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Les conclusions de l’enquête annuelle "Fractures françaises" menée par Ipsos-Sopra Steria résonnent avec l’actualité politique du moment et la possible motion de censure du gouvernement Barnier.

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00:00« France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7-10 »
00:06Et avec Léa Salamé nous vous proposons ce matin une table ronde sur l'état de l'opinion
00:11des français à l'occasion de la publication de la grande enquête « Fractures françaises »
00:16d'Ipsos, réalisée pour le quotidien Le Monde, la fondation Jean Jaurès, l'institut
00:22Montaigne et le Cevipof.
00:23Nos invités Léa ?
00:24Anne-Luc Seydl, sociologue, directrice déléguée du Cevipof.
00:28Bonjour à vous, Gylvie Finkielstein, secrétaire général de la fondation Jean Jaurès, et
00:32Brice Tinturier, directeur général délégué d'Ipsos, bonjour à tous les trois.
00:36Oui, et soyez les bienvenus, cette enquête est un vaste sondage réalisé sur un échantillon
00:42de 3000 personnes qui permet de mesurer l'opinion des français sur l'état de la société,
00:48leurs valeurs et leurs perceptions des grandes forces politiques.
00:53Il s'agit de la douzième vague de cette enquête, toujours précieuse pour y voir
00:57plus clair sur le moral des français, et les conclusions résonnent particulièrement
01:02avec l'actualité politique du moment, le 49-3 utilisé hier par Michel Barnier.
01:07La défiance à l'égard des politiques n'a jamais été si grande, Brice Tinturier,
01:13et ça ne va pas s'arranger avec ce qui s'est passé ces dernières semaines et ces dernières
01:19heures, non ?
01:20Effectivement, c'est une des conclusions majeures, je crois, de l'enquête, l'enseignement
01:25qui est une explosion de la défiance à l'égard du système politique, à l'égard du président
01:30de la République d'abord, mais également des représentants politiques, des députés,
01:35des responsables, de toutes les instances de l'Assemblée nationale qui sont censées
01:40représenter les français.
01:41L'image des responsables politiques qui avait eu plutôt tendance à s'améliorer ou aller
01:45moins mal au cours des dernières années, là aussi plonge, que ce soit le sentiment
01:49d'être bien ou mal représenté, ou l'idée que la plupart des hommes et des femmes politiques
01:55seraient corrompus.
01:56Bref, c'est une gigantesque déflagration qui se produit, qui est la conséquence à
02:01la fois des effets délétères de la dissolution qui se poursuit, qui poursuit ses effets,
02:05qui n'a jamais été comprise et qui est très vivement condamnée par les français,
02:09mais également de l'explosion du bilan économique du président de la République
02:13avec des français qui, tout à coup, ont pris conscience de l'ampleur des déficits,
02:18et puis plus récemment, des divisions de l'Assemblée nationale.
02:21Tous les indicateurs sur l'Assemblée nationale sont extrêmement mauvais, la défiance est
02:25en progression et on a donc une secousse délétère qui se poursuit et que l'actualité récente
02:31vient à la fois confirmer et va probablement amplifier.
02:34Gilles Finkelstein, vous racontez qu'en 2016, avant d'être élu, Emmanuel Macron avait
02:37lancé une grande marche, faisant du porte-à-porte avec cette question qu'il posait aux gens
02:41« qu'est-ce qui ne va pas ? » et les gens répondaient ?
02:44La politique.
02:458 ans après ?
02:47C'est intéressant qu'ils répondaient « la politique » parce que c'était une
02:49question ouverte et ce n'est pas une question qu'on pose de cette manière-là dans les enquêtes.
02:54Et si Emmanuel Macron a été élu en 2017, c'est sans doute parce qu'il incarnait
02:59une rupture, non pas avec les politiques publiques, mais avec la politique et il l'incarnait
03:04par son âge, par son parcours et par cette volonté de transcender le clivage gauche-droite.
03:08Et 8 ans après, qu'est-ce qui ne va pas ? Où est la crise ? C'est la politique.
