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Florent Vallée, directeur de l’urgence et des opérations de la Croix-Rouge ; François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme, membre du GIEC et Saïd Omar Oili, sénateur de Mayotte, sont les invités du Grand Entretien

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Transcription
00:00Quelles solutions concrètes le gouvernement peut-il apporter à Mayotte ?
00:04Des solutions concrètes, c'est ce qu'a promis François Bayrou, le Premier ministre,
00:08qui est depuis un peu plus de 4 heures maintenant dans l'archipel.
00:1315 jours après la catastrophe, il vient de promettre un plan Mayotte debout
00:19dont il déclinera les mesures dans la journée, dans les semaines et les mois à venir.
00:23Et ça peut dire qu'il est attendu, François Bayrou, avec les membres de son gouvernement.
00:27Appelez-nous au standard d'Inter, il est ouvert 0145 24 7000 et vous pouvez nous écrire également,
00:33comme d'habitude, sur l'application de Radio France.
00:35Avec nous en studio, Florent Vallée, bonjour, vous êtes le directeur de l'urgence et des opérations de la Croix-Rouge.
00:41François Gemmene, bonjour également, professeur à HEC, président du conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l'Homme
00:47et membre du GIEC, le groupement d'experts des Nations Unies sur le climat.
00:52Je voudrais qu'on vous entende surtout dans la deuxième partie de l'entretien,
00:54quand on abordera la reconstruction de Mayotte et la façon d'éviter, d'essayer d'éviter de reproduire les mêmes erreurs.
01:01Et puis avec nous, en direct de Mayotte, Saïd Omarouali, bonjour.
01:06Bonjour monsieur, bonjour et bonjour à tout le monde.
01:09Bonjour, merci, vous êtes sénateur de Mayotte, vous siégez au Sénat avec le groupe macroniste.
01:14Dites-nous justement, vous qui êtes sur place, dans quel état d'esprit les Mahorais accueillent-ils ce matin le Premier ministre et la délégation gouvernementale ?
01:24Écoutez, la situation est compliquée et très difficile.
01:29Moi depuis ce matin, ici à Mayotte, je ne reçois que des plaintes.
01:35Des plaintes des gens qui me disent qu'ils n'ont pas eu d'eau, les rations ne sont pas là, on annonce beaucoup d'aides et qu'ils ne le voient pas.
01:44Donc la situation est très compliquée, d'autant plus que moi, une de mes déceptions,
01:51c'est qu'il y a une très grosse délégation ministérielle qui est là et que le Premier ministre, dans son programme,
01:58n'a pas jugé utile d'aller visiter au moins une guidonville.
02:01Je pense que ça aurait été nécessaire d'aller voir ce qui se passe parce que là où hier il n'y avait plus de casantoles,
02:11ça y est, c'est déjà presque tout reconstruit à l'identique et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets,
02:20c'est-à-dire que si demain avec le sol trempé, on va aller encore à des drames beaucoup plus conséquentes que maintenant.
02:27On va parler justement du danger que tout ressorte de terre, que tout se reconstruise comme auparavant,
02:33et effectivement que Mayotte soit toujours vulnérable, reste vulnérable à ces catastrophes naturelles.
02:40Mais vous disiez votre déception de voir François Bayrou éviter une visite dans un bidonville à la rencontre des habitants.
02:48Certains disent aussi trop tard, quinze jours après la catastrophe et trop court, douze heures seulement sur place.
02:54Que dites-vous Saïd Omarouali ?
02:57Oui, tout à fait. Il y a des ministres qui vont rester. Le ministre des Outre-mer va rester jusqu'à mercredi.
03:04Mais ça aurait été bien que le Premier ministre aille se rendre compte lui-même du désastre qu'il y a dans les bidonvilles.
