Le 15 Avril 2019, la flèche de Notre-Dame de Paris s'effondrait pendant que la charpente s'embrasait. Qu'est-ce qui est parti en fumée ce soir-là ? Nos illusions ? Nos arrogances ? Rien qu'une structure de bois et de plomb ? Sylvain Tesson vient nous parler de sa nouvelle pièce tirée de son dernier livre "Notre Dame, reine de douleur, reine de victoire".
Regardez L'invité de 9h40 avec Céline Landreau et Thomas Sotto du 06 décembre 2024.
Regardez L'invité de 9h40 avec Céline Landreau et Thomas Sotto du 06 décembre 2024.
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00:00L'invité du 9-10.
00:02Un grave incendie est en train de ravager la cathédrale Notre-Dame de Paris.
00:07Le feu est en train de gagner le devant de la cathédrale.
00:09C'est terrible ces images qu'on est en train de voir.
00:11Les touristes, les parisiens, des centaines assistent à ce triste spectacle et certains sont en pleurs.
00:17C'était le 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris ravagée par les flammes.
00:22Et à l'occasion de sa réouverture ce week-end, nous recevons l'écrivain Sylvain Tesson
00:26qui publie un recueil Notre-Dame de Paris aux reines de douleur, aux reines de victoire.
00:31C'est aux éditions Équateur.
00:33Bonjour Sylvain Tesson.
00:34Bonjour.
00:35Bienvenue.
00:36Vos textes sur Notre-Dame, on peut d'ailleurs aussi les découvrir au théâtre de Poche à Paris.
00:42Ce sera jusqu'au 31 janvier 2025.
00:45On vient d'écouter des extraits de l'antenne d'RTL ce jour d'avril 2019.
00:50Vous vous souvenez, vous, de cette nuit si particulière ?
00:53Comment vous l'avez vécue ?
00:54Tout le monde s'en souvient parce que c'est un événement qui a tellement transpercé
00:57les cœurs, les esprits et parfois les âmes d'ailleurs pour ceux qui en sont dotés
01:02qu'on ne peut pas l'avoir oublié.
01:06Chacun y a vu quelque chose.
01:07Les croyants ont pensé que c'était une espèce de préfiguration de l'apocalypse.
01:12Les matérialistes se sont dit que c'est l'effet d'une cause.
01:15La cause c'est le court-circuit, l'effet c'est l'incendie.
01:17Et puis ceux qui cherchent des symboles dans les événements
01:21et qui essayent de voir des approfondissements dans les grandes catastrophes que nous traversons
01:25par exemple les gens comme moi, y ont vu peut-être la sommation que nous donnait la cathédrale
01:33qu'elle donnait à notre époque, à notre période, de se calmer, d'être moins en extase
01:38devant la technique et avant de vouloir aller sur Mars et d'augmenter l'homme
01:42d'essayer de conserver les charpentes du XIIe siècle.
01:45Donc vous y voyez une sorte d'appel à la sagesse vous ?
01:47On peut y voir ça.
01:49Moi je crois que c'est intéressant d'essayer de voir des symboles dans les événements
01:53parce que sinon on regarde la vie comme une sorte d'enchaînement extrêmement technocratique
01:57et froid d'événements.
01:59Mais vous vous souvenez vous, où vous étiez au moment où vous l'avez appris,
02:02ce que vous vous êtes dit, votre première réaction ?
02:04Précisément, j'étais à Val d'Isère dans un festival d'alpinisme
02:08en train de regarder un film sur le tremblement de terre de Katmandou
02:11qui a lieu en 2016 et qui a rasé littéralement le Népal.
02:15Et on était en train de se dire avec Eric Valli, l'ethnologue, photographe
02:19qui avait réalisé ce film, que nous étions rentrés dans le temps des catastrophes.
02:23Soudain, nous apprenons que la cathédrale brûle
02:26et nous comprenons que nous avions raison de penser que l'histoire
02:29devenait à cause de son accélération, de la massification des phénomènes humains
02:33à la surface de la planète, une suite d'accidents et de catastrophes
02:37comme le pensait le philosophe Paul Virilio.
02:41Aude Rossigneux, vous vous rappelez vous où vous étiez ?
02:44Oui, j'étais chez moi et j'ai vu un truc sur Twitter
02:48et je me suis dit, et je n'y ai pas cru
02:52parce que je me suis dit, c'est un montage, c'est une fake news, etc.
