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Transcription
00:00Edouard Philippe a donc donné rendez-vous mercredi à midi précis pour dévoiler en intégralité sa réforme des retraites.
00:06Annonce lors d'une prise de parole surprise hier sur le Perron de Matignon, réponse à la mobilisation de la rue Jeudy
00:13qui a instauré un rapport de force entre syndicats et gouvernements.
00:17Alors que faut-il attendre de ces annonces ? Comment sortir de ce bras de fer alors que les grévistes des régimes spéciaux
00:23RATP et SNCF maintiennent la pression ?
00:25Avec moi en studio pour nous donner les clés de ce mouvement social, l'historien Michel Pigeonnet,
00:30professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Paris 1, Panthéon-Sorbonne.
00:35Bonjour.
00:36Bonjour.
00:36Vous qui êtes un observateur éclairé des mouvements sociaux et des grèves, comment qualifieriez-vous celle de Jeudy ?
00:43Déjà, est-ce que vous attendiez une telle mobilisation ? Le Premier ministre lui-même a parlé d'une grève importante.
00:50Oui, il est observateur, mais effectivement on pouvait s'attendre à une forte mobilisation.
00:57Ce qui est intéressant dans ce qui s'est passé Jeudy, c'est l'ampleur et l'étendue, au sens où à la fois il y a une certaine diversification des manifestants
01:10et surtout une étendue dans le pays. Il y a une sorte de capillaire de la protestation qui est très intéressant
01:19et qui signifie que quelque chose vibre dans le pays.
01:23Ça veut dire qu'on n'a pas manifesté effectivement qu'à Paris. On s'était parlé en amont de cette mobilisation de Jeudy.
01:30Vous m'aviez dit 2019, ça n'a rien à voir avec 1995. Tout le monde l'a en mémoire, Édouard Philippe sûrement.
01:37Est-ce que vous maintenez le même constat ?
01:39Alors, les différences que je notais avant demeurent différences politiques, différences sociales et syndicales.
01:49Différence politique, en 1995 on a une réforme qui essaie de prendre l'opinion par surprise et trop bien par surprise
01:58puisque Jacques Chirac avait été élu sur le thème de la fracture sociale. On ne le voyait pas venir.
02:04Alors que là, Emmanuel Macron a annoncé une réforme des retraites à faire.
02:09Mais le problème c'est qu'il la met en oeuvre à mi-mandat alors que déjà l'effet État de grâce est passé
02:17et qu'il y a eu la crise sociale des gilets jaunes qui l'a fortement ébranlé.
02:22Donc on n'est pas dans le même contexte politique. Sur le plan social non plus.
02:28La réforme de 1995 touchait à la sécurité sociale mais elle touchait surtout au régime de retraite des services publics et de la fonction publique.
02:37En 2019, c'est tout le système des retraites qui est concerné.
02:42Même si on voit une nouvelle fois des salariés des deux principaux régimes spéciaux, on va dire SNCF et RATP en première ligne, qui maintiennent la pression.
02:50Alors ça, c'est en effet quelque chose qui est un peu comparable à 1995.
02:56Alors il faut attendre parce que 1995, ça n'a pas démarré si vite que ça.
03:04Les enseignants s'y sont ralliés en cours de route. Là, ils étaient présents d'emblée.
03:09Et pour le privé, il faut voir.
03:11Alors c'est vrai qu'il y a sur ces questions comme les retraites qui intéressent directement l'État, l'exécutif.
03:18Dans le privé, l'interlocuteur des syndicats, c'est l'employeur, c'est le patron.
03:24Donc s'adresser directement à l'État en faisant grève dans le privé, c'est plus compliqué que dans le public où là, c'est l'État patron qu'on a en face de soi.
03:35Pourquoi cette question des retraites reste toujours aussi inflammable ?
03:38Ça semble mobiliser plus que tout autre sujet.
03:41Dans le monde d'hier, le sociologue Jean-Michel Denis rappelait cette grève de 53, que j'avoue, je ne connaissais pas,
03:47la mère des batailles, qui avait mis 4 millions de grévistes, alors pas dans la rue, mais en tout cas 4 millions de grévistes, un 15 août en plein été.
03:55Oui, c'était une première tentative de réforme des régimes spéciaux.
04:00Et il ne devait plus y en avoir avant 1995.
04:03Dans l'opinion, sa mémoire s'était dissipée.
04:06Dans les syndicats aussi, je pense que dans le pouvoir, on en avait conservé la mémoire.
04:12Les partenaires sociaux doivent rencontrer lundi Agnès Buzyn et Jean-Paul Dedevoie qui en chargent ce dossier, surtout la concertation.
04:18Est-ce que ça a du sens de voir les partenaires sociaux deux jours avant qu'Édouard Philippe fasse ses annonces ?
04:22Je n'en sais rien.
04:24Sans doute, il y a du rapport de force, il y a de l'information peut-être qui peut circuler.
04:29C'est manière de voir ce qu'il faut ajuster ?
04:31Peut-être. Là franchement, je ne suis pas compétent là-dessus.
04:34Mais par contre, je voudrais revenir sur les retraites. En quoi ? Pourquoi c'est inflammable ?
04:38Parce que là d'abord, ça concerne toute la population.
04:42Et toute une population qui n'est plus celle de 1950 ou de 1910, quand est allé voter le premier régime obligatoire de retraite.
04:50Maintenant, on a en effet un temps à vivre après la période du travail.
04:57Et d'une certaine façon, tout le monde, sans doute pas les très jeunes pour lesquels c'est très loin,
05:03mais tout le monde finit par adapter sa vie aussi en tenant compte de ce temps de retraite.
05:09C'est un fait de civilisation. Et quand on y touche, là, on touche à quelque chose de profond.
05:14Alors, est-ce que la grève, Michel Pigeonnet, c'est la seule manière définitivement en France de régler les choses ?
05:21Je dis ça parce que même sur la méthode, Édouard Philippe a dit qu'il devait agir sans brutalité,
05:25comme s'il avait cette charge mentale de 1995 et peut-être un peu de son mentor, Alain Juppé, droit dans ses bottes, disait-on à l'époque.
05:32Oui, mais alors, les propositions... Alors là, vous évoquez le premier ministre, mais après il y a eu des ministres.
05:39Il y a aussi Emmanuel Macron qui, même s'il ne s'est pas exprimé directement, il y a peu de temps là-dessus,
05:46a eu des propos qui ont varié dans le temps.
05:51La question, c'est s'agit-il seulement d'écouter, de concerter ou de négocier ?
05:58Et c'est vrai que si on attend la grève pour négocier, eh bien on se met dans un rapport de force
06:08et à partir de ce moment-là, on est obligé de négocier avec ceux qui font grève, ce qui n'était peut-être pas le cas auparavant.
06:16Il semble que du point de vue de la tactique, sinon de la stratégie, il y a eu un peu de flottement.
06:22Mais vous qui avez le recul de l'historien, justement, on a toujours l'impression de ce rapport de force qui doit forcément s'instaurer
06:28pour que le dialogue arrive à un moment donné ?
06:31Il semble bien qu'en France, pour être entendu, il faille se manifester.
06:38Alors, manifester au sens le plus direct du terme dans les rues, ou aussi faire grève.
06:44Oui, c'est un constat.
06:47Merci beaucoup Michel Pigeonnet de nous avoir éclairé ce matin.

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