03:14Et surtout que si on laisse construire, c'est ce que je disais à chaque fois, c'est qu'on a beau avoir les beaux discours,
03:20on a beau avoir des discours éclairés, etc., etc., mais si on ne règle pas la problématique de l'habitat informel,
03:33on n'aura rien réglé, et que si demain les mêmes phénomènes, parce que nous sommes aujourd'hui dans une région très vulnérable,
03:42et les mêmes causes, comme je l'ai dit, produisant les mêmes effets, donc la situation risque d'être encore plus difficile à gérer qu'aujourd'hui.
03:49Aujourd'hui, Mayotte manque d'eau. Aujourd'hui, Mayotte manque de nourriture. Aujourd'hui, en plus, nous sommes en pleine saison de pluie,
03:58ce qui fait qu'à chaque fois quand il y a des nuages, les gens ne dorment pas, les gens sont fatigués, les gens sont exténués,
04:05et que de plus en plus, il y a des voix qui se lèvent en quelque sorte qu'on a été abandonné.
04:12Il y a Mayotte, et je les comprends.
04:14Il y a le concret Saïd Omar Wali, et puis il y a ce, et on va parler du concret, on imagine évidemment que François Bayrou ne va pas tout régler en douze heures,
04:22mais il y a des annonces qui sont très attendues par les habitants, et puis il y a ce sentiment d'abandon dont vous parlez.
04:27François Bayrou lui-même a été très critiqué parce qu'il s'est rendu au conseil municipal de Pau au lendemain de sa nomination,
04:32au lieu de participer physiquement à la cellule de crise pour Mayotte, parce qu'il a nommé son gouvernement, il a formé son gouvernement le jour du deuil national.
04:41Il y a un lien de confiance qu'il faut absolument commencer à rétablir, c'est aussi ça l'enjeu de cette visite.
04:48Je pense, mais ça sera très difficile et ça sera très très lent, parce que les maoris aujourd'hui, lorsque vous avez faim, lorsque vous n'avez plus d'endroit pour habiter,
05:01et qu'il n'y a aucune solution de proposer, une solution alternative, nous nous faisons tous lorsque il y a des inondations,
05:09lorsqu'il y a des phénomènes naturels en métropole, on voit qu'il y a tout de suite des solutions qui sont proposées hors à Mayotte,
05:20et c'est vrai, c'est vrai, malgré l'arrivée du président de la République, et malgré le premier ministre et plusieurs ministres,
05:26ils ont cette impression d'être abandonnés effectivement par la même patrie.
05:30Oui, restez avec nous évidemment, direct de Mayotte, Saïd Omarouali, sénateur de Mayotte.
05:36Vous parliez de ces habitants qui vous disent « il nous manque de tout, il nous manque de l'eau, il nous manque de la nourriture »,
05:40parlons concrètement de ce qu'il faudrait faire encore, Florent Vallée, directeur de l'urgence de la Croix-Rouge.
05:46L'avion de François Bayrou s'est posé à Mayotte ce matin avec deux tonnes et demie d'aides humanitaires,
05:52des pastilles pour désinfecter l'eau, des produits médicaux pour les dialyses par exemple.
05:58Quelles sont les priorités urgentes, très concrètes aujourd'hui, auxquelles doit répondre le gouvernement ?
06:04La priorité, elle est toujours la même, c'est le besoin de la population.
06:07Le besoin de la population, c'est de boire, de manger, de s'abriter et de se soigner.
06:12Ça, c'est les premiers besoins essentiels sur lesquels on se concentre,
06:15où tout le monde se concentre pour essayer d'apporter une réponse.
06:18Et c'est ça que les gens ont besoin tout de suite maintenant.
06:22Bien sûr que les cases ont été reconstruites, les gens ont besoin de s'abriter, il ne faut pas arriver.
06:26Ils cherchent des solutions pour s'abriter, donc oui, ils vont reconstruire.
06:29Par contre, comment construisons-nous ? Comment on va pouvoir reconstruire demain ? C'est ça qu'il faut travailler.
06:33Sur l'eau, besoin premier, évidemment.
