• avant-hier
"Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui je pourrais faire Kirikou aussi librement"
Nudité, appropriation culturelle… découvrez les réponses sans tabou de Michel Ocelot sur son film Kirikou.
Transcription
00:00Je peux vous dire des choses sur le zizi de Kirikou.
00:03Je suis un être humain et je fais des histoires humaines.
00:06C'est l'Afrique. Merci l'Afrique.
00:08L'histoire de Kirikou, comment elle a commencé ?
00:11L'histoire de Kirikou a commencé déjà avec mon enfance,
00:15parce que j'ai appris à lire et à écrire à Conakry, en Guinée.
00:18J'ai eu une très belle enfance en Guinée.
00:20Il était évident que je devais faire un film africain.
00:23Alors j'ai lu beaucoup de contes africains.
00:25Comme tous les contes traditionnels, ils sont plutôt mauvais.
00:29Et puis il y en a un, j'ai sauté au plafond.
00:33Mère, enfante moi.
00:35C'était tellement magnifique, tellement nouveau.
00:38Jamais vu.
00:40Et puis la mère qui panique pas.
00:42Et je me suis dit, mais si c'est des personnages que je peux construire,
00:46c'est du solide.
00:49Et donc c'est vraiment l'Afrique qui m'a permis de faire ça.
00:52Je n'aurais pas pu, en tant que français catho, imaginer ça.
00:59Que commencer un film pour la famille avec un accouchement à l'écran,
01:04l'enfant qui sort entre les cuisses de sa maman,
01:07et qui a un cordon umbilical,
01:09je ne peux pas faire comme s'il n'en avait pas,
01:11et qui le coupe,
01:13et qui sait déjà que quand on sort de sa maman,
01:16on a besoin d'être lavé.
01:19Tout ça m'enchantait dans la pureté et l'audace.
01:24Et c'est l'Afrique jusqu'au petit enfant qui vient de naître,
01:30tout petit tout nu, qui va aider un oncle à combattre une sorcière.
01:34Ce n'est pas de moi, c'est l'Afrique.
01:36Merci l'Afrique.
01:37Est-ce que l'histoire de Kirikou, c'était une manière pour vous
01:39de rester dans votre enfance en Guinée, à Conakry ?
01:42Non.
01:43J'aime mon enfance,
01:45elle est présente en moi,
01:47mais je suis très content d'être un adulte,
01:49et quand on me dit
01:51« Oh, vous avez gardé votre âme d'enfant »,
01:53ça m'agace.
01:54Je suis conscient d'être adulte,
01:56je suis conscient de l'avantage d'être adulte,
01:58j'étais très content d'être enfant,
02:00j'ai bien profité de mon enfance,
02:04mais non, je voulais transmettre aux gens ce que j'avais vu,
02:08la beauté de ces gens,
02:10et ne pas avoir peur ou honte d'avoir un corps.
02:14Pas avoir honte du corps,
02:16de ce qu'on fait avec le corps,
02:18pas avoir honte de l'âge.
02:22Tout le monde était torse nu, hommes et femmes,
02:26et le fait que tout le monde était torse nu,
02:29on était au courant de la vieillesse.
02:33Et moi, petit, je savais qu'on vieillissait,
02:38et une de mes collaboratrices,
02:40quand elle a vu toute la collection des femmes
02:43que j'avais dessinées pour le village de Kirikou,
02:45quand elle a vu les vieilles,
02:47elle m'a dit « mais tu as raison de montrer ça ».
02:50Moi, au Beaux-Arts,
02:53pour mon premier cours de nu,
02:56j'ai vu une femme avec les seins tombants,
02:59j'étais horrifié,
03:00personne ne m'avait prévenu.
03:03Et moi, guinéen à 7 ans, je savais tout.
03:05J'ai eu du mal à le faire.
03:10Pour la culotte de Kirikou,
03:11j'ai expliqué aux gens
03:12« mais quand vous sortez de votre maman,
03:14vous n'avez pas de culotte ».
03:20Au début, on aurait bien aimé
03:21qu'on mette discrètement une petite culotte.
03:23Et pour les soutiens-gorges,
03:25on me l'a demandé ou ordonné
03:27quasiment tous les jours,
03:28pendant pas mal de temps.
03:30Mais si j'avais mis des soutiens-gorges,
03:33j'aurais eu l'impression de faire un film obscène,
03:36et pas un film pur.
03:38Il n'était pas question de cacher des seins,
03:41les femmes ont des seins, c'est très bien.
03:45C'était vraiment un message conscient
03:48que je voulais transmettre.
03:49Le film-annonce pour mon dernier film,
03:53Le pharaon, le sauvage et la princesse,
03:56n'a pas pu passer
03:58parce que les déesses égyptiennes
04:03ont voyé leurs seins.
04:04Et il a fallu refaire la bande-annonce
04:06pour pouvoir la passer en France.
04:08Parce que tous les systèmes dont nous nous servons,
04:15probablement en ce moment,
04:16sont américains,
04:18et ils imposent leurs lois.
