"Peut-être que l'ascenseur social républicain ne fonctionne plus vraiment, mais l'ascenseur social de la célébrité fonctionne"
Après le succès de "Mon mari", son premier roman, Maud Ventura revient avec "Célèbre", où elle raconte l'histoire de Cléo et de son obsession : devenir célèbre. Pour Brut, elle se confie sur les secrets de fabrication de ce nouveau livre publié chez L'Iconoclaste.
Après le succès de "Mon mari", son premier roman, Maud Ventura revient avec "Célèbre", où elle raconte l'histoire de Cléo et de son obsession : devenir célèbre. Pour Brut, elle se confie sur les secrets de fabrication de ce nouveau livre publié chez L'Iconoclaste.
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00:00J'ai discuté avec une professeure de français en classe de quatrième
00:04et elle m'a dit, ah c'est fou, en lisant votre livre,
00:07ça me fait penser à mes quatrièmes quand je leur demande
00:10qu'est-ce que vous voulez faire plus tard ?
00:11Ils répondent tous en chœur, devenir célèbre !
00:14Peut-être que l'ascenseur républicain,
00:17l'ascenseur social républicain ne fonctionne plus vraiment,
00:19la méritocratie de l'école ne fonctionne plus vraiment,
00:22mais l'ascenseur social de la célébrité fonctionne,
00:24parce que n'importe qui, grâce notamment aux réseaux sociaux,
00:27peut prétendre à cette extrême célébrité.
00:29Donc il y a cette ascenseur sociale de la célébrité qui fonctionne,
00:32qui fait que ce n'est pas si absurde de rêver de la célébrité,
00:35parce que c'est de l'argent, parce que c'est le pouvoir,
00:36parce que c'est de les opportunités.
00:38Peut-être que c'est pour ça que ça fait un peu réagir
00:41et que ça titille les réseaux sociaux, que ça titille la célébrité.
00:43C'est qu'avant, c'était peut-être les personnes dominantes
00:46qui choisissaient, toi tu vas devenir célèbre,
00:47qui choisissaient telle chanteuse, toi tu deviendras célèbre,
00:50et telle personne, toi tu passeras à la télé.
00:51Maintenant, ce pouvoir, il n'est plus vraiment là,
00:55et n'importe qui, dans le meilleur sens du terme,
00:58Je m'appelle Maud Ventura, j'ai écrit un livre qui s'appelle Célèbre.
01:02C'est l'histoire d'une ambitieuse, d'une jeune fille qui rêve de devenir célèbre,
01:06et qui rêve de devenir chanteuse, et qui va y arriver.
01:08C'est votre deuxième roman, le premier roman s'appelait Mon Marie,
01:12c'était un gros succès de librairie.
01:13Après ce succès, vous pouviez écrire sur à peu près tout.
01:16Pourquoi vous avez choisi ce sujet de la célébrité ?
01:20Pourquoi on choisit un sujet ?
01:22Je pense que choisir un sujet, c'est un peu comme tomber amoureux.
01:26Après Mon Marie, j'ai commencé à écrire un premier texte.
01:29Super, dix pages, puis j'ai abandonné.
01:31Et après j'ai eu une autre idée, vraiment géniale.
01:33J'ai écrit dix pages et j'ai abandonné.
01:36Et puis un jour, je tournais un peu autour de ce sujet, la célébrité,
01:39et je me dis, il y a quelque chose, j'ai creusé, j'ai creusé.
01:42Et vraiment, je me souviens précisément de la scène, j'étais à la montagne.
01:45J'ai pris une feuille blanche et je me suis dit,
01:47OK, pose tes idées là et tu verras.
01:50Et j'ai écrit la célébrité et ma vie,
01:52celle que je savais que j'aurais, celle que j'ai fait en sorte d'avoir.
01:55Est-ce que j'étais préparée à un tel succès ?
01:57Bien sûr que oui.
01:58J'ai toujours su que ce qui m'attendait n'était pas une existence, mais un destin.
02:01Ma route serait exceptionnelle, ma trajectoire hors du commun.
02:05Quand on évoque la célébrité, on pense aux paillettes, au glamour,
02:07à l'argent, aux fans dévoués, au prestige, à la reconnaissance.
02:11Mais il faudrait aussi citer le sentiment de supériorité constant,
02:14l'ivresse de la richesse, les commentaires incessants,
02:18la vanité, l'hypocrisie, l'impunité.
02:21La célébrité est une drogue dure, un monstre féroce.
02:24Et je suis allée la chercher avec ma rage, avec mes ongles, avec mes dents.
02:28– Je vois que vous les connaissez par cœur.
02:30Ce passage, c'est le début du livre, donc page 11.
02:32Je ne m'attendais pas à ce que vous…
02:34– Mais je connais quasiment tout par cœur en fait.
02:37En fait, chaque page, je l'ai tellement écrite, réécrite.
02:40Et je peux vous dire, à chaque, par exemple, les commentaires incessants,
02:45page 11, pendant longtemps, ça a été le brasier des commentaires incessants.
