"Tout est dans le sous-entendu, mais on ne dit pas, en fait : C'est un agresseur sexuel, ce médecin."
Violences sexistes et sexuelles, la parole se libère dans le monde médical. Les femmes, qu’elles soient médecins, infirmières ou stagiaires, y sont exposées dans l’exercice de leur métier. Il y a quelque années, ces femmes alertaient sur ces conditions sur Brut.
Violences sexistes et sexuelles, la parole se libère dans le monde médical. Les femmes, qu’elles soient médecins, infirmières ou stagiaires, y sont exposées dans l’exercice de leur métier. Il y a quelque années, ces femmes alertaient sur ces conditions sur Brut.
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00:00Ça va pas quoi, c'est n'importe quoi, comment ils nous parlent, comment ils nous appellent.
00:05Des fois c'est ça, il y en a même qui sifflent pour nous appeler.
00:10C'est facile de mettre une main aux fesses au bloc opératoire.
00:13Ta blouse elle est descendue et paf !
00:15On me demande, t'es toute nue sous ta blouse.
00:17On dit pas les termes quoi, c'est toujours, il a une réputation un peu sulfureuse,
00:23il aime bien les femmes, il fait des petits entretiens privés dans son bureau,
00:28tout est dans le sous-entendu mais on dit pas en fait, c'est un agression sexuelle ce médecin.
00:33Depuis plusieurs années, la parole des femmes s'est libérée,
00:35mais du coup je me suis demandé ce qu'il en était dans le milieu médical.
00:38Pendant plusieurs mois, j'ai interviewé des infirmières, des médecins,
00:41beaucoup d'entre elles m'ont confié leurs histoires sans me donner l'autorisation de les enregistrer.
00:45Rares ont été celles qui ont accepté d'être filmées à visage découvert.
00:48Alors j'étais en stage en neurologie et c'était un patient qui devait avoir une ponction lombaire.
00:53Donc une ponction lombaire, moi en tant que stagiaire,
00:57mon rôle c'était de le tenir pour avoir le dos bien courbé,
00:59pour que le médecin puisse être entre les vertèbres et que le patient ne bouge pas.
01:03Et donc en fait, je devais le tenir mais lui faire comme un câlin quoi.
01:07Et en fait, il en a profité pour me toucher les seins et me toucher les fesses aussi.
01:13Et donc sur le moment, c'est une ponction lombaire, faut vraiment pas que le patient bouge.
01:17Donc en fait, j'ai rien dit pour le bon déroulé du soin.
01:21Et quand le soin s'est fini, j'en ai parlé à l'équipe et ils m'ont demandé si j'avais aimé.
01:28Je rentre dans la chambre avec un médecin.
01:31Je suis encore plus jeune qu'aujourd'hui puisque je suis stagiaire.
01:35Et le médecin s'adresse au patient en disant,
01:37vous avez de la chance, vous êtes tombé sur une petite jeune, très jolie et tout.
01:41Elle va s'occuper de vous, voilà.
01:44En faisant des petites faciès et des petits regards un peu appuyés.
01:47Puis le patient qui s'y renchérit, ah bah super, c'est vrai qu'elle est bien mignonne, voilà.
01:53Là, on se dit, oulala, ça va être sympa.
01:56En plus, potentiellement, après, je pose une sonde urinaire à ce monsieur.
02:00C'est mon premier stage, j'ai 20 ans.
02:02Le radiologue, il a commencé à dire, ah ok, c'est super, t'es étudiant de ton médecine.
02:07Bon, alors à partir de maintenant, tu seras ma femme.
02:10Tu verras, on va faire des enfants, on va être hyper heureux et tout.
02:14Donc là, il faut bien s'imaginer qu'il a quelque chose comme 55, 60 ans.
02:17Évidemment, tout le monde rigole.
02:18Je ne suis plus étudiante en médecine, je n'ai plus de prénom.
02:22Je suis juste la future femme du chef de service.
02:26Et donc à ce moment-là, à chaque fois qu'il y a une nouvelle personne qui rentre dans la pièce,
02:29il me présente en disant, je te présente ma nouvelle femme.
02:31Au début, j'ai un peu rigolé et très vite, je me suis fermé et je ne disais plus rien.
02:35Et là, il y a un des internes qui m'a sorti de cette mouise
02:39sans pour autant dire haut et fort, je ne suis pas d'accord avec ce qui est en train de se passer.
02:43Il m'a dit, tiens, viens là, je vais t'expliquer la troubectome.
02:45Et en fait, ce qui m'a dégoûté à ce moment-là, c'est de me dire,
02:47si jamais j'avais été un homme, j'aurais eu accès au savoir médical.
