"Moi ce que j'aime, c'est les fous."
Pour lui, tout s’est accéléré depuis le triomphe de son film "Tout simplement noir". Désormais star du cinéma français, JP Zadi revient sur son succès, sans langue de bois. Discussion animée avec Augustin Trapenard à l’occasion de la présentation à #Cannes2024 de "L'amour ouf" et "Le procès du chien", deux films dans lesquels il joue.
Pour lui, tout s’est accéléré depuis le triomphe de son film "Tout simplement noir". Désormais star du cinéma français, JP Zadi revient sur son succès, sans langue de bois. Discussion animée avec Augustin Trapenard à l’occasion de la présentation à #Cannes2024 de "L'amour ouf" et "Le procès du chien", deux films dans lesquels il joue.
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00:00J'arrête, j'arrête. Ça va, ça va Augustin ?
00:03Ça va super. Et je me souviens, en 2022, il y a deux ans,
00:06on avait fait un sujet chez Brut où tu montais les marches du Festival de Cannes
00:09pour la première fois.
00:10Oui, oui.
00:10Là, cette année, tu as deux films au Festival de Cannes.
00:13Oui.
00:13J'ai l'impression que tu commences à bien l'aimer.
00:15Oui, j'ai l'impression que ça devient un peu ma maison,
00:18ça devient un peu ma petite cuisine.
00:20J'arrive, je monte les petites marches au calme, je regarde les films au calme.
00:23Oui, c'est bien aussi qu'on puisse s'installer au Festival de Cannes
00:26comme si c'était normal, parce que je crois que c'est un peu normal en vrai.
00:29C'est un peu émouvant, parce que moi, je t'ai connu il y a très longtemps
00:32au Bifort du Grand Journal, à l'époque.
00:35Et quand tu regardes le jeune homme que tu étais à l'époque,
00:37qu'est-ce que tu vois en fait ? Comment tu le regardes ?
00:39Non, je trouve ça super, parce que le gars que tu as croisé au Bifort,
00:43en fait, je ne pense pas que j'ai changé tant que ça.
00:47La souche est restée la même, c'est-à-dire noir, pauvre, quartier populaire et tout.
00:53Ça, c'est resté, je ne me prends pas pour quelqu'un d'autre.
00:55Mais ce que je peux dire sur moi, c'est que j'essaye de garder ma souche
01:00et j'essaye de pouvoir me regarder dans le miroir
01:03et me dire que je n'ai pas changé et que je suis le même,
01:06même si j'ai un petit peu changé quand même.
01:07Je me souviens, tu avais envie quand même.
01:09Ah ouais ?
01:09Tu avais envie de faire ce métier, tu étais porté par une énergie.
01:13Non, je n'avais pas envie de faire ce métier, mais j'avais envie de m'exprimer.
01:16Je trouvais qu'il y avait des choses qui n'étaient pas dites
01:18et que moi, j'avais envie de dire.
01:20Et voilà, j'avais envie de dire des choses, c'est par là que ça a commencé.
01:22Je me disais, mais il manque ça, il manque ça, il manque ça, ça, ça, ça, tu vois.
01:27J'ai été porté par ça en fait.
01:28C'est pour ça que tu as réalisé Tout simplement noir en fait,
01:30pour t'offrir un rôle que tu ne trouvais pas, qu'on ne t'offrait pas, qui n'existait pas.
01:34Exactement, c'est-à-dire quand j'ai commencé Tout simplement noir,
01:36le truc par lequel j'étais animé, c'est vraiment montrer un discours,
01:42montrer, je ne sais pas, des choses qui sont contradictoires.
01:47Je ne sais pas, j'avais envie de montrer quelque chose et de dire quelque chose.
01:50Tout simplement noir, ça a commencé par ça.
01:52A la base, je ne suis même pas acteur.
01:53Tu es au courant, à la base, moi, j'étais un gars, je faisais mes trucs vite fait comme ça
01:57et j'ai fait Tout simplement noir parce qu'il n'y avait personne qui pouvait jouer ce rôle-là à part moi.
02:00Et il se trouve que je l'ai très bien joué, puisque bon, le reste appartient à l'histoire.
02:04César est tout y conti.
02:06Oh, ce n'est pas moi de le dire, Augustin.
02:08Qu'est-ce que ça implique aujourd'hui d'être un acteur et réalisateur noir en 2024, en France ?
02:14Non, mais par contre, tu fais bien de me poser la question parce que,
02:17en fait, malgré moi, j'ai beaucoup de poids sur les épaules.
