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Enregistrée le jeudi 9 janvier 2025, voici la captation de la rencontre de Jean de Saint-Cheron autour de son nouvel ouvrage Malestroit, paru aux éditions Grasset.

Cette rencontre est animée par Sébastien Lapaque (Prix Renaudot essai 2024 pour Échec et mat au Paradis)

Vous souhaitant de belles lectures,

L'écume

La Quatrième :

Résistante décorée de la Légion d’honneur par le général de Gaulle, Yvonne Beauvais est une héroïne inconnue, et pour cause : on a voulu effacer son histoire. Cette femme dont la vie, dès l’adolescence, fut dédiée au service des pauvres, se fit religieuse à l’âge de 26 ans et transforma le couvent breton de Malestroit en une clinique moderne. Quand la guerre éclata, elle s’engagea dans la Résistance, cachant parmi ses sœurs une jeune juive puis des dizaines de résistants et de parachutistes alliés. Torturée par la Gestapo, elle sera couverte de médailles à la Libération. Mais elle avait le défaut d’être mystique… Son entourage lui attribuait des phénomènes extraordinaires, incompréhensibles (stigmates, visions, bilocation…), comme dans les récits du Moyen Âge. Or le surnaturel fait peur : il sent le soufre, le mensonge ou la folie. En 1960, neuf ans après la mort d’Yvonne à l’âge de quarante-neuf ans, l’inquisition de l’Église de Rome referma son dossier de canonisation de façon définitive, sur trois mots cinglants : « Trop de miracles ».
Qui était-elle vraiment ? Une illuminée ? Une affabulatrice prétendant avoir rencontré Adolf Hitler pour se faire briller ? Ou une vraie sainte, victime de misogynie et de jalousie, que firent finalement souffrir les grâces stupéfiantes qu’elle avait reçues ? La réponse est moins simple qu’on pourrait croire, quel que soit le camp dans lequel on se place, sceptique ou admirateur.
Retracer son destin, c’est plonger dans un roman mêlant légende, témoignage et récit mystique au cœur de la grande Histoire. Ce que Jean de Saint-Cheron fait avec style et fougue en mettant en scène à la fois son enquête personnelle et les jours d’Yvonne-Aimée. Sans jugement, il se place au plus près de la vérité pour tâcher de dire ce que fut l’existence de cette femme proprement extra-ordinaire.
Transcription
00:00Je suis très heureux d'être ici pour présenter le livre de Jean parce que je l'ai beaucoup aimé.
00:08J'étais très heureux de le défendre ce matin dans le Figaro littéraire.
00:12Moriac disait à propos de Bernanos qu'il était impossible de faire le portrait d'un saint
00:19et que seul Bernanos y avait réussi.
00:21Evidemment, sans doute il pensait à la matière romanesque, de rentrer dans la terre d'un saint.
00:27Jean, c'est déjà son deuxième portrait de saint, donc finalement ce n'est pas impossible.
00:31Vous pouvez parler plus fort ?
00:32Oui, pardon.
00:33Excusez-moi, là il faudrait un micro.
00:35Est-ce que je parle assez fort ?
00:36Non.
00:37Non ?
00:38Parce que là il faut que je trie.
00:39Mais excusez-moi.
00:40Alors donc, je parle plus fort.
00:43Oui, donc c'est vrai qu'après Thérèse de Lisieux, voici donc qui est un saint,
00:52finalement assez visité, qui fait moins peur parce que les sentiers sont un peu balisés.
00:57Là, Jean s'est attaqué à un saint, pas tout à fait un saint, on va y arriver,
01:01ce sera bien le sujet de notre conversation, avec des terrains beaucoup moins balisés.
01:05Il veut n'aimer que Jésus, qui n'a pas été justement canonisé par l'Église,
01:12mais d'une certaine manière, c'est tout le paradoxe du livre de Jean,
01:16canonisé par la République de manière laïque,
01:19avec toutes les médailles qu'elle a reçues pour ses faits de résistance.
01:22Donc, en fait, Jean commence de son livre sur ce paradoxe.
01:27On pourrait penser que le monde profane ne croit pas au saint,
01:30et le monde chrétien croit au saint.
01:32Et en fait, ce qui s'est passé dans son cas, c'est l'inverse,
01:34à savoir qu'elle a été reconnue, ses vertus héroïques,
01:39comme dit l'Église dans ses procès de canonisation,
01:41ont été reconnues par la République à travers les trois médailles qu'elle a reçues,
01:45et la reconnaissance que lui a donnée la patrie pour ses faits de résistance.
01:48Quant à l'Église, elle a bouclé son dossier de manière très farouche et très brutale,
01:54avec en plus, par un cardinal qui était un des durs de la curie à l'époque,
01:58le cardinal Ottoviani, qui sera par la suite un des cardinaux
02:02qui vont contester brutalement, non seulement le concile, mais aussi la réforme de la messe.
02:08Alors ça, c'est tout à fait étonnant.
02:10Il y a une autre chose aussi.
02:11Alors ça, c'est le premier contrat sur lequel j'interrogerai Jean,
02:14la sainte laïque et la sainte chrétienne.
02:18Et ensuite, il y a un autre paradoxe, à mon avis, qui habite ce livre.
02:22C'est la façon dont un regard profane peut regarder un saint.
02:27Nous ne sommes pas ici très loin de l'hôtel particulier du professeur Charcot,
02:33qui est la maison de l'Amérique latine aujourd'hui.
02:35Et le professeur Charcot avait écrit un livre qu'on trouve aujourd'hui,
02:39qui s'appelle La foi qui guérit.
02:41À savoir qu'au XIXe siècle, les savants positivistes regardaient toujours
02:46les faits miraculeux, les stigmates, tout phénomène de lévitation,
02:51toutes sortes de visions comme quelque chose d'extrêmement sérieux
02:56et essayaient de l'expliquer.
02:57Notamment après les apparitions à Lourdes, il y a tout un nombre de savants
03:02qui n'ont jamais pris les saints pour des affabulateurs.
03:07Ils essayaient d'expliquer, rationnellement et scientifiquement,
03:10pourquoi ces visions, pourquoi ces stigmates, pourquoi même ces bilocations,
03:16ces lévitations, tout ce qu'on pouvait imaginer, ces soleils qui tournaient
03:19à Fatima ou autre.
03:21Or, nous nous sommes maintenant dans un siècle...
03:24Et donc, voilà, par exemple, le professeur Charcot, c'est un exemple,
03:27je crois que tu le cites d'ailleurs dans ton livre, un exemple très fort.
