Mercredi 6 novembre 2024, PÉRIODE D'ESSAIS reçoit Olivier Esteves (Professeur au sein de l’Université de Lille, spécialiste du monde anglophone, de l’ethnicité et de l’immigration)
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00:00Bienvenue sur le plateau de l'émission Période d'Essai, où nous donnons la parole
00:11à des chercheurs et des chercheuses sur des sujets de société liés à l'emploi.
00:15J'ai le plaisir de recevoir Olivier Esteves.
00:17Bonjour.
00:18Olivier, vous êtes professeur au sein de l'Université de Lille, spécialiste du
00:22monde anglophone, de l'ethnicité et de l'immigration.
00:24Avec Alice Picard et Julien Talpin, vous avez co-écrit un ouvrage nommé « La France,
00:28tu l'aimes mais tu la quittes, enquête sur la diaspora française musulmane », donc
00:33cette enquête sur l'élite d'origine musulmane qui a décidé de partir hors de
00:37France principalement à cause du racisme, des discriminations liées à leur religion,
00:42leur nom ou leur origine.
00:44Alors d'abord, pourquoi avoir choisi ce titre qui évoque une déclaration qu'on
00:48connaît bien ?
00:49Alors d'abord, peut-être rappeler le titre entier et le sous-titre, donc c'est « La
00:54France, tu l'aimes mais tu la quittes », deux points, enquête sur la diaspora française
00:58musulmane.
00:59Voilà, j'ai bon jusque maintenant.
01:00Et donc en fait, c'est un titre qui est délibérément provocateur au départ, qui
01:05fait écho effectivement à une déclaration qu'a eue M.
01:10Sarkozy, en écho à d'autres déclarations, notamment de Philippe de Villiers et tout.
01:15Alors moi, en tant que spécialiste du monde anglophone, je renvoie nécessairement cette
01:19citation au président Nixon aux États-Unis à la fin des années 60, qui a dit dans un
01:26discours « America, you love it or leave it ».
01:29Donc, ce n'était pas en fait une déclaration qui était destinée à des Afro-américains
01:34ou à des personnes qu'on appellerait maintenant racisées, mais plutôt en fait à des militants
01:40anti-guerre du Vietnam.
01:41Et donc, c'est une manière pour Nixon d'essayer de museler la contestation politique.
01:47Ce qui fait que notre titre, en fait, in fine, n'est pas provocateur, c'est précisément
01:53que chez pas mal de personnes à qui on a parlé en entretien, on s'est bien rendu
01:58compte qu'en fait, ce sentiment « la France, tu l'aimes, mais tu la quittes » résumait
02:02vraiment presque parfaitement le sentiment général.
02:06Ce qui m'a aussi mis la puce à l'oreille, c'était moi qui avais suggéré le titre,
02:11c'est la façon dont le militant antiraciste Maron Mamed, par exemple, dans « Nous aussi
02:16sommes la nation », à la fin de son ouvrage, utilise, me semble-t-il, presque exactement
02:22ce slogan.
02:23Et donc, un journaliste comme Claude Askolovitch, en fait, qui est lui-même donc assez conscientisé
02:32par rapport à ces questions d'islamophobie, comme on le sait, utilise aussi ce slogan
02:37dans un ouvrage de vulgarisation sur la nécessité de la lutte contre l'islamophobie qui s'intitule
02:42« Nos mal-aimés », qui est sorti il y a une douzaine d'années maintenant.
02:45Donc en fait, aussi provocateur ou aussi original que puisse paraître notre titre, finalement
02:51il s'inscrit un petit peu dans un sillon, dans un terrain qui a déjà été pas mal
02:58labouré.
02:59D'accord.
03:00Depuis l'apparition de votre enquête, il y a eu deux élections en France, donc des
03:04élections européennes qui ont été marquées par un score historique du Rassemblement
03:07national et récemment des élections législatives consécutives à la dissolution de l'Assemblée
03:13nationale par Emmanuel Macron, remportées là par le nouveau Front populaire.
03:18Est-ce que vous pouvez commenter l'objet du livre à l'aune de ces récentes élections ?
03:23Alors c'est vrai que d'une certaine manière, le livre a joui d'une réactivation d'intérêt
03:29suite effectivement à ces élections européennes et législatives.
03:35Pour la faire très très courte, je dirais qu'en fait, la plupart des entretiens qu'on
03:39a menés, c'était en 2022 au moment des présidentielles, où Éric Zemmour était
03:44un peu sur toutes les bouches.
