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Mercredi 4 décembre 2024, PÉRIODE D'ESSAIS reçoit Pascal Lokiec (Professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et Président de l’Association française de droit du travail et de la sécurité sociale)

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Transcription
00:00Bonjour à toutes et à tous, bienvenue sur le plateau de Période d'Essai.
00:11Je suis ravie d'accueillir aujourd'hui Pascal Lauchieque, qui est professeur à l'université
00:15parisien Panthéon-Sorbonne, président de l'Association française de droit du travail
00:20et auteur de l'ouvrage « Salariés libres et heureux, la face cachée de l'autonomie
00:25au travail ». Pascal, bonjour.
00:26Bonjour Caroline.
00:27Première question, quelle analyse faites-vous de la santé mentale des salariés français ?
00:31La santé mentale des salariés français est dégradée.
00:35Les chiffres sont très parlants.
00:37On a à peu près, d'après les enquêtes récentes, 6 salariés sur 10 en France qui
00:44se disent stressés au travail, 30% disent avoir subi au cours de leur carrière un burn-out,
00:51et si on prend les taux, les chiffres de l'absentéissement en France, on considère que 22% des absences
00:57des salariés sont liées à la souffrance mentale.
00:59Donc ça, ce sont les données chiffrées.
01:01Pour ce qui est des causes, la cause qui vient le plus à l'esprit, c'est le supérieur
01:07hiérarchique, le manager, qui oppresse le salarié et qui crée du harcèlement moral
01:13puisqu'on a un nombre important de cas de harcèlement moral, on le voit très bien
01:16d'ailleurs devant les tribunaux.
01:18Mais ça, ça n'est qu'une des causes.
01:19Je dirais que la principale cause, elle est organisationnelle.
01:22L'organisation, lorsqu'elle est pathologique, est une cause de souffrance mentale pour les
01:28salariés.
01:29Alors quelles sont ces causes ? Vous avez les problèmes d'isolement au travail pour
01:36les télétravailleurs que l'on rencontre de plus en plus, on le voit très bien depuis
01:41la crise du Covid avec l'explosion du télétravail.
01:43Vous avez la surveillance au travail, on en parlera peut-être, la surveillance notamment
01:50par les nouvelles technologies, peut-être une source de stress, on sait qu'on est surveillé.
01:55Vous avez l'augmentation du travail aux objectifs, lorsqu'on travaille avec des objectifs qui
02:03sont trop élevés, et bien forcément c'est une cause de stress.
02:08Et puis vous avez enfin, même si ce ne sont pas les seules causes, la logique financière
02:14que suivent certaines entreprises qui fait qu'on est poussé, poussé, poussé à travailler
02:19de plus en plus avec une charge de travail trop importante et qui est une source de
02:24souffrance mentale.
02:25Mais d'ailleurs, comment faire prendre conscience les directions, les ressources humaines de
02:30ces enjeux puisque les chiffres ne cessent de se dégrader, tout de même pour la santé
02:33mentale ?
02:34Pour leur faire prendre conscience, à mon avis, je ne suis pas le seul à le dire, je
02:43pense que les écoles de management ne font pas assez d'efforts, même s'il y a des
02:47progrès sur les questions de santé mentale.
02:49Ça doit être un aspect essentiel de l'enseignement dans les écoles de management.
02:55D'ailleurs, on connaît la triste et célèbre affaire France Télécom.
03:00L'une des causes des souffrances des travailleurs de France Télécom qui les ont menés au
03:08suicide, c'est le management de l'école interne de France Télécom.
03:13Il y a énormément de choses à faire, mais je pense que l'un des points de départ, c'est
03:18d'améliorer le management pour qu'il soit plus respectueux de la personne, du salarié,
03:24à la fois de son corps et de son esprit.
03:26On voit que le gouvernement Barnier insiste beaucoup sur le dialogue social.
03:31Qu'est-ce que vous en pensez ?
03:32Doit-on craindre une dégradation et doit-on croire le gouvernement quand il dit que c'est
03:37essentiel à ses yeux ?
03:39Si vous le permettez, je vais peut-être dériver un tout petit peu.
03:42On a l'habitude de dire en France que le dialogue social ne marche pas, contrairement
03:47à l'Allemagne.
03:48Si on se place du côté du dialogue social dans les entreprises, les chiffres ne sont
03:54pas si dégradés que ce que l'on entend parfois.