02:49Je me suis dit, est-ce que ce n'est pas trop lourd ?
02:50Parce qu'il y a le sentiment de supériorité constant.
02:52Alors le brasier, j'ai enlevé le brasier, je l'ai rajouté, je l'ai enlevé.
02:54Donc là, il n'y est plus.
02:55Mais je peux dire à chaque mot, avec quoi j'ai hésité, pourquoi il est là.
03:00Est-ce qu'il a été modifié ou pas ?
03:02Donc, c'est comme si j'avais le texte avec toutes ces modifications en tête.
03:08– Sachant que le livre fait 530 pages.
03:09Je me suis posé la question en le lisant,
03:11parce que j'avais lu « Mon mari » comme beaucoup de gens.
03:13Celui-ci, quand vous l'avez écrit,
03:15est-ce que « Mon mari », votre premier roman, était déjà un succès ?
03:18– Oui, quand j'ai écrit « Célèbre », « Mon mari » vivait sa belle vie,
03:23si on peut le dire.
03:24Et oui, il y a peut-être des parallèles inconscients
03:28entre le succès qu'a connu « Mon mari »
03:30et cette histoire de célébrité qui est aussi une histoire de succès.
03:34À la différence près que c'est « Mon mari » qui a eu un succès,
03:37c'est un livre, et en tant qu'écrivaine, je suis très protégée.
03:41Je ne suis pas célèbre, et je ne le serai sûrement jamais,
03:44parce que ce n'est pas vraiment un métier d'image.
03:46J'ai vraiment vécu cette scène d'être à la terrasse d'un café
03:49et de voir quelqu'un à côté de moi lire « Mon mari »,
03:52et n'avoir absolument aucune idée que j'étais l'autrice de ce livre.
03:55Et c'est vraiment un luxe d'être protégée de cette manière.
03:58J'ai un point de départ, je me dis que la célébrité,
04:02ce thème-là, contient tout.
04:05Ça éclaire nos relations avec nos parents,
04:07nos relations avec nos amis, notre relation à l'argent, ça dit tout.
04:09Donc il y a un moment où je me dis que c'est la clé,
04:12et c'est cette clé que je vais vouloir explorer.
04:14Et plus j'explore la célébrité,
04:15plus je me dis que c'est dingue, ça contient le monde comme en miniature.
04:19Donc une fois que j'ai mon thème, ensuite je crée mon personnage
04:22pour aller explorer ce thème.
04:25Et cette technique, je ne l'invente pas,
04:28c'est Milankoundra dans « L'art du roman »,
04:29qui explique qu'il écrit ainsi ses romans.
04:31Il l'écrit pour explorer un thème,
04:33et il crée ses personnages, il appelle ça des égaux expérimentaux.
04:36Il dit que je les invente, il dit par exemple
04:38que je crée le personnage de Thomas dans « L'insoutenable légèreté de l'être »
04:41pour comprendre ce qu'est l'infidélité.
04:43Je crée le personnage de Thérésa
04:44pour comprendre ce qu'est un rapport au corps et le rapport à la mère, etc.
04:47Et donc tous ces personnages sont là pour éclairer des thèmes.
04:49– Est-ce qu'il n'y a pas un risque là-dedans,
04:51c'est de faire une sorte de roman à thèse ?
04:54C'est-à-dire de se dire, ok, j'ai un message là à faire passer,
04:56donc sur le thème de la célébrité, j'ai envie de dire telle chose,
04:59et de construire tout le roman à travers ça,
05:01et que finalement les personnages deviennent des pantins
05:04pour illustrer une thèse ?
05:05– Justement parce que je n'ai pas du tout de thèse.
05:07Et c'est ça qui est mon point de départ.
05:09C'est contrairement à un essai où je pourrais me dire,
05:13je veux dénoncer la célébrité,
05:14ou je veux dire que la célébrité c'est super.
05:16Pas du tout.
05:17En fait, mon point de départ est une fascination.
05:20Je me dis, il faut que je ressente là dans mes tripes, c'est dingue.
05:23C'est complètement dingue.
05:24Et donc à partir du moment où j'ai ça,
05:26je vais créer mon personnage pour explorer ça.
05:28Mais même à la fin de mon livre,
05:30après avoir travaillé sur ce sujet pendant plus de deux ans,
05:33je n'ai toujours pas de thèse.
05:34Je ne sais toujours pas si je me fais ni l'avocate,
05:39ni au contraire, je ne dénonce pas la célébrité.
05:42Quand j'écris, j'écris beaucoup.
05:44Et donc j'avais des pages et des pages et des pages sur ce thème-là,
05:47avec Cléo qui vivait des milliers d'aventures dans sa célébrité.
05:52Et il y avait des scènes quand elle était enfant au conservatoire,
05:55et des scènes avec ses parents,
05:56et des scènes en concert,
05:58et des scènes en interview,
05:59et des scènes, et des scènes, et des scènes.
06:00Mais je me suis dit, mais où est-ce que je vais ?
06:02Comment je structure ça ?
