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00:00C'est une semaine particulière que nous avons vécue. Les dix ans de l'attentat de Charlie Hebdo, c'était le 7 janvier 2015.
00:10Et inutile de rappeler les terroristes islamistes, les frères Kwashi qui ont abattu des membres de la rédaction de Charlie Hebdo pour des dessins, des caricatures de Mahomet publiées en 2006 dans le journal.
00:21Trois jours d'horreur où le terrorisme islamiste a frappé notre pays, le meurtre de la policière municipale Clarissa Jean-Philippe par Amédie Koulibaly le jeudi 8 janvier, la prise d'otage de l'Hypercacher, porte de Vincennes à Paris le vendredi 9 janvier,
00:35et au même moment la traque des frères Kwashi jusqu'à l'imprimerie de Da Martin en Goel en Sénémane.
00:42Alors je vous ai entendu beaucoup Philippe Valls cette semaine puisque vous étiez invité sur de nombreux médias.
00:50On est vendredi et depuis lundi vous êtes écouté par un grand nombre de français.
00:58Quel sentiment vous laisse cette semaine qui s'achève et cette célébration des dix années ?
01:06D'abord j'ai voulu, normalement le mois de janvier j'évite de parler, là je l'ai fait parce que c'était les dix ans, mais les dix ans ça pourrait être les quinze ou les sept,
01:19mais parce qu'il s'est passé des choses depuis, les assassinats de professeurs, d'autres attentats, le 7 octobre, la montée de l'antisémitisme en France, et tout ça est la même histoire.
01:31Donc le sentiment que j'ai, bizarrement ce n'est pas un sentiment politique.
01:37Plus la semaine passe, plus je repense aux gens dont j'étais le plus proche dans cette rédaction,
01:44qui étaient des gens qui faisaient des dessins pour faire rire, ils avaient la plume cruelle mais le cœur tendre.
01:53Ce n'étaient pas des gens méchants du tout, ils avaient le journalisme chevillé au corps à leur manière, mais ils avaient envie de parler aux gens, de leur faire plaisir,
02:04et moi qui ai vraiment bien bien connu certains d'entre eux pendant de longues années, et Cabu était un ami intime depuis les années 70,
02:14ce qui me vient à la fin de cette semaine, c'est de nouveau ce vertige que j'ai ressenti après les attentats,
02:23je mesure la profondeur de la bienveillance, de la gentillesse de ces gens, de Cabu notamment,
02:33comment il recevait les gens, même les gens avec lesquels il n'était pas d'accord, les jeunes dessinateurs, comment il les aidait,
02:40je ne l'ai jamais pris un moment, pendant tant d'années, un moment de méchanceté, jamais, jamais, peut-être mauvaise humeur, une fois ou deux, mais pas plus que ça,
02:52un respect de l'autre, un respect des gens différents, même d'opinions différentes,
02:58et savoir qu'autant de bienveillance, autant de gentillesse, autant d'incapacité de nuisance, se faire se retrouver devant des mecs cagoulés avec des kalachnikovs,
03:12et je n'arrête pas souvent de me remettre dans la peau de Volinsky, de Cabu, de Charpentier, qu'est-ce qu'ils ont ressenti,
03:20qu'est-ce qu'ont pu ressentir ces gens quand ils ont vu la mort arriver de cette façon, c'est quelque chose qui ne peut pas nous quitter, qui ne peut pas nous quitter.
03:28Qui était Volinsky, l'un des êtres les plus tendres également, que j'ai croisé parfois, et très drôle, et très gentil, un esprit...
03:38On est inquiet parce qu'on a tous le sentiment que chaque année qui passe est pire, et que depuis 2015, le climat est pire, et peut-être les actes le seront-ils aussi.
03:56Je lisais dans un sondage, à travers un sondage, que beaucoup de gens aujourd'hui disent « je ne suis pas Charlie ».
04:04On ne sait pas s'il y aurait 4 millions de personnes qui manifesteraient pour la liberté d'expression comme elles ont manifesté il y a 10 ans.
04:14Est-ce que vous avez ce sentiment que c'est de pire en pire ?
04:19D'une certaine façon oui, il y a des choses qui ont empiré, c'est la raison pour laquelle je parle cette semaine, j'ai envie de m'exprimer cette semaine,
04:27mais je ne sais pas s'il n'y aurait pas beaucoup de monde, parce que c'était la conjonction, ça n'était pas que Charlie, c'était la conjonction de trois crimes,
04:36de trois crimes qui ont été bien compris par la foule qui est descendue dans la rue à ce moment-là, et qui a touché à des choses pas forcément conscientes,
04:46c'était dans le préconscient ou dans la culture profonde des Français, c'est-à-dire qu'ils ont dit « je suis juif, je suis Charlie, et je suis policier ».