03:56On a eu, par exemple, les chiffres qui viennent de sortir en octobre 2024, on a 85 000 accords
04:02d'entreprise conclus par an et on a des taux de conclusion des syndicats qui sont très
04:07élevés.
04:08La CFDT conclut en moyenne 95% des accords au titre desquels elle négocie et la CGT
04:20à 87%.
04:21Donc, dans les entreprises, ça négocie.
04:23Votre question est plutôt sur le dialogue interprofessionnel et national.
04:27Tous les gouvernements disent qu'ils sont favorables au dialogue social.
04:32Il n'y a pas un gouvernement qui va se dire hostile.
04:35Emmanuel Macron lui-même, en tant que président de la République, a poussé au dialogue social.
04:40Les années qui ont précédé montrent quand même des difficultés importantes liées
04:47notamment à ce qu'on appelle les lettres de cadrage.
04:49Les lettres de cadrage fixent, comme leur nom l'indique, le cadre au négociateur.
04:56On a eu tendance ces dernières années à avoir des lettres de cadrage trop strictes
05:00qui, par exemple, imposent aux partenaires sociaux des objectifs financiers qui font
05:04que ce qu'on appelle le grain à moudre dans la négociation est trop faible.
05:07Alors, est-ce qu'avec le gouvernement Barnier, les choses vont changer ?
05:12C'est vrai qu'il s'agit, semble-t-il, d'un homme de dialogue.
05:16Cela peut favoriser la conclusion d'accords collectifs.
05:21C'est trop tôt pour le dire.
05:23On a eu trop de déceptions par le passé.
05:25Ceci étant dit, c'est vrai que le 14 novembre 2024, donc il y a quelques jours,
05:30on a eu le succès de nos négociations sur l'assurance chômage, sur l'emploi des seniors.
05:37Mais on a eu trop de déceptions quant aux promesses de dialogue social
05:42pour qu'on puisse répondre avec certitude à cette question.
05:48On parle beaucoup de dialogue social.
05:49On parle aussi beaucoup des jeunes et de leur rapport au travail.
05:52Est-ce qu'ils ont vraiment envie de travailler ?
05:54Et surtout, comment veulent-ils travailler ?
05:57Oui, les jeunes ont envie de travailler comme les générations précédentes ont envie de travailler.
06:04Je crois que la question n'est pas là.
06:05La question, c'est comment leur donner envie de s'impliquer dans leur travail.
06:13Et là, on a un vrai sujet.
06:17Les jeunes ont une attente en termes de rémunération, bien entendu.
06:21Mais ils ont aussi une attente croissante en termes de conciliation
06:25entre vie professionnelle et vie personnelle.
06:29Là, il est clair que le salariat tel qu'il est conçu aujourd'hui
06:36n'offre pas suffisamment de moyens de concilier vie personnelle et vie professionnelle.
06:41Alors, c'est vrai que le télétravail a amélioré les choses pour certains,
06:47parce qu'il faut bien entendu mettre...
06:49Tous ne peuvent pas télétravailler.
06:52Quand on est enseignant de l'université, on voit très bien que lors de la période du Covid,
06:57certains étudiants étaient en capacité de se connecter facilement,
07:01mais que d'autres qui avaient leurs frères et sœurs qui étaient à l'école
07:05et qui étaient aussi dans l'appartement ou qui avaient des conditions de vie difficiles,
07:09on voyait bien que c'était compliqué d'avoir un espace pour écouter paisiblement le cours.
07:16C'est pareil pour les salariés.
07:20Ce n'est pas vrai pour les salariés qui se connectent.
07:21Vous le dites dans votre ouvrage d'ailleurs que l'entreprise doit faire en sorte
07:24que le travailleur puisse télétravailler dans les meilleures conditions.
07:28Oui, absolument.
07:29L'entreprise, évidemment, n'est pas responsable du logement du salarié,
07:32mais elle doit faire en sorte que le salarié travaille dans des bonnes conditions.
07:39Donc, pour revenir à la question de l'autonomie, elle est centrale pour les jeunes
07:44et pour que le salariat attire les jeunes.
07:49Il ne faut pas oublier que la protection, c'est celle du salariat,
07:53ce n'est pas celle du travail indépendant.