03:29Mais il y a toutes sortes de savants positivistes qui ont essayé
03:33de regarder très sérieusement comment la Vierge Marie pouvait apparaître
03:37à quelqu'un tout en étant parfaitement athée et matérialiste.
03:41Et aujourd'hui, nous sommes plutôt dans un monde qui a été
03:45les philosophies du soupçon ayant fait leur travail,
03:47qui de toute façon va toujours soupçonner deux mensonges complets,
03:53quelqu'un qui aura ce genre de phénomène surnaturel.
03:57Et donc, ça fait un autre contraste, je trouve, dans le livre de Jean.
04:01Là, c'est un contraste finalement, on va dire, chronologique.
04:05Il adopte à la fois le point du carabin positiviste, comme je l'ai dit,
04:09du XIXe siècle, tout en ne croyant qu'il n'y a aucun fondement spirituel
04:14ni mystérieux à ces phénomènes, croit à ces phénomènes,
04:17enfin les prend en sérieux, et notre siècle qui croit avoir affaire
04:21à des affabulateurs.
04:22Donc voilà, je voudrais placer cette conversation sous le signe
04:26de ces deux contrastes, la Sainte de la République finalement,
04:30reconnue par l'Église, et non pas Sainte de l'Église,
04:32alors qu'on pourrait s'imaginer que c'est l'inverse,
04:33qu'il est plus facile à l'Église de faire des saints qu'à la République,
04:35quand c'est l'inverse qui s'est produit.
04:37Et ensuite, sur ce contraste entre notre regard qui doute de tout
04:44et qui prend les gens pour des menteurs, alors que les savants positivistes
04:48du XIXe siècle, au contraire, prenaient ce genre de phénomène
04:51assez au sérieux.
04:52Donc première question, en effet, comment se fait-il que la sœur Yvonne Aimée
04:57ne soit pas au sanctoral, mais soit presque sur les hôtels de la République ?
05:01Je pense que la première réponse qu'on peut apporter à cela,
05:05c'est qu'en tout cas, ces actions héroïques pendant la Résistance
05:07sont incontestables, c'est-à-dire qu'elles sont inscrites dans l'histoire,
05:12non seulement parce qu'il y a eu beaucoup de témoins,
05:14mais il y a même les témoins de ceux et celles qu'elle a secourus
05:18dans les temps de crise terrible, qu'étaient les circonstances de la guerre,
05:25qui ont parlé en sa faveur.
05:27Donc quand elle est décorée par le général Audibert,
05:31qu'elle a cachée dans son couvent pendant plusieurs semaines,
05:34évidemment, personne ne met en doute la parole du général Audibert
05:37qui dit « Cette femme extraordinaire a pris tous les risques
05:40pour m'arracher aux griffes de l'ennemi ».
05:43De la même manière, avec les dizaines et dizaines de maquisards,
05:47parachutistes, FFI, droppés sur le maquis de Saint-Marcel
05:53au moment de la bataille de juin 1944,
05:56les témoignages, évidemment, sont tellement éclatants et incontestables
06:01que la République n'a pu que reconnaître la valeur héroïque de cette femme.
06:07D'ailleurs, à ce titre, je voudrais relever une anecdote
06:12que j'ai découverte la semaine dernière, malheureusement,
06:15de longs mois après avoir terminé mon livre.
06:18C'est que Joseph Kessel, dans « Le bataillon du ciel »,
06:21s'est inspiré d'Yvonne Beauvais, d'Yvonne Aimée de Malétrois.
06:26Et il raconte une scène extraordinaire,
06:30que je prends grand plaisir à narrer également dans mon livre,
06:33qui est cette scène où la mère supérieure du couvent de Malétrois,
06:37donc la mère Yvonne Aimée, fait déguiser en religieuse
06:41deux parachutistes blessés pour pouvoir les faire échapper à la Gestapo.
06:46Et pour être sûre qu'elles ne soient pas dérangées,
06:50elle les fait mettre en prière devant le Saint-Sacrement à la chapelle
06:54parce qu'elle se dit que s'il y a bien un endroit
06:56où les Allemands n'iront pas les déranger,
06:58ces deux religieuses encore nettes en prière devant la chapelle,
07:00en fait, c'était deux parachutistes blessés sous l'abûr.
07:05Et Kessel a été tellement impressionné en apprenant cette anecdote
07:09dès 1945, de la bouche du colonel Bourgoin,
07:13qui avait mené la bataille de Saint-Marcel en juin 1944,
07:17qu'il a transposé cette anecdote dans son récit.
07:23Alors il transpose la scène du couvent des Augustines de Malétrois
07:29dans un Carmel, parce que Le bataillon du ciel est un roman,
07:32mais largement inspiré de faits historiques.
07:35Et la scène est très délicieuse à lire sous la plume de Kessel.
07:38Donc voilà ma réponse, c'est que la République n'a pas eu,
07:41d'une certaine manière, le choix de reconnaître les vertus héroïques
07:46d'Yvonne Beauvais.
07:48Pour l'Église, en revanche, ça a été beaucoup plus compliqué.
07:52Pour l'instant, impossible.
07:53Pour l'instant, impossible.
07:55Le cardinal Ottaviani, comme vous le disiez,
07:57referme le dossier, non sans une certaine violence, en 1960,
08:02parce qu'il y a cette formule, évidemment très choquante
08:05et en même temps assez amusante,
08:07par laquelle il clôt définitivement le dossier
08:10en interdisant qu'on publie quoi que ce soit sur la Sainte.
08:13Alors le décret a toujours cours.
08:15Donc là, malheureusement, je m'inscris en faux
08:18vis-à-vis de la loi du Saint-Siège par la publication de ce livre.
08:21Mais il termine, donc il achève son décret en disant
08:25« trop de miracles ».
08:26Alors la formule fait rire.
08:28Mais si on lit plus en détail ce qu'il dit,
08:31il affirme aussi, avec toute sa stature de cardinal-préfet du Saint-Office,
08:37qu'elle est une affabulatrice qui aimait fasciner son entourage.
08:41Donc à partir de là, évidemment,
08:43toute réouverture du procès en béatification
08:46était impossible, comme vous le dites.
08:49Alors pourquoi est-ce que l'Église est allée si vite ?
08:52On reproche parfois à l'Église d'aller trop vite pour canoniser certains.
08:56Là, pourquoi est-ce qu'elle est allée si vite
08:58pour enterrer un destin pourtant extraordinaire ?
09:02Parce que l'Église, je crois, a eu peur de l'engouement populaire
09:07qu'Yvonne Aimée et les phénomènes extraordinaires qui lui étaient prêtés
09:11commençaient à susciter.
