"Quand on est face à une œuvre, ça nous raconte quelque chose du monde, de la société, de nous-même."
BRUT BOOK. Dans "Les Yeux de Mona", Thomas Schlesser raconte l'histoire d'une jeune fille qu'une maladie menace de rendre aveugle et de son grand-père qui décide de l'emmener au musée chaque semaine pour qu'elle puisse s'imprégner de la beauté du monde. Déjà traduit dans le monde entier, le livre connaît un grand succès en librairie.
BRUT BOOK. Dans "Les Yeux de Mona", Thomas Schlesser raconte l'histoire d'une jeune fille qu'une maladie menace de rendre aveugle et de son grand-père qui décide de l'emmener au musée chaque semaine pour qu'elle puisse s'imprégner de la beauté du monde. Déjà traduit dans le monde entier, le livre connaît un grand succès en librairie.
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Art et designTranscription
00:00En fait, en 2013, j'ai eu une épreuve personnelle assez difficile.
00:05Je vais le dire pudiquement, ça a été le non-avènement d'un enfant.
00:10Et donc, j'ai ressenti le besoin, l'envie de me créer une petite fille dans ma tête en fait.
00:18D'une certaine manière, de l'élever, de l'avoir vivre.
00:22Et ce qui est fou, c'est que j'ai mis 10 ans à écrire le livre sur une petite fille qui a elle-même 10 ans.
00:27Donc c'est une jolie coïncidence des temps.
00:29Je m'appelle Thomas Schlesser, je suis historien de l'art et romancier.
00:34Je dirige une fondation et je suis professeur à l'école polytechnique.
00:37Et je viens de publier Les yeux de Mona.
00:41C'est un roman chez Albain Michel.
00:43Ça parle d'une petite fille qui est menacée de devenir aveugle.
00:47Elle s'appelle Mona, elle a 10 ans et donc peut-être que la cécité va la frapper définitivement.
00:52Et son grand-père se dit que si jamais elle devenait aveugle,
00:55il faudrait qu'elle emporte avec elle dans sa mémoire toutes les beautés du monde.
00:58Et pour ça, il l'emmène dans le dos des parents dans un musée chaque mercredi pour voir une seule œuvre.
01:04Et devant cette œuvre, à chaque fois, il va s'en imprégner pour qu'il y ait une leçon d'histoire de l'art,
01:10mais pour qu'il y ait aussi une leçon de vie, une petite morale, une leçon existentielle.
01:13Et ça, ça va permettre à Mona de grandir, d'évoluer, de traverser quantité d'épreuves.
01:18Ce que je voulais, c'est vraiment montrer que quand on est face à une œuvre,
01:21ça nous raconte quelque chose du monde, de la société, de nous-mêmes, de la vie, de l'existence.
01:27Est-ce qu'on est tous égaux par rapport à l'art ?
01:30Bien sûr que non, on n'est pas tous égaux par rapport à l'art.
01:32Tout dépend de notre bagage culturel, de la manière dont on a cultivé notre sensibilité.
01:36En revanche, ce que je crois, c'est qu'il y a plein, plein, plein de moyens d'arriver à jubiler,
01:42à jouir d'une œuvre d'art et que surtout, il ne faut pas se décourager.
01:46En fait, il faut être parfois un petit peu patient.
01:48Vous savez, c'est un petit peu comme quand on apprend à goûter des choses.
01:51Par exemple, savourer l'amertume, c'est difficile.
01:54Un enfant à qui vous donnez quelque chose d'amer, ça ne va pas lui faire plaisir tout de suite.
01:58Comment se fait-il que quand on a 20, 30 ans, on commence à beaucoup aimer des alcools
02:03qui se fondent précisément sur l'amertume ?
02:05C'est parce qu'on a développé, éduqué son palais.
02:08C'est la même chose avec l'œil, c'est la même chose avec l'oreille, c'est la même chose avec l'esprit.
02:12Alors, votre héroïne, Mona, elle a 10 ans.
02:15C'est son grand-père qui l'initie à l'art en lui expliquant les diverses œuvres.
02:19Vous, vous vous en souvenez de votre premier rapport à l'art ?
02:24Comment ça s'est passé ?
02:25En fait, moi, je viens d'une famille où il n'y avait pas véritablement d'œuvres d'art ou de rapport à l'art.
02:31Mais quand j'ai eu 18 ans, à un moment donné, on m'a obligé, dans un cadre scolaire, à aller au musée d'Orsay.
02:38Et j'ai été fasciné par les œuvres d'un peintre qui s'appelle Gustave Courbet.
02:43Et ce qui est très important, c'est que je ne peux pas dire que j'ai trouvé ces œuvres belles
02:46ou que je les ai trouvées véritablement attirantes.
