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Anthony Samrani, rédacteur en chef au quotidien libanais L’Orient-Le Jour, publie "Vu du Liban, la fin d’un pays, la fin d’un monde ?". Pour lui, son pays "s'est retrouvé entre deux monstres, avec une équation impossible à tenir en temps de guerre : ne rien céder, ni au Hezbollah, ni à Israël". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-28-novembre-2024-3604975

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00:00Sonia Devillers, il est 7h48, votre invité est co-rédacteur en chef du quotidien libanais
00:09L'Orient, le jour, il publie chez Gallimard dans la collection Tract, vue du Liban, la
00:15fin d'un pays, la fin d'un monde, point d'interrogation.
00:18Et ce sera en librairie le 5 décembre, bonjour Anthony Samrani, vous vivez à Beyrouth, vous
00:24commencez à écrire le vendredi 27 novembre quand 85 bombes de 900 kilos chacune sont
00:29larguées dans la banlieue sud de la ville, votre femme et votre fille quittent le pays
00:33pour se mettre à l'abri, au retour de l'aéroport vous pleurez, la guerre, encore la guerre,
00:38l'accord de cesser le feu qui vient d'être signé, signifie-t-il à vos yeux la fin de
00:44la guerre ?
00:45Non malheureusement pas vraiment, on a vraiment l'impression que l'histoire se répète,
00:51qu'on est condamné à vivre encore et encore la même histoire au Liban, hier j'avais
00:55un sentiment de soulagement parce que la guerre est potentiellement terminée, parce
01:00que les gens qui le peuvent, dont la maison n'a pas été détruite, sont rentrés chez
01:03eux, parce que la vie a repris son cours, et en même temps j'étais très triste
01:08et même énervé parce que j'entendais partout dans le pays des partisans du Hezbollah
01:13en train de célébrer la victoire, et on va fêter dans quelques mois les 50 ans du
01:18début de la guerre civile libanaise, et finalement on n'en est jamais sorti de cette guerre,
01:23C'est la chute de votre petit texte qui est très court, très percutant et assez
01:27désespéré, vous dites, qu'est-ce que ça veut dire « fini », ça ne finira
01:32jamais ?
01:33J'ai ce sentiment effectivement qu'à la fois au Liban aujourd'hui, mais à l'échelle
01:39de toute la région, on est dans un cycle de violence interminable, où des générations
01:44entières ont été traumatisées, où la violence alimente la violence, et où il n'y
01:49a aucun signe d'espoir, à part peut-être ce qu'ont été à un moment donné les
01:53printemps arabes et le soulèvement au Liban, pour justement casser ce cycle, pour en sortir.
01:59Cette guerre, je rappelle que vous avez 34 ans aussi, c'est votre génération qui
02:05s'exprime là à notre micro ce matin, cette guerre, écrivez-vous Anthony Samrani,
02:10déchire les Libanais entre eux et à l'intérieur d'eux-mêmes, elle nous met face à un choix
02:15impossible, le choix entre quoi et quoi ?
02:18C'était extrêmement difficile à vivre, d'abord le 7 octobre a été très compliqué
02:23à vivre.
02:24Pourquoi ? Parce que d'un côté on voulait soutenir, de nombreux Libanais en tout cas
02:28voulaient soutenir corps et âme la cause palestinienne, et en même temps ne pas faire
02:32le jeu du Hamas, et en même temps ne pas faire en sorte que le Liban plonge dans la
02:38guerre lui aussi.
02:39Et ces derniers mois l'ont été encore plus, parce que d'un côté on a une milice qui
02:43est aussi un parti qui représente une partie des Libanais, qui a fait énormément de mal
02:49au Liban, qui a fini par dévorer le Liban de l'intérieur, et de l'autre côté on
02:53a…
02:54Ça c'est le Hezbollah.
02:55Ça c'est le Hezbollah.
02:56Armé par l'Iran.