09:12Il faut savoir que l'Église avait fait la même chose au XXe siècle,
09:1540 ans plus tôt, pour Padré Pio, par exemple.
09:19Il y avait eu des décrets du Saint-Office, déjà dans les années 1920,
09:22qui interdisaient aux pèlerins de se rendre chez Padré Pio, etc.
09:27décrétant que c'était un affabulateur, un menteur.
09:30Et puis, un siècle plus tard, l'Église l'a canonisé.
09:33Et alors, ce qui est amusant également, c'est que dans le décret de canonisation
09:36de Padré Pio, il n'y a rien sur les miracles.
09:38C'est-à-dire que les foules viennent au Vatican, à Rome,
09:41pour la béatification puis la canonisation de Padré Pio.
09:44Évidemment, les foules ne parlent que des stigmates.
09:46Et la seule chose qui intéressait Rome,
09:48en tout cas que Rome note dans le dossier,
09:50c'est qu'il a exercé la charité de manière extraordinaire,
09:53qu'il a fondé des hôpitaux, etc.
09:55Donc, il y a ce hiatus entre la foi populaire,
09:58qui est toujours suspectée, évidemment, de superstitions,
10:01de délires, d'hallucinations.
10:03Et puis, le dossier plus solide, pourrait-on dire,
10:08plus incontestable, sur lequel Rome a envie de s'appuyer
10:11quand il s'agit de canoniser quelqu'un.
10:13Et là, le côté extraordinaire, explicable,
10:17miraculeux est tellement énorme, en plein XXe siècle.
10:20Au XIIIe siècle, Yvonne Aimée Beauvais,
10:22elle serait bien passée.
10:24Au XIVe, encore, ça allait.
10:26À partir du XVe siècle, elle aurait peut-être commencé
10:28à avoir des problèmes.
10:29Mais au XXe siècle, alors là, c'est cuit, quoi.
10:31Alors, il faudrait peut-être que vous expliquiez
10:33la série de miracles à peu près effrayants,
10:37comme la résurrection du Lazare, selon Borgès,
10:40dont elle a été créditée,
10:42et qui a pu effrayer le cardinal Ottoviani.
10:44Alors, il y a la stigmatisation, d'abord,
10:48dont on dit qu'elle l'a vécue
10:51à des dizaines de reprises.
10:53Je ne sais pas si c'est clair pour tout le monde,
10:55la stigmatisation, c'est l'apparition mystérieuse,
10:58inexplicable ou inexpliquée, en tout cas,
11:00des plaies du Christ sur le corps d'un être humain,
11:04de chair et de sang,
11:05donc les traces des clous sur les mains et les pieds,
11:08et puis la plaie au côté droit,
11:10avec parfois les traces de la couronne d'épines,
11:12qui apparaissent et qui disparaissent
11:14sans qu'on puisse l'expliquer.
11:16Alors, les rationalistes dont vous parliez
11:19rivalisent d'hypothèses scientifiques
11:21pour expliquer ça.
11:22Il y a des hypothèses dermatologiques, par exemple,
11:25qui disent que certaines personnes
11:26ont une peau extraordinairement sensible,
11:28donc il suffit de se gratter légèrement
11:30à l'intérieur des paumes des mains,
11:32les pieds, pour sanguinoler à loisir.
11:36Évidemment, la thèse rationnelle
11:39ou rationaliste la plus courante,
11:41c'est celle du mensonge.
11:42C'est la plus facile.
11:43C'est de dire, tout simplement,
11:44c'est des faux témoignages.
11:46Soit elle s'est blessée elle-même,
11:47soit elle s'est scarifiée.
11:48Quand on réussit à démontrer,
11:50après des années d'enquête,
11:51qu'en fait elle n'a pas pu se scarifier
11:53parce que les études médicales
11:54par des médecins n'ayant pas la foi
11:57attestent le fait que ça n'a pas pu
11:58être fait par elle-même,
11:59on dit que c'est faux,
12:00que ça n'a jamais eu lieu.
12:01Alors, autre miracle ?
12:03La bilocation.
12:04Ça, ça vous fait plaisir, Sébastien,
12:06la bilocation.
12:07Évidemment, moi aussi, ça me fait plaisir.
12:11La bilocation, c'est...
12:13On parle parfois...
12:14Il y a un terme qui est plus fréquemment employé,
12:17qui est celui d'ubiquité,
12:18le fait d'être partout en même temps.
12:20C'est moins souvent attesté en Église catholique.
12:23C'est un terme plus courant,
12:24mais en fait, bon...
12:25Attester, d'ailleurs, c'est jamais attesté,
12:27l'ubiquité, la bilocation.
12:29Rome n'a jamais reconnu
12:30que quiconque est biloqué,
12:31je vous rassure tout de suite.
12:33Mais disons qu'il y a la tradition
12:37autour de certains saints
12:39qui affirment, Padré Pio par exemple,
12:41que certaines personnes
12:43ont reçu la grâce mystérieuse
12:45de pouvoir être à deux endroits à la fois.
12:47Alors, si on est intéressé
12:48par les phénomènes extraordinaires
12:49de la vie mystique,
12:50c'est moins bébête qu'il n'y paraît
12:52parce qu'en fait,
12:54dans tous les cas,
12:55pas attestés, encore une fois,
12:57scientifiquement,
12:58mais tous les cas de bilocation
13:00qui ont reçu tellement
13:01de témoignages concordants
13:03qu'il devient difficile
13:05de les écarter absolument.
13:06C'est-à-dire quand il y a
13:07les témoignages d'un témoin
13:08au point A tel jour à telle heure
13:10et d'un témoin au point B
13:12tel jour à telle heure
13:13et qu'on réussit à démontrer
13:15qu'ils n'étaient pas de mèche,
13:16qu'il n'y avait pas d'entente,
13:17qu'ils ne se connaissaient pas
13:19et qu'ils affirment
13:20mettre leur main à couper
13:23qu'ils étaient avec telle personne
13:26tel jour à telle heure,
13:27parfois à plusieurs centaines
13:28de kilomètres de distance.
13:29Évidemment, c'est problématique.
13:30Alors, on se dit,
13:31une fois, ils ont pu rêver.
13:32Deux fois, peut-être
13:34qu'ils ont pu rêver encore.
13:36Mais quand il y a des dizaines
13:37et des dizaines de témoignages
13:39sur des décennies,
13:40ça devient très mystérieux.
13:42Ça, c'est ma fille Madeleine
13:43qui n'est pas d'accord.