07:54On n'a pas de congé payé quand on est travailleur indépendant,
07:58on n'a pas de limitation du temps de travail, on n'a pas de garantie de revenu.
08:01Pour que le salariat attire, il faut qu'il prenne mieux en compte l'autonomie au travail.
08:08C'est l'une des conditions essentielles pour que les jeunes aient envie de travailler.
08:14Il y a un autre aspect qui revient souvent et qui est très important,
08:18c'est le sens du travail.
08:20Il faut aussi que l'entreprise évolue pour intégrer la question environnementale,
08:26à laquelle les jeunes sont très sensibles,
08:27mais aussi la question du bien-être au travail.
08:31Il y a toute une série de conditions à réunir pour que non seulement ils veuillent travailler,
08:38mais pas simplement pour survivre et subvenir à leurs moyens.
08:44Quels sont les risques du modèle d'entreprise délibéré dont vous parlez dans votre ouvrage
08:49et où les salariés peuvent notamment prendre les congés quand ils le souhaitent ?
08:53Il y a cette idée que l'entreprise rêvée, c'est celle où vous pouvez travailler à la plage si vous le souhaitez.
09:03Vous prenez autant de jours de congés que vous voulez,
09:06vous fixez librement votre lieu de travail.
09:09C'est un rêve.
09:11Certaines entreprises y parviennent, mais c'est très rare.
09:16Le modèle de l'entreprise libérée, où en quelque sorte il n'y a plus de patron,
09:20où le patron laisse les salariés faire à peu près ce qu'ils veulent,
09:25le rêve c'est d'abord de responsabiliser les salariés à l'excès.
09:32Nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis de la capacité à être autonome.
09:37Certains ont besoin d'avoir quelqu'un qui décide pour eux.
09:41Vous mettez 2000 salariés en leur disant « vous vous débrouillez, vous décidez entre vous les horaires »,
09:48ça ne peut pas fonctionner et les rapports de pouvoir,
09:52la capacité de l'un ou de l'autre à négocier et à se mettre en avant, va tout déterminer.
09:58L'idée de l'entreprise libérée, à part dans quelques petites entreprises où tout le monde se connaît,
10:05moi je n'y crois pas et je pense qu'il y a un vrai risque pour les salariés.
10:11Derrière l'idée de l'entreprise libérée, ce n'est pas exactement ce que prônent ces partisans,
10:17mais il y a aussi cette mode du bonheur dans l'entreprise,
10:23puisque les partisans de l'entreprise libérée soutiennent que ce mode d'entreprise
10:26rend les salariés heureux.
10:28Donc, il y a cette sorte de mode, des tables de ping-pong dans l'entreprise,
10:34des cours de yoga, des cours de danse, etc.
10:36Des after-work dont vous parlez beaucoup, il faut être fun en entreprise.
10:40Voilà, exactement, c'est un excellent exemple des after-work.
10:45Dans l'affichage, c'est très bien,
10:48mais dans la réalité et si on le relie à certaines pratiques de management, c'est redoutable.
10:54En fait, parfois, et on a quelques contentieux qui le montrent,
10:58ce qui peut apparaître comme « on va rendre les salariés heureux »
11:03devient une injonction au bonheur.
11:07J'ai cet exemple en tête de cette entreprise qui a licencié son salarié pour désalignement culturel,
11:15c'était le motif qui était dans sa lettre de licenciement,
11:18parce que ce salarié refusait de participer aux soirées,
11:22aux week-ends organisés par l'entreprise,
11:26et on a considéré que c'était une faute professionnelle.
11:30Donc, d'une sorte d'attraction vers le bonheur, c'est devenu une obligation d'être heureux.
11:36Donc, c'est une mode qui est assez redoutable.
11:40Assez délétère.
11:41Assez délétère.
11:42Concrètement, comment, dans ce cas, conjuguer autonomie et réalité de la vie en entreprise et ses contraintes ?
11:50C'est l'une des questions fondamentales.
11:53Si on reste dans le salariat, le salariat implique un rapport de pouvoir,
11:58c'est-à-dire implique que l'employeur puisse imposer des directives à son salarié,
12:05contrôler ses salariés.
12:08Ce n'est pas dans une autonomie libérée, dans une liberté à tout prix,
12:12qui serait, et encore on peut mettre des bémols, celle d'un travailleur indépendant.