02:21Je vois la responsabilité qu'on met dans la rue, qu'on met sur moi.
02:24Genre les gens, ils voudraient que je dise des choses pour eux,
02:27mais moi, je ne peux pas dire des choses pour tout le monde.
02:29Moi, j'ai juste envie de faire mon travail.
02:31J'ai juste envie d'être moi-même et d'apporter mon discours à moi, ma vision à moi.
02:35Et comme on n'est pas beaucoup, il n'y a pas beaucoup de réalisateurs noirs,
02:38il n'y a pas beaucoup d'acteurs noirs.
02:39Du coup, quand un noir fait quelque chose, ça déchaîne tout de suite les passions déjà.
02:43Pour autant, ce qui est intéressant aussi chez toi en tant qu'acteur et en tant que réalisateur,
02:47c'est que tu ne t'intéresses pas seulement à toi.
02:49Je pense par exemple à la série Netflix que tu as faite qui s'appelle « En place ».
02:52C'est l'histoire d'un jeune homme qui va avoir un avenir en politique.
02:57La politique, ça t'intéresse, justement ?
02:59Ouais, quand même.
03:00Franchement, je sais que c'est un peu ringard de dire ça.
03:02La politique, c'est le moment où l'individuel devient collectif.
03:04Exactement.
03:05Non, mais ce qui m'intéresse dans la politique, c'est justement ce que tu es en train de dire.
03:08C'est vraiment quand tu fais quelque chose, pas pour toi et pour les autres.
03:11Et j'ai l'impression que c'est un peu ma vie, ça.
03:13Parce que je suis issu d'une famille nombreuse
03:15et moi, je ne me suis jamais vu en tant qu'individu.
03:18Moi, je me suis toujours vu en tant que groupe.
03:19C'est quand j'ai grandi, quand j'ai commencé à côtoyer d'autres gens,
03:23j'ai compris qu'en fait, l'individu, ça existait.
03:25Mais quand je suis sorti de chez mes parents, nous, quand on parle,
03:28moi, je dis « nous », je dis « ah, nous, t'as vu, oh là là, on a galéré, nous, nous, nous ».
03:32Et en grandissant, en rencontrant d'autres personnes et en allant à Paris surtout,
03:36j'ai compris qu'en fait, non, mais l'individu, en vrai, c'est un peu important quand même.
03:40Et donc, ma série, c'est exactement ce que je pense,
03:43c'est l'individu au service du groupe.
03:45Tu travailles en ce moment sur un projet dont le titre me fascine
03:48puisque le titre, c'est « Les derniers de la Terre »,
03:49ce qui m'évoque un livre magnifique de Frantz Fanon publié en 1961,
03:53préfacé par Jean-Paul Sartre sur le colonialisme.
03:57Oui.
03:57Tu peux nous en dire plus ?
03:58Oui, oui, oui.
03:59Alors, c'est vraiment le film, je pense, de ma vie.
04:02Je ne sais pas si je pourrais faire mieux que ça.
04:04C'est la première expédition spatiale africaine.
04:09Mais à l'intérieur de ça, on parle de décolonisation,
04:11on parle d'écologie, on parle de plein, plein, plein de choses.
04:14Et je suis vraiment hyper heureux de faire ce film
04:17parce que pour moi, il y a tout dedans.
04:19Il y a tout ce que j'aime.
04:20Dans « Tout simplement noir » et dans « En place »,
04:22ça parle un peu de ma fierté d'être français
04:25et de faire partie de la société française.
04:27Vraiment, j'ai tout mis dans « Tout simplement noir » et dans « En place ».
04:30Et dans le deuxième, là, maintenant, c'est ma part d'Africain
04:33parce que j'ai vraiment grandi avec la double culture.
04:36Mes parents, c'est des vrais Africains d'Afrique.
04:38Ce ne sont pas des mecs, c'est vraiment des Africains.
04:41Et donc, j'ai été éduqué là-dedans, dans cette culture-là.
04:43Et dans ce film-là, j'ai mis tout l'amour que j'ai pour l'Afrique,
04:47je l'ai mis là-dedans.
04:48On t'a vu récemment dans le film de Guillaume Niclou
04:50qui s'appelle « Dans la peau de Blanche Houellebecq »,
04:52avec Blanche Gardin et Michel Houellebecq.
04:54Tu as eu l'occasion de parler un petit peu avec Michel ou pas ?
04:56Il est fou, lui, un peu.
04:57C'est-à-dire ?
04:57Mais non, il est fou, le gars.
04:59Déjà, t'arrives, il est à deux à l'heure,
05:01il parle, on n'entend pas trop bien ce qu'il dit.