06:36Sur la nourriture, il y a eu une amélioration, ça a été très très lent au départ.
06:40Il y a eu une amélioration, bien sûr, au fil de ces 15 derniers jours.
06:43Quelle est la situation aujourd'hui ?
06:45Il y a une amélioration, mais 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté.
06:49Donc l'amélioration, elle est timide, elle veut être dans les magasins,
06:53mais il faut pouvoir aller distribuer et apporter une aide aux personnes.
06:57Mayotte, c'est grand Mayotte, c'est 320 000 personnes qui habitent au quotidien.
07:01320 000 personnes sur un territoire à la fois grand et relativement petit par rapport au nombre d'habitants.
07:07C'est un taux de densité de population 8 fois supérieur à l'Hexagone.
07:13Oui, tout à fait. Il faut une heure d'un bout à l'autre de Mayotte pour traverser en temps normal, en voiture.
07:18Là, c'est beaucoup plus long, donc c'est beaucoup de défis logistiques pour aller au plus près de la population,
07:23pour aller sur toutes les zones et pouvoir distribuer l'ensemble des biens de première nécessité.
07:28Est-ce qu'il y a un risque de maladie, d'épidémie ?
07:30On parlait de l'eau. Évidemment, il y a l'eau potable, mais il y a les eaux croupies,
07:36les eaux qui peuvent effectivement transmettre ces maladies. C'est un risque urgent également aujourd'hui.
07:42Comme dirait, c'est des maorais qui me l'ont dit un jour au moment de la crise hydrique.
07:47L'eau, c'est la vie. Donc, en fait, pas d'eau, pas de vie.
07:50Donc, tout ce qui est, tout ce qui est croupie, tout ce qu'on a besoin de boire.
07:55Donc, on va boire de l'eau croupie. Bien sûr que derrière, ça va amener des maladies.
07:59Ça va amener des maladies hydriques, un problème digestif et autres.
08:03Mais il faut le comprendre, les chiens n'ont pas de joie. Donc, on a distribué des aquatab.
08:06Donc, ces fameux pastilles qui permettent de rendre l'eau un peu plus potable.
08:12Et c'est là-dessus qu'il faut travailler. Dans un premier temps, c'est redistribuer ce type d'aquapad,
08:16dit d'aquatab, distribuer de l'eau, en tout cas donner accès à l'eau à l'ensemble de la population
08:22pour pouvoir travailler sur l'hygiène.
08:23Sur l'accès aux soins, il y a un hôpital de campagne qui est en fonction depuis un peu moins d'une semaine maintenant.
08:29On sait que la réserve sanitaire, donc l'appel aux renforts, aux médecins, aux professionnels de santé
08:34a été lancé très rapidement après la catastrophe.
08:37Est-ce que ça a permis d'améliorer les choses ?
08:40Est-ce que les Mahorais sont correctement soignés aujourd'hui ?
08:44Je ne pourrais pas dire qu'ils sont correctement ou pas correctement soignés.
08:46En tout cas, oui, ça a permis d'améliorer les choses.
08:48Je vais reformuler la question. Est-ce qu'il y a suffisamment de moyens pour les soigner ?
08:51Il y a beaucoup de moyens qui sont sur place.
08:53C'est comme l'eau, c'est comme la nourriture. Il faut aller vers l'hôpital.
08:56Il est sur un endroit et ensuite, vous avez des dispensaires qui sont en oeuvre.
09:02Il faut pouvoir ouvrir tous les dispensaires et apporter les services partout sur l'île.
09:05Il faut aller vers les gens. Sur toutes nos missions actuellement, c'est pratiquement 80% des gens qu'on voit
09:12auxquels il faut apporter des soins sur des petites plaies.
09:14Mais c'est les petites plaies qui vont s'infecter.
09:16On est sous les tropiques, donc il faut aller très vite.
09:18Il faut vraiment travailler sur l'hygiène.
09:20Donc on revient à l'eau à nouveau. C'est un peu une boucle infernale.
