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"La première personne à qui on s'en est pris, c'est ma fille."
Au Festival de #Cannes2024, Judith Godrèche présente "Moi aussi", un court-métrage sur les violences sexuelles qui prolonge son combat. Pour Brut, elle confie à Augustin Trapenard comment elle vit cette période faite de hauts et de bas.
Transcription
00:00En fait, la première personne à qui on s'en est pris, c'est ma fille.
00:08Quelle forme ?
00:09De menace.
00:11Comment vous l'expliquez ?
00:13C'est une jeune fille.
00:20Comment vous l'avez vécu ?
00:23C'est terrifiant.
00:26C'est un truc bien organisé.
00:34Un harcèlement méthodique.
00:35Oui.
00:38C'est un poids pour mes enfants.
00:42Mon combat prend énormément de place dans notre vie.
00:46Il s'en suit une culpabilité de votre part ?
00:48Bien sûr.
00:49Salut Brut, c'est Augustin.
00:51Je suis avec Judith Gaudrèche qui présente son court-métrage.
00:55Il s'appelle « Moi aussi » et c'est un évènement de cette quinzaine.
00:58Avant même son ouverture, ce festival est chargé de revendications, d'attentes, de symboles.
01:03De quoi ça témoigne pour vous ?
01:05Je ne sais pas.
01:08Je trouve qu'il y a beaucoup de gossip, de rumeurs qui, malheureusement,
01:13desservent même les personnes qui s'engagent et qui essayent de faire avancer les choses.
01:20Les gens qui sont sur la défensive le sont encore plus.
01:23Tout d'un coup, on se met à faire du bruit.
01:25On a le sentiment qu'au contraire, il ne faut pas confondre des accusations
01:30et un espèce d'environnement où on serait prise pour des corbeaux.
01:34Ce n'est pas un truc positif que d'essayer de créer cette ambiance.
01:38Tous ces articles dans les journaux, toutes ces rumeurs,
01:43je trouve qu'elles desservent la cause de celles qui se battent pour faire avancer les choses.
01:49Le 2 mai dernier, 52 députés ont voté à l'unanimité
01:52la création d'une commission d'enquête relative aux violences sexuelles et sexistes
01:56commise dans le secteur du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant,
02:00de la mode et de la publicité.
02:02On vous a vu extrêmement émus sur ces images.
02:05Comme si, là encore, à un moment donné, ça se brisait, ça craquait.
02:09Qu'est-ce qui s'est passé ?
02:11En fait, pour moi, l'Assemblée nationale et ce genre de lieu,
02:14c'est justement le lieu des adultes.
02:18C'est le lieu où la loi s'incarne à travers le fait qu'il y a des personnes
02:24qui sont des élus, qui sont des personnes qui parlent de loi,
02:27des personnes qui sont ancrées, qui sont considérées comme des gens sérieux,
02:34comme des gens qui sont capables de parler du monde, de notre environnement,
02:41de la société et de prendre des décisions et de débattre.
02:46Et à cet endroit-là, il y a mon histoire qui a fait ce chemin et qui s'est retrouvée là.
02:56Et mon histoire, c'est l'histoire de quelqu'un qui était donc un enfant,
03:01un enfant et une jeune fille et qui s'est retrouvée avec les grands,
03:05très très jeunes, avec des grands, avec des gens qui sont respectés
03:09de tout le monde et qui sont dans des dîners de grands,
03:12où j'écoutais les grands et par moments je parlais
03:15et c'était l'enfant qui parlait.
03:17Alors par moments, c'était un peu un singe savant,
03:19j'étais un peu cette espèce de truc d'énergie humaine
03:22qui tout d'un coup donnait son opinion et puis qui se refermait
03:25et puis qui ne savait pas trop quand elle avait le droit de parler ou pas,
03:27mais qui était consciente de sa place étrange dans ce monde-là
03:31et qui d'une certaine façon n'a jamais pu prendre sa place
03:34ou en tout cas toujours par rapport au désir de l'autre ou à l'aval de l'autre.
