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00:00Allez, nous avons l'honneur ce soir de recevoir, d'en face à nous, une dame qui a marqué la vie des Français.
00:06Vraiment, j'ai suivi toute son histoire, j'ai suivi toutes ses interviews.
00:10J'étais passionné par son histoire, je le suis toujours, et par aussi par sa personnalité.
00:16C'est quelqu'un vraiment que j'admire énormément. Je suis très heureux qu'elle soit là ce soir.
00:19C'est Ingrid Bettencourt. Merci d'être avec nous. Merci, merci, merci, merci.
00:24Merci.
00:26Ingrid Bettencourt, tout le monde connaît Ingrid Bettencourt.
00:30Une histoire incroyable, enlevée par les FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie, en 2002.
00:35Elle a été retenue en captivité pendant plus de six ans et demi dans la jungle colombienne.
00:39Alors moi, bien sûr, on s'est tous intéressés à l'histoire d'Ingrid Bettencourt,
00:44mais moi je me suis aussi intéressé à sa personnalité.
00:47Et c'est vrai que c'est une personnalité incroyable.
00:49Donc merci d'être avec nous ce soir. On va revenir sur toute votre vie, sur tout ce qui s'est passé.
00:54Et c'est vrai que déjà, c'est un bonheur de vous voir.
00:57Et en tout cas, vous avez l'air très en forme.
00:59Vraiment, franchement, vous êtes magnifique.
01:03Non mais c'est vrai que quand je vous ai vu arriver,
01:07elle disait tout à l'heure que quand Dany Brion est arrivé, il s'est passé quelque chose.
01:11Et bien quand vous êtes arrivé sur le plateau, il s'est passé quelque chose également.
01:14Vous avez été enlevé le 23 février 2002 par les Farc,
01:19alors que vous meniez campagne pour l'élection présidentielle colombienne.
01:22Est-ce qu'on va revenir là-dessus, bien entendu ?
01:24Comment s'est déroulé cet enlèvement ?
01:26On peut revenir pour ceux qui nous regardent, même pour les plus jeunes qui nous regardent,
01:30et qui ne connaissent pas votre histoire.
01:32Bon, rapidement, disons que la Colombie vivait des moments très difficiles.
01:38Il y avait une guerre, une guerre entre une guérilla, les Farc,
01:43et le gouvernement.
01:45Les Farc étaient devenus, c'était au départ une guérilla de paysans
01:50qui défendait un petit peu leurs droits à la propriété.
01:53Et avec le temps, c'était devenu un cartel de la drogue très violent, terroriste.
01:59Et ils avaient eu pour idée de kidnapper les gens,
02:03pour d'une part demander des rançons et faire de l'argent,
02:06mais aussi faire de la pression sur le gouvernement.
02:12J'étais en campagne présidentielle.
02:16Je devais aller d'un point A à un point B.
02:19Je suis arrivée donc à l'aéroport dans lequel on pouvait atterrir,
02:23et je devais prendre la voiture pour aller à San Vicente.
02:26Et là, sur le chemin, j'ai été kidnappée par les Farc.
02:31Ils ont monté un barrage, ils savaient que j'arrivais, ils avaient été prévenus.
02:35Le gouvernement, lui, m'avait enlevé ma sécurité.
02:40Et donc, j'étais démunie et j'ai été une proie très facile pour eux.
02:47– Vous avez tout de suite su que vous alliez être enlevée ?
02:53Vous avez tout de suite su la gravité de ce qui se passait ou pas ?
02:57– Pas vraiment, parce qu'il y avait eu déjà des enlèvements
03:02qui avaient été rapidement négociés, et c'était des personnalités.
03:07Et je me disais, bon, je vais être là deux semaines, trois semaines, pas plus.
03:13– Ils vous ont directement emmenée dans la jungle ?
03:15Vous avez été enlevée seule ?
03:17– Alors non, on était dans la voiture, nous étions cinq.
03:20Il y avait notamment un photographe, un journaliste français.
03:25Il y avait un caméraman avec qui je suis toujours en contact, un type divin.
03:30Finalement, ils nous ont gardés deux, les deux femmes qui étions dans la voiture.
03:34Et les autres ont été relâchées.
03:36Nous, on nous a kidnappées un samedi, ils ont été relâchés un dimanche soir.