03:45C'était un moment où on se disait, enfin on entendait beaucoup parler de l'éventualité
03:50de l'accession d'Éric Zemmour au deuxième tour de la présidentielle.
03:56Finalement, on sait très bien que ça ne s'est pas passé, mais il y avait une vraie
03:59crainte chez les personnes à qui on a parlé en 2022 de l'éventuelle arrivée d'Éric
04:04Zemmour au second tour et son éventuelle élection, qui était présentée comme plausible.
04:09Et ce qui fait que pour beaucoup d'enquêteurs à qui on a parlé, alors dans notre volet
04:14quantitatif on a 1070 personnes, plus de 90% de ces personnes-là n'envisagent pas
04:19un retour en France.
04:21Et la raison pour laquelle effectivement un retour en France est massivement rejeté,
04:26c'est précisément cette idée très communément partagée que ça va être de pire en pire.
04:32Donc d'une certaine manière, les élections récentes, avec l'éventualité effectivement
04:36d'une arrivée au pouvoir du RN dans le cadre des législatives, corroborent en fait
04:42cette vraie crainte qui nous avait été exprimée en 2022.
04:46Alors, si on revient sur l'enquête à proprement parler, quel est le profil des
04:51personnes que vous interrogez et que vous qualifiez d'élites minoritaires ?
04:55Et surtout, qu'est-ce qu'elles vivent ?
04:57Qu'est-ce qu'elles ont vécu pour se décider à quitter la France ?
05:02Alors, deux, trois éléments.
05:03D'abord, effectivement, présenté, alors on parle d'une fuite élitaire, la fuite d'une
05:08élite, ce sont parfois plus de 54% des personnes qu'on a interrogées dans le cadre de notre enquête,
05:16donc 1070 personnes, ce sont des personnes qui ont au moins un bac plus 5.
05:20Donc effectivement, en termes de formation académique, il s'agit vraiment d'une élite.
05:25Ça, c'est très, très clair, à la fois à l'aune de la population française prise
05:29en son ensemble et puis effectivement à l'aune de la composante musulmane de la
05:34société française, telle qu'on peut la voir décrite, analysée dans l'enquête
05:41Théo, donc trajectoire et origine, pilotée par l'INSEE et puis l'INED, je vais y arriver,
05:47excusez-moi.
05:48Et donc voilà, il s'agit effectivement d'une élite ultra diplômée.
05:52Ça, c'est un premier point.
05:53Le deuxième point qui est assez souvent, qui caractérise une majorité des personnes
05:57avec qui on a parlé, c'est une forte religiosité ou alors une adhésion ou une identification
06:05assez forte à l'islam.
06:06Ça, c'est un autre point.
06:07Et quand on parle d'élite, néanmoins, ça reste un terme qui est assez problématique
06:13parce qu'un certain nombre de ces personnes ont eu accès à une certaine élite économique
06:17déjà en France.
06:18D'autres personnes ont eu accès à des emplois lucratifs, mais se sont ont été confrontées
06:27au plafond de verre, donc ont vu leur carrière ralentie ou ont subi des trajectoires de carrière
06:34qui n'étaient pas aussi rapides ou fulgurantes que des personnes qui, peut-être, n'avaient
06:40pas les mêmes CV, avaient des CV moins intéressants ou tout aussi intéressants, mais qui n'étaient
06:45pas des personnes racialisées, qui étaient des personnes qui s'appelaient Charles-Édouard
06:48ou Marie-Charlotte plutôt que Mohamed, pour simplifier un petit peu.
06:52Et le troisième type de scénario, en fait, ce sont des personnes qui, de fait, sont effectivement
06:58très diplômées, mais n'ont pas du tout eu accès à une élite économique en France
07:02puisque leur carrière a été complètement empêchée.
07:05En fait, je pense notamment à des femmes qui portent un hijab, où on sait qu'en France,
07:10le marché du travail est très réticent, voire ouvertement hostile à l'éventualité
07:17que des femmes qui portent un voile puissent intégrer des entreprises.
07:22Vous évoquez aussi des moments charnières, des événements qui parfois s'accumulent
07:29et font naître cette envie ou accélèrent une envie de départ.
07:32Je pense à des périodes post-attentat où il y a une recrudescence des discriminations.
