Chères lectrices, chers lecteurs,
Enregistrée le mercredi 5 novembre 2024, voici la captation de la rencontre de Louise Chennevière autour de son troisième ouvrage, Pour Britney, paru aux éditions POL.
Cette rencontre est animée par Sarah Pirard.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
« J’ai écrit ce texte comme un hommage à celle que j’avais tant aimée, et que j’avais si brutalement congédiée, car se construire en tant que jeune femme avait d’abord signifié pour moi, comme pour beaucoup de filles de ma génération : apprendre très tôt à mépriser les choses que nous avons adorées. Petite fille, il n’y avait pas d’autre destin pour moi que de devenir Britney. Plus tard elle a incarné le symbole de tout ce que je méprisais de la féminité. À l’âge de trente ans, j’ouvre ses mémoires, et ce que je découvre me glace : un destin féminin rejoué sous tous les soleils et qu’elle allait incarner de façon paroxystique. La jeune femme brûlée sur l’autel de sa gloire. Son histoire si particulière, et pourtant si classique, a résonné en moi avec celle de Nelly Arcan (écrivaine, a publié Pute, aux éditions du Seuil en 2001, se suicide le 24 septembre 2009) dont je venais de découvrir l’écriture incandescente. Nelly, l’un des esprits les plus lucides et les plus brillants qu’il m’ait été donné de rencontrer, qui avait eu le malheur de s’incarner dans un corps de femme, d’être en prison dans ce corps-là, et qui finirait par se donner la mort. »
Ce texte entremêle le destin et l’œuvre de ces deux femmes, apparues sur la scène du monde à l’aube du XXIe siècle, qui aurait dû être celui de leur triomphe mais qui allait les broyer. Le suicide de Nelly, l’enfermement de Britney sous la tutelle de son père, voilà deux preuves éclatantes de la violence qui se déchaîne dans ce monde contre toute femme qui aurait l’audace de se penser et de se vivre, puissante, libre et sauvage. Violence dont Louise Chennevière comprend ici avoir été la complice involontaire en se détournant si brutalement de Britney Spears, et en ignorant jusqu’à aujourd’hui l’œuvre de Nelly Arcan. Ce texte est une tentative de réparation. C’est aussi un cri de révolte contre la figure envahissante de la jeune fille, qui domine les imaginaires et soumet les corps. Cette figure idéaliste et mortifère que les hommes n’ont de cesse de traquer et après laquelle courent les femmes jusqu’à leur perte. À cette figure-là, le texte oppose un devenir femme qui saurait s’affran¬chir des peurs et des normes."
Enregistrée le mercredi 5 novembre 2024, voici la captation de la rencontre de Louise Chennevière autour de son troisième ouvrage, Pour Britney, paru aux éditions POL.
Cette rencontre est animée par Sarah Pirard.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
« J’ai écrit ce texte comme un hommage à celle que j’avais tant aimée, et que j’avais si brutalement congédiée, car se construire en tant que jeune femme avait d’abord signifié pour moi, comme pour beaucoup de filles de ma génération : apprendre très tôt à mépriser les choses que nous avons adorées. Petite fille, il n’y avait pas d’autre destin pour moi que de devenir Britney. Plus tard elle a incarné le symbole de tout ce que je méprisais de la féminité. À l’âge de trente ans, j’ouvre ses mémoires, et ce que je découvre me glace : un destin féminin rejoué sous tous les soleils et qu’elle allait incarner de façon paroxystique. La jeune femme brûlée sur l’autel de sa gloire. Son histoire si particulière, et pourtant si classique, a résonné en moi avec celle de Nelly Arcan (écrivaine, a publié Pute, aux éditions du Seuil en 2001, se suicide le 24 septembre 2009) dont je venais de découvrir l’écriture incandescente. Nelly, l’un des esprits les plus lucides et les plus brillants qu’il m’ait été donné de rencontrer, qui avait eu le malheur de s’incarner dans un corps de femme, d’être en prison dans ce corps-là, et qui finirait par se donner la mort. »
Ce texte entremêle le destin et l’œuvre de ces deux femmes, apparues sur la scène du monde à l’aube du XXIe siècle, qui aurait dû être celui de leur triomphe mais qui allait les broyer. Le suicide de Nelly, l’enfermement de Britney sous la tutelle de son père, voilà deux preuves éclatantes de la violence qui se déchaîne dans ce monde contre toute femme qui aurait l’audace de se penser et de se vivre, puissante, libre et sauvage. Violence dont Louise Chennevière comprend ici avoir été la complice involontaire en se détournant si brutalement de Britney Spears, et en ignorant jusqu’à aujourd’hui l’œuvre de Nelly Arcan. Ce texte est une tentative de réparation. C’est aussi un cri de révolte contre la figure envahissante de la jeune fille, qui domine les imaginaires et soumet les corps. Cette figure idéaliste et mortifère que les hommes n’ont de cesse de traquer et après laquelle courent les femmes jusqu’à leur perte. À cette figure-là, le texte oppose un devenir femme qui saurait s’affran¬chir des peurs et des normes."
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00:00de recevoir Louis Schneuvier à l'écume des pages pour discuter, présenter et donc échanger autour de son dernier ouvrage
00:06« Pour Britney » paru aux éditions POL en 2024.
00:11Louis Schneuvier, vous êtes donc l'auteur de trois ouvrages publiés aux éditions POL,
00:16comme « La chaîne » en 2019, « Mausolée » en 2021 et donc « Pour Britney » paru cet été 2024.
00:23J'aimerais commencer cette rencontre par une citation de Donald Trump qui, en 2007, à propos de Britney Spears, disait ceci
00:34« Quand elle nous disait qu'elle était vierge, elle était si mignonne ».
00:38Courte citation de circonstance et qui souligne le tragique de cette époque bouleversée où des textes comme ceux de Louis Schneuvier
00:46font alors preuve d'une résistance face à l'extrême violence politique de notre temps.
