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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 11 décembre 2024 : le comédien et réalisateur Louis Garrel. Il est à l'affiche du film "Saint-Ex" de Pablo Agüero aux côtés de Diane Kruger et Vincent Cassel.
Transcription
00:00Bonjour, Louis Guerrelle.
00:01Bonjour.
00:02À cinq ans déjà, vous apparaissiez dans les films de votre père, réalisateur.
00:04Vos deux parents étaient réalisateurs.
00:06On peut dire que vous êtes un enfant de la balle, tombé dans la marmite du
00:09septième art très jeune.
00:10C'est le film de Bernardo Bertolucci, Innocent, The Dreamer, qui vous a fait
00:14connaître au grand public. C'était il y a 20 ans.
00:16Six fois, vous avez été nommé César.
00:18Vous en avez obtenu deux. Le premier, celui du meilleur espoir masculin, pour
00:21votre interprétation de François Dervieux dans Les Amants Réguliers,
00:25réalisé par votre père. Le deuxième, en tant que scénariste, avec le meilleur
00:29scénario original pour L'Innocent, que vous avez vous-même réalisé en 2023.
00:32Aujourd'hui, vous êtes à l'affiche, aux côtés de Diane Kruger et Vincent
00:34Cassel, du film Saint-Ex, de Pablo Aguero.
00:38Nous sommes en 1930, au moment où Antoine de Saint-Exupéry est pilote de
00:42l'aéropostale en Argentine, tout comme son meilleur ami Henri Guillemet.
00:46Ce dernier va un jour disparaître dans la cordillère des Andes et Saint-Ex
00:50va décider de partir à sa recherche.
00:52Le parti pris du film, c'est le rêve.
00:54C'est pour ça que c'est un côté très particulier, c'est-à-dire qu'on est
00:57vraiment dans le conte, on est dans la rêverie, on est dans ce moment un peu
01:00suspendu, un peu dans l'imaginaire.
01:02Est-ce que c'est ça qui vous a donné envie d'y aller ?
01:04Oui, et aussi parce que le metteur en scène argentin, qui s'appelle Pablo
01:07Aguero, est argentin lui-même.
01:08Et je me suis dit, c'est bien que ce ne soit pas un Français qui fasse un film
01:10sur Saint-Exupéry. Il y avait deux choses.
01:12Il y a d'abord que lui est assez rêveur, je dois dire, le metteur en scène.
01:15Donc, il a voulu, j'ai tout de suite vu qu'il allait prendre juste une partie
01:19qui l'intéressait, c'est-à-dire la partie de la Patagonie où Saint-Exupéry
01:22est chef d'escale de l'aéropostale et qu'il est aussi pilote avec, comme vous
01:25l'avez dit, Henri Guillaumet, qui est son idole absolu.
01:28Et donc, le film, oui, il navigue entre les nuages et la terre.
01:31Il est un peu au-dessus du sol, le film, et c'est ça qui me plaisait
01:35dedans, le projet. Après, ça a été très particulier à faire parce que lui est
01:38allé en Patagonie pendant six semaines récupérer des images à couper le
01:41souffle qui sont au-dessus de l'Everest, enfin, au-dessus de la cordillère des
01:44Andes, pas de l'Everest, et dans les déserts, dans les déserts qui soient à la
01:48voie de sable ou de neige.
01:49Il a tout ramené à Paris et moi, j'ai été dans des studios pendant huit ou
01:53neuf semaines, dans des avions qui étaient montés sur des pneumatiques et je
01:56devais faire semblant de voir ce que lui avait vraiment vu.
01:58Donc, il y avait déjà une partie, une partie rêvée durant le tournage.
02:02Vous avez beaucoup contribué, vous aussi, à créer ce personnage de Saint-Exupéry
02:05avec lui.
02:06Ce qui est intéressant, c'est que Saint-Exupéry, on ne connaît pas bien, on n'a pas
02:09beaucoup d'images en tête de lui.
02:10Donc, assez rapidement, le metteur en scène m'a dit je ne veux pas que tu lui
02:12ressembles, je veux qu'on essaie de trouver son esprit, son état d'esprit.
02:15C'est un type quand même très bizarre qui est à la fois d'une grande famille
02:18française, qui admire des gens qui ne sont pas du tout du même milieu social que
02:21lui, qui sont Guillaumet et Mermoz, qui sont des grands pilotes.
02:25Et depuis qu'il a douze ans, il veut voler.
02:27Il a commencé déjà dans sa petite cabane avec son petit frère à bricoler des
02:31trucs. Il a attaché des voiles à ses vélos en espérant que le vélo décolle.
02:34Ils n'ont jamais décollé.
02:35On le voit ça dans le film.
02:36On le voit dans le film, c'est une anecdote qui est tout à fait réelle.
02:39Et ensuite, il a passé son temps à se dire je veux voler, je veux voler jusqu'à
02:42y arriver. Et ensuite, il a passé sa vie.