03:13Et quand on regarde, pour prolonger ce que dit Brice, la manière dont évolue la confiance
03:18dans les différentes institutions.
03:20On teste 20 institutions, institutions au sens très large, les entreprises, les grandes,
03:25les petites, l'armée, la police, la justice, les scientifiques, l'école.
03:32Tout, cette année, progresse.
03:34Un peu, mais tout progresse.
03:37Certains sont très hautes, la confiance, on dit la France est le pays de la défiance
03:40généralisée, 80% des Français ont confiance dans les petites et moyennes entreprises,
03:46ou dans l'armée, ou dans les scientifiques.
03:48Il y en a qui progressent, de 4 points.
03:49Qu'est-ce qui baisse ? L'institution, la présidence de la République, les députés,
03:55les partis politiques et pas qu'un peu, de 4, 5, 6, 7 points.
03:59C'est ça qui vous a marqué dans l'enquête.
04:01Et d'ailleurs, il faut noter que chez les jeunes, la confiance est plus grande que chez
04:06le reste de la population.
04:07J'ai trouvé ça étonnant.
04:08Anne Muxell ?
04:09Oui, alors, chez les jeunes, un peu plus grande, parce que globalement, les jeunes épousent
04:14cette tendance assez générale de la défiance, ils évoluent d'abord dans un contexte à
04:19la fois familial, mais aussi médiatique, où ils entendent, bien évidemment, de façon
04:26continue, cette crise de la représentation politique qui pèse maintenant sur le pays
04:31depuis de nombreuses années.
04:33Mais disons qu'ils ont un optimisme qui est lié à leur jeunesse, peut-être, une
04:38croyance peut-être dans la politique qui ne s'est pas complètement érodée, mais
04:43globalement, c'est quand même une majorité aussi, une large majorité de ces jeunes qui
04:47sont aussi dans la défiance.
04:50Brice Tinturier ?
04:51Oui, je voudrais rebondir sur ce que disait Gilles, notamment à propos des entreprises.
04:54On a une crise du politique qui s'accentue, et ce qui m'a beaucoup frappé, c'est que
04:58les PME jouissent d'un niveau de confiance élevé, très élevé, plus de 80%, mais
05:02depuis toujours.
05:03En revanche, les grandes entreprises progressent, et c'est même un record, 48% de confiance.
05:08On avait vu ça au moment du Covid, et c'est vraiment l'idée que quand le politique n'y
05:13arrive plus, eh bien, qu'est-ce qui va nous protéger dans un monde dangereux, où il
05:17y a un sentiment de vulnérabilité extrêmement puissant ? C'est plutôt du côté de la
05:21sphère économique.
05:22D'ailleurs, l'indicateur aussi qui bouge beaucoup, mais sur est-ce qu'il faut laisser
05:26plus de liberté aux entreprises ou pas, eh bien, il remonte en faveur des entreprises.
05:31Non pas que les Français seraient convertis au libéralisme, loin de là, simplement,
05:35le politique s'effondre, le politique n'y arrive plus, et on se tourne à ce moment-là
05:38vers la sphère économique.
05:39Comment vous expliquez cet effondrement, pour reprendre vos mots, du politique, de la défiance
05:44qui explose à l'endroit des institutions politiques de la présidence de la République,
05:48des députés, des élus de la nation, Anne Muxell ? Quelles sont les explications ? Parce
05:53que, quand je prends l'exemple d'Emmanuel Macron, il y a huit ans, qui faisait du
05:57porte-à-porte, on disait déjà que le problème, c'est la politique, mais là, on a l'impression
06:00que l'explosion de la défiance n'a jamais été aussi grande.
06:04Alors, qu'est-ce qu'il y a de péché ? Où est le péché d'origine ?
06:09Oui, c'est vrai que plus qu'une explosion, c'est vraiment une aggravation, parce que
06:13quand même, cette défiance politique, nous qui faisons des études et des enquêtes régulières
06:19sur le sujet, et bien, notamment le baromètre de confiance politique du Cevipof, ça fait
06:24maintenant plus de dix ans qu'on l'observe, cette défiance institutionnelle très importante.