09:23Ce sont les défis urgents auxquels les Mahorais et le gouvernement sont confrontés.
09:29Saïd Omar Wali, il y a aussi la question du bilan humain.
09:33On sait qu'il est très incertain, qu'il a été sujet à polémique également.
09:38Il est le bilan officiel pour l'instant de 39 morts et plus de 4000 blessés.
09:41Est-ce qu'il y a toujours une incertitude sur le bilan ?
09:45Est-ce que vous faites partie de ceux qui parlaient encore de milliers de morts potentielles ou pas plus maintenant ?
09:51Je vais revenir d'abord par rapport à ce que monsieur a dit, par rapport à l'eau.
09:56Et vous donner une mesure de grandeur.
10:02Le Québec de Mayotte a dit que dans les 10 jours précédant le cyclone,
10:08on a distribué environ 390 000 bouteilles d'eau sur une population de 320 000 habitants.
10:15Vous faites le calcul ?
10:17C'est-à-dire que pendant 10 jours, on a donné une bouteille d'eau à une famille.
10:22Qu'est-ce que vous voulez que les gens aillent faire ?
10:24Une bouteille d'eau par famille en 10 jours, c'est ce que vous dites ?
10:28Oui, mais 390 000 bouteilles.
10:31Oui, c'est ça.
10:32Donc, qu'est-ce que vous voulez que les gens fassent ?
10:34Alors qu'il n'y a pas longtemps, nous, on vient de sortir du choléra à Mayotte.
10:39Le choléra, ça fait déjà des années et des années que ça ne tue plus en Europe.
10:45Le choléra tue à Mayotte.
10:46Et nous avons peur que de cette crise cyclonique,
10:53on va aboutir rapidement à une crise sanitaire.
10:57Et ça, ça sera la catastrophe.
11:00Parce qu'effectivement, il y a des gens qui sont dans les bidonvilles,
11:03qui n'arrivent pas à descendre pour se faire soigner.
11:06Parfois, ce sont des soignants, des bénévoles qui vont là-bas.
11:09Il y a même un reportage qui a été fait il n'y a pas longtemps
11:11d'un jeune de 13 ans qui s'est fait médecin,
11:16en disant qu'il était médecin avec son professeur.
11:18Il est parti soigner les gens là-haut.
11:20Parce que les gens ne peuvent pas venir parce que c'est montagneux.
11:24Donc, vous voyez, tous ces risques-là, nous les avons.
11:26Et qu'on va devoir à une crise sanitaire sans précédent
11:30parce qu'il y a des déchets partout.
11:32Effectivement, concernant les décès,
11:35moi, je dis aux gens, faites très attention.
11:38Moi, ça fait 25 ans que je suis élu local.
11:41Je connais mes électeurs et je l'ai dit dès le départ
11:44que quand je vais dans les quartiers, c'est le silence.
11:48Je ne vois pas les gens qui étaient là avant.
11:50Ils sont partis où ?
11:51Et quand je pose la question, les gens me disent,
11:54ben on ne sait pas, où est-ce qu'ils sont partis ?
11:56En tout cas, on ne les a pas expulsés, si c'est des étrangers.
11:59Mais ils sont partis où ?
12:01Et pourquoi le jour, et c'est là où, justement,
12:05c'est une des raisons que je demande absolument,
12:07et je l'ai demandé, j'ai fait la demande,
12:10il y a une commission d'enquête pour que tout,
12:12on tire toutes les conséquences de cette crise.
12:16Parce que si le jour, nous, on le voit à la télé,
12:20quand il y a des catastrophes comme ça,
12:23qu'est-ce qu'on en voit ?
12:24On en voit des chiens et des sauveteurs
12:29qui vont dans les décombres chercher s'il y a des survivants.
12:32Pourquoi ça n'a pas été fait ? Et ça n'a jamais été fait.