03:41– Qu'est-ce que vous vous dites à ce moment-là ?
03:43– J'ai eu plusieurs choses.
03:45J'ai eu un moment, on est dans cette voiture, on nous sépare.
03:50Et là, j'ai des images, des photos.
03:55Il y avait un sénateur qui venait d'être assassiné par les Farc quelques mois auparavant.
04:02Et j'avais la photo de la voiture avec le corps du gars.
04:06Je me suis dit, c'est stupide de mourir comme ça.
04:09Ça a été mon premier truc.
04:11Alors, face à ça, c'est vrai que l'enlèvement, c'était un moindre mal.
04:15Et donc, quand ils m'ont emmenée dans une autre voiture,
04:19là, j'ai eu une conversation avec le commandant qui a pris charge de ma vie,
04:25qui m'a dit que j'étais kidnappée, qu'ils allaient me garder.
04:31Et là, je me suis dit, bon, il faut que je fasse tout pour m'évader.
04:38Parce que je n'ai pas du tout envie de rester là, j'ai papa qui m'attend.
04:42Papa était très malade, je savais qu'il n'allait pas tenir longtemps.
04:45Il venait de sortir d'une attaque cardiaque, je savais.
04:52Et j'avais mes enfants qui m'attendaient.
04:54Bref, j'ai passé six ans et demi.
05:00À chercher comment revenir ?
05:03Tous les jours.
05:07Je peux poser une question.
05:09Ils vous traitaient comment au début, quand ils vous parlaient,
05:11parce que vous étiez une personnalité importante ?
05:13Eux, c'était les guerriers héros.
05:14Ils étaient respectueux ?
05:16Ils gardaient une forme de respect ou ils étaient très insultants, très durs ?
05:20Alors, j'ai un souvenir qui me revient avec cette question.
05:23J'ai le gars, ce jour-là, qui me prend dans sa voiture, le commandant,
05:28et qui me dit « Ah, Ingrid, on vous a enlevé. »
05:33Et il me regarde et il me dit « Vous êtes quand même mieux en personne qu'à la télé. »
05:40Et là, je lui ai dit « Je ne peux pas dire la même chose de vous,
05:44parce que je pense vraiment qu'en réalité, vous êtes… »
05:49Évidemment, on voyait leur visage.
05:52Moi, j'ai une question.
05:53Est-ce que vous étiez au courant de ce qui se passait à l'extérieur ?
05:56Est-ce que vous avez eu des espoirs, à un moment donné, de sortir, qui ont été déçus ?
06:00Ah oui, tout le temps.
06:01C'est très étrange, mais j'étais en contact avec la réalité à travers une radio.
06:07J'avais une radio.
06:09Et je pense que c'était aussi une façon pour les pharques qu'on tienne le coup.
06:16Parce que l'isolement dans la jungle, c'est très dur à vivre.
06:19Et au moins, le fait d'écouter des nouvelles, de voir un petit peu à travers la radio
06:25ce qui se passait au dehors.
06:27Donc, j'étais au courant.
06:29Toujours avec un délai, un décalage.
06:31Mais j'étais au courant.
06:33Je savais que la France se mobilisait pour moi.
06:38Je sais que je n'aurais pas tenu sans cela.
06:40Les radios avaient créé des programmes des espaces à 5h du matin ou à minuit
06:46pour que les familles des otages puissent envoyer des messages.
06:50Donc, maman envoyait des messages.
06:52Alors, comme il y avait tellement de monde, il n'y avait que 15 secondes.
06:56Il fallait dire bonjour et au revoir.
06:58Et donc, maman préparait son truc.
07:01Et tous les jours, elle condensait ce qu'elle voulait me dire.
07:05Et il y avait toujours un mot d'amour.
07:07J'en avais besoin.
07:09Et il y avait une nouvelle.
07:12Quelque chose sur mes enfants, sur le pays, sur ce qu'elle allait faire, sur ce qu'elle avait fait.
07:17Et ensuite, il y a eu... J'ai suivi.
07:19Je n'avais pas les images.
07:21J'ai compris qu'en revenant, là, on pleure du soutien.
07:25Mais, merci la France.
07:27Vous saviez qu'il y avait des comités de soutien qui étaient un peu partis en France ?