00:51Je me propose de parler un petit peu d'abord de votre écriture à travers ma lecture personnelle.
00:57Il est toujours question dans vos livres de la féminité, comprise en son sens le plus élémentaire, c'est-à-dire le fait d'être femme,
01:05disons un complexe esprit-corps produit et pris dans les liens d'une société régie par des rapports de force
01:12et particulièrement par ceux qui opposent les hommes aux femmes dans une société qu'on pourrait dire patriarcale-capitaliste,
01:19pour utiliser des gros mots, et d'une certaine manière votre langue, il me semble, sue de cette épreuve-là.
01:26Pour Britney, vous construisez un récit croisé, à la fois en ce qu'il a de pluriel avec ses vies croisées,
01:34la vôtre, celle de Britney Spears et celle de Nelly Arcand, récit croisé aussi par son caractère non identifiable,
01:40presque en fuite par rapport à un carcan institutionnel ou à une langue dite majeure, la grande littérature avec des majuscules.
01:48Il me semble qu'il y a à cet endroit une liaison fondamentale entre un certain processus d'écriture
01:54et les violences subies par des femmes qui se débattent, où l'écrasement excite une forme de résistance qui nous saute au visage lorsqu'on vous lit.
02:02Par rapport à votre démarche d'écriture, l'épigraphe que vous avez choisie est tout à fait parlante, je trouve, donc je la cite.
02:10Celle de Nelly Arcand dans Putain, publiée aux Éditions du Seuil en 2001.
02:17« Voilà pourquoi ce livre est tout entier construit par association, d'où le ressassement et l'absence de progression, d'où sa dimension scandaleusement intime. »
02:26Louis Chenevière, peut-être que vous pouvez tout d'abord commencer par nous parler de ce titre pour Britney.
02:36Pourquoi cette adresse, cet hommage, voire peut-être même cette dédicace à la chanteuse ?
02:46Le titre était évident depuis le début, puisque comme vous dites, c'est une adresse vraiment à elle.
02:55C'est posé à la question d'intituler pour Britney et pour Nelly, puisqu'il y a aussi Nelly Arcand qui est très présente dans le texte.
03:03Je pense que le geste, j'ai réfléchi à ça, quelqu'un m'a dit « mais c'était assez intéressant, en fait Britney, Britney Spears est encore vivante. »
03:11Et donc le « pour Britney » fait aussi sens là-dedans, dans se dire qu'elle est encore là, elle est encore vivante, donc c'est pour elle et c'est aussi pour qu'elle continue à vivre.
03:19Et puis c'est aussi lié à mon histoire intime, puisque je tenais vraiment à m'excuser auprès de Britney Spears.
03:27Je n'ai pas ce passif avec Nelly Arcand, puisque j'ai découvert très tard, mais Britney Spears tenait vraiment à m'excuser personnellement d'être passée de l'autre côté,
03:37c'est-à-dire d'avoir, comme je le dis dans le texte, ri avec le monde entier, puisque je me suis moquée d'elle et puis après je me suis carrément complètement désintéressée d'elle.
03:46Donc je pense que c'est lié à cette histoire intime que j'avais avec elle qui faisait que le geste était pour elle d'abord, parce qu'elle est encore là et pour qu'elle soit encore là longtemps.
03:58Donc la genèse de cet ouvrage, c'est vraiment un besoin d'exprimer, oui, une forme de pardon, de repentance, etc. C'est ça le désir premier qui vous a mené à l'écriture ?
04:12Le moment vraiment, c'est que je lis son autobiographie en deux nuits et puis je la ferme et je me dis, il faut que j'écrive quelque chose, il faut que je le fasse tout de suite.
04:22Et la question étant tout de suite de me dire comment j'en avais été amenée à la mépriser, puisque c'était vraiment l'adoration de petite fille que j'avais pour elle,
04:34et pareil, je le découvre ces jours-ci en y repensant, c'était une adoration sororale en fait.
04:38C'est-à-dire que Britney Spears, pour moi, quand j'étais petite fille, j'avais un amour qu'on peut vouer, j'imagine, à une grande sœur, évidemment un peu fantasmée,
04:46mais c'était un amour quand même qui moi me donnait de la force aussi, puisque c'était avec elle et par elle que je chantais, que je dansais et que j'avais envie de lui ressembler,
04:57parce que, ça aussi je l'ai compris, en écrivant livre, en fait ce que je voyais en elle, c'était une femme puissante et une femme libre,
05:04et donc petite fille, c'est ce qu'elle incarnait pour moi, et ça c'est énorme en fait, et j'ai écrit ce livre pour elle parce qu'il n'y a aucune autre femme après qui l'ont incarnée,
05:13c'est-à-dire cette forme de puissance dans laquelle je pouvais me reconnaître, il y a eu qu'elle, et il y a eu qu'elle toute jeune,
05:21et donc le geste c'était vraiment ça, c'était de dire mais en fait il faut que je m'excuse, mais d'ailleurs c'est assez étonnant puisque tout ça arrive très tard,
05:31et en fait il faut que j'attende d'avoir 30 ans, 31 ans, 30 ans pour revenir vers elle, c'est-à-dire qu'il y a 20 ans vraiment de silence et de distance,
05:40et voilà, et donc mon geste à moi répond quand même à son geste à elle, puisque c'est d'abord elle qui a écrit ses mémoires,
05:48et voilà, qui quand même est un texte je pense très important, évidemment c'est pas un très grand texte littéraire,
05:55mais elle prend la parole quand même, et elle dévoile vraiment l'envers de ces choses, pendant toutes ces années, moi j'ai pas vu cet envers-là,
06:03ce qui est absurde, parce qu'en fait on le sait très bien finalement, elle se met à parler, on se dit bah oui évidemment c'était ça qu'elle vivait,
06:08donc ouais, c'était vraiment un geste d'excuse ouais.