12:34Aujourd'hui, on nous dit qu'il y a quelques sites
12:37où l'État est allé regarder, mais où est le bilan ?
12:41Pour l'instant, le gouvernement dit toujours,
12:44le Premier ministre, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls,
12:46disent toujours, ce sera plusieurs dizaines,
12:51peut-être au pire, plusieurs centaines de victimes,
12:55mais pas plusieurs milliers.
12:56Vous avez d'un mot, Florent Vallée, à la Croix-Rouge,
12:59toujours des agents, peut-être des bénévoles,
13:03dont vous n'avez pas de nouvelles ?
13:03On a à peu près des nouvelles de tout le monde,
13:05encore quelques bénévoles,
13:06mais c'est une petite dizaine de bénévoles.
13:08En tout cas, cette question du bilan, on le voit,
13:12fait partie des questions qui préoccupent énormément
13:15les Mahorais, à tort ou à raison,
13:18parce qu'on ne trouve pas effectivement
13:20ces victimes potentielles.
13:22Mais ça fait partie des questions auxquelles
13:24François Bayrou doit répondre sur place aujourd'hui.
13:28Venons-en au moyen et au long terme.
13:30C'est la question de la reconstruction.
13:32François Jemen, c'est sur cette question que
13:35je voudrais vous entendre particulièrement.
13:37Vous insistez sur le fait que le phénomène naturel,
13:41ici le cyclone, n'est jamais la seule cause d'une catastrophe.
13:45Il faut partir de cela pour penser la reconstruction.
13:48Oui, effectivement, je crois que c'est très important,
13:51pardonnez-moi l'expression, de ne pas tout mettre
13:53sur le dos du climat.
13:54Et on a bien vu certaines réactions après la catastrophe
13:57qui étaient du type, on vous l'avait bien dit,
13:59vous auriez dû écouter le GIEC, etc.
14:01Attention, ce qui provoque la dévastation
14:04et l'ampleur de la catastrophe qu'on voit,
14:07c'est la rencontre d'un risque naturel,
14:09en l'occurrence le cyclone ici, avec une vulnérabilité.
14:12Cette vulnérabilité, elle est de nature politique,
14:15sociale, économique.
14:17On a parlé de l'habitat informel,
14:18on a parlé du taux de pauvreté à Mayotte.
14:21Et c'est la rencontre de ce risque avec la vulnérabilité
14:24qui va provoquer la catastrophe.
14:26Donc, bien sûr, sur la question du risque,
14:28il est vraisemblable que le cyclone ait été dopé
14:31par les températures de l'océan Indien.
14:33Là, on a eu une première étude d'Imperial College
14:36qui tend à montrer que le changement climatique
14:37aurait fait passer l'ouragan, le cyclone,
14:40de catégorie 3 à catégorie 4.
14:43Mais ce qui crée la dévastation,
14:45c'est évidemment l'habitat informel,
14:47c'est le fait que les gens n'ont pas été mis à l'abri
14:49comme ils auraient dû l'être.
14:51C'est le taux de pauvreté, c'est l'absence de moyens
14:54et c'est globalement le sous-investissement chronique
14:57à Mayotte depuis le référendum de 1974
15:01et depuis que Mayotte est devenue un département en 2011.
15:03Et en même temps, il y a la nécessité de ne pas reconstruire,
15:07de ne pas refaire les mêmes erreurs,
15:09de ne pas reconstruire comme avant.
15:10Et nos invités, Florent Vallée, Saïd Omar Ouali,
15:12nous disent que les cases, les bidonvilles
15:15commencent déjà à ressortir de terre.
15:17François Bayrou dit à l'instant à Mayotte
15:20que l'objectif est de reconstruire d'ici deux ans.
15:23Il faut aller vite, il y a une loi spéciale
15:25pour accélérer les choses, pour faciliter les procédures.
15:28Le risque, quand il y a une urgence comme ça,
15:3190% des logements détruits ou endommagés,
15:33c'est justement de reproduire les erreurs.