07:31Vous saviez ce qui se passait ?
07:33Moi, la question que j'avais envie de vous poser, c'est que votre maman, vous avez dit
07:36qu'elle vous laissait des messages tous les jours de 15 secondes.
07:38Comment pouvait-elle savoir que vous étiez encore en vie ?
07:40Non, elle ne savait pas.
07:41Elle ne savait pas.
07:42Mes enfants aussi me laissaient des messages.
07:44Moins souvent.
07:46C'était plus difficile pour eux.
07:47Ils n'étaient pas en Colombie.
07:49De fait, toute la famille est partie de Colombie.
07:51La seule qui est restée, c'est maman.
07:53Et ça a été un calvaire pour tout le monde.
07:56Pour mes enfants, qui n'ont plus de vie,
07:59parce qu'ils faisaient leurs études, mais en même temps,
08:02il fallait qu'ils se battent pour moi.
08:04Et que, voilà, les gens étaient...
08:07Il fallait qu'ils se mobilisent dans les comités.
08:09C'était vraiment une vie très, très difficile pour des adolescents.
08:12Vous avez dit tout à l'heure que vous vous raccrochiez à cette radio que vous aviez,
08:16aux messages de 15 secondes aussi qu'on pouvait vous laisser.
08:19Vous êtes aussi rapprochée de la religion pendant cette période, non ?
08:22Oui.
08:23Oui.
08:25Oui.
08:26Disons que j'ai eu...
08:31J'étais très seule et en même temps très entourée,
08:35puisque j'avais des gardes constamment.
08:37Et j'ai eu cette sensation,
08:41c'est une expérience vécue,
08:44de présence,
08:47de protection,
08:50d'espoir.
08:54Très difficile à partager,
08:56parce que ce sont des choses un petit peu mystiques
08:58et qu'on a du mal à expliquer ça
09:01si ça n'a pas été, disons, partagé dans le vécu.
09:05Mais ce que je peux dire, c'est qu'après ça,
09:10j'ai fait de la théologie pour essayer de comprendre
09:13et que je...
09:15Maintenant, je comprends beaucoup mieux ce en quoi je crois
09:19et c'est vrai que j'ai une foi que j'aimerais partager,
09:23mais je ne peux pas la partager parce que c'est impartageable.
09:25Mais j'espère que les gens vont faire cette rencontre
09:28qui est extraordinaire aussi.
09:30Oui, Gilles.
09:31Vous avez parlé de l'obsession de l'évasion.
09:33Est-ce que vous avez fait des tentatives
09:35ou est-ce que vous étiez trop sévèrement gardée ?
09:37Non, j'ai fait beaucoup de tentatives.
09:39J'ai été très punie.
09:41Parce que j'ai été aussi recapturée.
09:45Mais ces tentatives ont été un chemin d'apprentissage
09:48que j'ai partagé avec un de mes compagnons
09:51et lui a réussi à s'échapper.
09:54Et grâce à sa réussite,
09:58l'armée colombienne a pu nous encercler,
10:02savoir où nous étions
10:04et a pu mettre en place l'opération de sauvetage
10:07qui nous a libérés un an après.
10:09Alors justement, Nicolas Sarkozy a fait de son élection en 2007,
10:15il a fait de votre libération une priorité.
10:18Il a souvent pris la parole pour rappeler
10:20à la libération d'Ingrid Bettencourt.
10:22Vous connaissiez Nicolas Sarkozy avant ou pas du tout ?
10:24Non, je ne le connaissais pas.
10:25Pas du tout ?
10:26Mais maintenant je le connais.
10:27Beaucoup, beaucoup.
10:28Et c'est incroyable parce que c'est vrai
10:30qu'il s'est battu pour votre libération
10:33vraiment quotidiennement.
10:35Oui.
10:36Ça a été une priorité pour lui.
10:38Comme on dit, il a vraiment mouillé le maillot
10:40parce que c'est lui-même qui a vraiment fait
10:43toutes les démarches pour vous libérer.
10:45Oui, mais je crois que ça fait partie de son caractère.
10:47Je crois qu'il s'est battu pour moi
10:49comme il s'est battu pour d'autres otages.
10:50Il a sorti aussi, rappelez-vous,
10:52mes sœurs qui étaient au Liban.