02:55Et puis j'ai vu qu'il y avait d'autres personnes qui le disaient
02:57et puis des personnes globalement dignes de confiance.
03:00Et à ce moment-là, j'ai allumé la télévision et j'ai vu que ça existait vraiment.
03:03Mais pour le moment, ma première réaction, c'était l'incrédulité absolue.
03:06Qu'est-ce qui est parti en fumée ce soir-là ?
03:10Ce qui est parti en fumée, c'est peut-être...
03:14J'oserais espérer que c'est une forme d'arrogance de l'époque
03:20qui est tellement contente d'elle...
03:22Tout n'a pas brûlé, visiblement.
03:24Non, bien sûr que non, parce que la preuve, c'est qu'aujourd'hui,
03:28il faut se réjouir beaucoup de l'extraordinaire réussite du chantier
03:32qui, en cinq ans, a permis la restitution de cette flèche dans le ciel
03:35et la reconstruction de la charpente à l'identique.
03:38L'identique, c'était quand même la moindre des politesses
03:41que l'époque, précisément, pouvait adresser au temps.
03:44Tout ça prouve qu'il y a eu un ressaisissement magnifique
03:47avec une sorte d'énergie, de cotisation, des compétences, des ardeurs,
03:51des savoirs, des reviviscences, des vieilles pratiques, des compagnons
03:55qui ont été manifestés par vie à l'intérieur de la cathédrale de Notre-Dame
04:00et qui nous permettent aujourd'hui de revenir
04:02dans le très beau volume de la cathédrale rendue à elle-même
04:06et rendue à son principe d'élévation et de lumière.
04:09Sylvain Tesson, vous écrivez page 37,
04:11l'anonymat va bien aux cathédrales,
04:13aucune signature ne s'associe à leur édification,
04:15personne n'a honoré, pas de souvenirs à célébrer.
04:18On serait incapable de citer dix artisans qui ont élevé Notre-Dame.
04:22La communication de l'Elysée qui tente quand même d'imposer
04:26une signature Macron, aujourd'hui, sur Notre-Dame,
04:29qu'est-ce que ça provoque comme réaction chez vous ?
04:31Ça vous agace ?
04:32Non mais écoutez, c'est de bonne guerre.
04:34C'est-à-dire qu'un président de la République
04:36qui n'a pas beaucoup de raisons de se réjouir,
04:38je ne sais pas si vous lisez la presse...
04:40Vaguement, vaguement, de temps en temps.
04:42On peut le comprendre, si vous voulez, il y a un moment...
04:46Il faut aussi reconnaître que le temporel,
04:49puisque c'est comme ça qu'on appelle ce qui n'appartient pas
04:51à l'ordre du spirituel, le temporel a vu dans Notre-Dame
04:55quelque chose qui manque un peu aux politiques,
04:57c'est-à-dire la capacité de transformer un vœu en réalisation.
05:02Il faut quand même comprendre ce que c'est
05:04dans l'esprit d'un édile politique de la Vème République finissante,
05:07de voir tout à coup un souhait, une décision
05:10qui devient une réalité en cinq ans,
05:12de manière absolument verticale.
05:14Ça, c'est la grâce du triumvirat génial
05:17de Georges Leun, Villeneuve et Jost,
05:19qui étaient les trois forces motrices
05:22de ce chantier et de ce projet, qui ont réussi.
05:25C'est quand même assez magnifique.
05:26On peut comprendre que le temporel soudain se dise
05:28« Ah tiens, ça marche ! »
05:30J'espère peut-être que les édiles vont s'inspirer de cette idée
05:33que quand on dit aux gens « faites quelque chose
05:35qui est plus grand que vous », ça marche.
05:37C'est un peu ce qu'a dit Emmanuel Macron hier soir à la télévision, finalement.
05:40Oui, tant mieux !
05:42Ça prouve bien que cet incendie a provoqué quelques enseignements.
05:45Vous avez cité le général Georges Leun,
05:47qui malheureusement ne sera pas là pour voir le fruit du travail
05:50qu'il a mené, du chef d'équipe qu'il a été,
05:51parce qu'évidemment un chef d'orchestre sans orchestre ne fait rien.
05:54Je voudrais revenir sur la couverture de ce livre,
05:56Sylvain Tesson, Notre-Dame de Paris.