15:35Bien sûr, on a tendance, parce que les gens vont avoir tendance
15:38à revenir dans les bidonvilles, à revenir à l'endroit qu'ils connaissaient.
15:42Or l'enjeu, j'espère que le gouvernement l'annoncera ce soir,
15:45l'enjeu, ça va être à mon avis un grand plan de logement.
15:48Aussi parce que dans une démocratie moderne, je suis désolé,
15:51il n'est pas normal qu'on ait des bidonvilles de cette importance.
15:54Il n'est pas normal qu'on laisse les gens dans l'abandon,
15:57quel que soit leur statut.
15:58Alors bien sûr, sur les 320 000 habitants de Mayotte,
16:02on estime qu'il y a environ 100 000 Comoriens,
16:04dont une bonne partie, on parle de la moitié, serait en situation irrégulière.
16:08Mais il y a une véritable nécessité de faire quelque chose aussi
16:12pour ces gens qui sont là et qui vont, à l'évidence, rester là.
16:16Et donc la question du logement est à mon avis une question prioritaire.
16:19L'autre question, c'est la question de la mise à l'abri.
16:22On estime que seulement un Comorien sur dix
16:26est allé dans les abris officiels parce que les gens,
16:29et en particulier ceux en situation irrégulière,
16:31avaient peur que s'ils allaient dans les abris,
16:32la police leur mette le grimpin dessus et ne les expulse.
16:35Si vous vous rappelez que ces dernières années,
16:36la moitié des reconduites à la frontière en France,
16:39c'était à Mayotte qu'elles avaient lieu.
16:40Et donc là, il y a un vrai enjeu aussi dans les rapports de l'État avec la population.
16:45D'un mot, Saïd, Omar ou Ali, ça nécessite plus d'un mot.
16:48C'est une question complexe.
16:50Mais François Bayrou vient parler avec vous et vos homologues élus de Mayotte
16:53de cette loi spéciale qui doit permettre d'accélérer la reconstruction.
16:58Qu'est-ce que vous en attendez ?
17:01Écoutez, cette loi spéciale a été déjà conçue.
17:06Comme disait un grand monsieur, que je ne vais pas citer son nom,
17:10que vous allez deviner, tout ce qui est fait sans nous,
17:14pour nous, est fait contre nous.
17:18Et donc, oui, vous trouvez que cette loi spéciale n'a pas été élaborée
17:26suffisamment en concertation qu'elle a été faite à Paris, sans vous ?
17:31Ben oui, mais elle a été conçue à Paris.
17:33Maintenant, on va nous demander notre part.
17:34Elle doit être représentée vendredi au Conseil des ministres.
17:36Elle peut encore être amendée.
17:38Il faut qu'il y ait une co-construction au départ
17:41et que nous posions nous-mêmes les bases.
17:44Et à partir de là, on voit ce qu'on peut faire.
17:46Mais quand on lit la loi à la marge,
17:50on voit qu'on a mis plus en avant les constructions scolaires et pas le reste.
17:55Mais comme je l'ai dit au départ, je conclue par ce que j'avais dit,
17:58tant qu'on n'aura pas trouvé une solution sur l'habitat informel,
18:02sincèrement, tous les beaux discours,
18:05tout ce qu'on va proposer à Mayotte sera une histoire.
18:07Justement sur l'habitat informel, le maire de Mamoudzou juge nécessaire,
18:13indispensable que cette loi spéciale contienne un article
18:16pour interdire les bidonvilles à Mayotte.
18:20C'est possible, c'est souhaitable, selon vous ?
18:24Allô ? Là, je n'ai pas entendu la question.
18:26Parce que je suis dans le bus, là.
18:28Je n'ai pas entendu.
18:30Je répète la question.
18:30Je ne vous entends pas du tout.
18:32Est-ce que vous nous entendez Saïd Omarouali ?
18:35Oui, je ne vous entends plus, là, parce que je suis dans le bus.