04:20Et il y a un système,
04:22dès qu'il y a un sein, on arrête tout.
04:24Même en France ?
04:25En France, oui, oui !
04:26Et bientôt, vous allez avoir peur des seins.
04:29Comme tout bon américain.
04:31Est-ce que vous trouvez que la société régresse ?
04:35Oui !
04:36À ce niveau-là ?
04:38Elle regresse énormément.
04:43Et je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui,
04:46je pourrais faire Kirikou aussi librement.
04:51J'ai fait tout ce que j'ai voulu,
04:53et j'ai fait un film
04:55où l'on voit le zizi du héros
04:57pendant tout le film.
05:00Il était certain que ça,
05:02je n'aurais pas pu faire le dixième aux Etats-Unis.
05:05Vous dites qu'on a dû un peu vous censurer.
05:07Comment vous l'avez ressenti ?
05:09Je suis catastrophé.
05:13Et je suis bien content qu'on en parle.
05:16Sachez qu'on ne peut pas montrer ce qu'on veut en France
05:19si ça ne plaît pas aux lois américaines,
05:21aux lois non écrites américaines.
05:23Les réseaux sociaux sont des entreprises américaines.
05:28Si ça ne leur plaît pas,
05:30vous ne passez pas.
05:32Il y a un mouvement sur les réseaux sociaux
05:34qui est apparu il y a quelques années
05:36qui s'appelle Free the Nipple,
05:38littéralement libérer les tétons.
05:40C'est un mouvement qui a pris un peu d'ampleur sur les réseaux.
05:44Je n'en ai jamais entendu parler.
05:46Dites-moi tout !
05:47En fait, c'est les femmes qui s'insurgeaient
05:49un peu sur le fait qu'on pouvait voir
05:51des hommes torse nu sur les réseaux
05:53et que dès qu'on voyait un bout de sein
05:55sur les réseaux, un téton,
05:57la photo était censurée.
05:59C'est effrayant.
06:01On a besoin de voir un être humain complet.
06:03Je vais vous dire des choses.
06:05Sur le zizi de Kirikou,
06:07tous les dessinateurs, dessinatrices,
06:09animateurs, animatrices
06:11dessinaient le zizi trop.
06:14Et je devais passer après eux
06:16pour gommer le zizi qu'on ne devait pas voir
06:19parce que la perspective n'était pas bonne.
06:22Mais je sentais que tous ces êtres humains
06:26avaient pour la première fois
06:28et la dernière fois de la vie
06:30de dessiner un humain complet.
06:32Et c'était frappant.
06:34Hommes et femmes.
06:36L'histoire de Kirikou,
06:38est-ce que ça a été dur,
06:40en tant que Michel Oslo,
06:42de raconter une histoire
06:44d'un peuple africain,
06:46d'un peuple noir ?
06:48Pas du tout !
06:50C'est une invention qui m'agace.
06:52Je suis un être humain
06:54et je fais des histoires humaines.
06:56Ce premier long métrage,
06:58c'est dans le pays de mon enfance.
07:00C'est tout pour Kirikou.
07:02Ce n'était même pas exotique.
07:04C'était moi.
07:06Et pour les autres films
07:08qui changent totalement
07:10de décors, d'époque, de civilisation,
07:12je pense que nous avons tous les droits.
07:14Nous appartenons à cette planète.
07:17C'est mon pays.
07:19Je fais ce que je veux
07:21avec ce que je trouve.
07:23Aujourd'hui, on parle beaucoup
07:25d'appropriation culturelle.
07:27On n'entendait pas du tout parler de ça.
07:29Absolument pas !
07:31Dans ma tête,
07:33je ne m'approprie rien.
07:35Ça fait partie de moi.
07:37Ça fait partie de nous.
07:39Comment ça a été reçu
07:41quand c'est sorti ?
07:43Pendant tout le tournage,
07:45on m'a dit que je n'étais pas un professionnel,
07:47que je allais nous faire faire faillite à tous.
07:49On t'a dit cent fois
07:51qu'il fallait mettre des soutiens-gorge.
07:53Maintenant, il va y avoir
07:55une levée de boucliers
07:57à la sortie.
07:59C'était l'harmonie universelle.
08:01Tout le monde a compris.
08:03Tout le monde l'a aimé.
08:05Tout le monde a aimé la maman.
08:07Tout le monde a aimé l'enfant.
08:09Tout le monde, au bout d'un moment,
08:11a aimé Caraba.
08:13Tout le monde a aimé le grand-père.
08:15Et personne n'a parlé de l'amnidité.
08:17C'est incroyable.
08:19Mais c'était il y a longtemps.
08:21Et c'est là
08:23qu'on fait la marche arrière.
08:25Je le montre.
08:27Tout le monde l'aime.
08:29Mais il y a toujours un petit enfant qui dit
08:31pourquoi ils sont tous nus
08:33et d'autres qui ricanent.
08:35Et ça ne se passait pas il y a 25 ans.

Recommandations