02:51Mais puisque j'étais une fille à ce moment-là,
02:54j'ai été traité comme une fille et pas comme une étudiante en médecine.
02:58Tous mes collègues hommes ont pu être amenés à me donner des petits noms plaisants.
03:03Ça peut être ma chérie, ma belle.
03:05C'était plus genre Miss Tinguette et la Miss.
03:08Mon poussin, ma chérie, chouchou, ma poulette, ma bichette, ma belle.
03:14Ça arrive fréquemment, effectivement, que des collègues ou des supérieurs hiérarchiques hommes
03:20se permettent d'avoir une proximité physique et des gestes appuyés,
03:24même si ce n'est pas forcément un caractère sexuel.
03:27C'est facile de mettre une main aux fesses au bloc opératoire, oui.
03:30Pourquoi c'est facile ?
03:31Parce qu'on est tous collés les uns aux autres.
03:34Et puis, tiens, ta blouse est descendue et paf !
03:39J'ai déjà eu un chirurgien qui posait la même question.
03:41Est-ce que c'est bon au lit avec toi ?
03:43Est-ce que toi, tu sais faire du bien à un homme ?
03:45Il posait ça pendant le bloc.
03:48Soit t'as 21 ans, 20 ans, tu ne sais pas trop quoi répondre,
03:51t'es un peu impressionné, t'as peur qu'on t'invalide ton stage.
03:54Moi, en chirurgie digestive, j'ai eu un chirurgien qui a palpé les seins d'une patiente
04:00alors qu'elle était endormie et qu'il n'y avait aucune indication d'aller lui palper les seins,
04:05juste pour dire qu'elle avait de beaux seins et que c'était joli et que c'était sympa.
04:08En chirurgie gynécologique, on m'a proposé de faire des touchés vaginaux à des patientes
04:14qui étaient sous anesthésie générale alors qu'il n'y avait pas non plus d'indication d'aller les faire.
04:19On me demande « t'es toute nue sous ta blouse ? »
04:21Je leur répondais que non, j'avais des bas de contention et un débardeur,
04:24comme la plupart des infirmières,
04:26parce que les infirmières nues sous leur blouse, c'est dans les films porno.
04:29Il a pu arriver qu'on me demande quelle taille de bonnet j'avais sous ma blouse.
04:34Si jamais on relève ce type de blague sexiste ou de commentaires à caractère sexuel,
04:40les médecins vont s'en défendre potentiellement avec l'invocation de cette culture carabine.
04:46Carabin, c'est devenu le terme par lequel on désigne des étudiants en médecine.
04:50Cette culture carabine, cet humour carabin, ce serait faire des blagues graveleuses,
04:56grivoises, à connotation sexuelle, dans le milieu hospitalier.
05:01Ça permettrait de gérer émotionnellement les situations auxquelles ils sont confrontés.
05:05Je ne me dis même plus quand je vais en stage,
05:07est-ce que je vais être confronté à de la persécution sexiste, tout ça.
05:11Je me dis juste quand est-ce que ça va arriver.
05:14Je sais qu'il y a un moment où je vais être confronté.
05:16Et ça peut venir d'à peu près n'importe qui, n'importe quand.
05:19La solution va être vite de nous écarter nous,
05:22plutôt que de se dire on va remettre en cause un chef de service
05:26qui quand même est enseignant, produit tel et tel article.
05:31Moi j'ai peur que si jamais je suis à visage découvert,
05:34j'ai peur qu'on me prenne en grippe en stage et qu'on me fasse passer un mois et demi de l'enfer
05:40à me demander des tâches ingrates, à me parler mal, à me dénigrer, à me rabaisser.
05:47Tu arrives à une période de ce siècle où tu peux parler, mais tu peux t'exprimer,
05:54mais il y aura des conséquences, peut-être.
05:57C'est un secteur où il y a beaucoup de femmes, où c'est extrêmement féminisé.
06:01On est en majorité, donc si justement on s'organise, qu'on est solidaires
06:05et qu'on arrive à faire un espèce de front commun, on va y arriver.
06:12Et à un moment donné vous n'allez plus avoir ce monopole.
06:15En fait je me suis dit je ne vais pas les laisser gagner, je vais continuer.
06:18Et puis je suis arrivée au bout.
06:21Là j'ai encore un stage de dix semaines, mais ensuite je serai au bout et je serai fière de moi
06:28d'avoir réussi à finir ce parcours un peu compliqué.
06:33Mais oui j'ai toujours envie d'être infirmière, c'est un très beau métier
06:36et il y a besoin de gens comme nous.