13:44Qui ne bilote pas.
13:45Qui n'a pas envie
13:46de biloter, en tout cas.
13:47Visiblement, ça fait peur.
13:48Alors, pourquoi je dis
13:49c'est moins bébête ?
13:50C'est que d'abord,
13:51il y a tous ces témoignages déroutants.
13:52Alors, évidemment,
13:53on peut toujours ne pas y croire.
13:54D'ailleurs, moi-même,
13:55je suis assez sceptique.
13:56Je crois que ça se sent dans les livres.
13:58Au 19e siècle,
13:59il y avait l'idée de l'aura quand même.
14:00Et alors, il y a l'idée
14:01du corps spirituel aussi.
14:03Donc, il espérit.
14:05Qui est encore défendu.
14:07C'était comme les apparitions
14:10d'ectoplasme, par exemple.
14:12C'est l'esprit humain
14:15qui serait tellement fort
14:17que dans certains cas limites,
14:19il serait capable de former
14:21comme une matière
14:22à côté du corps premier.
14:25Alors, pourquoi je dis
14:26c'est intéressant,
14:27c'est que dans tous les cas
14:28de bilocation autour desquels
14:31on a des témoignages,
14:32plus ou moins sérieux,
14:34il y a tellement de témoignages,
14:35qu'à chaque fois,
14:36le corps qui bilote,
14:39en réalité, ne peut agir
14:41que dans un seul des deux lieux
14:43où il se situe.
14:44Alors, Yvonne Aimée, par exemple,
14:46à un moment, un jour,
14:47elle biloque pour aller,
14:49bon, je ne sais plus où.
14:50Mais le corps qui reste
14:52dans le couvent de Malétrois,
14:53il ne peut faire
14:54que des gestes très mécaniques.
14:55C'est-à-dire qu'il ne peut plus parler.
14:57Les personnes qui l'ont vu
14:58à ce moment-là
15:00avaient l'impression
15:01d'être quasiment face
15:03à un mannequin de cire.
15:05Simplement, notamment une fois
15:06où elle était à la cuisine
15:07en train de tourner du lait,
15:08les yeux dans le vague.
15:09Et puis, son corps
15:11était à quelques centaines
15:12de kilomètres de là
15:14en train d'apporter un secours
15:16à des blessés français
15:17avant qu'on tire Allemande.
15:19Dernier miracle
15:20qui nous rappelle
15:21Nossa Senhora de Guadeloupe
15:23ou alors aussi
15:26Sainte Élisabeth de Hongrie.
15:28C'est les miracles,
15:30les flots de fleurs.
15:31Les Florali,
15:32les fameuses Florali.
15:34Si vous voulez offrir
15:35des roses fraîches en plein hiver,
15:36c'est la seule solution.
15:38À moins qu'elles viennent d'Éthiopie.
15:40Mais là, vous avez
15:41une empreinte carbone terrible
15:42du Kenya.
15:44Donc effectivement,
15:45il y a des scènes très bizarres.
15:47Là, c'est d'autant plus bizarre
15:48qu'on ne voit pas à quoi ça sert.
15:50Parce que...
15:52Et je vais y revenir d'ailleurs.
15:54La stigmatisation, on dit
15:55c'est signe
15:57que quelqu'un est allé
15:59au bout
16:00de là où il pouvait aller
16:01dans l'imitation du Christ
16:02qui a donné sa vie par amour.
16:04Alors, on se dit
16:05les plaies du Christ, d'accord.
16:06La bilocation...
16:07Surtout qu'elle souffre beaucoup.
16:08Surtout qu'elle souffre énormément
16:09et qu'elle avait accepté
16:10dans sa prière
16:11d'assumer cet apostolat
16:13de la souffrance
16:14pour la vie des autres
16:15et le bonheur des autres.
16:16Donc, à la limite,
16:17on peut valider.
16:19En tout cas, théoriquement,
16:20on peut comprendre la logique.
16:22La bilocation,
16:23chez les très grands charitables
16:25qui ont besoin d'aider
16:26des milliers de personnes,
16:27on dit finalement,
16:28la bilocation, c'est utile aussi
16:29parce que ça permet
16:30de donner les coups de main
16:31sans avoir à faire...
16:32Ou c'est quelqu'un qui va très vite.
16:33À faire 1000 kilomètres...
16:34Ou quelqu'un qui va très vite.
16:36Oui, tout à fait.
16:37Mais le concorde n'avait pas
16:38encore été inventé.
16:39Et puis, le troisième cas,
16:42c'est les floralies,
16:43les apparitions de fleurs
16:44dans la bouche
16:45ou autour d'elles.
16:46Alors là, ça ne sert à rien,
16:47pour le coup.
16:48Et quel est le sens de ça ?
16:50Ce n'est pas moi
16:51qui vais vous répondre.
16:52Mais en tout cas,
16:53ce qu'on peut suggérer,
16:54dans l'ordre de la foi chrétienne,
16:56évidemment,
16:57en dehors de la foi chrétienne,
16:58là, pour le coup,
16:59il n'y a pas d'autre solution
17:01que l'hallucination.
17:02Mais bon, les hallucinations,
17:03ça existe.
17:04Mais alors,
17:05quand ça devient
17:06une hallucination collective,
17:07c'est bizarre.
17:08C'est un extrait tout à l'heure,
17:09pour le coup,
17:10qui est attesté
17:11par les archives,
17:12d'une fois notamment,
17:13où une centaine de fœurs,
17:15de sœurs,
17:16a vu les fleurs.
17:17C'est la suggestion, ça ?
17:19Possiblement, possiblement.
17:21Mais ce qui est intéressant,
17:22c'est que ça ne sert à rien,
17:24les fleurs,
17:25si ce n'est,
17:26dans l'ordre de la foi,
17:27à dire précisément
17:28la gratuité de la grâce.
17:29La grâce de Dieu,
17:30elle ne sert à rien.
17:31Elle est donnée en surabondance.
17:32Vous allez nous lire
17:33un petit morceau,
17:34puis on fera
17:35les savants du XIXe
17:36à ronflaquettes
17:37après.
17:38Je croyais qu'on faisait
17:39le maquis après.
17:40Non, non, non.
17:41On va d'abord
17:42faire les savants
17:43du XIXe siècle
17:44sur une ou deux questions.
17:45Notamment,
17:46on y arrivera,
17:47c'est quand même
17:48la question
17:49que tout le monde
17:50ne sait pas.