04:54Vous vous souvenez de ces pancartes, c'est une trilogie, c'est une trinité on pourrait dire, c'est comme liberté, égalité, fraternité, c'est ça qui a mis le feu,
05:04ça peut-être aussi et la mort de Cabu, parce qu'il était dans l'enfance de beaucoup de Français, parce qu'il y avait les émissions sur Dorothée,
05:14et ils adoraient ce personnage, ils adoraient ce personnage avec ses lunettes rondes qui les faisait rigoler avec des dessins,
05:20et ça a été un choc comme quelqu'un de la famille proche qui s'en va, mais « je suis flic, je suis juif, je suis Charlie »,
05:27c'est dans la culture profonde du pays, je parle en face d'un juriste éminent, c'est la délégation de la violence légitime, « je suis flic »,
05:37et on y tient beaucoup parce que c'est ce qui nous permet de vivre en paix entre nous, « je suis Charlie », c'est la liberté de conscience
05:45qui est très profondément ancrée dans la culture française, dans la culture européenne, et « je suis juif » parce qu'on ne peut pas imaginer
05:54l'Europe et l'esprit européen sans cette hybridation de la pensée grecque et de la pensée juive dès l'Antiquité et qui fabrique de l'Europe,
06:03d'ailleurs Israël aujourd'hui est un bout d'Europe au fond de la Méditerranée, cette pensée judéo-grecque ne cesse de fabriquer de l'Europe,
06:11« je suis juif », « je suis Charlie », « je suis flic », c'est « je suis européen » et je ne veux pas...
06:18Cet esprit voltairien, ce goût de l'insolence, ce goût de la dérision, un certain climat, une certaine manière de vivre, notre mode de vie,
06:27j'ai l'impression que tout cela, ce qui constitue l'ADN à la fois français mais l'ADN occidental, l'ADN européen,
06:35eh bien il est attaqué et de plus en plus attaqué, au risque peut-être de s'éteindre.
06:41J'ai bien peur que vous ayez raison, moi mon sentiment c'est que cette mort est qualifiable, injuste, même s'ils avaient été méchants,
06:54on vous dit qu'ils avaient une belle âme, mais même s'ils avaient été méchants...
06:56Oui, je suis d'accord, mais c'est un truc intime que j'ai dit, c'est l'objectif.
07:00J'observe bien parce que c'est vrai, c'était le cas.
07:03Qui a gagné dans cette affaire ? Est-ce qu'il y a un gagnant et un perdant ?
07:07Les terroristes, ils ont beaucoup gagné.
07:09Quand vous voyez aujourd'hui, est-ce qu'il y a cette liberté totale d'expression qu'il y avait avant ?
07:15Vous en voyez beaucoup des caricatures aujourd'hui ?
07:17Non, elles ont disparu.
07:19Quand vous voyez des enseignants qui n'osent plus parler d'un certain nombre de choses, c'était pas le cas avant,
07:26donc je crois que le climat s'est au contraire détérioré de ce point de vue-là.
07:30Il y a la peur aujourd'hui, il y a la retenue, on ne peut plus parler comme avant Charlie Hebdo.
07:38Donc je ne sais pas si la démocratie a vraiment gagné.
07:42Ce qu'on a gagné, c'était aussi le résultat de rappeler que j'avais présidé la commission d'enquête parlementaire sur ces attentats,
07:50c'est qu'on a renforcé tous nos dispositifs de sécurité,
07:55notamment depuis 2015, et ensuite le Mataclan, il n'y a pas eu un seul attentat projeté de l'extérieur en France.
08:04Il y a eu des attentats endogènes, il y a eu Nice, il y a eu beaucoup de choses,
08:09mais cette frappe qui venait de l'extérieur, non d'une idéologie, qui venait de Raqqa ou qui venait d'Afghanistan, c'est fini.
08:17On a réussi, enfin c'est fini.
08:19Ça peut se reproduire, attention, mais on a préservé notre sol de ces attaques extérieures,
08:25parce que Charlie Hebdo, ça a été commandité de l'extérieur.
08:28Le Mataclan, ça a été commandité de l'extérieur.
08:30Donc ça, il faut s'en féliciter.
08:32Mais sur le plan, des idées sur le plan de tous les jours...
08:35Charlie Hebdo, c'est commandité de l'extérieur par qui ?
08:37Al-Qaïda ou Yémen.
