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"On s’identifie mieux à ce qui nous est proche. Ça peut être un tueur en série, du moment où il nous est présenté avec des caractéristiques partagées, nous allons avoir plus d’empathie."

Mais pourquoi est-ce qu’on ressent parfois de l’empathie pour certaines personnes et pas pour d’autres ? Réponse avec la neuroscientifique Samah Karaki.
Transcription
00:00L'empathie va dépendre de notre capacité à nous identifier.
00:03Donc on va s'identifier beaucoup plus facilement aux personnes
00:06avec qui nous avons des traits partagés,
00:09d'abord physiques, ensuite de traits de comportement,
00:11et ensuite d'expériences partagées.
00:13C'est pour ça par exemple dans le cinéma,
00:15quand un personnage est montré en train de faire des gestes quotidiens
00:20avec lesquels on peut s'identifier,
00:21le degré d'empathie va augmenter, et ça peut être un tuer en série,
00:24du moment où il nous est présenté
00:26avec des caractéristiques partagées,
00:29nous allons avoir plus d'empathie.
00:31Ce même phénomène, on peut l'inverser,
00:33ça veut dire qu'on peut déshumaniser quelqu'un
00:35en ne pas parler de sa vie,
00:39en ne pas évoquer ni son prénom, ni son nom,
00:42en le renvoyant par exemple à un chiffre,
00:44et nous allons avoir beaucoup plus de mal à nous identifier à ce qui est abstrait.
00:47C'est cette limite de notre capacité d'identification
00:50qui fait qu'on s'identifie mieux à ce qui nous est proche.
00:54Pourtant sur les réseaux sociaux, je vois aussi plein de gens
00:56alarmés sur des situations qui se passent à l'autre bout du monde.
00:59Est-ce que finalement, ce n'est pas un peu en opposition
01:02avec ce que vous m'expliquez là finalement ?
01:03Parce que je vois bien quand même que les réseaux ont cette faculté
01:05de s'émouvoir et de faire preuve d'empathie
01:08pour des gens qui sont à l'extrême opposé du monde
01:10et qui vivent des réalités bien différentes des nôtres pour le coup.
01:12Nous pouvons, en regardant un peu le flux d'affects
01:14qui circulent sur les réseaux sociaux, avoir des émotions.
01:18Ça ne sert à rien finalement.
01:20Si la définition de l'empathie comme boussole morale
01:22signifie que c'est le moteur du geste altruiste,
01:25cela veut dire qu'il faut que cette émotion-là
01:27produise une action, un geste envers l'autre.
01:30Or, quand je vois ce flux d'affects qui circulent,
01:34je peux d'abord m'habituer et je peux,
01:36parce que j'ai fait un travail émotionnel,
01:38avoir l'illusion d'avoir fait quelque chose.
01:40En cela, elle devient non seulement un frein au geste altruiste,
01:45mais en plus une illusion de l'avoir fait.
01:47Et c'est en cela que je considère qu'avoir des affects
01:50sans creuser les contextes de ces images que nous voyons
01:53participent à notre habituation et finalement à notre inertie.
01:56Est-ce que forcément l'empathie, elle est liée aux émotions ?
01:59Il n'y a pas de dichotomie entre émotions et raisons.
02:02Nos émotions sont des éléments qui sont porteurs d'informations.
02:06C'est les réactions que nous avons au monde,
02:09donc c'est quelque chose qui est extrêmement précis.
02:12La raison, elle n'est pas non plus universelle.
02:14Il n'y a pas ni de distinction ni de suprématie de la raison aux émotions.
02:19Cette dichotomie entre raison et émotion,
02:21elle date déjà de l'époque où on considérait que les émotions,
02:24c'était un peu des mouvements de l'âme,
02:26quelque chose qui est chaotique, qui vient du vide
02:28et qui n'est donc pas fiable, avec l'idée d'avoir une raison
02:33qui serait d'abord universelle, qui serait moralement supérieure
02:36et qui serait donc là pour venir éduquer, calmer nos émotions.
02:40Aujourd'hui, nous savons que les émotions sont en fait des réactions
02:45qui émanent de tout ce que nous avons appris.
02:47Donc, en quelque sorte, elles ne viennent pas de nulle part.
02:49Elles viennent aussi de toutes les connaissances que nous avons du monde.
02:52Donc, c'est quelque chose aussi qui peut être biaisé
02:54parce que nos connaissances du monde peuvent être elles-mêmes biaisées
02:57et la raison elle-même, elle peut être biaisée.
02:59Et c'est pour ça d'ailleurs qu'en situation de conflit,
03:02on a du mal à se projeter dans ce que l'autre considère comme étant bon.
03:05Et c'est en cela que l'empathie est sélective
03:07parce que nous ne sommes même pas d'accord entre humains
03:10sur ce qui est raisonnable.
03:12– Est-ce que c'est vrai qu'il y a des gens qui ont plus d'empathie que d'autres ?
03:15– Il y a des personnes qui ont plus d'empathie que d'autres.
03:18Il y a des personnes qui ont des différences développementales
03:22au niveau des circuits qui nous permettent de faire de projections
03:25dans ce que vivent les autres.
03:27Par contre, ça ne signifie absolument pas
03:29que c'est la raison pour laquelle
03:31ils ne pourront pas pouvoir respecter des compromis sociaux.
03:34C'est des études qui ont été faites sur des personnes
03:36qui n'ont pas d'activation au sein des circuits d'identification
03:40mais qui sont en parfaite capacité de comprendre ce qu'il faut
03:43et ce qu'il ne faut pas faire dans un contexte social donné.
03:46En plus, on peut très bien avoir de l'empathie pour des membres de son entourage
03:51et en être démuni pour des personnes que nous considérons
03:56comme étant objectivées, comme étant instrumentalisées
03:59pour son propre plaisir.
04:00Je rappelle le procès de Dominique Pédico et des 50 co-accusés.
04:08C'est des personnes qui peuvent très bien saluer leur boulanger le matin,
04:13qui peuvent très bien être gentilles avec leurs amis
04:15et avec peut-être leurs enfants, leurs partenaires
04:18et qui peuvent très bien, à un moment donné, considérer
04:20que le corps d'une femme inerte leur appartient.
04:23Et donc, c'est un manque d'empathie
04:26parce que j'enlève à l'autre sa sensibilité et son humanité en quelque sorte.
04:32– Est-ce que c'est quelque chose qui peut s'apprendre ou se travailler ?
04:36– On ne peut pas travailler l'empathie parce que c'est une conséquence.
04:40En revanche, on peut travailler notre écoute,
04:42on peut travailler notre attention,
04:44on peut travailler notre sens critique
04:47par rapport à ce qui nous est présenté comme histoire.
04:49Après, peut-être, je pense que le travail le plus intéressant,
04:51c'est de travailler sur son propre doute de ses propres interprétations.
04:55C'est-à-dire partir du principe que ce que je ressens
04:58n'est pas nécessairement bon, n'est pas nécessairement précis
05:01et n'est pas nécessairement complet.
05:03Je le prends comme une information,
05:05mais j'arrive aussi à me décentrer de moi-même
05:07et à me dire que je suis biologiquement biaisé
05:10et je suis culturellement biaisé.
05:13Alors, je vais écouter ma voix,
05:15mais aussi ensuite me taire et écouter d'autres voix.

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