17:51C'est l'extrême sévérité,
17:52parce que je ferai
17:53quand même un parallèle
17:54avec Bernadette de Lourdes,
17:55l'extrême sévérité
17:56de l'Église
17:57quand même
17:58à l'égard des saints
17:59que tout le monde
18:00ne sait pas.
18:01Voilà.
18:04Janvier 1928.
18:06Avant huit heures du soir,
18:08sœur Yvonne Aimée de Jésus
18:09est accablée
18:10par une fatigue extrême.
18:11Elle demande à se retirer.
18:14Mère Madeleine
18:15et mère Ange Gardien,
18:16la vieille maîtresse
18:17des novices,
18:18inquiètes,
18:19se rendent
18:20un quart d'heure plus tard
18:21dans sa cellule
18:22pour s'assurer
18:23que tout va bien.
18:24Elles poussent la porte
18:25et trouvent leur sœur
18:26plongée dans un sommeil
18:27profond,
18:28paisible,
18:29les mains croisées
18:30sur la poitrine.
18:31Sur le lit,
18:32tout autour d'elle,
18:33sur le sol
18:34et sur la table basse,
18:35des fleurs ont été disposées,
18:37à même les draps
18:38ou dans des vases,
18:40brassées de roses,
18:42œillets,
18:43renoncules,
18:44violettes.
18:45D'où viennent toutes ces fleurs
18:47en plein mois de janvier,
18:48ma mère ?
18:49Je n'en sais rien,
18:50ma mère,
18:51je n'en sais rien,
18:52c'est un prodige.
18:53Allez vite chercher
18:54M. Lomonier à la chapelle
18:56et toutes les sœurs
18:57que vous trouverez
18:58encore levées.
18:59Et puis non,
19:00faites venir tout le monde,
19:01toute la communauté.
19:02Prenez une clochette,
19:04vite, vite.
19:06Et les sœurs du couvent,
19:08ébahies,
19:09ainsi que M. Bruno,
19:11défilent dans la cellule
19:13sur la pointe des pieds
19:14en susurrant des mots
19:16tels que miracle
19:17ou doux Jésus.
19:19Yvonne dort,
19:21souriante.
19:22Dans le couloir,
19:24le couvent agité
19:25se fait la réflexion
19:26que de ces myriades
19:27de fleurs roses et blanches
19:29s'exhalait une odeur d'encens.
19:31Deux mois plus tard,
19:33le 8 mars 1928,
19:35une jeune sœur
19:36entre en trombe
19:37dans le bureau
19:38de Mère Madeleine
19:39après l'office.
19:40À la chapelle, ma mère,
19:41j'ai vu la poitrine
19:42de sœur Yvonne Aimée de Jésus.
19:44Elle brûlait.
19:45Enfin, croyez-moi,
19:46je vous en prie,
19:47voyez, comme sœur Yvonne Aimée
19:49et moi sommes voisines
19:50dans les stalles,
19:51à un moment,
19:52elle ne chantait plus vraiment.
19:53C'était comme un murmure.
19:54Alors, j'ai tourné
19:55la tête vers elle
19:56et sur son habit,
19:57juste là, sur sa poitrine,
19:58j'ai vu une marque lumineuse
19:59comme une incandescence.
20:01Je n'en croyais pas mes yeux.
20:02Mais c'était comme
20:03si son cœur brûlait.
20:05Quand j'ai regardé son visage,
20:06elle avait l'air
20:07de souffrir atrocement.
20:09Et en même temps,
20:10il y avait une sorte de joie
20:11où je ne sais pas.
20:12Elle n'a pas remarqué
20:13que je la regardais.
20:14Elle était ailleurs.
20:16Je suis seul à avoir vu.
20:18Puis tout s'enchaîne.
20:19À la fin du carême,
20:20le 5 avril 1928,
20:22Mère Ange Gardien
20:23soupçonne une nouvelle crise.
20:24C'est le jeudi saint,
20:25trois jours avant Pâques
20:26et Yvonne Aimée
20:27apparut douloureuse.
20:28On lui a demandé
20:29d'aller se reposer.
20:31Sœur Marie-Madeleine,
20:32novice, reçoit l'ordre
20:33d'aller la soutenir
20:34dans sa cellule.
20:35Après quelques minutes,
20:36la jeune sœur,
20:37haletante, revient à grands pas.
20:39Elle dit avoir trouvé
20:40Sœur Yvonne Aimée
20:41à genoux sur le parquet
20:42de sa cellule
20:43comme prostrée.
20:45Elle s'est approchée lentement
20:46et l'a contournée
20:47parce que Sœur Yvonne Aimée,
20:48qui n'a pas remarqué
20:49sa présence,
20:50était tournée vers le mur.
20:52Elle pleurait
20:53des larmes de sang, ma mère.
20:55Le lendemain,
20:56vendredi saint,
20:57jour de la crucifixion,
20:58c'est Mère Madeleine en personne
21:00qui trouve Yvonne étendue
21:02sur le sol de sa cellule,
21:04son habit maculé de sang,
21:06le visage révulsé,
21:08tout son corps se tordant
21:10dans d'affreuses convulsions.
21:12Au lendemain de ces événements,
21:14Yvonne Aimée est serviable,
21:15sans affectation, gourmande.
21:17Elle n'en a que pour ses sœurs,
21:18cherchant à les faire rire,
21:19parlant de choses légères.
21:21À partir de cette époque,
21:22elle ne dit plus rien
21:23de ce qu'elle vit,
21:24à part au père Crété,
21:25son directeur.
21:26Elle est de plus en plus convaincue,
21:27son journal l'atteste,
21:29que les mots ne peuvent pas dire
21:31ce qu'est la souffrance.
21:33L'amour, pas davantage,
21:34parce qu'il est ineffable.
21:36Les témoins oculaires
21:37des floralis en plein hiver
21:39ou des stigmates du vendredi saint
21:41ont reçu défense d'en dire
21:42quoi que ce soit à quiconque.
21:44Le risque de scandale
21:45finira par retomber.
21:47On ne parlera plus de démence
21:49ni de contrefaçon mystique.
21:51Le silence durera longtemps,
21:53à tel point que
21:54dans les années suivantes,
21:56celles qui avaient vu l'incroyable,
21:58voyant désormais Yvonne
21:59si pragmatique
22:00dans les choses quotidiennes,
22:02si enthousiaste au réfectoire,
22:04si simple,
22:05se disaient qu'elles avaient dû rêver.
22:08Bien, merci.
22:09Alors c'est vrai que
22:10ma dernière question
22:11nous permet de faire le lien
22:13entre le regard de gens
22:15comme Charcot,
22:16dont je parlais tout à l'heure.
