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"Le fait de ne pas avoir de possibilité d'en parler, c'est ça qui a été le plus douloureux."
Après 3 mois de grossesse, l'autrice et illustratrice Claire Le Men a vécu une fausse couche. Un arrêt brutal dans le processus de devenir parent, qu'elle a vécu comme un deuil. Un sujet d'autant plus douloureux qu'il est tabou dans notre société. Une expérience qu'elle nous raconte et dont elle parle dans son livre "Le non-évènement".

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Transcription
00:00La fausse couche, ça regroupe trois tabous ultimes de notre société,
00:03qui est le tabou du sang, du sexe et de la mort.
00:07Donc en fait, c'est trois choses dont les gens n'ont pas du tout envie de parler.
00:10J'aurais aimé pouvoir en parler, comme d'un deuil,
00:13de quelque chose que j'avais traversé, qui était triste, mais dont j'allais me remettre.
00:16Et le fait de ne pas avoir de possibilité d'en parler,
00:19c'est ça qui a été le plus douloureux.
00:20En janvier 2021, c'était pour ma première grossesse,
00:23et j'ai donc fait cette fausse couche à la fin du premier trimestre.
00:26Et ce qui m'a marquée, c'était le fait que j'ai beau avoir étudié la médecine
00:31et être une femme de 30 ans qui, a priori, devrait être au courant de ces choses-là,
00:36je n'ai vraiment pas vu les choses venir comme ça.
00:39Je ne savais même pas qu'on pouvait faire une fausse couche sans avoir de symptômes
00:44et le découvrir presque à l'échographie, comme ça, à la fin du premier trimestre.
00:47Je l'ai vécu comme un deuil, mais j'ai mis beaucoup de temps avant de m'apercevoir
00:50que c'était véritablement un deuil.
00:52Une grossesse, pour une femme, socialement, ça ne dure que six mois.
00:55Les trois premiers mois, ils sont vécus complètement dans le silence,
00:59ils sont cachés, masqués, c'est une expérience très solitaire.
01:02Juste avant l'échographie de la fin du premier trimestre,
01:05que je voyais un peu comme une libération, parce que je me disais,
01:08voilà, la fin de l'échographie, c'est bon, ça va être bon.
01:11J'ai commencé à perdre un peu de sang, mais je savais d'après mes études de médecine
01:14que ce n'était pas forcément lié à une fausse couche, qu'on peut perdre un peu de sang,
01:17mais que ce n'était pas très grave.
01:18J'ai appelé ma sage-femme, et là, d'un coup, j'ai senti qu'elle était quand même un peu plus affolée,
01:21elle n'était plus avec moi.
01:22Elle m'a envoyée dans la ville d'à côté faire une échographie.
01:25On passe d'une expérience de plénitude, celle de la grossesse,
01:29qui est en plus une expérience socialement très valorisée,
01:32à une expérience de la négation, uniquement, qui se vit en creux,
01:36ne serait-ce que les mots employés.
01:38Je me souviens que la sage-femme qui a fait l'échographie,
01:41dans laquelle on a diagnostiqué la fin de la grossesse,
01:43elle a juste fait l'échographie, elle regardait,
01:45elle m'a juste dit « je n'ai pas une bonne nouvelle ».
01:47Quand j'ai écrit à ma sage-femme, elle m'a dit « je suis désolée, je n'ai pas de mots ».
01:50Encore cette négation, qui se retrouve même dans le mot de fausse couche,
01:53comme si tout ce qu'on avait vécu était faux, comme si on avait été trompés.
01:56Entre-temps, je n'avais jamais fait la fausse couche naturellement à la maison.
01:59Et donc, quand je suis revenue pour faire le rendez-vous de contrôle,
02:03elle m'a juste félicité de la vacuité de mon utérine.
02:06Elle m'a dit « c'est bien vide, vous avez tout bien vidé ».
02:08C'était plus quelque chose de positif,
02:10ce qui est tellement aux antipodes de ce qu'on est en train de vivre.
02:13Pour moi, c'était un drame de perdre cette grossesse.
02:15Ce n'était pas merveilleux d'avoir tout évacué
02:17et d'avoir un utérus parfaitement vide.
02:19Je pense que dans l'emploi de certains termes,
02:22c'est là où il y a une certaine violence qui se joue avec le corps médical
02:25qui ne se rend pas forcément compte de la gravité potentielle
02:28de l'expérience d'une fausse couche pour une femme.
02:30Ce que j'avais trouvé douloureux dans la fausse couche,
02:32c'est que les trois mois que j'avais vécu enceinte,
02:34ils avaient existé.
02:35Il y avait eu trois mois de bonheur
02:37où on avait imaginé un enfant qu'on n'a pas eu.
02:39Ce qui est difficile, c'est que quand on fait une fausse couche,
02:42on vous en bute toute cette partie.
02:44Ce n'est pas seulement qu'on change physiquement,
02:46c'est qu'on se prépare à devenir parent.