03:38Et là, ça remettait les choses en place.
03:40C'est-à-dire que je ne me suis jamais sentie légitime
03:42et je crois que j'ai encore un rapport compliqué et conflictuel avec ça.
03:45Mais à cet endroit-là, il y a la petite fille que j'étais
03:49qui s'est retrouvée à l'endroit des adultes
03:52et pas pour être la petite fille, mais pour être un adulte.
03:56Et je pense que ça a été quelque chose de très émouvant pour moi
04:00que ces adultes-là considèrent que ce qui m'est arrivé,
04:07ce n'est pas ça qui est important dans mon histoire,
04:09ce n'est pas ça dont tout le monde devrait parler,
04:11mais c'est le fil qu'on tire et qui déroule une pelote de laine
04:15et que tous les autres fils sont importants,
04:17toutes ces histoires sont importantes
04:19et qu'il est important de regarder cette société-là,
04:21celle du cinéma, de l'audiovisuel, etc.,
04:24avec des yeux d'adultes qui se posent des vraies questions,
04:27d'arrêter d'ignorer, de faire semblant alors que tout le monde sait.
04:30Il y a quand même eu ce discours lors de la dernière cérémonie des Césars.
04:34Avec le recul, comment est-ce que vous l'avez vécu, cette soirée ?
04:38En fait, je crois que je ne l'ai pas vécu.
04:40Tu veux dire quoi ?
04:42Je ne sais pas, je crois que j'étais vraiment dans un autre monde,
04:47dans un autre monde ailleurs, complètement à l'intérieur de moi.
04:51J'étais dans un état presque méditatif,
04:55mais je n'étais pas à la soirée des Césars.
04:58Est-ce que vous pensez que ça a changé quelque chose
05:01dans ce milieu du cinéma, face à ces professionnels du cinéma ?
05:04Juste ça, la soirée des Césars ?
05:06Ce discours ?
05:08Non.
05:10De les voir se lever comme ça devant vous ?
05:13Ça ne suffit pas.
05:15Et puis ça veut dire quoi ?
05:17Qu'est-ce qui vous faisait peur, ce soir-là ?
05:19Moi, ce soir-là, rien.
05:22Mais ça, c'est parce que je pense que j'étais à un endroit de ma vie
05:26et presque dans un truc de rien à perdre.
05:30Je pense que ce n'était pas possible.
05:34Ce n'était pas possible d'aller faire ce discours aux Césars
05:38sans avoir conscience que je savais qu'il fallait avoir rien à perdre.
05:44Et rien à perdre, ça veut dire quoi, Judith Godrej ?
05:47Ça veut dire prendre le risque de mettre de côté sa carrière cinématographique, par exemple ?
05:53Vous y avez beaucoup pensé, à ça ?
05:55De toute façon, j'étais déjà partie pendant dix ans, au bout du monde.
05:59Il y avait déjà chez moi ce désir de partir.
06:04Donc, c'est compliqué de revenir pour repartir.
06:08Enfin, une espèce de truc où tu te dis, bon ben...
06:14Je viens de revenir.
06:19J'essaie de trouver une place.
06:22On vous a fait comprendre parfois qu'il vaut mieux que vous repartiez ?
06:25Oui.
06:26Dans le milieu du cinéma ?
06:28Oui.
06:29Ça se manifeste comment ?
06:33Je ne sais pas.
06:35Par des lettres, des messages, des coups de fil.
06:42Qu'est-ce que la jeune Judith Godrej, qui rêvait de faire du cinéma,
06:46pourrait dire à la Judith Godrej d'aujourd'hui, si elle la rencontrait, à votre avis ?
06:50Prends tes jambes à ton cou.
06:52Et qu'est-ce que la Judith Godrej d'aujourd'hui aimerait dire à la Judith Godrej adolescente,
06:57qui a vécu ce qu'elle a vécu ?
07:02C'est pas de ta faute.

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