06:12Et qu'est-ce qui alors, donc ça ça explique pourquoi vous en êtes venue à écrire pour Britney, mais qu'est-ce qui vous a ramené,
06:18qu'est-ce qui vous a attiré dans le fait de lire les mémoires de Britney Spears, puisqu'il y a eu 20 ans justement de silence ?
06:24Ça, je pense qu'un consciemment ça a été préparé par la lecture de Nelly Harkan en fait, que j'ai découvert l'été dernier,
06:31et je pense qu'en fait la lecture de Nelly m'a donné une sorte de plus grande compréhension de cette forme de féminité-là,
06:41dont moi j'avais essayé de m'éloigner, c'est-à-dire cette figure de la bimbo, enfin voilà, tout ça j'avais essayé de m'en éloigner,
06:48et d'un seul coup c'est comme si Nelly, là aussi elle montrait l'envers de tout ça, et elle me permettait de renouer avec quelque chose,
06:56c'était très fort vraiment la lecture de Nelly Harkan. Et pareil, quand j'ai fini ces deux ouvrages donc Putain et Folle,
07:02je me suis tout de suite dit il faut que j'en parle, il faut que je...
07:07Et donc j'ai eu cette tentation de faire d'abord un ouvrage un peu, pas universitaire, mais de me dire je vais tout relever, voilà, je vais expliquer,
07:13je voudrais que les gens comprennent à quel point c'est fort en fait, donc dire mais voilà, ça va.
07:18Donc j'ai fait une intervention sur elle dans un cadre qui avait rien à voir, mais voilà, je ne savais pas, comme je n'écris pas vraiment d'articles de journaux,
07:28bon, c'est resté là quoi ça, et je pense que vraiment le fait que je sois attirée en fait par la couverture du livre de Britney Spears,
07:37donc on voit cette femme, elle est là, blonde, jeune, c'est les couvertures de Nelly Harkan qui m'avaient toujours repoussée,
07:43pareil, on la voit blonde, très belle, et je ne sais pas, il y a un truc qui s'est un peu, inconsciemment, et tout de suite je me suis dit
07:48ah, il faut que, il faut que j'ai, ouais, quand j'ai fini l'autographie de Britney, je me suis dit il faut que je réouvre Amy quoi, pour la comprendre,
07:55et voilà, c'est comme ça qu'elles se sont entremêlées.
07:58Et pour revenir sur ce dont vous parliez tout à l'heure, la question justement de la sororité, j'ai eu le sentiment en vous lisant qu'il y avait donc une question
08:08effectivement d'abord familiale, vous parlez d'une petite fille, et donc j'avais relevé, moi qui ne doutais pas qu'elle finirait bien un jour par me reconnaître
08:16comme cette sœur qui lui avait toujours manqué, à propos de Britney, donc on passerait, voilà, d'un propos vraiment familial, émotionnel, sentimental d'une petite fille,
08:25à justement quelque chose de plutôt sociétal, sur une sororité qui resterait à inventer, tout comme la sexualité féminine resterait à inventer aussi ?
08:34Complètement, cette sororité effectivement que je fantasmais petite avec Britney, en fait elle en a eu besoin, elle en aurait eu besoin, et encore aujourd'hui elle en a besoin
08:43parce qu'on parle de sœur mais justement parler de famille, ce qui est assez fou avec Britney Spears, c'est de voir la violence justement qui se déchaîne dans sa famille
08:52même contre elle, de la part de sa sœur, de la part de sa mère, donc en fait elle est dans une solitude qui est vraiment une solitude de femmes et dans lesquelles
08:59on nous dresse les unes contre les autres, et voilà, je pense que de dire qu'aujourd'hui moi, qui suis une jeune autrice, je suis plus proche de Britney Spears
09:13que par exemple de beaucoup d'auteurs et d'autrices qui publient, enfin voilà, que ma sororité elle se joue là, ouais c'est, je pense que c'est ça qui donne de la puissance aussi,
09:26mais que le monde conspire vraiment à ce que les femmes soient comme ça éloignées les unes des autres, et ça Nelly Arcand elle l'expose mais de manière assez radicale,
09:34la violence qui circule de femme à femme, qui est assez difficile à lire quand on lit ses textes alors que dans la vraie vie, je le dis toujours parce que je l'aime et que j'ai envie que les gens sachent que
09:44mais que dans la vraie vie elle avait plein d'amis femmes et que c'était une femme extraordinaire et gentille, mais dans ses livres elle met en scène vraiment cette violence là,
09:51qui est la violence que moi j'ai pu avoir à l'encontre de Britney Spears en disant, ça va la pauvre, enfin voilà, la pop star, puis c'est pas du tout ce que j'ai envie de devenir,
09:59enfin une sorte de, parce qu'à cette époque là je grandissais et je voulais juste pas devenir comme elle, mais je comprenais pas qu'en fait de toute manière j'allais devenir comme elle quand même,
10:09et connaître la plupart des choses parce que ce que Britney Spears a connu notamment, voilà, ce qu'elle appelle dans son livre la dépression postpartum et qu'à l'époque n'avait pas de nom,
10:16sauf qu'elle se fait sous les yeux de 40 paparazzis, tout ça, donc en fait son destin c'est vraiment un destin de femme, juste exagéré par la célébrité, mais donc oui, je me suis un peu perdue.
10:33Non pas du tout, et donc est-ce qu'on peut dire que dans votre livre vous tentez de mettre au jour une sorte de communauté de femmes, mais qui se ferait d'abord sur une reconnaissance d'une souffrance commune,
10:48qui serait la condition peut-être pour justement une création positive par la suite, mais d'abord reconnaître cette communauté oui de souffrance, de violence subie ?