02:57Armé par l'Iran, armé et financé par l'Iran, et de l'autre côté on a un état avec lequel
03:01on a des relations extrêmement compliquées, dont la création a été un choc pour l'ensemble
03:07du monde arabe, qui a…
03:09Ça c'est Israël.
03:10C'est Israël qui, après le massacre du 7 octobre, a fait des milliers de massacres
03:15à Gaza, qui a détruit habitation par habitation, quartier par quartier, rue par rue, ville
03:20par ville, et on se retrouve au milieu de ces deux monstres, si je peux me permettre,
03:26et complètement coincés.
03:27Et cette équation était impossible à tenir en temps de guerre, c'est-à-dire ne rien
03:31céder ni au Hezbollah, ni à Israël, parce que c'est le Liban qui a été bombardé.
03:35Le Hezbollah vous contraint à subir la guerre, et Israël vous fait la guerre.
03:40Tout à fait.
03:41Et non seulement c'est un étau géographique, c'est un étau physique pour les Libanais
03:45qui se retrouvent entre ces deux feux, mais ce que vous racontez très bien dans cette
03:49souffrance des Libanais, c'est que c'est aussi un étau mental.
03:53C'est à mon avis le plus important, et c'est je pense le principal effet de cette
04:00guerre, non seulement au Liban, non seulement dans la région, mais dans le monde entier.
04:04Cette guerre a radicalisé les esprits à un point à partir duquel il va être très
04:10difficile de les apaiser désormais et de les modérer.
04:13Le Hezbollah n'a pas défendu le pays, mais l'a mis en danger, vous venez de nous l'expliquer
04:21Anthony Samrani.
04:22Et pourtant, vous le dites, lorsque Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, meurt sous les
04:27bombes israéliennes, vous écrivez « Un monde vient de s'effondrer sous nos yeux ».
04:32C'est le titre de ce tract, « Vu du Liban, la fin d'un pays, la fin d'un monde ».
04:37Quel monde s'effondre avec la fin de Hassan Nasrallah ?
04:40Hassan Nasrallah, il était, pour certains Libanais, c'était un dieu vivant, mais
04:46pour tous les Libanais, c'était le personnage le plus important de la vie politique.
04:50Il suffisait qu'il dise quelques mots, il suffisait qu'il lève son index pour que
04:54tout le pays craigne une guerre civile imminente.
05:00Tout ça, c'est cette peur qui s'est écroulée, c'est ce mythe de l'invincibilité, c'est
05:07aussi cette idée que finalement tout était fermé.
05:10Aujourd'hui, le champ des possibles est ouvert, il est possible que cette crise aboutisse
05:16à quelque chose de positif pour le Liban.
05:18De positif ? Vous dites que le Liban n'est plus un acteur, le Liban est devenu un terrain
05:22de jeu.
05:23Un terrain de jeu pour Israël, un terrain de jeu pour l'Iran, un terrain de jeu pour
05:25les Américains.
05:26Et nous ? Et nous les Libanais ?
05:29Mais il est aussi malheureusement très probable, il y a 9 chances sur 10 à mon avis, que
05:33ça aboutisse à un scénario qui est pire que l'état dans lequel on était au début
05:38de la guerre.
05:39C'est-à-dire un déchirement interne dans un contexte où toute la région est en lambeaux,
05:47dans un contexte où le monde est cassé.
05:48Le fait que la fin du Liban coïncide avec la fin du monde n'est justement à mon avis
05:55pas une coïncidence.
05:56Le Liban est un miroir grossissant de ce qui se passe dans le monde et c'est en même
06:01temps un pays très perméable à tout ce qui s'y passe.
06:03Vous le dites, vous dites que le monde arabe est mort, d'ailleurs c'est un passage très
06:07fort de votre petit texte.
06:09Le monde arabe est mort, que reste-t-il de la Syrie, de l'Irak, de l'Iran, de l'Égypte,
06:13de la Tunisie qui est en train de s'enfoncer dans l'autoritarisme, du Yémen, du Soudan
06:17qui est en guerre ?
06:18Le monde arabe est mort, mais là vous dites la fin du Liban ?