06:31Donc, je crois que là, ce que l'on mesure, et ce que permet de mesurer l'enquête Fracture
06:37Française, et bien, c'est ce renforcement, cette aggravation, suite à cette séquence
06:43électorale et politique complètement inédite, qui a profondément bousculé, inquiété,
06:50désarçonné les Français.
06:52C'est vraiment la dissolution, c'est-à-dire que vous auriez fait, il n'y aurait pas eu
06:56la dissolution, vous auriez fait cette enquête, Brice Tinturier, il n'y aurait pas eu sans
06:59doute cette défiance aussi grande, c'est vraiment la dissolution et la découverte
07:03de l'ampleur du déficit public, c'est vraiment ça pour vous ?
07:05Il y a ça incontestablement qui a joué, mais je crois qu'il y a un contexte aussi
07:09mondial qui intervient, et le contexte mondial, c'est véritablement, j'y reviens, ce sentiment
07:13de vulnérabilité.
07:14Les Français se disent qu'ils vont être dissous dans la mondialisation, on a des records
07:18aussi de défiance à l'égard de la mondialisation, vous avez une proportion non négligeable,
07:23plus de deux tiers qui nous disent aujourd'hui qu'une guerre mondiale est possible, vous
07:26avez toujours, malgré tout, la question de l'environnement qui est là, le déclin
07:30qui atteint un sommet dans notre enquête, 87% de Français qui nous disent que la France
07:35est en déclin.
07:36Et quand vous êtes dans un monde dangereux, vous êtes traversé par des angoisses de
07:39disparition, si le politique n'est plus capable d'assumer son rôle de guide, d'interface
07:45avec vous, et puis surtout de pourvoyeur de solutions, et c'est bien ce qui se produit
07:49aujourd'hui, la défiance s'amplifie.
07:51Anne a raison de souligner que ce n'est pas nouveau, ce n'est pas tout à coup quelque
07:56chose de soudain, ça fait depuis très longtemps, je pense que ça a démarré même au début
08:00des années 2000 avec la crise du résultat, mais ça ne cesse de s'amplifier.
08:04Il y a quelques moments de parenthèse, 2017, les Français essaient d'y croire, 2007 aussi,
08:09la réactivation du volontarisme en politique, mais la tendance lourde c'est celle-là dans
08:13un monde de plus en plus dangereux.
08:14Et puis vous dites, Brice Tinturier, que vous êtes impressionné par le nombre de Français
08:20qui disent n'avoir une vie ni bonne ni mauvaise.
08:24Ce sentiment dit quoi selon vous, et politiquement il ouvre sur quoi ?
08:28Alors, il n'évolue pas là-haut, il faut le souligner, c'est un Français sur deux
08:33qui nous dit effectivement, mais c'est quand même beaucoup, moi je trouve que c'est considérable.
08:38D'abord politiquement, c'est un marqueur aussi électoral très intéressant, très important.
08:42Les électeurs du Rassemblement National sont ceux qui nous disent le plus qu'ils ne sont
08:47pas satisfaits de la vie qu'ils mènent.
08:48Mais se dire que dans un pays comme la France, vous avez pratiquement un Français sur deux
08:54qui vous dit ma vie n'est ni bonne ni mauvaise, je trouve que c'est un constat terrible.
08:58Si vous y ajoutez le fait aussi que les deux tiers ont le sentiment de ne pas être considérés,
09:05de vivre de plus en plus mal, c'est aussi un pays, contrairement à ce qu'on raconte
09:08souvent, qui ne va pas très bien sur le plan psychologique.
09:11Alors on peut regarder le verre à demi-plein ou à demi-vide.
09:14Oui parce que Gilles Puget-Stein est un peu plus optimiste que vous, il regarde le verre
09:18plutôt à moitié plein.
09:19J'ai essayé d'apporter un petit coin de ciel bleu dans cette météo qui était plus
09:25maussade.
09:26Mais peut-être pour relier ce que dit Brice et ce qu'on disait précédemment.
09:30Moi, il y a le chiffre par lequel j'ai commencé l'article dans Le Monde d'hier qui
09:34ne cesse de me faire réfléchir.
