple.
03:54J'y suis allé le premier, pas parce que j'allais mal.
03:57Bon content, parce que je me posais des questions,
03:59mais surtout parce que je voulais donner l'exemple,
04:01parce qu'on sait que c'est souvent un aveu de faiblesse que d'accepter d'aller voir un psychologue.
04:06En tout cas, c'est présenté comme ça.
04:08Donc, je me suis dit, je suis le chef, je vais y aller le premier.
04:11J'ai donné l'exemple et il y a quand même eu un suivi psychologique pour certains collègues.
04:17Donc, le besoin existait.

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