06:23Anthony Samrani, vous dites la fin du Liban ?
06:25Je ne sais pas si c'est la fin du Liban, mais il y a une idée libanaise à laquelle
06:30je suis très attaché, une idée qui fait justement du Liban quelque chose de plus
06:34qu'un pays.
06:35C'est une utopie, c'est un message, c'est une façon de voir le monde, c'est une acceptation
06:40de l'autre, c'est une ouverture d'esprit et cette idée-là, c'est un remède à mon
06:46sens et cette idée-là, je crois effectivement qu'elle est en train de mourir.
06:51Est-ce que cette mort est définitive ? Est-ce qu'on peut espérer un retour ? Si on le
06:57souhaite, il va falloir très vite bouger, il va falloir se mobiliser.
07:01Vous le savez, la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt contre Benyamin
07:08Netanyahou, Premier ministre israélien, contre son ancien ministre de la Défense.
07:13Et la France, hier, s'est singularisée en expliquant que Benyamin Netanyahou continuerait
07:20de bénéficier d'une immunité.
07:23Comment vous réagissez ?
07:24Il y a d'abord ce que l'on sait.
07:27Ce que l'on sait, c'est qu'Israël a tenté d'écarter au bout d'un moment la France
07:31de la solution libanaise, que ça a coïncidé avec la décision de la Cour pénale internationale,
07:40qu'ensuite la France a été réintégrée et que la position française par rapport
07:45au mandat d'arrêt a évolué.
07:47Est-ce que cela signifie qu'il y a eu des négociations sur ce sujet ?
07:51A priori.
07:52Et si c'est le cas, c'est un scandale.
07:53On ne se rend pas assez compte ici en France, à mon avis, à quel point la guerre de Gaza
07:58a miné le système international qui a été pourtant créé par les pays occidentaux.
08:04C'est-à-dire l'utopie d'un ordre libéral qui était l'utopie auquel adhéraient la
08:11majorité des pays occidentaux et peut-être même le reste du monde après la chute du
08:16mur.
08:17Aujourd'hui, elle est complètement brisée.
08:18Aujourd'hui, plus personne n'y croit.
08:19C'est la défaite de l'Occident ?
08:22C'est la défaite de l'Occident et c'est une défaite qui est liée au fait qu'il
08:28y a un acteur dans cette région qui agit en toute impunité en raison de la puissance
08:34de la mémoire qui est une mémoire occidentale, la puissance de la mémoire de l'Holocauste
08:39et en même temps en raison de choix stratégiques qui sont inexplicables aux yeux des habitants
08:43de la région.
08:44C'est-à-dire que soit on décide de vivre dans un monde cynique où c'est le règne
08:48du plus fort, où c'est toujours le plus fort qui l'emporte et tout le monde en assume
08:52les conséquences, soit on veut construire un ordre avec des règles et dans ce cas-là
08:57tout le monde doit respecter les mêmes règles.
08:58Et c'est la dernière cause, la cause palestinienne qui unit, expliquez-vous Anthony Samrani,
09:04le monde arabe.
09:05Ce monde arabe disloqué en souffrance, il n'y a plus que la cause palestinienne qui
09:10soit encore un cœur qui batte.
09:12Oui, elle l'unit parce que cette cause a une puissance symbolique sans équivalent,
09:17parce que quelque part toutes les injustices que ressentent au quotidien les Arabes, le
09:22seul espace qu'ils ont pour l'exprimer c'est quand il s'agit de la cause palestinienne
09:26parce qu'Israël est encore perçue comme une greffe étrangère et aussi parce qu'il
09:31est beaucoup plus facile de soutenir la cause palestinienne que de soutenir par exemple
09:37la cause syrienne.
09:38C'est quelque chose qui est à la fois très profond mais qui aussi démontre une
09:44forme de superficialité à mon avis aujourd'hui dans la région.
09:47Anthony Samrani, vue du Liban, la fin d'un pays, la fin d'un monde, c'est en librairie
09:51la semaine prochaine, merci.

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