09:36C'est 55% des Français qui disent avoir des difficultés à assumer les dépenses
09:44courantes.
09:45Ce n'est pas la dépense superflue, la dépense exceptionnelle, les dépenses courantes.
09:5055% ! Et donc ça explique très largement le chiffre qu'évoque Brice et ça explique
09:55d'un point de vue collectif pourquoi, une nouvelle fois, la question du pouvoir d'achat
09:59est de loin la première priorité des Français.
10:02Une fois qu'on a dit ça, malgré tout, j'ai regardé aussi ce verre à moitié plein,
10:07le fait que les Français se sentent écoutés, qu'ils aient des amis à qui parler, qu'ils
10:14se sentent entourés, qu'ils partent très nombreux en vacances.
10:19Tout ça, c'est des petits éléments quand on regarde le portrait des Français à l'échelle
10:23humaine qui venait un peu contrebalancer cette dimension-là.
10:28Et puis, on peut toujours les interpréter par rapport à ce chiffre, est-ce que vous
10:32êtes satisfait de votre propre vie ? Vous n'avez qu'un Français sur trois, même
10:38si c'est beaucoup, qui dit « je ne suis pas satisfait de la vie que je mène ».
10:41Donc, voilà, c'était un petit contrepoint.
10:45Brice Tinturier voulait réagir, vous lui passez vos lunettes, vous lui dites qu'il
10:50voit mal, qu'il ne voit pas le mécontentement général ?
10:53Je pense qu'il y a les deux, et puis qu'ensuite il y a une interprétation sur les résultats.
10:57Mais effectivement, moi je suis encore une fois sensible au fait que dans un monde sécularisé,
11:03où il n'y a pas d'espérance d'un autre monde, quand vous avez tout ce joue ici-bas,
11:07tout ce joue dans la vie que vous menez aujourd'hui, vous avez 40% de la population qui vous dit
11:13« moi ma vie, sur une note de 0 à 10, je donne une note entre 4 et 6 », et un pourcentage
11:19supplémentaire qui va vous dire « je mets une note entre 1 et 3 ». Je trouve juste
11:24que c'est éminemment triste, que ça traduit cette difficulté pour la moitié de la population
11:30à se dire « ma vie finalement, non seulement je la maîtrise, mais j'en suis satisfait ».
11:35Et ça, cette espèce de doute mélancolique, d'insatisfaction, je pense que ça produit
11:41des effets délétères.
11:42Maintenant, là où je rejoins Gilles, c'est que ce n'est pas en augmentation non plus,
11:46c'est lié aussi à des éléments économiques, pas que, mais qui jouent lourdement, donc
11:51ça peut peut-être s'améliorer un jour, mais c'est quand même un constat qui me frappe.
11:55Il y a beaucoup de gens malheureux dans ce pays.
11:58Et donc l'effet des Jeux Olympiques, la joie, n'a été vraiment qu'une parenthèse.
12:03Moi c'est ça qui me marque en lisant Gilles.
12:06Je crois que c'est totalement oublié, vraiment une parenthèse de l'été.
12:11Et donc moi je rejoins vraiment ce que disent Brice et Gilles sur cet état du pays.
12:16Rajoutons les données aussi préoccupantes sur la santé mentale des jeunes, par exemple,
12:23dont on a beaucoup parlé ces derniers temps.
12:25Donc on voit bien que là, il y a de la souffrance, de l'incertitude, et cette difficulté pour
12:32les Français justement de gérer maintenant avec l'incertitude, qui met en difficulté
12:38l'idée de se projeter dans un avenir de façon sécure et sereine.
12:43Et beaucoup de gens ne savent pas exactement de quoi leur vie demain sera faite.
12:49Tant les menaces, aussi bien au niveau global, mais aussi bien au niveau privé, sont importantes.
12:55Il y a vraiment cette insécurité matérielle, mais aussi une insécurité psychologique,
13:02une insécurité existentielle, avec laquelle il faut faire.
13:07Quand vous dites qu'il y a des insécurités privées, vous pensez à quoi exactement ?