10:55Non, pas au Liban.
10:56En Libye.
10:57Les femmes.
10:58Les femmes religieuses, oui.
10:59Et là, je pense que...
11:01Alors, je veux le dire parce que je pense qu'il faut le dire.
11:06Être un chef d'État, c'est très très dur
11:10et il y a beaucoup de responsabilités.
11:13Et ce que j'admire chez lui, c'est qu'il a compris
11:17qu'être chef d'État, c'était avant tout
11:20servir l'être humain et c'était pas faire
11:23de la raison d'État une excuse pour ne rien faire.
11:28Exactement.
11:29Parce que c'est trop facile de ne rien faire.
11:31On sent que vous avez beaucoup d'émotions
11:34quand vous parlez de Nicolas Sarkozy.
11:36Oui, parce que je le...
11:38Vraiment, merci, quoi.
11:40Alors, on a parlé de votre captivité,
11:42mais vous étiez enchaînée ?
11:44C'était quoi, votre...
11:45J'étais enchaînée.
11:46Enchaînée, c'est-à-dire tous les jours ?
11:48Oui, alors, au départ, je n'ai pas été enchaînée.
11:51Je me suis évadée.
11:52Ensuite, j'ai été enchaînée tout le temps.
11:56Et je m'organisais pour...
12:00Là, la chaîne, elle est sur le pied.
12:03C'est-à-dire, j'avais la chaîne soit au cou, soit au pied.
12:06Ça, c'est une image que beaucoup ont vue.
12:10Oui, tu fais le tour du monde.
12:11Qui est dure pour moi parce que j'étais très malade.
12:16Une hépatite ?
12:17Je ne sais pas ce que j'avais.
12:19J'avais eu...
12:20Bon, j'ai eu une hépatite chronique,
12:22j'avais eu le paludisme,
12:24mais je m'étais récupérée du paludisme.
12:26Ça, c'était après.
12:27Je ne sais pas ce que j'ai eu à ce moment-là.
12:29Mais j'avais de la fièvre, j'étais très malade.
12:31Et je n'avais aucun soin.
12:33Rien.
12:34Les FARC avaient décidé, le commandant...
12:35Pas de soin ?
12:36Pas de soin, rien.
12:37Aucun soin ?
12:38Rien.
12:39Sauf jusqu'au moment où le secrétariat général des FARC
12:42a demandé une preuve de survie.
12:44Et là, le commandant a décidé de me mettre des perfusions.
12:49Et ça, c'est une semaine après qu'ils aient pris soin de moi.
12:53J'ai été pas très bien.
12:54Vous aviez la notion du temps ?
12:56Oui, j'avais la notion.
12:57Oui, avec la radio et les messages.
12:59J'avais la radio, j'avais une montre aussi.
13:01Bien sûr.
13:02Les autres otages, vous avez vu des choses très dures, certainement,
13:07qui se sont passées avec les autres détenus, les autres otages, non ?
13:11Écoutez, Cyril, je crois que, déjà,
13:15la captivité de ce que l'on sent est terrible.
13:17Mais la souffrance des autres,
13:19et pas seulement la souffrance des otages.
13:21Oui.
13:22Ah oui ?
13:23La souffrance...
13:24Alors, les gardes qui étaient autour de nous, c'étaient des enfants.
13:28Ils avaient 14, 15, 16 ans, l'âge de mes enfants.
13:33Et c'était des gamins qui étaient aussi, qui ne nappaient que moi.
13:38Et de temps en temps, j'avais des...
13:42Je me souviens, je me souviens,
13:45Et de temps en temps, j'avais des moments avec eux,
13:50de partage, et on en discutait,
13:54et je leur disais, mais vous foutez le camp, quoi.
13:56Partez, vous pouvez partir, vous connaissez la jungle.
13:58Moi, je me disais, non, on part, ils vont tuer nos parents.
14:02Ils savent où ils sont.
14:04J'ai eu des choses de filles qui se faisaient...
14:08Enfin, les filles dans la jungle se faisaient violer.
14:12Elles étaient enceintes, on les forçait à avorter,
14:16au sixième et septième mois.
14:18J'ai vu des trucs avec des douleurs dans l'humain.
14:23On a pleuré ensemble.
14:30Et la souffrance de mes compagnons,
14:33de les voir malades avec la lesmaniase.