05:58Il y a une banderole « La poésie vous menace, succombez ».
06:02Je me suis demandé, moi, si ça a été rajouté par Photoshop dessus
06:06ou si vous, qui l'avez escaladé déjà à la cathédrale Notre-Dame,
06:09vous êtes vraiment allé poser cette...
06:11Non, Thomas Soto, ne prononcez pas de gros mots.
06:14Pas de Photoshop.
06:16C'est une banderole qui, en 1986, a été installée
06:21sur le parvis au-dessus de la rosace
06:23par ce qu'on appelle des situationnistes,
06:26qui étaient ces jeunes étudiants des Beaux-Arts,
06:28inspirés par le philosophe Guy Debord,
06:30qui essayaient de placer dans la société marchande,
06:34technique, politique et méchante,
06:37des espèces de gestes de poésie.
06:39Ils voyaient une rébellion, une rébellion douce,
06:42une rébellion sans violence, mais une rébellion vraie,
06:45dans ce genre d'action.
06:47Alors, les escaladeurs de cathédrales qui allaient,
06:52moi j'ai fait ça dans les années 80, il y a très longtemps.
06:54Vous en faisiez partie, Sylvain Tesson,
06:56vous l'avez montée, Notre-Dame.
06:57Oui, oui, c'était de la potacherie d'étudiants,
07:00je faisais ça quand j'avais 15 ans ou 16 ans,
07:03jusqu'en haut des flèches.
07:04Jusqu'en haut des flèches ?
07:06Jusqu'en haut des flèches, de tout le gothique de l'Europe.
07:09Vos proches ne devaient pas avoir un poil de sec !
07:11Quel enfer ! Je ne veux pas que les enfants fassent ça.
07:13De tout le gothique de l'Île-de-France, de l'Angleterre et de l'Europe,
07:17je grimpais, fidèle au principe d'élévation gothique,
07:20puisque qu'est-ce que c'est que l'architecture gothique ?
07:22C'est une tectonique de compression des forces
07:24qui permet de monter très haut des poids dans le ciel grâce à l'arc ogival,
07:29donc c'est une invitation à l'alpinisme.
07:31C'est une manière de pratiquer, d'une certaine manière.
07:33J'allais à l'église, la nuit, par les voies de chaque gouttière,
07:36dans une vénération de l'architecture,
07:38évidemment sans aucun vandalisme ni aucune effraction.
07:43C'était une forme de reviviscence de ce qui se passait
07:46dans la cour des miracles de Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris,
07:49qui était un peuple de saltimbanques, d'acrobates, de jongleurs
07:53et de quasi-modos qui grimpaient les gargouilles.
07:55Vous avez raison de citer Victor Hugo,
07:56parce qu'on ne l'a pas assez cité, je trouve,
07:58dans le cadre de toute cette renaissance de Notre-Dame.
08:00Je voudrais juste donner la parole un tout petit instant à Louis Baudin,
08:02parce qu'il vous regarde, il boit vos paroles depuis tout à l'heure.
08:04Les yeux qui brillent.
08:05Oui.
08:06Non, mais on peut ajouter le temps long aussi.
08:08Moi je trouve que la cathédrale, c'est l'occasion de rappeler
08:10que les bâtisseurs de cathédrales,
08:12alors là c'est vrai qu'on l'a rénovée en très peu de temps finalement,
08:15grâce à la technologie, au savoir et à notre histoire.
08:19Mais rappelez que les bâtisseurs de cathédrales, tout au début,
08:21ceux qui commençaient le chantier,
08:23savaient qu'ils ne verraient pas la fin de cette cathédrale.
08:25Et je trouve que réapprendre le temps long,
08:27c'est aussi une belle leçon aujourd'hui,
08:29où on veut tout, tout de suite.
08:30Et je crois qu'il faut réapprendre la patience
08:32et apprécier les choses.
08:33D'ailleurs l'expression « on ne va pas attendre 107 ans »
08:35est liée à la construction de la cathédrale de Notre-Dame de Paris.
08:37Ah oui ?
08:38C'est le temps de construction.
08:39On apprend plein de choses.
08:40C'est-à-dire que les politiques,
08:42quand ils sont arrivés sur les ruines,
08:44étaient encore fumantes,
08:45qu'ils se sont dit « bon, maintenant,
08:47il va s'agir de mettre l'éternité
08:49dans l'intervalle du quinquennat ».