22:18C'est vraiment ce qui s'est passé
22:20au moment de Lourdes,
22:21à savoir que Bernadette
22:22était déjà religieuse,
22:24avant de...
22:26Elle n'était pas encore religieuse,
22:27la situation est différente.
22:29Elle est devenue religieuse
22:30après les apparitions,
22:31alors qu'Yvonne Aimé
22:32était déjà religieuse,
22:34même si dans son adolescence
22:36et sa jeunesse que vous évoquez,
22:37il y a des phénomènes
22:38très étonnants.
22:39C'est aussi sur le statut
22:41littéraire de votre livre
22:43dont je parlais.
22:45Les portraits de saints
22:46sont difficiles à faire.
22:47Il y a des exemples littéraires.
22:49Très grand,
22:51Nothel a écrit sur
22:52Saint-Benoît-Joseph-Flabre.
22:55Je trouve que vous avez réussi
22:57l'équilibre d'une vie de saint.
22:59Le risque, effectivement,
23:01c'est quand même
23:02la littérature de sacristie
23:04un peu édifiante.
23:05C'est très difficile.
23:06Il y a toujours des gens
23:07qui ont été extrêmement...
23:09qui ont réussi,
23:10donc bravo à votre retour
23:11de la récit.
23:12Je pense à un livre
23:13qui s'appelle
23:14Bernadette de Lourdes
23:15de Franz Werfel,
23:16qui était un ami de Stéphane Zweig
23:17qui lui était juif.
23:18C'était intéressant
23:19parce qu'il avait,
23:20pendant la déroute de 1940,
23:21séjourné à Lourdes
23:22et il avait promis
23:23que s'il s'en sortait,
23:24il écrirait,
23:25aux Etats-Unis,
23:26ça a donné un film,
23:27une vie de Bernadette.
23:28C'est une vie très épaisse
23:29et on se rend compte,
23:30à partir du moment
23:31où elle avait vu la Vierge,
23:32et c'est pour ça que
23:33ça recoupe votre travail,
23:35bien que Yvonne Aimée
23:36n'ait pas été canonisée,
23:37l'inquisition de l'Église,
23:41puisque c'est le Saint-Office,
23:42à la limite de la persécution
23:44à laquelle ça donne lieu.
23:47Et ça, vous racontez bien ça,
23:49s'il y a bien une chose
23:50auquel...
23:51Et c'est drôle,
23:52parce que le film
23:53avec Vincent Lindon
23:54qui s'appelle
23:55« L'apparition de nos parliers »
23:56montre bien ça.
23:57S'il y a bien une chose
23:58auquel il faut surtout
23:59qu'il n'arrive à personne,
24:00c'est de voir la Vierge,
24:01parce qu'il ne peut rien
24:02vous arriver pire.
24:03On s'est donné pari
24:04pour dix ans de torture
24:05entre les mains
24:06des exorcistes et des psychiatres.
24:07Alors justement,
24:08racontez ça,
24:09à quel point
24:10elle est épouvantable
24:11d'avoir fait un miracle.
24:12Épouvantable, absolument,
24:13parce que Yvonne Aimée,
24:14au tout début,
24:15elle raconte ça
24:16dans son entourage,
24:17à ses amis.
24:18Elle n'est pas encore religieuse.
24:19Elle a quasiment dix ans
24:20à l'accepter au couvent
24:21parce que c'est tellement bizarre
24:22que surtout la supérieure
24:24de Malétrois
24:25ne veut pas en entendre parler.
24:26Puis l'évêque de Vannes non plus.
24:28Donc surtout, loin de nous,
24:31tous ces délires mystiques.
24:33Et puis malgré tout,
24:35elle est tellement pragmatique,
24:37parce que bon,
24:38là je viens de lire
24:39un passage totalement délirant,
24:40mais je l'ai choisi à loisir,
24:42parce que c'est une friandise.
24:44Mais tout le livre
24:45n'est pas comme ça,
24:46parce qu'en réalité,
24:47c'est une femme
24:48qui, dans le courant des jours,
24:49est extraordinairement normale,
24:51joyeuse, guirette,
24:53très pragmatique.
24:55Et puis surtout,
24:56sur laquelle le couvent de Malétrois,
24:58assez vite,
24:59va voir qu'elle peut s'appuyer
25:00pour développer la clinique,
25:01notamment parce que
25:02c'est des vieilles sœurs
25:03qui ne sont pas très à l'aise,
25:05qui ont un peu les deux pieds
25:06dans le même sabot.
25:07Et elle voit cette jeune fille,
25:09sœur tempête,
25:10comme vous l'avez si joliment appelée
25:12dans votre papier, Sébastien.
25:14Elle voit cette sœur tempête débarquée
25:16qui est capable
25:17de poursuivre 50 projets à la fois,
25:19de construire,
25:21de faire construire une clinique,
25:23de faire des voyages
25:24dans les terres australes de l'Afrique
25:26ou au Canada
25:27pour ouvrir de nouveaux couvents.
25:28Elle-même, elle-même.
25:29Elle-même.
25:30De réformer la règle,
25:31d'aller présenter les statuts réformés,
25:33modernisés au Saint-Siège
25:35pour les faire avaliser par le pape
25:37pour dépoussiérer tout ça.
25:38Et donc, à la fois,
25:39il y a ce côté extraordinairement pragmatique,
25:41les pieds sur serre.
25:42Et puis le moment
25:43où elle va le montrer
25:44de manière plus éclatante,
25:45c'est évidemment pendant la guerre,
25:46où elle va être une pourvoyeuse
25:48de faux papiers absolument extraordinaire.
25:50Elle va trouver des moyens
25:52pour faire fuir les résistants
25:54pourchassés en Espagne
25:56par des types qu'elle sous-doit.
25:58Ils prennent les départementales à moto
26:00pour rejoindre la frontière, etc.
26:02C'est des trucs sur des centaines de kilomètres.
26:04Donc, elle est extraordinairement pragmatique.
26:09Et en cela,
26:11on la distingue forcément
26:14de la plupart des grandes figures mystiques
26:16qu'on connaît en Église catholique
26:18qui très souvent,
26:19en particulier chez les stigmatisés
26:21ou les prétendus stigmatisés,
26:23ont passé leur vie couché sur leur lit.
26:25Là, ça n'a absolument rien à voir.
26:27Enfin, pas tout à fait
26:28parce que comme vous le dites dans votre livre,
26:30deux seuls stigmatisés sont reconnus par l'Église.
26:32Saint-François d'Assise
26:33et Sainte-Catherine de Sienne.
26:34Qui ne sont pas restés dans leur lit.