14:35La lesmaniase, ça s'appelle la lèpre de la jungle.
14:38C'est une maladie dans laquelle vous avez...
14:40Vous vous faites piquer, et il y a...
14:43C'est une lèpre.
14:44Donc, la bactérie commence à bouffer votre peau et votre...
14:48Et vous pouvez mettre votre doigt là où c'est,
14:50et vous sentez rien, mais vous voyez...
14:54Enfin, c'est impressionnant.
14:57Vous avez eu peur vous-même pour votre intégrité physique ?
15:00Oui.
15:01Vous avez eu peur d'être harcelée, d'être molestée,
15:04tuée peut-être ?
15:06Ah oui.
15:07C'était le pain quotidien de la violence,
15:13les insultes, la cruauté.
15:21Votre papa est parti pendant votre captivité.
15:25Quand vous l'avez appris ?
15:26Votre maman vous a laissé un message ?
15:28Ouh, ça va être dur !
15:30Attendez, j'essaie de...
15:32Bon.
15:33Et après, on passe à autre chose.
15:34Je vais pleurer, là.
15:37Euh...
15:43Petite bouteille d'eau.
15:50Bon.
15:51C'était, je pense, un mois après ma capture.
15:59J'avais déjà essayé de m'évader.
16:04Donc, j'étais attachée par des chaînes.
16:12Et j'essayais de me récupérer.
16:17D'abord, moralement.
16:19Et donc, les heures passent et on s'ennuie.
16:23Donc, j'ai vu que dans le campement,
16:26il y avait des provisions qui arrivaient.
16:29Et donc...
16:31Excusez-moi, je chante un peu.
16:32Aucun problème.
16:34Et j'ai vu que ces provisions étaient emballées dans du papier journal.
16:37J'ai demandé au commandant s'il pouvait me passer le papier journal,
16:40les feuilles, pour pouvoir lire quelque chose.
16:42Et il accepte.
16:43Donc, on m'apporte toutes les feuilles.
16:45Et je les organise par date, par...
16:50Et je commence à regarder.
16:52Et il y a une image qui attire mon attention.
16:54C'est la moitié d'une page de journal.
16:58Et il y a un cercueil.
17:00Et il y a des journalistes qui prennent des photos partout autour.
17:06Et je regarde l'explication de la photo.
17:10Et il y a marqué
17:12« Les journalistes s'attroupent autour du cercueil de Gabriel Bétancourt ».
17:18Incroyable.
17:20Incroyable.
17:23Donc, vous l'avez appris comme ça ?
17:24Comme ça, oui.
17:25Elle l'a appris comme ça.
17:26Incroyable.
17:27Incroyable.
17:29Ingrid Bétancourt, au moment où vous êtes libérée...
17:32Désolée.
17:33Ça fait beaucoup trop de temps.
17:35Je pense toujours que je suis...
17:38Que c'est...
17:42Ensuite, au moment de votre libération, qu'est-ce que vous vous dites ?
17:46Premier instant.
17:48Au moment de ma libération ?
17:49Est-ce que vous réalisez que vous allez être libérée ?
17:51Je vais pleurer de joie maintenant.
17:54Comment vous l'apprenez ?
17:55Est-ce que vous réalisez que vous allez être libérée ?
17:56Quand vous êtes libérée, c'est quoi le premier truc auquel vous pensez ?
18:00Vous y croyez ? Vous réalisez pas ?
18:02Au départ...
18:04Alors, l'instant de la libération, nous sommes dans un hélicoptère.
18:08On nous a fait rentrer à la force.
18:10Personne de mes compagnons ni de moi ne voulons rentrer dans cet hélicoptère
18:14parce qu'on se dit qu'ils vont nous emmener encore plus profondément dans la jungle.
18:20Et que, bon, voilà.
18:23Et puis là...
18:27On est menottés.
18:30On est tous assis.
18:31C'est un hélicoptère militaire, donc il n'y a pas de banc.
18:35C'est en cercle.
18:38Et au milieu de l'espace où nous sommes tous autour,
18:44il commence à se battre entre les deux chefs des phares
18:48qui étaient montés avec nous dans l'hélico
18:51et le groupe qui était venu dans cet hélico
18:54et que nous pensions étaient des amis des pharques
18:58puisqu'ils avaient l'air de se connaître, de se dire bonjour, etc.