06:04Il y a vraiment un moment où la matière brute se transforme en livre.
06:08Et je me souviens vraiment de ce moment.
06:10J'étais en week-end à Saint-Malo.
06:12Et donc là, je fais une immense crise d'angoisse,
06:15parce que j'ouvre mes documents,
06:17et je vois cette espèce de flot qui me plaît.
06:20Je me dis que ce thème, il y a quelque chose,
06:21ce personnage, il y a quelque chose, mais je n'ai pas de livre.
06:24Et donc je traverse Saint-Malo en long, large,
06:26et je marche, et je parle comme ça, toute seule dans la rue.
06:29Et j'ai sur mon téléphone, je fais défiler mon texte,
06:32et je suis en mode comme ça.
06:33Vraiment, je pense que j'avais l'air possédée.
06:34Et je marche, et je marche, et je marche pendant plusieurs heures.
06:36Et là, je mets au point mes trois parties.
06:38Le livre est structuré en trois parties.
06:40La foi, l'ascension, la gloire.
06:43Ça commence sur une scène où mon personnage est sur une île déserte,
06:45parce qu'elle n'en peut plus de la célébrité,
06:47et elle a besoin de couper.
06:48Et donc pendant ces allers-retours à Saint-Malo,
06:51je vois en fait cette structure, ces trois parties,
06:54les passages sur l'île au début et interposés.
06:57Et en fait, le livre prend forme.
06:58Et là, je rentre dans le Airbnb que je louais,
07:03et je ferme et je me dis, c'est bon, j'ai un livre.
07:04– Est-ce qu'elle s'est toujours appelée Cléo Louvent, ce personnage ?
07:07– Elle s'est très vite appelée Cléo,
07:10parce que Cléo vient du grec Cléo, ce qui veut dire célébrité.
07:14Ce désir de célébrité, il peut avoir l'air contemporain.
07:17On a l'impression qu'il éclaire notre société, et c'est le cas.
07:19Les manières de devenir célèbre changent et disent quelque chose du temps présent.
07:23Mais en revanche, le désir de célébrité a toujours existé.
07:25Donc Cléo, c'est sûr.
07:27– Pourquoi Louvent ?
07:28– J'ai beaucoup cherché ce nom de famille.
07:31Et on m'a dit, prends une carte de France,
07:32parce que souvent, les noms de famille, c'est des toponymes.
07:34Et donc, j'ai pris une carte de France
07:35et j'ai regardé tous les villages possibles et imaginables
07:38à la recherche d'un nom.
07:41Et j'ai fini par trouver Louvent,
07:43qui n'est pas un vrai nom qui existe tout seul,
07:44mais qui est un nom à particules qui existe dans des noms plus longs.
07:49Et j'ai juste gardé le Louvent.
07:50Et quand je l'ai vu, je me suis dit, il est bien.
07:52Il allait en haut de ma liste.
07:53Puis dans Vent, V-E-N, il y a aussi Ventura, mon vrai nom.
07:56Et ça me plaisait aussi.
07:58Qu'elle soit un peu, qu'il y ait un tout petit peu de moi,
08:00qu'il y ait un quart de moi dans Cléo Louvent.
08:02Alan, mon conseiller en communication,
08:04me tend une liste des 207 sujets
08:07que je n'ai pas le droit d'aborder publiquement.
08:09Sans surprise, j'y trouve l'avortement, le port d'armes,
08:12la politique internationale, mais aussi les familles recomposées,
08:15l'élevage bovin et les clowns.
08:17– Question évidente, pourquoi les clowns ?
08:20– Parce que c'est drôle, ça me fait encore rire.
08:22Quand je ris encore à mes propres blagues que j'ai écrites il y a deux ans,
08:25je me dis que je suis mon propre public.
08:27Et c'est vraiment déjà un bon point de départ de se faire rire.
08:32Et c'était pour le petit sourire que ça me fait,
08:35et que ça me fait encore en le lisant,
08:37alors que j'ai lu cet extrait et réécrit et relu et retravaillé dix mille fois,
08:42ça me plaît encore, c'est un plutôt bon signe.
08:44– Et moi quand je l'ai lu, ça m'a fait marrer aussi.
08:47– C'est gentil.
08:48– Mais ça peut être une question aussi, on peut se dire,
08:51est-ce que cette vanne qui est drôle ne va pas sortir le lecteur du récit ?
08:56– Ah ben c'est un sujet avec l'humour.
08:57Moi je fais le pari que l'humour est indispensable
09:00dans la littérature et notamment sur ce sujet,
09:03pour justement que le lecteur soit dans le récit
09:07et qu'on soit dans une petite distance par rapport au sujet.
09:11Une distance qui permet un regard critique,
09:14mais qui ne soit pas non plus une mise à distance qui nous sorte du récit.
09:17Et c'est vraiment une ligne de crête dans l'humour,
09:19à quel point l'humour va permettre la catharsis ou non.
09:22J'espère avoir bien dosé, en tout cas c'est mon pari.
09:30– Sous-titrage ST' 501