Pourquoi Sarkozy repasse-t-il devant la justice ? Qui est Mouammar Kadhafi ? Pourquoi l'enquête a-t-elle pris autant de temps ? Le journaliste de Mediapart Fabrice Arfi explique très simplement en quoi consiste l'affaire des financements libyens.
Le film qu'il a coécrit, "Personne n’y comprend rien", réalisé par Yannick Kergoat, vient de sortir au cinéma.
Le film qu'il a coécrit, "Personne n’y comprend rien", réalisé par Yannick Kergoat, vient de sortir au cinéma.
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00:00Nicolas Sarkozy, dans l'affaire des financements libyens, a dit beaucoup de choses,
00:03et notamment la vérité au moins une fois.
00:05Personne ne comprend rien.
00:06C'est pourquoi je vais essayer de vous expliquer les tenants et les aboutissants
00:10de ce scandale d'État dont le procès vient de s'ouvrir à Paris.
00:14C'est quoi le procès du 6 janvier 2025 ?
00:16Nicolas Sarkozy, l'ancien président de la République,
00:18va être jugé avec 12 autres personnes au tribunal correctionnel de Paris
00:22pour 4 délits qui lui sont reprochés par l'accusation.
00:26La corruption, le recel de détournements de fonds publics étrangers,
00:30le financement illégal de campagnes électorales,
00:32ça concerne sa campagne présidentielle de 2007,
00:34et associations de malfaiteurs.
00:36Il est soupçonné, avec ses complices présumés,
00:39d'avoir noué ce qu'on appelle un pacte de corruption avec une dictature étrangère,
00:44et non des moindres, la Libye du colonel Muammar Kadhafi.
00:47C'est qui Muammar Kadhafi ?
00:48Muammar Kadhafi, ça a été le dictateur de la Libye à partir de la fin des années 60.
00:54Il a pris le pouvoir, il était très jeune.
00:56Pendant de nombreuses années, il a été à la tête de ce qu'on a appelé un état terroriste.
01:01Muammar Kadhafi a été le commanditaire d'actes terroristes un peu partout dans le monde,
01:07notamment contre la France.
01:08Pourquoi Sarkozy et Kadhafi se sont rapprochés ?
01:10D'après l'accusation judiciaire, pour Nicolas Sarkozy,
01:14l'intérêt, c'était de récupérer des fonds,
01:18notamment dans la perspective de l'élection présidentielle de 2007,
01:22à laquelle il s'est présenté, et qu'il a gagné pour devenir président de la République.
01:26C'est pourquoi le début du pacte a lieu, d'après les juges d'instruction,
01:32dès 2005, à un moment donné, où Nicolas Sarkozy est ministre de l'Intérieur.
01:36Et quel intérêt pour Kadhafi ?
01:38Pour lui, c'est justement de quitter les habits du dictateur et de l'état terroriste,
01:44c'est-à-dire de redevenir quelqu'un de fréquentable sur la scène internationale.
01:48Et il n'y a rien de mieux que la France, qui est le pays de la déclaration des droits de l'homme,
01:52pour lui offrir un tel statut.
01:53Comment a été perçu ce rapprochement ?
01:55C'est un rapprochement qui a surpris.
01:57Il faut se rappeler, quand en décembre 2007, le dictateur libyen est accueilli à Paris,
02:03on lui déroule le tapis rouge, comme aucune démocratie,
02:06en tout cas comme la France ne l'a jamais fait,
02:08alors que nous faisons partie des victimes du terrorisme de l'état libyen.
02:12Encore une fois, Muammar Kadhafi a été derrière un attentat terroriste
02:16qui a tué 170 personnes, dont 54 françaises et français,
02:20en faisant sauter un avion de ligne français, le décédiste de la compagnie UTA en 1989.
02:25Et pourtant, cet homme est accueilli avec tous les égards de la République.
02:29C'est une visite d'état qui dure six jours.
02:31Il peut planter sa tante Bédouine dans les jardins de la République.
02:34On privatise le Louvre, on privatise le château de Versailles pour lui.
02:39Et ça se termine comment entre eux ?
02:41En 2011, il y a un événement qui va faire une bascule dans une partie du monde,
02:45c'est ce qu'on a appelé les printemps arabes.
02:47C'est-à-dire que dans un certain nombre de pays arabes,
02:50les populations ont décidé de se révolter contre les dictateurs qui étaient à la tête des pays.
02:55Ça a commencé en Tunisie, ça a continué en Égypte et puis ça s'est poursuivi en Libye.
03:00Et donc en Libye, en février 2011, il y a eu un début de révolution
03:04qui a vu le jour dans une ville réputée rebelle de Libye qui s'appelle Benghazi.