26:35Eux, ils ne sont pas restés dans leur lit.
26:36Je pense plutôt aux figures
26:37qu'on a au 19e, au 20e siècle.
26:38Surtout au 20e siècle, d'ailleurs.
26:39Donc, elle, elle est à mille milles de ça.
26:43Et donc, pourquoi elle va se faire,
26:45malgré tout, torturer par l'Église ?
26:47Parce que ça fait peur à l'évêque.
26:48Il ne veut pas de scandale.
26:49Et du coup, elle va passer
26:50pendant des mois et des années
26:52entre les mains notamment
26:53de l'exorciste de Paris d'alors
26:55qui s'appelait Joseph de Tonquedec
26:57qui est un homme extraordinairement intelligent.
26:59Un élève de Bergson
27:01qui avait publié plusieurs livres de philosophie
27:04et qui avait été nommé exorciste du diocèse
27:06qui a passé plus de 20 ans
27:07à la tête du bureau d'exorcisme
27:09du diocèse de Paris.
27:12Et qui lui, c'est assez étonnant
27:14parce qu'évidemment, il considère
27:18dès les premières fois
27:20qu'il l'entend parler d'elle
27:21avant même de la voir
27:22que c'est probablement une affabulatrice
27:24parce qu'il connaît ce genre de racontard.
27:30Et il va la poursuivre quand même
27:32de ses enquêtes.
27:33Il va la faire passer entre les mains
27:34de nombreux médecins,
27:36de psychiatres également
27:37pour examiner les plaies sur son dos
27:39parce que, ah oui, on n'a pas parlé
27:40des combats contre le diable.
27:42On est mystique ou on ne l'est pas.
27:44Mais donc, il y a des traces
27:46de lacérations sur son dos, etc.
27:48Et lui, entouré de médecins
27:50qui n'ont pas la foi,
27:52en plusieurs années,
27:53ne réussira pas à établir la fraude.
27:55Jamais.
27:56Et d'ailleurs, quand finalement
27:57Yvan Aimé, par une autorisation spéciale
28:01de l'évêque, finira par entrer
28:03à mal étroit,
28:05parce que l'évêque finit par être convaincu
28:07qu'elle est sans doute sincère
28:09même s'il a du mal à croire
28:11au phénomène extraordinaire.
28:12Il a besoin d'elle, de toute façon,
28:14de manière pratique
28:15pour faire tourner le couvent.
28:17Parce que c'est une jeune femme
28:20dont il sent bien qu'elle est aussi
28:21très sincère.
28:22Donc, elle lui fait un peu de peine.
28:23Il se dit, peut-être qu'elle a
28:24deux ou trois délires dans son coin
28:25mais malgré tout, elle est intéressante.
28:27Et ton Québec sera frustré
28:30pour le restant de ses jours
28:31de ne pas avoir pu aller
28:32au bout du dossier.
28:33Alors, vous allez nous lire
28:35un dernier extrait
28:36que je vais commenter par avance
28:38Moi, j'avais quand même une hypothèse
28:40en lisant votre livre.
28:41Parce qu'il y a quand même un mystère.
28:42Pourquoi l'Église s'est braquée
28:43et malgré tout, pourquoi l'enquête
28:44n'a pas continué ?
28:45Même si, comme vous l'expliquez,
28:47avec Jean-Paul II,
28:48il y a à nouveau eu autorisation
28:49d'en parler.
28:50Normalement, quand le dossier est fermé,
28:51il est fermé.
28:52C'est le cardinal Ratzinger
28:54qui a autorisé ça
28:56parce que
28:59les grands défenseurs d'Yvonne Aimée
29:02qui étaient les pères Labute et Laurentin
29:05ont fait un tel lobbying
29:07que Ratzinger a fini par accepter
29:09parce qu'il sentait
29:10qu'il y avait une émulation
29:11autour de la figure.
29:12Il a préféré la canaliser.
29:13Il a dit, OK, vous pouvez publier
29:15sous condition
29:16certains documents d'archives expurgés.
29:19Et donc, finalement,
29:21les quelques rares opuscules
29:23qui ont paru sur son compte
29:25étaient quasiment avalisés à l'avance
29:27par le Saint-Office
29:28qui voulait un peu maîtriser la chose.
29:29Mais l'aspect politique
29:30qui éclaire le passage
29:32que vous allez nous lire,
29:34je me suis rendu compte
29:35en lisant la correspondance
29:37des sœurs du Carmel de Lisieux
29:39pour suspendre la condamnation
29:40de l'Action française
29:41que le cardinal Ottoviani
29:42était déjà dans la manœuvre
29:44pour permettre à Maurras
29:46de ne plus être à l'index
29:47et à l'Action française
29:48de ne plus être à l'index.
29:49Ensuite, on se rend compte
29:52qu'elle avait peut-être un côté.
29:56On a l'impression que l'Église de France,
29:58disons-le, a un peu pêché
29:59pendant l'occupation
30:01et qu'il faut peut-être même
30:03d'être une sainte,
30:04ça aurait fait peut-être
30:05pas une sainte gaulliste,
30:06mais en tout cas gaullienne,
30:08et que l'Église peut-être
30:09avait l'idée quand même
30:10dans l'après-guerre
30:11d'un petit peu oublier tout ça
30:14et elle aurait été un symbole
30:15peut-être de l'élection divine
30:17du général de Gaulle
30:19et de son épouse Yvonne.
30:21Mais j'ai l'impression
30:22en lisant la fin de votre livre
30:23que vous penchez
30:24pour cette hypothèse.
30:25Vous voulez dire
30:26que le cardinal Ottoviani
30:27aurait été vichyste ?
30:29Bah disons qu'en tout cas...
30:31Ah oui, parce qu'il faut dire
30:32une autre chose
30:33que j'ai oublié de préciser,
30:34c'est encore ce que vous avez
30:35oublié de dire,
30:36c'est que le jésuite Toncédèque
30:37était un jésuite moracien.
30:38Ah oui, oui, absolument.
30:39Donc en plus,
30:40elle était entre les mains
30:41d'un exorciste moracien
30:42et ensuite,
30:43elle a eu affaire
30:44au cardinal Ottoviani
30:45qui avait des tendresses
30:46pour Morace.
30:47Donc voilà,
30:48et donc pour Pétain.
30:49Donc vous allez nous lire
30:50un passage tout à fait délicieux
30:51de votre livre
30:52qui me semble penser
30:53que vous allez être d'accord
30:54avec moi.
30:55Mais lequel, du coup ?
30:56Sur Yvonne.