02:48Je les ai trouvées intéressantes, intrigantes.
02:50C'était comme un appel, si vous voulez.
02:52Donc, si je vous entends bien, votre premier rapport à l'art est assez tardif.
02:5618 ans, c'est assez tard.
02:58En fait, moi, mon premier rapport à l'art visuel, c'est à 18 ans.
03:02Après, comme beaucoup de gens, j'ai d'abord eu des grosses émotions esthétiques en écoutant de la musique
03:08ou en jouant aux jeux vidéo.
03:10Dans les années 80-90, les premiers jeux vidéo dans lesquels il y avait des graphismes
03:15qui, tout à coup, évoluaient très, très vite.
03:17Eh bien, ça me bouleversait.
03:19J'adorais ça.
03:20J'adorais découvrir des nouvelles machines qui permettaient d'avoir vraiment des univers visuels
03:25de plus en plus performants.
03:27Et donc, en fait, l'éducation de mon œil s'est passée beaucoup plus par l'Atari 520 ST ou la Megadrive
03:33qu'à proprement parler par des tableaux du Louvre ou du musée d'Orsay.
03:37Mais ça, cette culture visuelle, cet amour visuel là, ensuite, il m'a servi à savoir apprécier
03:43ce qu'on appelle l'art classique.
03:44Est-ce qu'il n'y a pas aussi une dimension, j'en pourrais un grand mot, une dimension transcendantale ?
03:49Ou en tout cas, dans une société aujourd'hui religieuse à une part différente d'avant,
03:55l'art permet une certaine transcendance.
03:58C'est une magnifique question.
04:01C'est une question tout à fait essentielle.
04:03Et la transcendance dans l'art, ça peut être évidemment se sentir rempli de spirituel, de divin.
04:11C'est quelque chose qui intervient souvent dans le roman.
04:14Mais ce n'est pas que ça.
04:15Le transcendantale, c'est un rapport avec au-delà, c'est-à-dire que c'est un rapport avec la mort
04:20ou plus exactement, les morts.
04:22Il y a une des leçons qu'apprend Henri Amona devant un tableau de Fantin-Latour, c'est
04:28les morts sont parmi les vivants.
04:30Et c'est un tableau où, en effet, tout un groupe d'artistes entourent Eugène de Lacroix,
04:36un peintre qu'ils admiraient et qui vient de mourir.
04:38Et en fait, cette façon de pouvoir, je dirais quasiment communiquer avec des esprits qui ne sont plus là,
04:45mais qui sont encore parmi nous par les œuvres, ça nous donne une manière de voir le monde
04:50tout à fait extraordinaire, où ceux qui nous ont quittés sont encore parmi nous.
04:55Moi, vous savez, bien souvent, j'ai l'impression devant une œuvre que je discute avec l'artiste.
04:59Vous allez dire, mais c'est complètement hallucinatoire.
05:01Oui, c'est vrai, peut-être.
05:04Mais d'une autre façon, je me dis que c'est un canal de dialogue avec des êtres qu'on n'a pas forcément connus,
05:15mais qui nous sont chers et avec lesquels on a envie de partager, et partager les choses le plus librement possible.
05:21Et en plus, dans la discrétion de notre cerveau.
05:24Oui, mais moi, Dade, je trouve qu'il faut être ému devant une œuvre.
05:29Certes, mais d'aucuns te diront que ce n'est pas leur problème, et leur vision serait légitime également.
05:39En outre, Mona, l'incompréhension, le doute, le malaise, la rage, et même le rire,
05:48car il ne faut pas oublier l'humour qui traverse tout cela, sont des émotions.
05:54Moi, j'ai sélectionné ce passage parce que justement, je sais que souvent, il y a le discours des personnalités qui sont dans le milieu de l'art
06:00et qui disent que ça les touche, telle œuvre, etc.
06:03Et puis après, le public, en tout cas une partie du public, va voir et puis n'est pas touché,
06:08et puis se dit, le problème vient de moi.
06:11Et ce passage, justement, il permet un peu de déculpabiliser le public.
06:17C'est fondamental, ce que vous dites là.
06:20Il faut que le public ne se sente absolument jamais coupable, quand il a soit une indifférence ou un doute devant une œuvre.
06:32Encore une fois, même sa résistance fait sens.
06:36Vous savez, devant une œuvre, on peut avoir la sensation d'absurdité.
06:41Déjà, prendre en compte ce que c'est que l'absurdité d'une œuvre, c'est déjà faire un énorme pas vers elle.
06:49Et c'est une clé de compréhension formidable pour ensuite découvrir toute sa signification.