18:39Ne vous inquiétez pas, vous êtes en pleine visite ministérielle
18:42et on comprend très bien, effectivement, que vous couriez un peu partout
18:46et on vous remercie de nous répondre en direct sur France Inter.
18:50On va essayer de vous retrouver dans quelques instants.
18:52Sur l'interdiction des bidonvilles, c'est une mesure qui paraît radicale.
18:58Florent Vallée, que disent les gens sur place ?
19:02Ça serait extrêmement bien.
19:03Je ne sais pas ce que disent les gens sur place, mais soyons réalistes,
19:05ça serait extrêmement bien.
19:06Mais où les gens vont aller habiter ?
19:07Aujourd'hui, vous avez à peu près 100 000 personnes qui vivent dans ces bidonvilles.
19:11Qu'est-ce qu'on leur offre ?
19:12Là, ils ont besoin d'un abri immédiatement.
19:14Ce n'est pas dans deux ans ou dans quatre ans, c'est maintenant.
19:17Donc, ils vont se reconstruire.
19:20Donc, ils sont déjà reconstruits.
19:21On le voit sur les images, on le voit sur les photos.
19:23On voit très bien que plein de choses se sont reconstruites.
19:25Le sujet des bidonvilles, c'est aussi celui de l'immigration illégale.
19:29Évidemment, les deux sont indissociables puisque 100 000...
19:33Vous avez cité le chiffre, François Jemaine, 100 000 Comoriens vivaient à Mayotte.
19:39Un tiers de la population, effectivement, est Comorienne.
19:42Des élus maorais, des membres du gouvernement,
19:45le ministre de l'Intérieur Bruno Retaillou en tête,
19:47jugent que cette catastrophe doit être l'occasion de durcir les mesures
19:52pour lutter contre l'immigration clandestine venue des Comores.
19:55Est-ce que ça doit être une priorité ?
19:57Est-ce que c'est le bon moment ?
19:58Attention à ne pas instrumentaliser la catastrophe à des fins politiques.
20:02Et je crois qu'il y a quelque chose d'indigne, il faut le dire,
20:05à tout de suite, alors même que certains corps n'étaient pas enterrés,
20:08à venir dire qu'il faut réformer la politique de l'immigration.
20:12Très clairement, on est ici dans une histoire très, très compliquée.
20:15Il faut rappeler qu'il y a eu dans l'archipel des Comores
20:17un référendum en 1974 et que Mayotte est la seule à avoir décidé de rester française,
20:24tandis que les trois autres îles des Comores ont choisi de devenir indépendantes
20:28et que depuis, le pouvoir comorien considère toujours
20:32qu'il exerce la souveraineté sur Mayotte et que Mayotte reste un territoire comorien.
20:36Donc on est dans une histoire très, très compliquée,
20:38avec évidemment une situation d'immigration qui est très particulière en raison du contexte historique.
20:43Et beaucoup d'élus et d'habitants maorais réclament des mesures plus dures contre l'immigration.
20:49Ce sont des revendications qui ont conduit à peu près 150 millions d'euros d'aide au développement
20:56aux Comores en échange d'un contrôle plus strict de l'immigration.
21:00Je pense qu'il va falloir parvenir à avoir une relation plus pacifiée sur ce sujet.
21:04Et donc bien sûr, il faudra que ce sujet fasse partie du plan de reconstruction.
21:09Et effectivement, un des éléments qui causent la vulnérabilité à Mayotte,
21:12c'est que tant de personnes soient dans une situation irrégulière et donc ne soient pas correctement logées,
21:18n'aient pas cherché l'aide auprès des autorités.
21:20Ça, c'est un vrai sujet. Attention de ne pas instrumentaliser la catastrophe à cette fin néanmoins.
21:24Et vous en avez parlé au-delà de l'urgence humanitaire,
21:26au-delà même de la question du moyen terme et de la reconstruction.