30:57Ah, sur Yvonne,
30:58l'autre Yvonne.
30:59Oui.
31:01Le lieutenant-colonel
31:02a garé sa Simca
31:031400 mètres
31:04avant le rond-point,
31:05le long de la RN 306
31:07qui relie
31:08la porte de Chatillon
31:09et Rambouillet.
31:10La DS19,
31:11précédée de deux motards
31:12de la gendarmerie nationale,
31:14passe la ligne d'horizon
31:15à vive allure.
31:17Le lieutenant-colonel
31:18agite un journal
31:19par la fenêtre de la Simca
31:20en direction d'une Renault-Estaphette
31:21de couleur jaune,
31:22garée une centaine
31:23de mètres plus haut
31:24au croisement
31:25de la rue Charles-de-Brie.
31:26D'un geste entendu,
31:27le conducteur de l'Estaphette
31:29avertit à son tour
31:30Georges Vatin
31:31qui occupe
31:32la place du mort
31:33dans une Citroën ID19
31:35stationnée en face,
31:36derrière une haie de Trohaine
31:38à l'entrée de la rue Dubois.
31:40Ça y est,
31:41Georges Vatin entend
31:42le moteur de la DS.
31:43La porte coulissante
31:44de l'Estaphette
31:45s'ouvre d'un coup,
31:46en même temps que
31:47les portières de l'ID,
31:48déluge de feu.
31:49Les pneus avant de la DS19
31:51s'affaissent,
31:52mais le chauffeur accélère
31:53en serrant les dents,
31:54maintenant le cap
31:55sur la RN 306
31:56en dépit du soldé.
31:57Il frôle de justesse
31:58une panharde
31:59qui vient en sens inverse.
32:00L'Estaphette,
32:01conduite par Gérard Buzyn,
32:02engage la poursuite,
32:03tandis qu'Alain Delatocnet,
32:04penché par la fenêtre,
32:05mat 49 au point,
32:06continue d'arroser
32:07la voiture noire
32:08déjà criblée de balles
32:09et dont la vitre arrière
32:10vole en éclats.
32:11Le ciel était gris
32:12quand on s'est mis en route,
32:13une demi-heure plus tôt,
32:14ce 22 août 1962.
32:15Sur la banquette arrière,
32:16Yvonne regardait
32:17le paysage de banlieue
32:18défilée par la rue Dubois.
32:19Yvonne,
32:20à l'entrée de la rue Dubois,
32:21s'approche
32:22d'une voiture
32:28La déesse roulait vite.
32:30Maison en meulière,
32:32café le Maryland,
32:33le Diplomate,
32:34bar des amis,
32:35terrain vague
32:36bordé de palissades
32:37et de réverbères,
32:38et puis ces routes modernes,
32:39goudronnées,
32:40qu'on doit
32:41à l'aide américaine.
32:42Paris outragé,
32:44Paris brisé,
32:45Paris martyrisé,
32:46mais Paris libéré,
32:48libéré par son peuple,
32:50comme c'est loin
32:51déjà tout ça.
32:53Yvonne porte la main
32:54à sa poitrine.
32:55Dans la poche
32:56intérieure de sa veste,
32:58elle presse le portrait
32:59d'une autre Yvonne.
33:01Et puis soudain,
33:02les détonations,
33:03le mouvement brusque
33:04de la voiture
33:05et la voix d'Alain de Boissieu
33:06qui s'écrit
33:07« Mon père, baissez-vous ! »
33:09Fumée,
33:10rafales assourdissantes,
33:11bruit de verre,
33:12ça n'a duré
33:13que quelques secondes.
33:15Lorsqu'un quart d'heure plus tard,
33:16sur la base aérienne
33:17de Villa-Coublay,
33:18la grande Zora déploie
33:20son double-mètre intact
33:22en déclarant
33:23« Cette fois, messieurs,
33:24c'était tangent »
33:25avant de murmurer,
33:26dit-on,
33:27petit tireur,
33:28« Tante Yvonne s'inquiète
33:29de sa précieuse cargaison.
33:31J'espère que les poulets
33:32n'ont rien. »
33:34On ouvre le coffre de la déesse,
33:36les volailles en gelée
33:37prises quelques heures
33:38plus tôt chez Fauchon,
33:39place de la Madeleine,
33:40sont indemnes.
33:41« Vous êtes brave, Yvonne ! »
33:43conclut le grand Charles.
33:45Yvonne, aimée de Jésus,
33:46est morte il y a
33:47une bonne décennie déjà,
33:48mais depuis que son mari
33:49l'a décorée
33:50le 22 juillet 1945,
33:52Tante Yvonne lui vaut
33:53une sorte de culte.
33:55Elle conserve sur elle
33:56une photo de la très rêvante mère
33:58dont le départ au ciel
33:59le 3 février 1951
34:01n'a fait qu'accroître
34:02sa dévotion pour elle.
34:04En ces temps difficiles,
34:06elle lui confie particulièrement
34:07la protection du général.
34:09Il a réchappé
34:10de plusieurs attentats
34:11au cours des mois précédents.
34:13Le 22 août 1962,
34:16à 20h19,
34:17aux abords du rond-point
34:18du Petit Clamart,
34:19187 balles sont tirées
34:21aux fusils mitrailleurs,
34:23dont 14 atteignent
34:24la déesse présidentielle,
34:26certaines ayant été retrouvées
34:27dans le dossier des sièges.
34:29Ça n'a jamais été
34:30aussi tangent en effet.
34:32Un miracle, dira-t-on.
34:34Pour Yvonne, pas d'erreur.
34:36C'est la petite mère
34:37de Maletrois qui est intervenue.
34:39L'anecdote familiale
34:41m'a encore été confirmée
34:42à l'été 2024
34:44dans un jardin
34:45ombragé de l'Essonne
34:46par un arrière-petit-neveu
34:48du général.
34:50Ben voilà.
34:58Merci beaucoup.
35:00Merci beaucoup Sébastien.
35:02Merci pour votre magnifique papier
35:04dans le Figaro littéraire du jour.
35:07Merci à vous tous d'être là.
35:11Je suis très, très touché.
35:12Je remercie particulièrement
35:13ma femme Marie-Pia,
35:15qui m'a donné le temps
35:16d'écrire ce livre
35:17en réunissant sur les vacances familiales.
35:19Bon maintenant,
35:20depuis la naissance de Madeleine
35:21il y a trois mois,
35:22ça va peut-être être
35:23de plus en plus difficile
35:24de trouver du temps libre
35:25pour écrire.
35:26Mais en tout cas,
35:27merci de tout cœur.

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