12:16Alors, comment faire pour concilier une plus grande autonomie donnée aux salariés,
12:21puisque comme on l'a vu, c'est à mon avis une condition pour attirer les jeunes vers le salariat,
12:26et respect de l'intérêt de l'entreprise ?
12:30Je pense qu'il y a place pour créer un dispositif d'autonomie au travail sur trois plans.
12:40Premier plan, les conditions de travail,
12:43c'est-à-dire donner des capacités d'initiative aux salariés sur la définition de leurs horaires,
12:48de leur congé, de leur lieu de travail.
12:52Pourquoi pas, d'ailleurs, la possibilité de prendre des initiatives sur la semaine de quatre jours.
12:57Ça c'est le premier strat, ce sont les conditions de travail.
13:01Même s'il y a la nuance entre semaine de quatre jours et semaine en quatre jours,
13:04et la charge de travail qui peut y être liée.
13:06Absolument, absolument.
13:07Deuxième strat, l'autonomie dans la définition du travail.
13:11En France, on n'a pas l'habitude d'associer les salariés à la définition de leur travail.
13:18Qui mieux que le travailleur lui-même sait ce qui est efficace pour son travail ?
13:22Définition du travail, et d'ailleurs des objectifs de travail.
13:26On parlait de la souffrance mentale tout à l'heure.
13:28Des objectifs irréalisables sont une source de souffrance,
13:32puisque si vous êtes autonome dans la définition de vos horaires,
13:36si c'est pour réaliser des objectifs qui sont extrêmement élevés,
13:40finalement vous allez encore travailler plus, avec un stress qui va avec.
13:43D'ailleurs, vous parlez pas mal dans votre ouvrage des cadres qui sont au forfait jour,
13:47et donc le temps de travail en tant que tel n'est pas défini,
13:50mais se retrouve avec des objectifs colossaux et peuvent beaucoup souffrir au travail.
13:55Absolument. Le cadre au forfait jour, c'est celui dont on ne définit pas les heures de travail,
14:01mais simplement un nombre de jours.
14:03Il peut travailler 9h, 10h, 12h de travail.
14:07Et donc cette liberté dans la définition de l'emploi du temps
14:13est compensée par des objectifs qui sont très élevés.
14:15Et l'idée, c'est que, liberté dans la définition du travail,
14:19mais contrainte dans la fixation des objectifs.
14:22Et vous avez raison, on a dans les chiffres sur la santé mentale au travail,
14:27des chiffres très inquiétants pour les cadres.
14:30Et pour les cadres au forfait jour en particulier,
14:32et d'ailleurs le code du travail, c'est pas par hasard,
14:34prévoit un entretien annuel pour les cadres en forfait jour
14:39sur la conciliation vie personnelle et vie professionnelle,
14:42et sur la charge de travail.
14:45Et donc la troisième strat, c'est d'associer davantage les salariés
14:51à la définition de la stratégie de l'entreprise.
14:55On parlait des objectifs donnés aux salariés, des objectifs de performance.
15:00Si la stratégie de l'entreprise obéit à une logique purement financière,
15:06par définition, les objectifs donnés aux travailleurs lui-même
15:09vont être axés sur les objectifs de l'entreprise et vont être trop élevés.
15:13Donc on n'arrivera pas à améliorer les conditions de travail
15:16si on ne revoit pas la stratégie de l'entreprise,
15:19si on n'intègre pas davantage, on en parlait tout à l'heure,
15:23les questions environnementales et puis les questions sociales.
15:25C'est ce que permet la responsabilité sociale des entreprises
15:28sur laquelle il y a beaucoup de choses à faire.
15:31Donc sur ces trois strats, la France est très en retard
15:35et je considère qu'on a besoin d'un dispositif,
15:40les Anglais le font d'ailleurs, j'appelle ça de la flexibilité inversée,
15:44c'est-à-dire que ce n'est pas uniquement l'employeur qui définit la flexibilité,
15:49mais le salarié doit pouvoir aussi avoir une capacité d'initiative sur la flexibilité.
15:54Le tout, parce que vous parliez dans votre question de conciliation
15:57avec les intérêts de l'entreprise, bien entendu,
15:59avec la possibilité pour l'employeur de s'y opposer
16:03lorsque l'intérêt et le fonctionnement de l'entreprise est en jeu.
16:07C'est d'ailleurs comme ça que ça se passe dans le dispositif anglais.