02:44Dans les airs. Et même, je pense, ma théorie à moi, c'est qu'il a écrit pour
02:47prolonger ses impressions de vol.
02:49Je pense que toute sa vie a été organisée autour de l'aviation.
02:52Synthèque Juppéry, effectivement, on remonte jusqu'à ses douze ans pour
02:57comprendre à quel moment il a eu envie de s'envoler, de vivre de ça, de devenir
03:01pilote, puis aventurier, puis journaliste, parce qu'après, il a quand même
03:03combattu le fascisme. Et cette période qui est traitée, là, justement, c'est la
03:07période charnière où après, il va décider de partir et de faire d'autres choses.
03:12Le théâtre, vous, ce métier d'acteur est arrivé très tôt,
03:18mais c'est venu vraiment de vous, finalement, Louis.
03:21Vos parents étaient là, mais c'est vraiment une envie que vous aviez.
03:23À aucun moment, vous avez eu envie de faire autre chose ou vous avez été blasé
03:26par le fait d'avoir démarré trop tôt.
03:28J'ai un peu honte de ne pas avoir fait autre chose que ce que faisait mon
03:31grand-père, parce qu'au fond, c'est quand même, et ma mère aussi, que j'ai vu sur
03:34les planches. Mais c'est vrai que quand j'ai vu mon grand-père à 12 ans, qui
03:37jouait le Visiteur, une pièce d'Eric Emmanuel Schmitt, où il jouait Freud, qui
03:40était visité par le diable. Et je me disais, j'allais le voir souvent au même
03:43théâtre. J'y suis allé plusieurs fois à le voir et je le voyais à la fois, c'était
03:45lui, puis ce n'était pas lui. Et c'était à la fois sa manière de parler, mais
03:48ce n'était pas ses mots. Il les avait appris.
03:50Je me disais, quelqu'un d'autre les a écrits et lui fait semblant que ce soit les
03:53siens. Il y avait un truc qui me passionnait.
03:56Donc, oui, j'ai un peu honte de ne pas avoir été chirurgien cardiaque, parce
04:00qu'au fond, je pense que c'est un des plus beaux métiers du monde.
04:02De quoi ?
04:03Non, mais chirurgien cardiaque, parce que ça, c'est des vrais métiers au sens de...
04:11Mais oui, donc, c'est beaucoup mon grand-père qui m'a fasciné quand même,
04:15quand j'étais enfant, dont la vie me fascinait.
04:18Et après, c'est le théâtre, surtout, que je voulais intégrer, moi.
04:20C'est à dire que le théâtre et le cinéma vous permettent aussi de vous évader,
04:24d'avoir d'autres vies, justement.
04:27Oui, c'est à la fois, ça, on peut dire d'une certaine manière qu'on, en tout cas,
04:30s'est traversé d'autres vies.
04:31Là, j'ai rencontré dans le hall de la maison de la radio, le coiffeur qui a
04:35travaillé sur Louis XIII, sur Les Trois Mousquetaires et qui m'a aidé à faire la
04:38coiffeur de Louis XIII. Je lui ai dit, écoute, on parle de Louis XIII comme s'il
04:41existait. Enfin, d'ailleurs, c'est débile, puisqu'il existait vraiment, mais du
04:44personnage des Trois Mousquetaires comme s'il existait.
04:46Et le plaisir de plus en plus maintenant, c'est de se dire, on va faire quelqu'un,
04:50on va faire exister quelqu'un qui est un personnage qui est à la fois un peu moi,
04:53mais pas vraiment moi, puisqu'il a été écrit, mais pas vraiment.
04:56Et donc, il y a une espèce de nouvelle créature qu'on fait advenir, auquel on
05:00espère que les gens vont s'attacher, être aimés par lui ou se reconnaître ou
05:04comprendre des choses. Et donc, c'est à la fois une rêverie, mais pas
05:08totalement. C'est aussi fait pour raconter le monde, que ce soit le théâtre ou le
05:11cinéma et pour qu'on se remette un peu à la place.
05:13Pardonnez-moi encore de la comparaison avec la religion ou l'église, en tout cas,
05:16le moment de... Mais il y a une espèce de réassurance métaphysique quand on va à
05:22l'église, je pense pour les gens qui ont la foi.
05:24C'est pareil quand on va au théâtre.
05:26On retrouve d'une certaine manière sa place au sein de l'univers.
05:30Je ne sais pas. Parfois, on est un peu perdu, on ne sait plus.
05:31On habite dans des... On vit dans des mondes qui... On est en ce moment un peu au bord
05:35de l'abîme avec la Russie et il est bon, parfois, de se rappeler pourquoi est-ce qu'on
05:41ne se ferait pas la guerre ? Pourquoi est-ce que ce serait quand même mieux de se faire
05:44la paix ? Il y avait une très belle phrase, d'ailleurs, de Jean Renoir ou de
05:48Rossellini, je ne sais plus qui disait le cinéma, ça montre, ça sert à montrer aux
05:52hommes que le monde est plein d'amis et pas plein d'ennemis.