11:02Oui c'est vrai, c'est marrant, le terme souffrance me heurte un peu, mais en même temps c'est ça, en tout cas je dirais plus une communauté d'expérience, de dire qu'en fait on partage peu importe où qu'on se situe,
11:16et peu importe que ce soit Nelly Arcand qui est une autrice et qui essaie de se présenter en tant que telle, et Britney Spears, et moi en fait on a un partage des expériences,
11:26et pour moi c'est ça ce que j'appelle femme, c'est vraiment quelque chose de très complexe fabriqué par des séries d'expériences, et en fait vous ne pouvez jamais vous en échapper,
11:35peu importe comment vous essayez de vous en tirer en disant je ne suis pas vraiment une femme, je suis un garçon manqué, en fait on vous ramène à ça,
11:42et effectivement je pense que la littérature pour moi ça a toujours été l'endroit de penser une communauté qui ne serait pas une communauté aliénante et aliénée,
11:53de toute façon c'est une communauté impossible puisque, c'était un mémoire que j'avais fait sur la communauté de Nietzsche et de Bataille,
12:03et que Bataille se réclamait l'ami de Nietzsche, mais en fait c'est vrai c'est une communauté impossible puisque Nelly Arcand s'est suicidée donc elle n'est plus là,
12:12qu'on n'est pas dans les mêmes territoires, on n'est pas dans les mêmes temps, mais effectivement je pense que la littérature c'est quand même l'endroit où peu peuvent se rencontrer des subjectivités très éloignées,
12:25et même l'acte de lecture, en fait je sais que là on peut toucher des gens que rien ne m'aurait amené à rencontrer en fait, de la même manière que moi j'ai été touchée par des gens que jamais j'aurais pu rencontrer,
12:39donc je pense que c'est un endroit effectivement de communauté et de puissance possible.
12:45Et par rapport à ce que vous dites là, moi j'ai le sentiment aussi qu'il y a une forme de, vous arrivez à créer justement cette communauté entre des femmes qui ne se sont pas connues,
12:57mais sans pour autant essentialiser justement ce que serait la femme quoi, on n'a pas cette impression d'une femme avec un grand F, non justement c'est des phénomènes qui se répondent, communiquent effectivement,
13:12mais sans jamais créer une espèce de femme cristallisée comme ça.
13:16Oui parce que pour moi ce que je dis c'est des expériences qui nous assignent à cette chose de femme, c'est-à-dire que grandir, moi j'ai le sentiment que grandir en tant que petite fille,
13:25même parfois penser qu'on n'est pas une petite fille, enfin voilà, qu'en fait ça ne nous concerne pas, mais c'est comment le monde en permanence, par des micro-expériences mais aussi des expériences beaucoup plus violentes,
13:34il y a une sorte de gradation, mais moi j'ai voulu aussi aller dans l'infra et le micro, c'est-à-dire montrer que même des regards, que tout ça nous conditionne,
13:41mais effectivement il n'y a pas d'essentialisation là-dedans puisque c'est juste de montrer que c'est l'extériorité en fait, c'est le monde qui en fait dans un processus qui je pense est dynamique,
13:52est perpétuel, est constant, nous conditionne et nous renvoie, et c'est pour ça qu'on ne peut pas vraiment s'échapper, c'est parce que ça ne dépend pas tant de nous en fait,
14:00et ça c'est très important à repenser et à redire, ça ne dépend pas de nous en fait d'être faite femme, c'est-à-dire que les petites filles elles ne choisissent pas d'être faites putains par rapport à des Nelly,
14:12parce que ce qu'elle dit c'est que très tôt en fait vous êtes faites putains par le monde, mais ce n'est pas les petites filles qu'on choisit ce destin de femme, c'est vraiment, on vous l'assigne en permanence,
14:21et c'est ça je pense la vraie grande violence, c'est que je reprends moi petite parce que je dis qu'il y a un moment où j'ignorais que j'étais une femme,
14:31il y a un moment où pour moi danser sur Britney tout ça c'était juste être, et c'était être, être, danser, être dans mon corps,
14:41et à ce moment-là je ne vais pas, et puis il y a un moment où voilà, il y en a pour qui ça arrive très tôt, d'autres plus tard, mais voilà, on vous assigne en fait à cet endroit-là, et puis après on est un peu bloquée.
14:51Et est-ce que vous pensez que Britney Spears aurait eu aussi cette expérience-là de l'assignation, comme elle a été assignée à résidence par la suite, etc ?
15:02Bah oui, moi j'ai beaucoup réfléchi à me dire qu'est-ce que c'est que Britney Spears, parce qu'elle chantait, dansait depuis qu'elle était toute petite, ça c'est un fait que c'est ce qu'elle voulait faire en fait quand même, c'est une artiste.
15:11En fait je pense qu'elle a été prise dans un système américain avec des parents qui ont décidé d'en faire une star, mais c'est évident que si ses parents n'avaient pas décidé d'en faire une star, elle aurait quand même été une artiste.
15:23Pour moi c'est assez évident, et que donc elle a effectivement été assignée à ça malgré elle, et puis après quand elle décide d'en jouer, c'est vraiment le moment où elle s'en prend en plein la gueule, c'est le moment où elle décide de jouer avec toutes ces choses qu'on lui a collées sur le dos, et puis aussi de se réapproprier une sexualité, c'est-à-dire un moment où elle devient vraiment une jeune femme.
15:44Et voilà, comme je fais des concerts de reprises de Britney en ce moment, j'étudie de près les paroles, et elle dit voilà, vous me regardez comme si je suis une petite fille, mais en fait j'ai aussi le droit d'avoir une sexualité, donc c'est aussi quelque chose avec lequel elle s'est bien sûr débattue toute sa vie, et en fait elle est encore aujourd'hui assignée à la jeune fille, elle n'arrive pas à en sortir puisqu'on la compare encore à l'aune de cette image de jeune fille qui a été la sienne à un moment donné et qu'on lui a construite,
16:11mais encore aujourd'hui elle est critiquée et commentée à l'aune de cette image-là, donc bah oui, j'imagine que oui, c'est...