13:11On sait bien que dans notre pays, les divorces, les difficultés avec l'éducation des enfants,
13:18la santé mentale des jeunes, les difficultés que les jeunes rencontrent pour rentrer dans
13:23la vie sociale adulte, trouver un travail qui leur permette d'accéder à une certaine
13:32autonomie, les menaces climatiques qui sont aujourd'hui extrêmement présentes pour
13:40les gens et qui pèsent aussi sur leur comportement quotidien, la nécessité de faire des économies,
13:45d'énergie, etc.
13:46Vous avez raison, mais ça c'est le cas partout.
13:48Pourquoi est-ce que la France le vit plus mal ?
13:50Quand on vous lit, est-ce qu'il y a une exception française ?
13:53Je veux dire, les difficultés, la santé mentale, la difficulté d'entrer sur le marché du
13:57travail, les problèmes de pouvoir d'achat face à l'inflation, on les voit partout,
14:01en Occident, en Europe et dans le monde entier.
14:03On a l'impression que la mélancolie française est plus grande chez nous et qu'on le vit
14:08de manière plus existentielle et plus douloureuse.
14:11Est-ce que c'est faux de dire ça ?
14:13Non, c'est juste, c'est étayé.
14:16Il y a un pessimisme français qui est réel, il y a un doute très profond, moi je rappelle
14:20souvent que ce pays a inventé les cartes, et le doute hyperbolique, donc on est dans
14:25un pays où on se socialise d'abord par la critique, beaucoup plus que par une communion
14:30positive.
14:31Les JO, c'était vraiment une parenthèse enchantée, mais une parenthèse.
14:33Et cette idée, cette nostalgie d'un monde d'avant qu'on voit très bien aussi dans
14:38les études fractures françaises et qui est entretenue par beaucoup de gens dans ce pays,
14:42qu'avant ce serait mieux, qu'il faut s'inspirer du passé, dans sa vie quotidienne, tout cela
14:47est très prégnant en France.
14:49Alors pourquoi ? Je pense aussi qu'il y a une autre explication, c'est que la demande
14:53de protection dans ce pays est considérable, que le politique a cédé à chaque fois à
14:58cette demande de protection, et on comprend pourquoi, ce n'est pas un jugement de valeur,
15:03mais que du coup, il est toujours dépassé par l'intensité de cette demande.
15:06Donc il y a l'idée aussi que ça ne marche pas suffisamment, ça ne marche jamais assez
15:10bien.
15:11Sur la mélancolie française, Gilles Finkielstein.
15:14Oui, je pense qu'il y a un autre élément, c'est que la France n'est pas n'importe
15:18quel pays.
15:19La France est un pays qui a eu une place dans le monde et qui se voit une place dans le
15:23monde et qui a le sentiment d'un déclin qui est très important.
15:29L'idée que nous sommes en déclin est une idée qui est absolument considérable, mais
15:33ce qui m'a frappé, c'est quand on compare la situation en 2017 et aujourd'hui.
15:37En 2017, vous aviez autant de Français qui disaient « nous ne sommes pas en déclin »
15:43que de Français qui disent « nous sommes en déclin et c'est irréversible ».
15:46Huit ans après, vous avez 34% des Français qui disent « le déclin est irréversible
15:53» et 13% seulement qui disent « nous ne sommes pas en déclin ».
15:55Et donc ça, je crois que ça vient amplifier ce pessimisme, donc il y a la dimension individuelle
16:00et puis il y a ce pessimisme collectif.
16:02Sur le pessimisme, Anne Muxel ?
16:04Oui, tout à fait.
16:05Et puis je pense que l'absence de figure politique auquel se raccrochait justement
16:14cette défiance à l'égard des politiques, cette perception extrêmement négative que
16:18les Français ont vis-à-vis de la classe politique dans son ensemble, eh bien en rajoute
16:24à ce pessimisme, à ce sentiment d'insécurité dont Brice parlait tout à l'heure.
16:31Je crois que c'est très profond quand on a une telle crise de la représentation politique,
16:37les Français ne se sentent pas soutenus, entendus, et ils se sentent impuissants.