21:30Il y a la question des relations entre l'Hexagone et les territoires d'outre-mer et Mayotte en particulier.
21:38Il y a la nécessité là, et peut-être que cette catastrophe peut être une prise de conscience,
21:42de changer totalement la nature de ces relations.
21:47On est aujourd'hui très clairement avec Mayotte avec un sentiment de territoire un peu abandonné par la République.
21:53Je fais une parenthèse avec le message d'Armel sur l'application de Radio France justement.
21:57Je voudrais exprimer la honte que je ressens depuis le cyclone.
22:00Sont-ils des concitoyens de première, seconde voire troisième zone ?
22:04Soit Mayotte c'est la France, soit ça ne l'est pas.
22:06Mais exactement. On a un PIB par habitant à Mayotte qui est quatre fois inférieur à celui de l'Hexagone.
22:11Et puis même dans la séquence politique ou médiatique,
22:15on avait l'impression, alors qu'on était face ici à une des plus grandes catastrophes climatiques qu'ait connue la France,
22:21que 24 heures après, on était déjà passé à autre chose.
22:24On était déjà passé à des polémiques politiques.
22:26On était déjà passé à des questions pour savoir qui allait être ministre dans le gouvernement de François Bayrou.
22:30C'est ce que disait Manuel Valls, nouveau ministre des Outre-mer, ici même la semaine dernière.
22:33Quand se calment les fièvres sociales ou économiques que passent les tornades, ces territoires retombent dans l'oubli.
22:39Mais je prends la comparaison avec l'ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans et la Louisiane une vingtaine d'années.
22:46On ne parlait que de ça dans les médias américains pendant au moins un mois après l'ouragan.
22:50Ici, on a l'impression qu'en 24 heures, on était passé à autre chose.
22:53Comme si c'était une catastrophe qui se produisait loin dans le monde alors qu'on est en France.
22:56Et pour vous justement, Florent Vallée, qui gérait l'urgence à la Croix-Rouge,
23:00ça a des conséquences cette relation souvent distendue, parfois paternaliste, entre Paris et les Outre-mer ?
23:09Ça a des conséquences concrètes pour nos actions dans les actions du quotidien.
23:13Ça n'a pas des conséquences à la Croix-Rouge puisqu'en fait, on est déjà implanté à Mayotte au quotidien.
23:17On a plus de 150 salariés, plus de 200 volontaires.
23:20On a un prépositionnement de stocks parce qu'on sait que c'est une zone cyclonique mais aussi une zone sismique importante.
23:25Donc on a des stocks prépositionnés à Mayotte pour répondre à la crise, pour répondre à un cyclone.
23:29D'ailleurs là, l'urgence, elle est aussi de reconstituer ce stock parce que demain, on est au tout début de la saison cyclonique.
23:35Demain, il peut y avoir un autre cyclone et il faut pouvoir réagir immédiatement.
23:38En un mot, quelques secondes sur la rentrée des classes, elle est prévue toujours officiellement le 13 janvier.
23:43Ce sera sans doute au moins une semaine plus tard, peut-être encore plus.
23:47On sait que des collèges cherveux, encore d'abri aujourd'hui, des écoles.
23:50Oui, nous-mêmes, on est hébergés dans un collège donc on cherche des solutions pour héberger les volontaires qui sont en renfort.
23:56C'est plus de 80 personnes qui sont sur place actuellement qu'il va falloir héberger ailleurs.
24:00Mais l'éducation, c'est aussi la priorité.
24:01Et c'est pour ça qu'Elisabeth Borne, effectivement, la nouvelle ministre de l'Éducation nationale, fait partie de cette délégation ministérielle avec François Bayrou.
24:09Merci à tous les trois, vraiment.
24:10Florent Vallée de la Croix-Rouge, François Jomène du GIEC et Saïd Omar Wali, sénateur de Mayotte.
24:17Merci d'être venu nous voir dans le Grand Entretien et de nous avoir répondu en direct de l'archipel.

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