16:19Et là on parle vraiment on va dire de questions de fond, est-ce qu'on pourrait parler un peu aussi de questions de forme ? Pour vous écrire, quel est votre processus d'écriture, qu'est-ce qui se joue quand vous écrivez ce livre pour Britney ?
16:39Je dis ça parce qu'on a le sentiment vraiment qu'il y a presque un appareil respiratoire dans votre langue, très singulier, et donc on se dit, voilà, c'est cette idée de la lutte qui je trouve est vraiment retranscrite dans l'écriture même.
16:56Je pense qu'il y a une lutte avec le langage, qui est le langage du quotidien. Par exemple, quand j'ai... ça s'est fait très vite, j'ai commencé à écrire dès le lendemain, j'ai fini son topographie, mais j'ai commencé à lire des articles,
17:11et en fait quand j'ai commencé à écrire le livre, ça n'a pas duré longtemps, mais les premiers mots qui me sont venus, c'était des mots... enfin j'avais la langue journalistique qui me collait quoi,
17:21c'est-à-dire que j'avais ces mots que je pense, je crois que j'ai évité dans le livre, mais comme pop star, tout ce genre de... enfin ce langage qui en fait, même quand on prétend prendre la défense de Britney Spears, on la réassigne encore à un statut d'objet,
17:32et donc je pense qu'il y a quand même effectivement une lutte pour essayer de dire autre chose, de dire autrement, et d'aller, je ne sais pas, à un endroit qui soit beaucoup plus de l'ordre...
17:46Oui, ce que je dis dans la citation, de l'intime, d'être en intimité aussi avec elle, aussi avec Nelly Harkan, d'être dépouillée un peu de tout ce langage quotidien, et il y a mes journalistiques, sociologiques, enfin tout,
17:58moi j'essaie vraiment de me débarrasser de ça quand j'écris en fait, de ne pas faire entrer dans des cases, de dépouiller tout ça, et donc pour moi ça implique d'être dans cette tension-là parce qu'on a peu de temps pour ça,
18:15il y a peu de temps pour être en dehors du réel, parce que moi c'est ça du réel, en tout cas du quotidien, quand j'écris je me mets vraiment en suspens, et là j'ai essayé, mais en fait je n'arrive pas à faire ce truc d'avoir des temps d'écriture très délimités,
18:28puis après d'aller vaquer à mes occupations, parce que j'ai besoin d'être dedans, j'ai besoin que ma langue soit un peu préservée de l'extériorité justement, de ce que voudrait faire le monde,
18:41et il y a aussi je pense pour ce livre, le fait que je n'ai pas réfléchi du tout à ce que je faisais, et j'avais besoin de ne pas réfléchir, parce que je sais que, donc tout ça s'est fait très vite,
18:53j'ai lu les autobiographies, je me suis mise à écrire sur Britney Spears, mais c'est un geste qui deux mois avant, en fait une semaine avant encore, je n'aurais pas pu imaginer que j'allais écrire sur Britney Spears,
19:03ce n'était pas possible, je ne l'avais pas retrouvé en fait, et je pense que si j'avais réfléchi, j'aurais peut-être eu plein d'interdits dans ma tête, ou alors j'aurais commencé à me dire,
19:16je veux parler de Britney Spears, alors comment il faut que j'en parle, il faut que je fasse un livre intelligent, j'aurais commencé à être dans l'intellectualisation,
19:24et en tout cas je l'ai vécu avec Mausolé le deuxième livre, quand je réfléchissais à quoi faire, je n'étais pas bonne en fait, donc voilà, si j'avais commencé à réfléchir et à me dire comment on parle de ça,
19:36et lire des philosophes qui parlent de la pop culture, voilà, donc j'ai essayé d'être au plus proche de, je pense, d'une intuition quoi, ou de ce, ouais.
19:46Voilà, de dépouiller, une langue dépouillée on va dire, de caractères sociétaux un peu étouffants.
19:55Ouais, de toutes les expressions toutes faites, enfin c'est très dur, moi je trouve que c'est très dur à faire, de parler d'elle, c'est très dur en fait, j'ai essayé de dire pourquoi je la trouvais belle,
20:08j'ai essayé de dire pourquoi, enfin plein de choses qui étaient très dures, et pour ça j'avais besoin d'être, donc voilà, je regardais beaucoup d'interviews d'elle,
20:15je regardais beaucoup de, et je relisais beaucoup les textes de Nelly, et donc voilà, cet appareil respiratoire, il provient du fait que effectivement moi-même,
20:25je suis quand même vraiment en apnée quand je l'écris, et c'est un temps très court, très resserré, mais c'est jour et nuit, et voilà, il y a quand même ce truc qui...
20:36Ouais.
20:39Et c'était la même chose sur les livres précédents, ou c'est vraiment...
20:43Comme la chienne c'est très différent, parce que c'était le premier texte que je m'autorisais un peu à, dans lequel je m'autorisais à parler de moi, même s'il y avait encore de la fiction,
20:51mais c'est-à-dire à parler en tant que femme, et en fait c'est un texte que j'ai écrit, quand j'écrivais Comme la chienne, je me passais mon temps à me dire,
20:59ah mais je n'écris pas de romans en ce moment, c'est terrible, donc en fait c'était comme une sorte de projet un peu déché, que j'écrivais à côté, mais pour moi ça n'avait pas la dignité justement du texte et de la littérature,
21:10donc c'était un truc un peu... Donc non, c'était un processus très différent. Après pour Mozolet, oui, puisque j'ai galéré pendant deux ans à l'écrire, et puis après j'ai tout lâché,
21:22et je l'ai réécrit pareil en ingé comme ça, et voilà, je crois que c'est là que j'arrive à... Peut-être aussi à cause d'une forme justement de surmoi, quand je prends le temps,
21:35qui vient toujours me dire, ah mais ce n'est pas ça qu'il faut faire, ce n'est pas comme ça, mais voilà, et en fait là quand je ne prends pas le temps et que j'y vais,
21:40la question ne se pose plus, et voilà, j'y vais, donc ça libère un peu un espace où il n'y a pas de jugement et de relecture permanente, d'autocensure complètement.
