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“Je pense que l’on doit être “anti-woke” quand on est de gauche aujourd’hui.”
BRUT BOOK - Voilà pourquoi la politologue Chloé Morin considère que la gauche doit se montrer critique avec le wokisme, concept qu’elle explicite dans son livre “Quand il aura vingt ans”.

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Transcription
00:00– Je pense qu'on peut être de gauche et anti-woke,
00:02et je pense même qu'on doit être anti-woke quand on est de gauche aujourd'hui.
00:06La manière dont moi je définis le wokisme, c'est que c'est une grille de lecture du monde
00:11qui partage le monde entre les dominants et les dominés.
00:13Dans les dominants, il y a les hommes, il y a les pays occidentaux,
00:17les anciennes puissances coloniales par exemple,
00:18et puis dans les dominés, il y a les minorités sexuelles,
00:21les minorités religieuses ou même les femmes.
00:25Et le but du combat politique des wokes, c'est de renverser les rapports de domination.
00:29Et pour se faire, tous les moyens sont bons, et c'est là que les choses deviennent compliquées.
00:34En fait le wokisme, c'est la pratique de l'intolérance au nom de la tolérance.
00:38– Ce que certains reprochent au wokisme,
00:42c'est qu'ils avaient une sorte de pouvoir qui est aujourd'hui menacé,
00:47notamment parce qu'il y a davantage de gens qui ont accès à l'espace public
00:50via les réseaux sociaux notamment.
00:52Et donc du coup, les tenants du pouvoir, disons blanc, masculin, le patriarcat, etc.
00:58n'ont pas intérêt à ce qu'il y ait un discours wok
01:00parce que c'est une remise en cause du statu quo du pouvoir ?
01:03– Bien sûr, ça c'est tout à fait vrai.
01:06Mais remettre en cause le rapport de domination,
01:11c'est le rôle de la gauche depuis toujours.
01:14Le problème, ce n'est pas tant ça que le fait de le faire
01:20par des moyens qui sortent du domaine de l'acceptable.
01:25Donc le problème, ce n'est pas de contester le patriarcat,
01:28parce que pour le coup, il faut ouvrir les yeux sur les systèmes,
01:33y compris d'emprise, tout ce qui est révélé ces derniers temps
01:37dans le cinéma français.
01:39Mais il faut rester dans le cadre de principes
01:43qui sont ceux de l'État de droit et de la République.
01:46C'est simplement ça, le cœur de la critique que je fais au wokisme.
01:50– Oui, mais s'il n'y avait pas eu ce débordement,
01:53je ne sais pas comment qualifier ça, j'emploie le terme débordement,
01:55si on avait dit, il faut faire confiance à la justice, il faut, etc.
01:59Est-ce qu'il y aurait eu les affaires qui existent aujourd'hui ?
02:03Est-ce que le féminisme aurait pris la place qu'il a aujourd'hui dans la société
02:06si on avait été poli en disant, non, non, excusez-nous,
02:09on va respecter le cadre ?
02:10– C'est tout le…
02:14En fait, la question, est-ce que les femmes auraient pris leur place
02:17sans Me Too, est centrale.
02:19Et c'est pour ça que ce débat déchire vraiment la gauche.
02:24C'est-à-dire que oui, je pense qu'un certain nombre de personnes
02:29ne seraient pas tombées si elles n'avaient pas été balancées
02:34en dehors de tout cadre judiciaire.
02:36Je pense même qu'aujourd'hui,
02:40la justice ne fait pas son travail correctement sur ces sujets-là.
02:45Pour moi, ça n'a peut-être qu'une phase,
02:48ça a envoyé un signal,
02:49le signal que les agresseurs n'étaient plus à l'abri.
02:55Mais il est urgent aujourd'hui que la justice prenne le relais.
02:59Parce qu'aujourd'hui, vous avez des tas de femmes, d'enfants,
03:03d'hommes aussi, qui attendent justice
03:06et qui ont compris qu'on pouvait désormais parler.
03:10Mais si ces gens-là, ils se mettent à parler
03:11et que derrière, la justice n'en braille pas,
03:13il va y avoir une déception terrible.
03:16Et ils vont vouloir, c'est normal,
03:19se faire justice par d'autres moyens.
03:21Et donc, en balançant les gens sur les réseaux,
03:23en ruinant leur réputation, etc.
03:27Je pense que ça n'est pas souhaitable.
03:29– Dans votre livre, vous écrivez
03:31« La faim justifie tous les moyens pour les WOC ».
03:34C'est ce que vous critiquez.
03:36Mais ça, c'est vous qui le dites.
03:38En fait, moi, les WOC, je les trouve…
03:40Effectivement, ils font pression avec les moyens qu'ils ont,
03:43mais ils ne font pas exposer des bombes,
03:45ils ne font pas d'attentats.
03:47Donc, tous les moyens, en final,
03:48ce sont tous les moyens dont ils disposent
03:50et qui sont des moyens culturels.
03:52Mais il n'y a pas de violence physique, par exemple, chez les WOC ?
03:55– Enfin, c'est discutable.
03:59Sur les campus américains,
04:00vous avez eu quand même des violences de tous côtés
04:02qui n'étaient pas forcément dénoncées.