08:39Al-Qaïda ou Yémen, c'était donc les frères Kwashi,
08:42et là, s'il voulait, on s'est rendu compte qu'on n'avait pas les dispositifs,
08:46parce que nous, on a mis en évidence les failles à l'époque,
08:49qui étaient datés, c'était plus le même terrorisme.
08:53Et le 13 novembre, on le voit bien, notamment dans le film,
08:55c'est assez clairement exprimé, commandité de l'extérieur.
08:59Les frères Kwashi, il y en avait un notamment, qui était shérif,
09:01shérif Kwashi, qui était surveillé par la préfecture de police de Paris,
09:05qui a leur propre service de renseignement,
09:08il quitte Paris pour aller à Reims,
09:10et il n'y a plus de suivi.
09:12C'est-à-dire qu'on ne l'écoute plus,
09:14on ne le surveille plus, et quatre mois après,
09:16il revient et il commet Charlie Hebdo.
09:18Donc ça, ce sont des failles que nous avions pointées,
09:21et qui aujourd'hui ne pourraient plus, j'espère, se produire.
09:25Vous voulez qu'on écoute Miss France, qui a été interrogée ?
09:28Alors Miss France, bien sûr, je ne demande pas à Miss France d'être un relais d'opinion,
09:33mais je trouve que c'est révélateur, tout simplement,
09:35parce que c'est une jeune femme, on lui demande,
09:37est-ce que vous êtes Charlie ? Et voilà ce qu'elle a répondu.
09:39Vous êtes Charlie ?
09:41Je ne me prononce pas.
09:44Juste pour la liberté d'expression.
09:47Vous pourriez dire oui, c'est-à-dire,
09:49est-ce que vous pensez qu'en France, on a le droit au blasphème ?
09:54Ça, ça veut dire non ?
09:55Oui, je préfère pas me prononcer.
09:57Non, ça, ça veut dire non, par rapport au blasphème ?
10:00Je préfère pas me prononcer, vous ne voulez pas répondre.
10:02D'accord.
10:03Ça aurait été cool de dire oui, non ?
10:05Non.
10:07Bon, je ne veux pas lui faire le procès à cette jeune fille,
10:09mais elle, à mon, à mes yeux, elle symbolise...
10:12C'est la ligne éditoriale du monde.
10:16En gros, si vous voulez, Miss France et Le Monde,
10:18elles disent la même chose.
10:19Mais la cause est la même.
10:21C'est-à-dire que la cause,
10:23elle ne le sait même pas elle, mais c'est la peur.
10:26Comme les gosses dans la cour de récré,
10:28et qui disent, nous, on est contre le blasphème,
10:30et pour qu'on n'embête pas les religieux,
10:32parce qu'en réalité, ce n'est pas une conviction à 13 ans.
10:35C'est juste une crainte.
10:36On veut la paix avec les copains.
10:38Donc, on préfère dire ça,
10:40parce que les copains qui, eux, sont très formés religieusement,
10:44eux, ils savent que c'est non.
10:46Et les autres, ils disent, oui, non, mais...
10:48OK, on est d'accord avec eux.
10:50Donc, c'est la peur.
10:51Les enseignants, c'est la peur.
10:53Les hommes politiques, c'est la peur.
10:55Même les gens qui votent, et les filles,
10:57d'une certaine façon, c'est la peur aussi,
10:59mais déguisés avec des arguments moraux.
11:03Je pense que la dénonciation de l'islamophobie,
11:06c'est la peur.
11:07Parce qu'on a le droit de dénoncer une religion
11:10quand elle prend une allure radicale,
11:13quand elle devient une religion puritaine,
11:16médiévale et dangereuse.
11:18Il est 12h26,
11:19et je vais vous remercier, Philippe Val,
11:21parce que je sais que vous devez nous quitter,
11:23et puis nous vous dire notre affection.
11:26Merci.
11:27Parce que moi, je ne vous connaissais pas,
11:28il y a encore quelques mois,
11:30mais je vous rencontre régulièrement,
11:32et vous parliez de la bienveillance,
11:33tout à l'heure, des dessinateurs.
11:34Eh bien, elle est également de votre côté,
11:36cette bienveillance, cette gentillesse,
11:38et ce sourire que vous avez,
11:40et qui est une manière de voir la vie, bien sûr,
11:43et de regarder la vie, le rire.
11:45Je ne sais pas si Georges Fenech reste avec nous ou pas,
11:47Georges restera, lui.
11:49Il est tout brosé, Georges Fenech.
11:51Il était en vacances, il a beaucoup de chance.
11:53Les infos, tout de suite,
11:55et nous revenons pour la dernière partie de l'émission.
11:57Il est 12h26, vous écoutez Pascal Frost sur Europe.