07:38Il y a aussi des déclarations de politique ou de personnalité publique.
07:43Je pense à Brice Hortefeux, parce que vous parlez d'un effet hortefeux.
07:48Moi, j'aimerais savoir plus précisément pourquoi les entretiens d'embauche constituent
07:55un moment particulier pendant lesquels les personnes, en tout cas beaucoup de personnes
08:01interrogées dans l'enquête, se rendent compte qu'ils sont discriminés à ce moment
08:05précis de leur vie.
08:07Alors, d'abord, avoir un entretien d'embauche présuppose qu'effectivement, on a été
08:12pré-sélectionnés.
08:13Et il y a un certain nombre de personnes à qui on a parlé qui, de fait, ont assez rarement
08:18été pré-sélectionnés pour effectivement un éventuel entretien d'embauche.
08:22Ensuite, il y a des personnes qui ont pu déployer toutes sortes de stratégies, toutes sortes
08:27de systèmes D pour veiller à ce que leur identité raciale, ethnique ou religieuse
08:32ou surtout religieuse d'ailleurs, soit un peu invisibilisée.
08:35Par exemple, typiquement, quelqu'un qui, dans l'absolu, porte un hijab, une femme
08:43qui porte un hijab, mais qui, sur la photo de son CV, n'en porte pas.
08:46Donc, en arrivant effectivement à l'entretien, si cette personne a décidé de porter un
08:51hijab, là, souvent, ce qui nous a été raconté, c'est effectivement une sorte d'abasourdissement
08:58collectif.
08:59Les personnes qui organisent l'entretien sont un peu bouche bée et puis soit sont honnêtes
09:04et disent directement, ah bah non, c'est pas possible, ça va pas aller avec l'entreprise
09:09ou alors c'est pas possible, on a des clients à qui ça va pas plaire ou alors inventent
09:15une excuse bidon qui, souvent, passe relativement mal et voilà.
09:18Donc, ça, c'est assez typique.
09:21Après, on a aussi des gens qui n'ont pas, enfin, qui ne s'invisibilisent pas eux-mêmes,
09:28mais dont les parents et ça, je pense que c'est un truc qui, collectivement, en France
09:32devrait nous faire réfléchir parce que moi qui connais quelques autres pays européens,
09:35je ne pense pas que ça existe dans d'autres pays européens dans les mêmes proportions.
09:39Donc, je reviens à ma phrase précédente qui était que les parents, souvent, notamment
09:44des parents qui ont eu accès eux-mêmes aux classes moyennes, ont intériorisé la nécessité
09:49d'invisibiliser l'identité ethnique ou religieuse de leurs enfants en choisissant
09:56des prénoms qui passent bien, des prénoms qui font blanc.
09:58Donc, typiquement, Myriam ou Sophia pour des filles plutôt que Samira ou Karima.
10:04Et donc, voilà, ça, c'est ce qui se passe souvent et c'est notamment en utilisant ce
10:11type de stratagème, ce type de stratégie que, in fine, on peut éventuellement, alors
10:17peut-être pas décrocher le sésame de l'entretien d'embauche, mais effectivement, donc, au
10:21moins essayer de mettre un doigt de pied dans la porte qui, au final, débouchera peut-être
10:28sur un recrutement.
10:29Donc, il y a tout un panel, finalement, de stratégies d'invisibilisation qui, de fait,
10:36effectivement, devraient nous interroger collectivement sur la réalité, sur l'envergure
10:43des discriminations ethniques et surtout religieuses en France.
10:47Ces discriminations, elles se poursuivent pour certains et certaines qui ont été sélectionnées,
10:55qui ont obtenu un emploi et vous parlez notamment des microagressions et de leurs effets.
11:01Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que sont les microagressions et qu'est-ce que
11:07ça suscite chez les personnes qui les subissent en termes, soit d'appartenance à l'entreprise,
11:14voire de sentiment d'appartenance à la France ?
11:18Alors, depuis maintenant quelques décennies, en fait, l'expression microagression revient
11:23souvent dans la sociologie du racisme.
11:26Donc, on renvoie effectivement à une expression anglaise au départ, un microagression, et
11:32de façon générale, il s'agit de petites remarques, de petites phrases, de petites
11:35blagues qui, parfois, en fait, ne sont pas nécessairement ouvertement malveillantes,
11:41non pas pour but de blesser, mais qui, au final, vont avoir pour conséquence, effectivement,
11:48de blesser.