03:09Et il y a eu un début de guerre civile qui a commencé.
03:12À ce moment-là, Nicolas Sarkozy, qui avait été très apathique avec la Tunisie et l'Égypte,
03:18se met de manière très surprenante à être à la tête d'une sorte de coalition internationale
03:24pour non seulement faire la guerre à Muammar Kadhafi,
03:27mais qui va aboutir jusqu'à renverser le régime,
03:30ce qui n'était pourtant pas du tout prévu par le mandat des Nations Unies.
03:34Et au bout du compte, quelques mois plus tard, en octobre 2011,
03:37le dictateur sera tué après qu'un avion français a bombardé son convoi,
03:43que la foule s'est ruée sur le dictateur qui en a miraculeusement réchappé après le bombardement
03:49et qui a été assassiné dans des circonstances d'ailleurs qu'on ne connaît pas toujours.
03:52Cette guerre est aujourd'hui l'un des arguments de Nicolas Sarkozy pour dire
03:55mais comment voulez-vous qu'il y ait eu de corruption,
03:57vu que c'est moi qui étais derrière la guerre qui l'a tué.
04:01Quand est-ce que l'enquête a commencé ?
04:03Les révélations de Mediapart dans l'affaire libyenne ont débuté à l'été 2011
04:06et la justice s'est emparée du dossier en 2013, donc deux ans plus tard.
04:11Il y a eu dix ans d'instructions qui ont été confiées à plusieurs juges d'instructions
04:16et qui, au bout d'une décennie d'investigations gigantesques,
04:20il y a quand même eu des actes d'enquête dans 17 pays différents.
04:24C'est une affaire un peu totale, c'est comme si c'était la somme de toutes les affaires Sarkozy,
04:29l'affaire libyenne, tant elle concerne des faits qui touchent à la diplomatie,
04:33à l'économie, à la justice évidemment, à la démocratie, à l'éthique publique.
04:39Au bout de dix ans d'investigations, les juges ont estimé qu'il y avait, comme on dit en droit,
04:43des charges suffisantes pour que l'ancien président, mais aussi trois anciens ministres,
04:48dont deux de l'intérieur, soient jugés devant un tribunal pour un pacte de corruption présumé.
04:54Sarkozy serait lui-même allé chercher cet argent ?
04:57Dans les histoires de corruption, d'argent noir, de pot de vin,
05:02il y a des personnages qui n'apparaissent nulle part dans les organigrames de la République.
05:08Ils ne sont officiellement présents dans aucune rencontre.
05:11On les appelle pudiquement des intermédiaires.
05:14Pour la justice, ces intermédiaires, ce sont parfois ce qu'on peut appeler des agents de corruption.
05:19C'est le cas de Zia Takhédine, qui est un homme qui avait déjà été mis en cause dans les années 90,
05:24sous le gouvernement du Premier ministre français Édouard Balladur.
05:27Il était accusé d'avoir récupéré de l'argent noir sur les ventes d'armes de l'État français avec plusieurs pays.
05:33En 2011, Mediapart reçoit des documents qui sont en fait les archives numériques,
05:37une sorte de disque dur de l'intermédiaire qui va nous permettre de plonger, si j'ose dire,
05:42dans le ventre des relations entre l'intermédiaire Zia Takhédine et l'équipe de Nicolas Sarkozy,
05:48qui est alors au ministère de l'Intérieur à partir de 2005, puis à l'Élysée à partir de 2007.
05:55Ce sera comme une découverte assez vertigineuse dans l'intimité de schémas de corruption
06:02qui vont nous permettre de comprendre, grâce à des photos, des rapports, des notes, des mails, des carnets manuscrits,
06:09quantité, des milliers et des milliers de documents authentiques,
06:13qu'il y a une histoire entre la France et la Libye de Kadhafi
06:16qui ne correspond pas au récit officiel qui a été fait par le président Sarkozy des relations diplomatiques entre les deux pays.
06:23Pourquoi l'enquête a pris autant de temps ?
06:25Une enquête contre la corruption, ce n'est pas comme une enquête sur un assassinat.
06:30Il n'y a pas d'ADN. Il n'existe pas de vidéo où on voit le dictateur remettre une valise au président.
06:35C'est pour ça que ces enquêtes prennent autant de temps, parce qu'elles sont internationales,
06:40elles sont gigantesques, elles sont sophistiquées, elles sont complexes,
06:43qu'on utilise les paradis fiscaux, un compte bancaire, deux comptes bancaires, trois comptes bancaires,
06:47un intermédiaire, un deuxième intermédiaire, et qu'il a fallu tout ce temps aux juges
06:52pour retracer le fil d'une histoire qui est un scandale d'État d'après les juges d'instruction.