19:01Et là, tout d'un coup, le commandant,
19:06qui avait été avec moi pendant plus de 4 ans, presque 5 ans,
19:10qui était un type abominable.
19:12C'était un type très cruel et très... Vraiment.
19:15Tout d'un coup, il est là, devant moi, tout nu, ligoté.
19:19Et je crois... Non, je suis certaine
19:23qu'on avait été tellement...
19:25Enfin, ça faisait 6 ans et demi qu'on était là-dedans
19:28que le cerveau ne fonctionne plus du tout, du tout, rapidement.
19:31Et on n'est plus...
19:32Donc, je n'arrivais pas du tout à comprendre ce qui se passait.
19:35Et mes compagnons, qui étaient assis à côté de moi,
19:38commencent à lui donner des coups de pied, comme ça.
19:42Et moi, je suis là.
19:43Mais non, on ne va pas se comporter comme eux.
19:45Et puis, tout d'un coup, le type qui est sur le commandant des Farc,
19:51en train de le neutraliser, le neutralise finalement,
19:54écrit, mais à plein poumon,
19:57« Nous sommes l'armée colombienne. Vous êtes libres. »
20:01Et là...
20:05Je n'ai pas compris les mots qu'il avait dit.
20:08Je me suis mise à hurler.
20:11Et je me disais, en me parlant à moi-même,
20:15« Ingrid, contrôle-toi, parce que t'es folle, là.
20:18Faut que tu te contrôles. »
20:20Et j'ai hurlé, hurlé, hurlé, jusqu'à ne plus avoir de souffle.
20:24Et quand j'ai...
20:26Voilà, j'ai re-respiré.
20:31Là, j'ai compris les mots.
20:33Et là, j'ai compris l'attitude de tous autour de moi,
20:36parce que c'était la folie dans cet hélico.
20:39Et là, on s'est tous mis à pleurer.
20:41Et c'était fou, quoi.
20:43Aujourd'hui, Ingrid, vous êtes en cours.
20:45Comment vous vous êtes reconstruite ?
20:47Est-ce qu'aujourd'hui, vous arrivez à revivre ?
20:52Est-ce qu'aujourd'hui, vous pouvez vivre une vie normale
20:54où c'est fini, votre vie a complètement changé ?
20:56Vous ne pouvez plus vivre comme avant ?
20:58Moi, après le test d'aujourd'hui,
21:00moi qui pensais que j'avais réellement...
21:03Non, je pense que je suis très, très bien dans ma vie.
21:06Je suis très heureuse.
21:07J'ai appris à être heureuse, réappris à être heureuse.
21:10J'ai eu beaucoup, beaucoup de chance.
21:12Parce que j'ai une famille qui m'entoure,
21:17qui m'a beaucoup cagelée,
21:19beaucoup caressée,
21:23beaucoup supportée.
21:31Ça, c'est mes enfants.
21:33On se rappelle tous des images sur le tarmac de l'aéroport.
21:37C'est ma fille, mon fils.
21:39Et le petit, c'est Stanislas, mon petit neveu que j'adore.
21:44Voilà, ça, c'est mes enfants.
21:48C'est la première fois que je les vois.
21:51Dans l'avion.
21:56À partir de là, ça a été...
21:59C'est fou ce que l'amour nous construit
22:04et nous...
22:07J'ai eu beaucoup de chance de les avoir.
22:11On a eu beaucoup de chance de vous avoir ce soir,
22:13malgré que vous êtes en cours.
22:14Merci d'avoir été avec nous.
22:17Vous revenez ici nous voir quand vous voulez.
22:19Merci. Merci d'avoir trop pleuré.
22:21Non, au contraire.
22:22C'est pas du tout, du tout, au programme.
22:24Franchement, c'était un témoignage très, très fort.
22:26On était très heureux de vous avoir.
22:28Et je sais que vous avez adoré la séquence avec Dany Briand.
22:31La prochaine fois, on ne fera que chanter avec Dany Briand.
22:34Non, c'est que Dany Briand.
22:35Très bien. Merci.
22:36Merci Ingrid d'être en cours, d'avoir été avec nous.
22:38Merci beaucoup.

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