21:54Et pourquoi, bien sûr vous avez découvert Nelly Arcand, etc., ça vous a marquée, frappée, mais pourquoi elle, pourquoi l'avoir choisie pour être cette camarade de Britney, la vôtre, dans ce livre,
22:10pourquoi elle plus qu'une autre qui aurait vécu un destin un peu similaire ?
22:16Parce que moi je n'ai jamais rien lu comme ça, dans ce qu'on appelle la littérature, jamais, pour moi c'est... Enfin, oui, et puis ce sentiment justement que c'était une sœur,
22:30que ça pouvait être une sœur aussi parce qu'on partageait un espace en fait commun, générationnel, puisque Nelly Arcand a publié en 2001, elle se suicide en 2009,
22:40moi c'est le moment où je suis ado, c'est le moment où Britney Spears a un emprunt en fait publié, donc c'est fou en fait, tout ça, ça dit quelque chose de cette époque-là, du début des années 2000,
22:50dans laquelle quand même il y a cette voix de Nelly Arcand qui arrive et qui dit justement ce que fait ce monde-là aux femmes, avec une acuité, une précision, voilà, moi je trouve que c'est plus fort que tous les essais que j'ai lus,
23:05enfin, voilà, il y a quelque chose quand même de radical dans son geste d'écriture et qui se fait au même moment, au moment où moi je grandis, et au moment où j'aurais eu besoin de lire ça,
23:15j'aurais eu besoin de la lire à ce moment-là, mais encore une fois le monde fait bien en sorte que ces rencontres-là ne se fassent pas et qu'on soit éloigné en fait.
23:26— Et donc cette lecture-là a occasionné le désir aussi d'écrire sur Britney, d'écrire sur Nelly, et vous saviez quand même en écrivant que vous alliez croiser trois destins dont le vôtre...
23:40— Non, le mien est justement arrivé pour éviter cette écueille journalistique aussi, c'est-à-dire que je me suis dit le seul moyen dont je peux parler d'elle en étant sincère, c'est en parlant de moi,
23:50parce que c'est en disant ce qu'elle a représenté pour moi aussi, et pour pas être justement d'une sorte de biographie, et c'était une manière pour moi aussi de me mouiller dans le texte et d'y aller avec elle d'eux,
24:02et de pas les laisser toutes seules en fait, parce que finalement si j'avais écrit comme ça un texte encore en les prenant pour objet, je les laissais en fait un peu à l'endroit où elles étaient,
24:13et là je me dis en fait que j'y allais avec elles et que je me mouillais, en fait je m'exposais comme elles avaient été exposées, et par là c'est un peu une manière de dire que quand t'es toute seule sur ce plateau-télé-là,
24:27en fait maintenant moi aussi je suis là, et du coup moi aussi je suis pas seule dans ces endroits-là, donc ouais, ça a été vraiment le moyen de dire je vais pas l'objectifier en fait, je vais pas en faire un sujet de livre,
24:40parce que finalement c'est pas du tout, enfin oui c'est pas un livre sur Britney, c'est un livre, je sais pas, à partir d'elle, ou avec elle, mais c'est pas du tout un livre sur Britney en fait.
24:50Je me propose de lire des extraits pour faire entendre votre langue, donc j'ai sélectionné trois extraits de votre livre, le premier donc lit trois expériences de femmes, celle de Britney, de Nelly et la vôtre,
25:09le second évoque la violence institutionnelle qui s'exerce sur les femmes, et ici sur la femme écrivain qui était Nelly Arcand, et enfin le troisième et dernier extrait, c'est donc cette espèce de repentance profane dont on parlait tout à l'heure,
25:22qui est la vôtre et qui s'exprime sans voile lorsque justement vous parlez de Britney. Donc je vais les lire à la suite.
25:38C'était peut-être à force d'avoir tout fait pour de faux, fait trop semblant de vivre et avoir trop mal souri, comme elle sourit là, face à ce présentateur qui lui demande si elle est heureuse dans sa vie,
25:49qui n'est plus du tout sa vie pourtant, qui lui a été confisquée par le père, l'industrie et l'état de Californie main dans la main. Elle répond oui, et elle sourit, mais quelque chose en elle n'est plus là.
26:03Aussi je mourrais, car pour être aimée des autres, il m'aurait fallu sourire, écrit la pute Nelly qui en sait quelque chose, et ce n'est pas de la rhétorique.
26:10Ce n'était pas un effet de style, car voilà le genre de choses qui ne sont pas permises à ce genre de corps, pour lesquelles les questions esthétiques ne sont pas des choses arbitraires,
26:19sur lesquelles on dit certes, tranquille à la tombée du soir en fumant des cigares, non, mais des injonctions informulées inscrites au plus profond des chairs, et quelque chose en moi n'a jamais été là.
26:31Et c'est peut-être à cause de ce quelque chose manquant qu'elle a pu s'allonger sur ce lit où tant de femmes avant elle, en parvenant si bien à faire comme si elle n'y était pas, avec sa tête qui se tient aussi loin que possible de cette rencontre.
26:43Mais où ? Où donc cette chose qui manquait s'en était-elle allée, et quand était-elle partie ? Et était-ce parce que ce quelque chose lui manquait déjà, qu'il y avait eu tant pour se sentir autorisé à le lui prendre ?
26:55Ou bien était-ce parce que quelqu'un, un jour d'abord, le lui avait pris, qu'elle l'avait ensuite tant donné, sans relâche ? Mais pour tout cela, sachez bien qu'il n'est pas besoin d'être putain, non, il n'y a pas que les putains qui s'absentent, ou bien est-ce que toutes les femmes sont des putains ?