11:49Et ce qui est également important dans les microagressions, c'est leur répétition.
11:52C'est-à-dire que, je pense que ce qui permet de prendre conscience de la gravité
11:58de la chose, c'est précisément qu'une microagression, ce n'est pas un truc qui
12:01va vous arriver une fois dans les dix ans que vous allez passer dans telle ou telle
12:05grosse boîte du CAC 40, microagression présuppose précisément d'une répétition.
12:09C'est très difficile de définir ce qu'est une microagression sans en donner des exemples,
12:14en fait.
12:15Alors, je vais vous donner des exemples qui nous ont été racontés en entretien, on
12:18en a vraiment, vraiment plein.
12:19Et souvent, d'ailleurs, ces microagressions, elles sont répétées comme des anecdotes,
12:23en fait, qui est une manière d'euphémiser des choses qui peuvent être considérées
12:26comme graves.
12:27C'est, par exemple, une femme qui s'appelle Samira, par exemple, et qui est issue de l'immigration
12:37postcoloniale du Maghreb, mais n'est pas musulmane, le dit clairement.
12:41Moi, je ne suis pas musulmane, je ne fais pas le jeûne, je ne mange pas de porc, mais
12:46ce n'est pas pour des raisons religieuses, et je bois de l'alcool, j'aime bien boire
12:50un verre de vin rouge le midi, je trouve ça sympa et tout, et puis je porte une jupe parce
12:54que ça m'intéresse.
12:55Et donc, des collègues de cette personne là vont dire toi, tu n'es pas comme les
12:58autres.
12:59Toi, tu es une bonne arabe ou alors toi, heureusement que ton patron, c'est moi et ce n'est pas
13:05un Algérien comme les gens de ton bled.
13:07On voit à travers ce type de remarques, en fait, des propos qui sont à la fois bienveillants,
13:16qui sont des propos qui sont positifs et qui, en même temps, vont stigmatiser les
13:20personnes qui sont autour de cette Samira dont je parle, soit des frères, des soeurs,
13:25des cousins, des gens de leur entourage.
13:26Et en fait, par répétition, ce type de discours devient insupportable, surtout effectivement
13:32dans un contexte d'hysterisation de la parole raciste, par exemple après les attentats
13:37de 2015.
13:38Donc, il faut imaginer cette personne qui s'appellerait Samira, qui entend ça deux,
13:43trois fois, quatre fois, cinq fois par semaine et qui, en arrivant à la maison le soir,
13:48allume la télé, tombe sur CNews, tombe sur BFM.
13:50Et donc, il arrive un moment, effectivement, il y a cette sorte de goutte d'eau qui fait
13:54déborder le vase, qui est vraiment une métaphore qui a été très, très souvent utilisée
13:57dans les entretiens qu'on a eus.
13:58C'est une sorte de goutte d'eau qui fait déborder le vase, qui est souvent une anecdote,
14:01en fait.
14:02Enfin, ça nous est décrit comme une anecdote qui va faire qu'on va décider de quitter
14:06la France.
14:07Évidemment, qu'est-ce que ces discriminations font perdre à la France d'un point de vue
14:13économique, évidemment, mais aussi d'un point de vue sociétal ?
14:17Alors, d'un point de vue économique, on revient là-dessus en détail, en fait, dans
14:21la conclusion du bouquin.
14:22C'est-à-dire qu'effectivement, maintenant, je ne vais pas vous asséner toutes sortes
14:25de statistiques, mais le gouvernement français, les entreprises françaises, un certain nombre
14:29de think tanks importants, je pense en particulier à l'Institut Montaigne, mais ce n'est
14:34pas le seul, placent la focale sur le coût économique considérable des discriminations
14:41raciales et, pour le coup, ici, religieuses.
14:43Ça coûte de l'argent, effectivement, les discriminations, précisément parce qu'un
14:49certain nombre d'entreprises s'empêchent de prendre les meilleures personnes.
14:54Donc, ce qu'on montre à travers le bouquin, c'est en fait, pour simplifier, c'est que
14:59dans des pays comme les États-Unis, le Canada ou la Grande-Bretagne, certes, il y a de l'islamophobie,
15:03mais in fine, le capitalisme est toujours plus fort que l'islamophobie.
15:07En France, c'est l'inverse.
15:08En France, de manière générale, c'est l'islamophobie qui est plus forte que le
15:12capitalisme.