02:48On ne se perçoit plus de la même façon.
02:50Et quand, brusquement, on vous dit que vous pouvez tout oublier,
02:53ces trois mois n'ont pas existé, c'est ça qui est douloureux.
02:55Je me souviens que parfois, il m'arrivait de l'évoquer juste
02:57comme quelque chose qui arrivait dans ma vie.
02:59On est à un dîner, on se pose une question.
03:01« C'était quand la dernière fois qu'on a mangé une fondue ? »
03:03Et tout le monde se trompe.
03:04Et moi, je dis la date parce que je me souviens,
03:06c'était quand j'étais enceinte.
03:07Je dis « C'était juste avant ma fausse couche, c'était tant. »
03:09« C'était telle date. »
03:10Et là, tout le monde se crispe.
03:11Personne ne réagit parce que personne ne veut qu'on parle
03:13de ce sujet extrêmement gênant.
03:14C'est vrai que pour n'importe quoi qui serait pourtant
03:17beaucoup plus anodin, comme une jambe cassée ou une entorse,
03:20ces mêmes personnes m'auraient certainement dit
03:22« Bon, alors ça va, ta jambe cassée, ton entorse ? »
03:24Alors pourquoi est-ce que cette expérience, on ne me demande pas
03:26si ça va mieux, si ça va la grossesse que j'ai perdue ?
03:29C'est quelque chose de très fréquent et qui pourtant
03:31est complètement tabou, quoi.
03:33Oui, c'est ça, en fait.
03:34Et c'est tout le hiatus de cette expérience.
03:37C'est que, en fait, comme c'est quelque chose qui n'existe pas
03:40dans nos rites, dans nos cultures, dans nos récits,
03:42c'est une expérience qui ne vit que dans le secret médical.
03:47Et donc, les seuls gens qui parlent de la fausse couche,
03:49c'est le corps médical.
03:50Et le corps médical, il présente la fausse couche comme ça,
03:52sous l'argument de la fréquence.
03:53Ils vont vous dire « C'est extrêmement fréquent,
03:55c'est 15 à 20 % des grossesses.
03:57Une femme sur quatre va en vivre. »
03:58Et c'est aussi une façon de banaliser l'expérience,
04:00comme si l'argument de la fréquence avait quelque chose
04:02à voir avec la gravité.
04:04Parce qu'on n'explique pas à quelqu'un qui va mourir
04:06« 100 % des jeunes meurent ».
04:08Statistiquement, c'est extrêmement fréquent et normal,
04:10donc il n'y a pas de quoi s'en émouvoir.
04:12Deux ans plus tard, j'ai accouché dans ce même service
04:14et c'était au même endroit d'ailleurs.
04:16Juste avant d'accoucher, la dernière échographie que j'ai faite,
04:18j'ai faite dans le même box où j'avais appris
04:21cette fausse couche.
04:22Et il y a beaucoup d'histoires de femmes qui racontent
04:25quand elles se font hospitaliser pour qu'on enlève
04:30leur grossesse chirurgicalement après une fausse couche.
04:33Elles racontent qu'elles se réveillent au milieu
04:35des cris d'enfants qui viennent de naître
04:37et c'est extrêmement douloureux.
04:39J'ai mis plus de deux ans à réussir à avoir un enfant après ça.
04:42Je n'avais aucune raison physique qui expliquait l'infertilité
04:46qui a découlé de cette fausse couche.
04:48Mais je pense vraiment que ça a été tellement banalisé
04:52dans sa prise en charge et je me suis tellement dit
04:54qu'il fallait passer à autre chose assez vite
04:56que je voulais juste avoir une grossesse
04:58pour réparer cette première grossesse perdue.
05:01Quand j'ai voulu me tourner vers la littérature
05:03pour trouver des mots avec lesquels j'aurais pu m'identifier
05:09pour mieux vivre cette expérience, j'ai rien trouvé.
05:11C'est comme ça qu'est venu l'idée d'écrire un livre sur le sujet.
05:15J'ai reçu ce message qui disait
05:17c'est le comité de lecture, on a lu votre texte,
05:23nos événements et nous l'avons aimé.
05:25Je me souviens de cette phrase, ça m'a vraiment marquée
05:27de me dire qu'on a lu mon histoire et on l'a aimée.
05:29Ce n'est pas une histoire particulièrement aimable
05:31ou pourtant ce n'est pas une belle histoire
05:33qui se termine avec un petit bébé mignon.
05:35Ce n'est pas l'histoire de la maternité.
05:37On a vraiment ce problème dans notre société
05:39de vouloir montrer qu'une face de la maternité,
05:41la face parfaite, sans nausées, sans douleurs,
05:44sans dépression du postpartum, sans fausse couche.
05:47D'avoir cette personne qui m'a dit
05:49on a aimé votre histoire dans toute son imperfection,
05:52c'est vraiment ça qui m'a un peu sauvée.

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