05:03Mais par contre, il est marrant, il est marrant.
05:05Il sort des punchs de ouf et tout.
05:07Et ouais, la rencontre, elle était bizarre, ouais.
05:10C'est une personnalité à part entière.
05:12Pour autant, t'as bien aimé l'acteur ?
05:14Oui, j'ai bien aimé l'acteur parce qu'il est fou.
05:16Moi, ce que j'aime, c'est les fous.
05:17Alors, deux questions.
05:18Qu'est-ce qu'il y a de plus fou en toi ?
05:19Moi ?
05:20Qu'est-ce qu'il y a de...
05:21Bah déjà, le fait d'être acteur.
05:23Le fait d'être acteur, déjà, c'est une folie incroyable.
05:25Je viens quand même...
05:26Je m'en rappelle quand j'ai dit à mon...
05:28Déjà, quand j'ai commencé un peu dans le game,
05:31j'ai dit à mon père,
05:32je vais travailler dans l'audiovisuel et tout.
05:34Et mon père, il m'a dit quoi ?
05:35Il m'a regardé...
05:35Je disais même pas acteur ou cinéma.
05:37Je disais l'audiovisuel tellement c'était loin.
05:40Et mon père, il m'a regardé, il m'a dit,
05:41mais même les blancs qui veulent être acteurs,
05:43ils n'y arrivent pas.
05:44Alors, toi, avec ta tête de noir,
05:46tu crois que tu vas aller où ?
05:47Et je l'ai regardé comme ça.
05:48Il avait raison parce que j'ai beaucoup galéré.
05:50J'ai dit, tu vas voir, papa.
05:52Et maintenant, aujourd'hui, je suis là et je discute.
05:54Donc, la folie, déjà, c'est d'être acteur.
05:56Et je pense aussi que la deuxième folie que j'ai,
05:58c'est d'être moi-même et de ne pas changer
06:00et d'être vraiment fidèle à moi-même
06:03et de savoir qui je suis.
06:04Et ça, c'est très important pour moi
06:06qu'en fait, je sois toujours en contact
06:09avec le gars que j'étais quand j'avais 14 ans.
06:11Et qu'est-ce qu'il y a de plus sensible en toi ?
06:13Mes enfants, mes enfants.
06:14Je pense que mes enfants, c'est quand même...
06:16Là, c'est sensible pour moi.
06:18Comment tu le vois, le cinéma, dans dix ans ?
06:19Dans dix ans, comment je le vois, le cinéma ?
06:21Je le vois beaucoup plus hétéroclite qu'avant.
06:24Je vois qu'il y aura beaucoup plus de réalisatrices.
06:27Il y aura beaucoup plus de réalisateurs jeunes.
06:29Il y aura beaucoup plus de noirs.
06:31Il y aura beaucoup plus de...
06:32Je sais pas, je trouve que là, on vit une époque...
06:34Je suis trop content d'être dans mon époque, frère.
06:36Je suis trop content d'être dans mon époque
06:38parce que je trouve que c'est l'époque où ça change,
06:40où les choses changent.
06:41Parce que l'époque des anciens, des années 80 et tout,
06:45c'était trop dur, man.
06:46C'était trop dur.
06:47C'était toujours les mêmes réalisateurs
06:49qui faisaient les mêmes bails,
06:50les mêmes acteurs qu'on voyait dans les mêmes films,
06:52les mêmes dans les festivals et tout.
06:54Là, aujourd'hui, moi, je te parle à Cannes.
06:56Alors qu'il y a dix ans, j'étais à Châtelet, man.
06:58J'étais en train d'essayer de chasser des goûts.
07:01Tu comprends ce que je veux dire ?
07:02Donc là, je trouve que l'époque dans laquelle on est,
07:05elle est vraiment charnière.
07:06Et moi, je suis vraiment content de ce changement.
07:08Je suis content que tout change.
07:10Même, tu vois, Laetitia Doche, réalisatrice qui fait son film.
07:12Avant, il n'y avait pas beaucoup de réalisatrices
07:14qui étaient sélectionnées à Cannes.
07:15Et là, aujourd'hui, on a ça, on a...
07:17Je sais pas, je trouve notre époque, elle est incroyable.
07:19Mais il y a aussi son petit lot de galères.
07:22Mais je trouve qu'elle est vraiment super, notre époque.
07:24Merci Jean-Pascal.
07:25Merci Augustin, il n'y a pas de soucis.
07:26On est ensemble.
07:27On est ensemble, c'était un plaisir.