05:56Dans un texte, alors que vous êtes derrière l'écran, le grand écran, on
06:02comprend, en tout cas, on ressent quelque chose de très fort, comparé à tous les
06:06autres films que vous avez pu faire, c'est qu'en tout cas, ce rôle-là, la vie de
06:10Saint-Exupéry, va avoir un impact sur votre propre vie, sur l'imaginaire, sur
06:15comment vous voyez le monde, sur cette envie d'alléger, peut-être, certains
06:18moments.
06:19Après, la vie de Saint-Exupéry, elle est quand même très... Il est mort presque à
06:22mon âge, à deux ou trois ans près. Il est mort à 44 ans.
06:25Il a une vie qui est dix mille fois plus remplie que la mienne.
06:28Moi, quand j'interprète d'Antoine de Saint-Exupéry, quand je sais qu'il a commencé
06:30à Paris, qu'ensuite il était à Cap-Juby, chef de l'aéropostale là-bas, puis
06:34ensuite en Patagonie, puis ensuite à New-York pour aller écrire, parce qu'il a
06:38été célébré. Il était déjà un peu très célèbre, même en tant qu'écrivain
06:41français. Et ensuite, à New-York, pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il
06:45avait de son éditeur une rente, de l'argent, un confort, un appartement, il
06:50entend que Guillaumet se fait tuer pendant la guerre.
06:53Il dit je ne peux pas. Et même s'il est plus âgé, même s'il est trop âgé pour
06:55conduire un avion, il dit je veux un avion, pas pour larguer des bombes, mais je
06:58veux pouvoir faire de la reconnaissance militaire et instruire l'armée française
07:03de l'avancée allemande. Et il se fait tuer par un... On l'a retrouvé il y a 20
07:06ans, c'est à Gourmet, au large de Marseille. Donc, d'une certaine manière,
07:09quand on dit c'est la rêverie, c'est quand même une vie d'action. C'est un peu
07:12comme les... Et ses écrits sont extraordinaires. Vol de nuit ou Terre des
07:16Hommes, par exemple. Mais c'est comme Joseph Kessel. Voyez, on se dit c'est des
07:19gens qui ne sont pas restés chez eux pour écrire, qui ont vraiment voyagé, ou
07:23Jack London. Donc, ils ont...
07:25Ils ont eu envie de transmettre aussi.
07:27Et puis de connaître les hommes, tout simplement. Et puis d'aller à la rencontre
07:30des autres. C'est vrai que j'ai un peu peur du voyage, à la fois parce que c'est
07:33difficile de voyager sans passer par l'avion. On peut voyager en train, j'en ai
07:36fait parfois des traverses de l'Europe. Et quand on a peur de l'avion, on voyage
07:40moins. Mais j'ai un complexe vis-à-vis des gens qui voyagent, c'est-à-dire d'aller
07:43à la connaissance des autres cultures, des autres... Je ne sais pas, des autres
07:47êtres vivants qui vivent d'une manière complètement différente et qui ne pensent
07:50pas de la même manière que moi.
07:52Saint-Exupéry, ce qui ressort, c'est qu'il avait cette inconscience, il l'a eu
07:55toute sa vie, cette inconscience, cette forme d'inconscience.
07:59Il était à la fois très conscient, les yeux, les pieds sur terre, mais en même
08:01temps, il avait cette forme d'inconscience qui lui permettait de faire des choses
08:03incroyables. Il faut de l'inconscience dans la vie, Louis Garrel.
08:06Oui, oui, je pense. Après, c'est aussi vrai que ça correspond peut-être à
08:08l'époque, les folles années 20, comme on dit, juste avant que la
08:13Seconde Guerre mondiale monte. Il y a peut-être une espèce d'espoir ou peut-être
08:16une forme de jouissance du monde ou de l'existence qui fait qu'à un moment
08:18donné, la curiosité et la joie est plus forte que l'inconscience ou en tout
08:23cas que la prise de risque.
08:24Parce que c'est sûr que pour conduire les avions qui conduisaient à cette
08:27hauteur-là, à cette époque-là, il fallait être ou très, très joyeux et
08:31pas y penser, au risque, ou alors être un peu inconscient.
08:34Il y a plusieurs hypothèses. Ou alors, je pense, moi, que le plaisir, dans les
08:38années 30, de conduire un avion seul à 2000 mètres d'altitude alors que
08:42personne ne sait le faire et l'impression qu'on a d'être un oiseau, parce que
08:45c'est quand même ça l'idée de voler, je pense que c'est une drogue, à mon
08:48avis, qui est impossible à égaler avec autre chose.

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