27:11Ça fait longtemps qu'on le dit, et c'est peut-être vrai, car je voudrais que l'on me dise quelle femme ne s'est jamais allongée là, tout comme si elle n'y était pas, là, juste en attendant que cela passe, en n'oubliant pas de performer un peu, ce sont ces petits cris, ces yeux qui se closent, même s'il est tout à fait possible de se passer de tout ça, même s'il est des hommes qui n'ont pas même besoin d'un semblant de consentement.
27:34Et de jouer une sexualité apprise sans qu'aucune leçon n'ait jamais été donnée, apprise au fil de ces images qui, à notre insu, nous ont constitué, ces images qui nous ont appris les poses et les atours, mais jamais rien de notre sexualité réelle, parce qu'elle n'existe pas encore.
27:49C'est pour ça qu'on ne sait pas où chercher.
27:52Alors, elle puise à la même source que ses clients, Nelly, quand parfois elle veut arracher un peu de jouissance à ses rapports sexuels, une jouissance qui n'en n'est pas une, rien qu'une décharge mimée sur celle des hommes qui se succèdent dans son lit, déclenchés par une image volée à leur imaginaire, par le corset d'une femme sur le point de craquer.
28:10Alors, quand on dit de Nelly qu'elle parle de la sexualité féminine, je dis que c'est faux, que ce n'est pas tout à fait ça, non, que ce qu'elle écrit, c'est bien plutôt l'absence de cette sexualité-là.
28:21Et je crois que beaucoup de femmes, oui, pour ne pas dire toutes, par politesse, par égard, pour qu'on ne vienne pas me dire ensuite que j'exagère, car c'est quelque chose qui agace toujours beaucoup les gens qui veulent de la mesure et que l'on soit raisonnable, et que l'on m'a toujours reproché, comme cette jeune femme, la seule invitée.
28:39Au milieu de quatre types pour discuter de mon livre, et qui étaient d'accord avec eux, eux qui ne s'écharpaient que sur un point, sur l'usage que je faisais de Virginie.
28:49Non, ça, on ne s'est jamais vu.
29:00Un écrivain sur le plateau d'une émission venu discuter de l'un de ses livres, encerclé par plusieurs femmes qui n'auraient fait que le renvoyer à la taille de sa bite, comme ils avaient renvoyé Nelly Arcand à son décolleté, tellement qu'elle n'était plus que cela, comme si le livre ne comptait pas.
29:15Ce livre qui ne parlait que de cela, qui se reproduisait encore et encore sous les yeux amusés, complices du public, même moi j'ai de la misère à vous garder dans les yeux, il dit, et tout le monde applaudit, et il faut voir Nelly s'acharner quand même à essayer de parler de son livre, à dire les choses de façon limpide et implacable, dire, je parle beaucoup de cul, mais je désérotise, dire, je ne vais pas dans le bandant, mais qu'importe, qu'importe ce qu'elle dit, puisqu'il y a ce corps, et vraiment, je me demande bien, qu'est-ce que viennent faire ces seins là-dedans ?
29:45N'y a-t-on jamais parlé du ridicule des hommes qui ont de la misère à regarder les femmes dans les yeux ? De leur grotesque ? Et comment est-ce possible que la honte soit sur elles et non pas sur eux ? Mais qu'importe ce qu'elle dit, ce présentateur, lui ou un autre, offre les livres de Nelly à un type qui se trouve là pour le bandant, et lui dit, avec ça, plus besoin de petites pilules, et je dis, moi, que s'il y a des types pour bander en lisant les livres de Nelly Arcand, il faut qu'ils aillent consulter, que c'est une affaire de santé publique.
30:15Mais le pire, le pire, le pire, c'est qu'il y en a sûrement plus.
30:22Et c'est vrai qu'il y en avait eu pour ranger mon premier livre parmi d'autres textes, pour faire grimper la température, et c'est vrai que je n'avais pas compris alors que je m'étais tenue quelques instants stupéfaites, le journal entre les mains, au comptoir du bar en bas de chez moi, à me demander comment il était possible qu'on m'ait si mal comprise, et si j'avais fait quelque chose de mal, moi, et si j'étais en colère c'était seulement contre moi.
30:45De n'avoir pas réussi, et pas contre ce monsieur que j'avais, poliment, et comme il se doit, remercié, car c'était déjà très gentil qu'il ait bien voulu prêter un peu d'attention à ce que j'avais écrit, moi.
30:57Mais aujourd'hui, je sais que ce n'est pas du tout suffisant, faire semblant de bien vouloir écouter ce que les jeunes femmes ont à dire sur ces affaires de jeunes femmes, sur ces turpitudes, comme avait dit un autre monsieur, à heure de grande ambiance à la radio, sur un toit agacé,
31:14les turpitudes féminines, la prostitution, la folie, le viol, l'inceste, la mort, tout ça, et puis le grand huit de la souffrance féminine, et encore je me disais que j'avais dû échouer alors, parce que ce monsieur disait que ça retombait comme de la mousse après, et qu'en refermant le livre il ne lui en restait plus rien,
31:35et aujourd'hui, non, je ne crois pas que ce soit juste de ma faute, juste parce que j'avais échoué à dire qu'il ne lui en restait rien à ce monsieur, mais parce qu'au fond, vraiment, intimement, il s'en fout de ces turpitudes féminines.
31:50Souhaitez-vous oublier le troisième extrait ?
32:00Ah oui, d'accord, je m'arrête, ah oui, je respecte les petits...
32:08Non, non, vous faites comme vous voulez.
32:11Pour cela, oui, je voudrais lui demander pardon, pardon d'avoir ri avec tous, pardon d'avoir si vite et si bien appris la leçon, parce que je voulais tant sauver ma peau, d'avoir si vite et si bien appris à mépriser tout ce qu'elle avait été et une part de moi-même, la part la plus joyeuse peut-être de cette petite fille qui sourit là sur cette photo, cette petite étrangère, et pourtant je sais qu'elle est encore là, levée tout au fond, c'est elle qui hurle en silence la nuit, c'est elle qui danse.