15:13Et donc, effectivement, notre livre invite à s'interroger collectivement là-dessus.
15:17Alors, sur le deuxième volet de votre question, quel est le coût sociétal de ces discriminations ?
15:23Alors, bien évidemment, il s'agit de choses qui ne sont pas donc objectivables par définition.
15:29Mais moi, ce que je dirais, c'est que, c'est d'ailleurs là-dessus qu'on conclut le livre,
15:35c'est qu'il s'agit de justice démocratique, en fait, c'est-à-dire que dans un pays où
15:39on nous dit 50 fois ou 100 fois par jour qu'on est dans une république, qu'il faut faire
15:46partie de l'arc républicain, voilà, républicain, républicain, c'est un truc qu'on nous
15:51resserre tout le temps, nous, on insiste sur la nécessité de la démocratie.
15:55Et la démocratie, effectivement, ça veut dire que traiter des personnes, je vous la
16:01fais très, très simplifiée, très, très rapide, traiter des personnes qui s'appellent
16:04Mohamed et qui s'appellent Samira et qui détestent tout autant les terroristes que
16:09des personnes qui ne seraient pas issues d'immigration postcoloniale, traiter ces personnes-là de
16:13la même manière que des personnes qui ne seraient pas issues d'immigration postcoloniale,
16:16c'est une question de justice démocratique.
16:18Et ça, c'est fondamental.
16:19Ce n'est pas qu'une histoire de rationalité économique, c'est une question de justice
16:23démocratique.
16:24Et je terminerai sur le coup sociétal en disant qu'un certain nombre des personnes
16:27à qui on a parlé s'investissent dans des associations, dans des associations qui promeuvent
16:35le vivre ensemble, pour utiliser l'expression consacrée, mais qui le font à Londres, à
16:40Birmingham, à New York ou à Toronto.
16:42Et ces personnes-là, en fait, auraient pu servir de ciment social, justement, à travers
16:46leur investissement associatif dans des quartiers populaires en France, par exemple.
16:50Et ces personnes ont fui des quartiers populaires et la France pour vivre sereinement leur identité
16:56religieuse à l'étranger.
16:57Alors, il ne s'agit pas de… Je ne vais pas vous mentir, ce n'est pas tout le monde
17:01qui s'investit dans des associations, mais le fait est qu'il y a aussi un coup sociétal
17:07à ces départs que l'on croit massifs de la France.
17:10Donc, on pourrait perdre finalement des figures qui pourraient servir d'exemple.
17:13Tout à fait.
17:14C'est ça.
17:15C'est exactement ça.
17:16Donc, finalement, ce ne sont pas des données qui sont objectivables au même titre que
17:21le coût économique des discriminations, mais ça doit faire partie du débat.
17:25Et une fois la décision prise de partir, quelles sont les destinations privilégiées
17:32et pourquoi ? Est-ce que l'herbe est nécessairement plus verte ou au moins plus accueillante ailleurs
17:39?
17:40Alors, les destinations principales, donc, il y a le Royaume-Uni qui coche un peu toutes
17:45les cases, comme je le dis à chaque fois, notamment effectivement la case de la proximité
17:49géographique, puisque l'écrasante majorité des personnes à qui on a parlé demeurent
17:53très, très proches de leur famille.
17:55Donc, on a envie de voir leur famille, ce qui est beaucoup plus facile quand on habite
17:57à Londres que quand on habite à Toronto ou Vancouver, de l'autre côté sur la côte
18:02pacifique du Canada.
18:03Donc, deuxième destination, effectivement, le Canada, comme je viens de le dire.
18:07Et ensuite, on a les pays du Golfe, principalement Dubai, mais pas seulement.
18:11Alors, est-ce que l'herbe est plus verte ailleurs ?
18:17Il y a deux éléments à prendre en compte.
18:19Le fait qu'être musulman dans des pays, effectivement, comme le Royaume-Uni ou le
18:27Canada, c'est finalement relativement banal, nonobstant l'existence d'une islamophobie
18:32dans ces pays-là.
18:33Ça, on le montre dans le bouquin à travers la banalité des salles de prière, sur toutes
18:40sortes de lieux de travail, à la fois des bureaux coûtus d'assurance ou de banque
18:46dans la City de Londres, ou alors à New York, ou alors à Chicago, ou à Toronto, bref,
18:52ou alors dans des usines, dans des usines en Grande-Bretagne, effectivement, des salles
18:56de prière, c'est un truc banal.