16:42Et donc se sentir impuissant et non reconnu, je crois qu'il y a aussi cette question
16:46de la reconnaissance sociale qui est très importante dans notre pays, ils ne se sentent
16:52pas reconnus, appréciés pour ce qu'ils sont, donc voire méprisés.
16:57Il y a un sentiment de mépris social dans certaines catégories de la population.
17:02La défiance touche les partis, mais est-ce qu'il y en a qui s'en sortent mieux que d'autres,
17:06Brice Tinturier ? Ou est-ce qu'il y a des figures politiques qui s'en sortent mieux
17:10que d'autres ?
17:11Alors d'abord, il y a des Français qui s'en sortent mieux que d'autres, parce qu'il y
17:13a toute petite nuance, et là je rejoindrai Gilles, qu'il faut introduire, c'est que
17:17tout le monde ne va pas mal dans ce pays.
17:18Vous avez aussi un bloc, il ne faut pas l'oublier, de 30%, 35%, qui se projettent dans l'avenir
17:24positivement, qui a confiance, qui nous dit, et là c'est les deux tiers des Français
17:28que le lien social au plan local est bon.
17:32Donc il y a plusieurs France, il ne faudrait pas avoir un tableau apocalyptique et généralisé
17:36de l'ensemble des Français.
17:38Maintenant, par rapport à votre question sur est-ce qu'il y en a qui s'en sortent
17:40mieux que d'autres ?
17:41On voit bien que le Président de la République s'en sort le plus mal, c'est vraiment lui
17:46qui est vécu comme la personne la plus responsable de la situation, c'est toujours le cas avec
17:51un Président en exercice.
17:52Marine Le Pen s'en sort pas si mal que ça, les baromètres nous le montrent, elle continue
17:57à avoir une place plutôt relativement positive auprès des Français, donc le RN dans la
18:04dynamique des européennes et des législatives reste bien positionné.
18:09Jean-Luc Mélenchon à l'inverse, lui a beaucoup baissé.
18:12Et puis il y a le cas particulier, je crois, de Michel Barnier, les Français à la fois
18:17ont bien compris qu'il héritait d'une situation extraordinairement difficile, ne
18:21lui en veulent pas personnellement, mais il n'arrive pas à coaliser suffisamment de
18:25Français non plus autour de son action pour susciter de l'engouement.
18:29Donc ce sont des forces et des faiblesses très relatives, personne n'a la capacité
18:33d'entraînement, et c'est ça qui est inquiétant, de leadership, d'incarnation et d'entraînement
18:38pour embarquer un peu plus de Français vers une vision plus positive.
18:41Avec de tels chiffres, Anne Muxel, est-ce que l'adhésion à la démocratie comme régime
18:45va toujours de soi ? Parce que quand on lit aussi votre enquête, 81% des Français approuvent
18:50l'idée selon laquelle il faudrait un vrai chef en France pour remettre de l'ordre,
18:54je cite, 84% jusque l'autorité est une valeur trop critiquée aujourd'hui.
18:58Y a-t-il un besoin de figure autoritaire comme on le voit dans d'autres pays ? Et peut-être
19:04une remise en cause de la démocratie comme régime ultime ?
19:07En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il y a un besoin de cadrage, de sécurité, qui
19:13répond à tout ce que nous venons de dire et qui s'exprime.
19:17Alors, les Français restent en majorité attachés au régime démocratique, simplement
19:22ce que l'on observe, et ce que l'étude montre très bien, c'est dans la dynamique
19:27générationnelle, on observe une sorte de remise en cause de cet attachement à la démocratie
19:35dans les jeunes générations notamment, qui se montre plus ouvert à la possibilité
19:39d'autres régimes.
19:40L'idée d'essayer d'autres régimes, de trouver d'autres alternatives, il s'y
19:46montre plus ouvert.
19:47Et on sait qu'il n'y a pas 36 alternatives au régime démocratique.
19:51Donc, il y a là, on voit bien ce risque de déconsolidation démocratique, ainsi nommé
20:00par, selon l'expression de Yasha Monk, qui est très présent, en tout cas, dans le renouvellement
20:07intergénérationnel.