04:06– Dans le cadre français, alors ?
04:08– Alors, déjà, ça dépend de la définition qu'on a du mot « violence ».
04:17Est-ce que c'est des violences contre les personnes ?
04:18Est-ce que c'est des violences contre les objets ?
04:22Mais j'ai fait un sondage sur ce sujet dans mon livre
04:27et on voyait qu'il y avait une personne sur cinq qui disait
04:31« Il est légitime d'utiliser la violence
04:34pour empêcher quelqu'un de prononcer des paroles offensantes ».
04:37– Est-ce que ce n'est pas tout simplement dangereux de parler de WOCisme
04:41quand le terme n'est pas précisément défini ?
04:44Quand personne ne se réclame du WOCisme,
04:47personne ne se dit « je suis WOC », enfin personne, peu de gens.
04:51Mais du coup, on ne sait pas trop de quoi on parle
04:53et puis on en parle des heures et des heures.
04:54Ce n'est pas dangereux, ça ?
04:55– Alors, ce que l'on observe,
04:57c'est que le mot WOCisme est encore très peu connu.
05:0125% des gens qui savent précisément de quoi il s'agit.
05:04Mais la courbe de progression est impressionnante.
05:08Il n'y a pas d'accord académique sur la définition du WOCisme.
05:11Moi, je préfère qu'ils découvrent ce mot avec ma définition
05:14plutôt qu'avec la définition qu'offrent la droite et l'extrême droite
05:17qui considèrent que dès lors que vous combattez les discriminations,
05:19vous êtes WOC et donc il faut vous passer à la poubelle.
05:21Ce que je constate aujourd'hui dans le débat politique,
05:23c'est que WOCisme est effectivement sorti à toutes les sauces,
05:27mais qu'il est sorti à toutes les sauces pour disqualifier.
05:29C'est clair qu'il y a une entreprise de déstabilisation
05:34et de disqualification de la gauche basée sur la critique du WOCisme.
05:37En face, j'ai une partie des gens de gauche qui me disent
05:41non mais le WOCisme, c'est uniquement une étiquette qui vise à disqualifier
05:45donc il ne faut pas en parler.
05:48Moi, je pense que c'est faux parce que les gens voient les dérives que je nomme.
05:52La tentation de la censure, la tentation de la violence,
05:55la tentation de contourner la justice,
05:57c'est des choses qui existent et qui sont des faits
05:59et qui relèvent d'une pensée qui se réclame de la gauche.
06:04Et si on ne dénonce pas ces dérives-là,
06:07alors on en est, enfin les citoyens qui les constatent,
06:11pensent qu'on en est les complices.
06:14Et c'est ça qui est dangereux aujourd'hui.
06:15J'ai l'impression qu'on peut faire une sorte de parallélisme
06:18entre le terme extrême droite et le terme WOCisme.
06:21C'est-à-dire que les deux maintenant ont des contours flous.
06:23La preuve, l'extrême droite, maintenant il y a l'ultra droite.
06:25Du coup, on ne sait plus trop de quoi on parle.
06:27Et à l'inverse, la gauche va taxer telle ou telle personne d'extrême droite
06:32sans vraiment définir le cadre de ce dont il est question.
06:35Et à l'inverse, la droite va dire telle personne est WOC
06:38sans définir pas plus le cadre.
06:40Donc du coup, c'est deux camps qui s'opposent
06:42sans définir exactement ce dont on parle.
06:44Et donc du coup, le niveau du débat public est à peu près catastrophique.
06:47Est-ce que je me trompe quand je fais cette analyse ?
06:49– Non, non, je suis d'accord avec vous.
06:50On peut rajouter le mot populisme aussi,
06:53qui a des contours encore plus flous.
06:55Et là dedans, vous pouvez mettre absolument n'importe quoi.
06:59Mais oui, je pense que c'est vrai.
07:04Et mon rôle, modestement, c'est d'essayer de contribuer
07:08à apporter un peu plus de clarté sur ces termes.
07:10On se jette des anathèmes, on s'excommunie,
07:13on essaie de disqualifier l'adversaire.
07:15Mais finalement, débattre du fond des idées, on le fait de moins en moins.
07:21– Est-ce que finalement, le wokisme, ce n'est pas la conséquence du libéralisme ?
07:25C'est-à-dire que la société est perçue à travers les individus,
07:28l'individu plutôt que le groupe,
07:30et que ce qu'on veut, c'est l'évolution de l'individu,
07:34et donc du coup, la défense de la personne.
07:36Est-ce qu'il n'y a pas un lien entre libéralisme et wokisme ?
07:39– Oui, je pense qu'il y a un lien.
07:42Il y a un lien qui passe par le fait que c'est l'exaltation de la différence.
07:51On est passé d'une société où on cherchait plutôt
07:56à ce que les gens soient indifférents à nos spécificités,
08:02et aujourd'hui, on est dans une société où nos spécificités et nos différences
08:07doivent être une source de fierté et de reconnaissance.
08:10Et donc, oui, il y a une exaltation de l'individu,
08:15et ça, clairement, c'est le prolongement du libéralisme,
08:22de l'inscription de la France dans une culture et une économie libérales.

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