16:11Oui, et d'ailleurs dans le dispositif anglais,
16:13on se rend compte que les employeurs devant motiver leur refus
16:16quand un salarié demande une adaptation de son temps de travail,
16:19il y a moins de refus de la part des employeurs.
16:23Vous vantez également le modèle allemand de cogestion.
16:28Est-ce qu'on peut faire la même chose en France ?
16:30Est-ce que c'est si simple que ça ?
16:32Non, ce n'est pas si simple.
16:34Vous parliez dans votre question de modèle.
16:36C'est vrai qu'on est tenté de considérer que certains droits font modèle,
16:42au sens où ce sont en quelque sorte des droits idéaux.
16:46Longtemps, ça a été le modèle scandinave.
16:49Emmanuel Macron, au début de son premier quinquennat,
16:53avait vanté la flexisécurité à la danoise.
16:58Cette idée qu'on devrait faciliter la rupture du contrat,
17:04donc faciliter la sortie de l'emploi,
17:06mais avec un système de protection sociale et d'employabilité et de formation
17:14qui fait que si vous perdez votre emploi, ce n'est pas très grave
17:16parce que vous allez en trouver un autre facilement.
17:19C'est un modèle qui marche très bien au Danemark.
17:22Sauf que deux éléments.
17:24Au Danemark, si je ne me trompe pas, on est autour de 6 millions d'habitants.
17:28En France, évidemment, ce n'est pas du tout la même proportion.
17:30On ne fait pas la même chose dans un pays avec un nombre d'habitants relativement peu élevé.
17:35La deuxième question, c'est qu'on est à 90 % de revenus de remplacement
17:42en cas de chômage au Danemark.
17:44Ce n'est pas vraiment la pente qu'on prend aujourd'hui.
17:46L'idée du modèle fonctionne difficilement.
17:49C'est pareil pour l'Allemagne.
17:51Le dialogue social n'est pas le même en Allemagne qu'en France,
17:54même si, comme on le disait, il est à mon avis moins dégradé que ce que l'on dit en France.
17:59Donc, modèle non.
18:01Ceci étant dit, on peut emprunter des règles, des dispositifs spécifiques dans les différents pays.
18:07C'est vrai que la co-détermination, la co-gestion à l'Allemande,
18:11qui fait que vous avez entre 30 % et 50 % d'administrateurs salariés dans les entreprises allemandes,
18:17c'est un dispositif intéressant.
18:19On en est très loin en France.
18:22Aujourd'hui, en l'état actuel du droit,
18:25on est à un ou deux administrateurs salariés dans les entreprises,
18:32et on n'arrive quasiment jamais aux 30 %.
18:37Donc, peut-être emprunter des modèles non,
18:40parce que la France a sa spécificité et on ne peut pas greffer un modèle sur un autre.
18:44Mais oui, on peut emprunter des règles sur l'Allemagne et sur le Royaume-Uni,
18:48comme on le disait, le dispositif de flexible work,
18:51qui permet cette autonomie aux salariés, avec possibilité pour l'employeur de s'y opposer
18:56en invoquant l'intérêt de l'entreprise.
18:58Ça, c'est un dispositif qui me semble tout à fait intéressant.
19:00Et d'ailleurs, dans votre ouvrage, vous revenez sur le taux de syndicalisation en France,
19:04qui n'est pas très important et qui devrait continuer à diminuer dans les prochaines années.
19:08Est-ce qu'on doit s'en inquiéter ?
19:10C'est un élément essentiel du dialogue social ?
19:12Absolument. On doit tout à fait s'en inquiéter.
19:16La pente est inquiétante.
19:18Et lorsqu'on voit les taux chez les jeunes, c'est encore plus inquiétant.
19:21On est à peu près à 3% de jeunes syndiqués. C'est faible.
19:26Pourquoi c'est inquiétant ?
19:28Parce que le dialogue social dont on parlait tout à l'heure,
19:31il se fait beaucoup mieux, beaucoup plus efficacement,
19:34dans l'intérêt des salariés et de l'entreprise,
19:36lorsque c'est avec des représentants des salariés.
19:39Si on va vers un dialogue direct avec les salariés,
19:44on va avoir un dialogue totalement désorganisé.
19:48On a besoin de règles qui soient co-construites.
19:53Et avoir des syndicats qui sont malades est un sujet.