18:57Et d'ailleurs, lors de visites d'usines ou de bureaux, souvent, les personnes à
19:02qui on a parlé ont été, à proprement parler, abasourdis par la banalité de ce type de
19:08pratique.
19:09Par exemple, si on vous fait visiter votre lieu de travail, on vous dit, ah bah là,
19:12si tu veux prier, c'est là, pas de problème et tout, bon.
19:14Donc ça, c'est un truc qui est vraiment objectif et qui montre le hiatus qui peut
19:18exister entre, d'une part, la France et puis, d'autre part, les pays que je mentionne
19:21qui, pour l'écrasant de majorité d'entre eux, ne sont pas des pays à majorité musulmane.
19:26Ensuite, l'autre élément qui est aussi important, c'est le fait que lorsque ces
19:31personnes-là arrivent, voilà, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Luxembourg, alors je fais
19:39l'exprès de prendre des pays qui sont presque limitrophes de la France, elles cessent
19:43d'être vues comme arabes ou elles cessent d'être vues comme musulmanes.
19:45Ça, c'est vraiment un truc qui est central, c'est-à-dire qu'on parle par exemple
19:49à un type qui s'appelle Wassim, enfin c'est son pseudo, Wassim, qui est ingénieur
19:52aéronautique à Vienne, en Autriche, et qui nous dit, Vienne, c'est une ville très
19:58multiculturelle en Autriche, moi, je ne suis pas dans un petit village au fin fond du Tirole,
20:03et Vienne, c'est une ville progressiste et surtout, ici, en Autriche, de manière
20:07générale, l'Autriche n'a jamais eu de garde d'Algérie.
20:09Donc moi, je cesse d'être vu comme l'arabe dysfonctionnel, je cesse d'être vu comme
20:15un musulman, je suis vu comme un français.
20:17Alors l'autre élément, je ne vais pas vous la refaire parce que je l'ai fait avec
20:20pas mal de médias, mais les personnes à qui on a parlé sont donc françaises, ont
20:27été socialisées, sont nées et ont grandi en France, et donc lorsqu'elles parlent
20:32anglais, souvent elles ont un accent français en fait.
20:34Donc cet accent français qui consiste à dire « the » plutôt que « the », par
20:38exemple, c'est quelque chose qu'on va entendre chez des personnes qui vont s'appeler
20:42Marie-Charlotte, Charles-Edouard, ou alors Mohamed et Samira.
20:45Et donc ça, vraiment, à New York, à Toronto et tout, c'est fondamental.
20:49C'est vrai également de pays francophones.
20:50Alors si vous allez à Montréal, moi, il se trouve que c'est une ville que je connais
20:54bien maintenant, Montréal, mais si vous allez aussi à Bruxelles ou si vous allez à Genève,
20:59en fait, vous allez parler français avec votre accent français, vous allez être automatiquement
21:03identifié comme français et vous allez cesser d'être vu comme l'arabe ou le musulman.
21:09Et ça, c'est fondamental et ça empêche presque, si vous voulez, une comparaison du
21:14degré d'islamophobie dans les différents pays qui sont ici en débat, à savoir d'une
21:19part la France et puis d'autre part, les pays de résidence des personnes à qui on
21:22a parlé.
21:23Nous sommes sur 4Change, donc avec un public essentiellement corporate, avec probablement
21:28des RH qui nous regardent.
21:31À quoi doit-on être vigilant selon vous ? Quelles sont les bonnes pratiques qui peuvent
21:39servir de source d'inspiration pour que les entreprises jouent et assument leurs responsabilités
21:45sociétales jusqu'au bout ?
21:46Alors, l'idée, c'est que je n'ai pas joué les donneurs de leçons, mais simplement,
21:52ce n'est pas mon rôle.
21:53L'idée, c'est qu'on croit à tort, en fait, que plus on est diplômé, moins on
21:59est discriminé.
22:00En fait, l'enquête trajectoire et origine de l'INSEE et l'INED montrent le contraire.
22:03C'est-à-dire que si vous avez Bac-12 et que vous construisez des routes, si vous appelez
22:09Mohamed, ce n'est pas un problème, parce qu'en fait, vous êtes quasiment la seule
22:12personne qui va vouloir faire ce type d'emploi, construire des routes.