32:40Et que je retrouve un peu, quand je danse, là, dans le salon, en écoutant trop fort ces chansons que j'avais tellement écoutées, que j'avais pour la plupart parfaitement oubliées, que je n'avais jamais réécoutées depuis mes huit ans, mais j'ai soudain la même allégresse au cœur, la même joie légère, c'est idiot, oui, mais c'est vrai, alors que je regarde ces clips dont je reconnais toutes les images et non, je ne veux plus comme alors être cette jeune femme dans ce monde-là, mais il y a quand même quelque chose en elle que j'aimerais retrouver.
33:08Il y a cet avant-la-chute, cet instant où il est encore possible de tout faire mentir, où il était permis de croire qu'elle allait triompher de tout.
33:18Je vais respecter l'éthique.
33:20Applaudissements.
33:28Est-ce qu'il y a des questions pour Louise ?
33:34Seriez-vous curieuse de son avis dans votre livre ?
33:40Oui, je n'y pense même pas, parce que ça ne me paraît pas, mais oui, bien sûr, je ne sais pas, oui, bien sûr, évidemment, mais en même temps, je ne sais pas, c'est tellement…
33:56Ça sera traduit, peut-être ?
33:58Ça…
34:00Applaudissements.
34:02Oui, en tout cas, si elle le lisait, j'espère qu'il n'y aurait rien qui la blesserait, j'espère juste qu'elle comprendrait vraiment, qu'elle sentirait justement cet amour, et que c'est la seule chose, j'espère que ça passerait.
34:24Applaudissements.
34:26Applaudissements.
34:32Sur la sororité, et le fait qu'on ait changé d'époque un peu sur le sol, justement, au fond de ses…
34:40Est-ce qu'il n'y aurait pas aujourd'hui…
34:44On voit par exemple dans le mouvement féministe qu'il y a plusieurs châtaignes qui se dessinent un peu, et tout ça, sur le plan pro-antagonique.
34:50Est-ce qu'il n'y aurait pas…
34:52Est-ce que la violence, ça va pas perdurer quand même ?
34:56Ah ben si.
34:58Trump vient d'être élu, quoi.
35:00Est-ce que finalement, c'est pas cet idéal de sororité dont on parle beaucoup ?
35:06Ben c'est pour ça que moi j'ai l'impression, enfin j'ai l'impression qu'il faut l'écrire autrement, j'ai l'impression qu'on peut parler beaucoup des choses,
35:12mais c'est pas parce qu'on en parle dans les magazines, ou parce qu'on met en avant comme un concept qu'il est réel ou qu'il s'éprouve, donc moi je pense qu'on est encore…
35:24Sinon j'écrirais pas là-dessus si je pensais qu'il n'y a pas des choses à…
35:30Oui, ben si, bien sûr que la violence elle continue, j'en parlais tout à l'heure, c'est pour ça aussi que moi, la manière dont je m'exprime, c'est pas dans le militantisme,
35:38parce que justement, c'est que là, elle me semble toujours indépassable, et reperpétuer des…
35:46Donc en tout cas, moi, c'est pas ma manière de m'attaquer à ça et de le considérer, mais oui, oui, si, si, ça continue en tout cas pour l'instant.
36:00C'est pas forcément une question, c'est plus un remerciement, et qui répond un peu à ta question.
36:08Moi, en lisant ce livre, on a à peu près le même âge, je pense, j'ai dansé sur Britney Spears pendant les pauses au collège, pour faire des chorés avec mes copines,
36:18donc il y a un truc, justement, je trouve qui est très réussi dans ton livre, c'est qu'on sent cette sororité, moi je me suis sentie très proche de toi et de ces deux femmes,
36:28je me suis reconnue dans quelque chose d'extrêmement générationnel, et je suis très élue, mais je trouve brillant et éloquent la façon dont tu arrives à passer de ce sentiment,
36:44le fait d'avoir écrit ce bouquin en deux jours, à une analyse profonde et très intégrée, très incorporée, de tout ce qu'on m'est traversé en tant que femme, jeune femme, du regard qui est posé.
36:56J'aurais aimé entendre aussi peut-être l'extrait sur la petite culotte qu'on regarde, et qu'on nous apprend à cacher notre petite culotte, alors que c'est qu'une petite culotte.
37:06Et en fait, je trouve qu'il y a quelque chose qui est... Dans l'urgence que tu as écrit, on sent l'urgence de besoin de dire ces choses-là, et que du coup, la sororité s'exprime à cet endroit-là.
37:17Merci. Oui, il y a une urgence, parce que justement, la violence, elle continue, et ce n'est pas parce qu'on parle des choses, et il y a une urgence à...
37:26Moi, je côtoie des garçons tout le temps aussi, et je constate le décalage immense, le fait qu'encore aujourd'hui, on ne vit pas dans le même monde, que même des garçons de mon âge ne comprennent pas.
37:38Et il y a eu vraiment cette urgence, effectivement, de dire que... Et l'urgence qui vient aussi d'avoir... Du coup, Nelly Harkamp quand même s'est suicidée en 2009,
37:48et Britney Spears a traversé ce qu'elle a traversé, et donc d'un seul coup, vraiment de me dire... En fait, c'est ce que le monde fait à des femmes que j'aime aujourd'hui.
37:58Et donc oui, c'est sûr qu'il y a une urgence. Merci.
38:09C'est tout ? C'est bon ? Très bien. Merci Nelly, merci beaucoup.
38:17Nelly, quel livre de Nelly ?
38:20Bah moi, c'est Putain et Folle, c'est les deux... Enfin voilà, après les autres... Enfin voilà, mais bon.
38:27Merci. Merci beaucoup Nelly.
38:32Vous pouvez l'acheter Nelly, ici même, je suis là.