19:59Les responsabilités sont diverses.
20:03Les syndicats eux-mêmes ont leurs responsabilités
20:05qui n'ont peut-être pas suffisamment évolué,
20:10s'adapter aux revendications de la jeunesse,
20:13même si ça change.
20:15Par exemple, l'environnement est entré dans les statuts
20:17de la plupart des syndicats.
20:20Le droit a sa responsabilité.
20:22Il faut savoir qu'en France, contrairement aux pays scandinaves
20:25qui ont des taux de syndicalisation de 70%,
20:27les avantages obtenus par les syndicats
20:32dans les négociations collectives bénéficient à tous les salariés,
20:36peu importe qu'ils soient syndiqués ou non,
20:39peu importe qu'ils soient adhérents du syndicat ou pas.
20:42Ce qui est tout à fait différent du modèle scandinave.
20:46Est-ce que ça veut dire qu'il faut revoir cette règle ?
20:48Je ne pense pas, mais en tout cas, il y a un vrai sujet là-dessus.
20:54Il faut que les adhérents des syndicats
20:56aient des avantages et des intérêts à se syndiquer.
21:00En tout cas, oui, effectivement,
21:02les taux de syndicalisation qu'on a en France qui sont très bas,
21:05c'est un mauvais signe pour les salariés,
21:07mais je pense aussi pour les entreprises.
21:10On va parler de télétravail maintenant.
21:12Ubisoft et Amazon l'arrêtent.
21:14Que faut-il en penser et faut-il remettre en question le télétravail ?
21:18Non, il ne faut pas remettre en question le télétravail.
21:23Il est vrai qu'il est arrivé très, très rapidement,
21:28très soudainement avec le Covid,
21:31que tout le monde n'était pas forcément adapté,
21:34que ce soit les salariés ou les entreprises,
21:36mais aujourd'hui, c'est quasiment un acquis pour les salariés.
21:41Certains, d'ailleurs, ont déménagé à des centaines de kilomètres.
21:46Ce n'est quand même pas évident de leur dire du jour au lendemain,
21:50vous revenez dans l'entreprise.
21:53Je comprends tout à fait les résistances de certains salariés,
22:00vous parlez de ces grèves, à revenir dans l'entreprise,
22:03d'autant plus qu'on sait que pour nombre d'employeurs,
22:06accorder un ou deux jours de télétravail à leurs salariés, c'est feutable.
22:12Évidemment, ça dépend du poste.
22:14Mais cette idée que tout le monde doit revenir au télétravail,
22:19ça ne me semble pas du tout une évidence.
22:22Ça ne veut pas dire que tout le monde doit être traité de la même façon.
22:27Déjà, clairement, il y a ceux qui ne peuvent pas travailler en télétravail.
22:32D'ailleurs, qu'on a trop tendance à oublier.
22:34On a tendance à raisonner.
22:36On parlait de modèle.
22:38On avait le modèle de l'ouvrier il y a une trentaine d'années.
22:41Maintenant, on raisonne avec le modèle du télétravailleur.
22:43N'oublions jamais que moins de la moitié des salariés peuvent télétravailler.
22:49N'oublions pas non plus qu'il y a télétravail et télétravail.
22:52Le cadre en télétravail qui est parfaitement autodôme dans son travail
23:00n'a absolument rien à voir avec la personne qui est standardiste en télétravail
23:05avec des horaires contraints et qui doit même demander l'autorisation avant de prendre une pause
23:08parce qu'il peut y avoir des clients, des consommateurs qui appellent.
23:12Le télétravail, ce n'est pas le Graal, le rêve.
23:16Ce n'est pas identique pour tout le monde.
23:20Il y a des efforts à faire sur le logement des salariés.
23:31Ça ne veut pas dire évidemment qu'on va demander à l'employeur d'améliorer le logement du salarié.
23:37Il y a des efforts notamment de sécurité du logement.
23:41Il y a une question qui est extrêmement délicate, qu'on n'a pas encore résolue en droit.
23:46Oui, si le salarié se prend une prise, tombe et se blesse, c'est à sa responsabilité de l'entreprise.
23:51Grosse question juridique.
23:54Qui est responsable lorsque le salarié se blesse en tombant des escaliers pour rentrer chez lui ?
24:01Qui est responsable lorsque le salarié en télétravail ouvre la porte à la poste ?