22:15Par contre, si vous avez Bac-6 ou Bac-7 et que vous vous appelez Mohamed, vous êtes
22:20passé par une fac publique, parce que l'écrasante majorité des personnes à qui on a parlé,
22:24ce n'est pas les gens de la Macronie, start-up, qui ont fait des écoles privées ou des classes
22:28prépa privées.
22:29Beaucoup, beaucoup d'entre ces personnes sont passées par des structures publiques.
22:32Donc, si vous vous appelez Mohamed, que vous vous êtes passé par une fac publique et
22:36qu'après, vous avez, je ne sais pas moi, rejoint une école d'ingénieurs publique
22:41et que vous entrez en compétition avec, je ne sais pas moi, quelqu'un qui a un nom
22:45à consonance très, très franco-française, voire aristocratique, qui est passé par le
22:49privé, à l'image d'un certain nombre de grandes figures, par exemple, de la Macronie,
22:54fatalement, vous allez passer après.
22:55Et ce qu'ont compris un certain nombre d'entreprises de pays anglophones, c'est que précisément
23:01si vous vous appelez Mohamed et que vous êtes pris dans une grosse boîte, vous allez avoir
23:06beaucoup plus envie de vous défoncer pour votre boîte que si, effectivement, vous êtes
23:10issu d'un milieu de la haute bourgeoisie française pour laquelle, finalement, avoir
23:16un emploi très rémunérateur dans une grosse banque ou dans une grosse compagnie d'assurance,
23:21ça va être un truc, finalement, relativement normal.
23:22Ce que vous dites dans le livre, c'est que ces profils-là sont finalement des gens avec
23:27une idéologie plutôt libérale et avec une forte volonté d'ascension sociale.
23:31Oui, tout à fait.
23:32Alors bon, il se trouve que dans l'équipe, on est trois co-auteurs du bouquin, mais l'équipe
23:37est plus fournie.
23:39Nous, ce n'est pas notre positionnement politique, de manière générale, mais on
23:44a parlé à des gens qui, pour l'écrasant majorité d'entre eux, ont un positionnement
23:48néolibéral.
23:49Ils sont assez néolibéral.
23:50Ils vont dire, par exemple, de Londres ou de New York, ils vont dire, voilà, ici, c'est
23:52la can-do culture.
23:53Ici, c'est vraiment, personne ne va vous aider, vous êtes là pour vous en sortir
23:59vous-même.
24:00En fait, ce sont des personnes qui s'identifient à ce type de mentalité ou d'idéologie
24:05et qui disent d'ailleurs souvent mes parents ou des gens dans mon entourage ont voté Macron
24:15en 2017 et ont été très déçus d'Emmanuel Macron, précisément pour des raisons liées
24:19à la non prise en compte des enjeux de discrimination, contrairement à un certain nombre de déclarations
24:24et de promesses qui avaient été faites par Macron avant 2017 et qui disent en plus maintenant,
24:28voilà, en 2022, on a voté Mélenchon, en fait, et ce qui est assez ahurissant, c'est
24:35que Mélenchon, enfin, en termes d'idéologie économique, en termes de positionnement effectivement
24:41économique, ces personnes-là, pour l'écrasant de majorité d'entre elles, sont à des années
24:45lumières de Mélenchon, mais disent, voilà, on a voté Mélenchon parce qu'il se trouve
24:48que c'est le seul qui ne crache pas sur les musulmans.
24:50Alors, moi, je me souviens, j'aurais dû revérifier ça avant l'entretien, mais je
24:54me souviens qu'il y a au moins une vingtaine d'années, Djamal Debbouze avait dit, voilà,
24:57le vrai changement, ce sera en fait quand des arabes voteront à droite.
25:02Et bon, alors, bien évidemment, il y a des arabes qui votent à droite, mais ce qui
25:05l'intéresse, c'est que le paradoxe de personnes qui ont un positionnement souvent
25:12résolument néolibéral et qui votent Mélenchon précisément parce que ce n'est pas le
25:16seul à taper sur les musulmans, précisément parce que c'est le seul à ne pas taper
25:20sur les musulmans.
25:21Effectivement, c'est aussi un truc qui doit nous interroger collectivement.
25:23Olivier, je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à notre invitation.
25:27Donc, La France, tu l'aimes, mais tu la quittes.
25:30Le livre est publié aux éditions du Seuil et disponible en librairie.
25:33Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de Période d'essai.