20:08Inquiétant, Gilles Finkielstein.
20:09Oui, avec deux compléments.
20:11Le premier, c'est que ce qui est particulièrement en crise, c'est la démocratie représentative.
20:16Et on voit dans cette idée d'autre chose, c'est beaucoup aussi l'idée d'une
20:21démocratie plus directe, notamment chez les jeunes générations.
20:24Et puis, l'autre élément, et ça fait écho à ce que disait Brice tout à l'heure,
20:28à la question, est-ce que mes idées sont bien représentées ? On a 78% des Français
20:33qui répondent non.
20:34Alors même que, jamais depuis des décennies, une Assemblée nationale n'avait été aussi
20:41représentative.
20:42Et ça veut dire que ce n'est pas l'existence de la diversité de la représentation qui
20:46est en cause, mais c'est la manière dont elle est exercée.
20:49Et donc, je crois que c'est vraiment une critique moins de la démocratie que des responsables
20:53politiques.
20:54C'est très important ce que vient de dire Gilles, je crois, parce que ça montre aussi
20:57qu'il ne faut pas s'illusionner sur une éventuelle proportionnelle.
21:00On a aujourd'hui à l'Assemblée une représentation…
21:02C'est pas le remède miracle, on va vous lire.
21:04Et les Français très vite s'en rendraient compte, parce que la représentation au sens
21:07strict, elle est aujourd'hui assez bien assumée à l'Assemblée nationale.
21:11Et ça ne fabrique pas pour autant un peu plus de confiance dans le système.
21:14Mais alors c'est quoi ? C'est une question d'incarnation uniquement ? C'est aussi
21:17simple que ça ? C'est même pas une question de projet politique ?
21:19Je crois qu'il y a deux choses.
21:20Il y a d'abord, ce n'est pas une tentation autoritaire.
21:23Il y a une demande qui a du mal à se concrétiser, à se préciser, autour d'une autre façon
21:28de représenter les Français, mais sans que ceux-mêmes qui y aspirent ne soient toujours
21:33capables de nous dire très exactement comment ça devrait se faire.
21:35Et puis il y a une demande de leadership, oui, d'incarnation et de leadership.
21:39Le cadre et les chiffres que vous avez rappelés, autour de 80% de Français qui voudraient
21:43un vrai chef, ça ne veut pas dire une tentation mussolinienne, pas du tout.
21:47Ça veut dire en revanche qu'ils veulent que des conditions d'exercice de la démocratie
21:51et notamment la sécurité soient assurées et à l'intérieur de ce cadre, qu'ils puissent
21:56exercer leur liberté absolue.
21:58Liberté de participer, liberté de proposer, liberté de consommer aussi.
22:02L'individualisme contemporain, il est bien sûr toujours là, mais il faut un cadre sécurisé
22:08et encore une fois dans un monde profondément inquiétant.
22:11J'en reviens toujours à ça, je pense que c'est le rapport au monde qui structure beaucoup
22:15de choses et cette idée qu'on est un peu perdu, vulnérable, les menaces sont multiples.
22:19Le pacte notamment de la réélection de Trump par exemple, dans votre enquête, c'est-à-dire
22:23que ça impacte vraiment les Français.
22:25Et de tous les côtés, les Français se disent que ce monde est de plus en plus dangereux.
22:29On peut penser à Trump, on peut penser à l'Ukraine, on peut penser aux conflits au
22:32Proche-Orient.
22:33Vous le voyez dans les enquêtes d'opinion.
22:35Bien sûr, c'est ce qu'on appelle les polycrises, la simultanéité d'un certain nombre de
22:39crises et l'absence de solutions fortes pour y remédier.
22:42Merci à tous les trois.
22:44Merci beaucoup.
22:45Merci à Anne Muxel, Gilles Finkelstein, merci d'être venu nous parler de cette enquête
22:51« Fractures françaises » d'Ipsos, réalisée pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès,
22:55l'Institut Montaigne et le Cévipof.
22:58Merci.

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