24:11On a un cas récent où vous avez un salarié qui a ouvert la porte, qui est sorti dans la rue et qui a eu un accident,
24:18qui s'est fait renverser parce qu'il y avait un problème EDF chez lui.
24:22On a considéré que ce n'était pas un accident du travail.
24:25Vous voyez que c'était déconnecté du travail.
24:27Donc il y a un vrai sujet.
24:29Autre sujet concret sur le télétravail.
24:31L'employeur est responsable de la sécurité de ses salariés dans l'entreprise ou au télétravail.
24:37A-t-il le droit de faire venir une entreprise et de l'imposer aux salariés pour vérifier la conformité informatique ?
24:43Aujourd'hui, la pratique, c'est des attestations données aux télétravailleurs pour s'assurer de la conformité de l'installation.
24:49Ce n'est pas du tout suffisant.
24:51Donc télétravail, oui, mais il y a encore beaucoup de choses à faire pour l'améliorer.
24:56On est passé d'une surveillance humaine à une surveillance technologique des salariés.
25:00On en parlait notamment avec le télétravail, qui effraie certains.
25:04Est-ce que c'est une peur rationnelle ou est-on face à du technologique bashing ?
25:08C'est une peur qui n'est absolument pas irrationnelle.
25:12On a longtemps connu la surveillance humaine.
25:15Vous aviez le contre-maître qui était en face de vous et qui vérifiait si vous étiez suffisamment rapide.
25:22Aujourd'hui, la surveillance technologique a des potentialités considérables
25:28et franchit allègrement la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle.
25:33C'est quoi ? C'est la lecture des e-mails et des SMS professionnels à distance,
25:41sans même que le salarié sache que ces mails sont lus ou ne sont pas lus.
25:47Ce sont les caméras de surveillance, mais ça va bien au-delà.
25:51Aujourd'hui, on sait que les nouvelles technologies sont capables de détecter les émotions des salariés.
26:00On sait que, par exemple, des supermarchés japonais utilisent des logiciels.
26:05Il y en a un qui s'appelle MrSmile.
26:07MrSmile est capable de capter le sourire des salariés, le visage des salariés,
26:12et d'analyser quantité d'émotions.
26:16Est-ce que ce salarié est stressé ? Est-ce qu'il est motivé dans son travail ? Est-ce qu'il est satisfait ?
26:22Est-ce qu'il a un comportement à risque qui fait qu'il va falloir le mettre à pied ou l'éloigner parce qu'il va mal se comporter ?
26:29On est en capacité de contrôler les émotions à distance.
26:36C'est redoutable.
26:38Évidemment, quand on relie tout ça à l'IA, à l'intelligence artificielle, on imagine les potentialités.
26:44S'il y a un besoin de régulation essentielle, ça a été fait au niveau européen.
26:51On a un règlement sur l'IA qui vient tout juste d'être adopté et qui va entrer en vigueur dans les années qui viennent
26:58et qui notamment interdit les dispositifs de reconnaissance des émotions.
27:04Joe Biden, en 2023, a adopté un décret de régulation des algorithmes et de l'intelligence artificielle
27:13pour prendre en compte les dangers de ces dispositifs.
27:16On sait par exemple qu'il y a des discriminations.
27:19Le recrutement algorithmique qui est aujourd'hui très développé, on le sait, on a des cas, peut-être un facteur de discrimination.
27:27Une inquiétude quand même.
27:28Trump ne s'en est pas tout à fait d'accord.
27:31Voilà, inquiétude.
27:33Trump, qui semble être pour la dérégulation à tout va, s'est montré très critique
27:41et a tout simplement dit qu'il voulait abroger le décret de 2023 adopté par Biden.
27:48C'est très inquiétant.
27:50C'est très inquiétant aux États-Unis mais aussi en Europe.
27:55Parce qu'on sait très bien, dans un monde globalisé, que lorsque les États-Unis ou la Chine adoptent ou dérégulent,
28:04il y aura une pression au niveau européen pour les entreprises européennes pour déréguler au nom de la concurrence mondiale.
28:11Donc, ce n'est pas simplement du bashing pour rien.
28:15Je crois qu'il y a une vraie inquiétude à avoir sur cette question.
28:18Merci beaucoup Pascal pour ces éclairages et on se retrouve bientôt pour le prochain épisode de Période d'Essai.

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