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Dans le monde militaire, l'IA n'est plus une simple avancée technologique, mais un allié fondamental pour appréhender un environnement complexe. Des systèmes autonomes de surveillance aux drones intelligents, en passant par l'analyse prédictive des données, l’IA offre des opportunités décisives. Mais alors, quels sont les cas d’usage ? Quels défis son utilisation pose-t-elle ?

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00:00Dans le monde militaire, on parle de plus en plus de défense intelligente, d'armes autonomes mais
00:08qu'en est-il exactement de l'usage de l'IA et des nouvelles technologies dans le domaine militaire ?
00:13On en parle aujourd'hui avec le capitaine de vaisseau Xavier, bonjour. Vous êtes officier de
00:18cohérence du numérique et chef du bureau numérique de la marine, particulièrement en charge du
00:23déploiement des architectures numériques et de l'intelligence artificielle au sein de la marine
00:26dans le cadre du projet structurant baptisé SIGNAL. Vous pouvez nous en dire un mot rapidement, SIGNAL ?
00:32Oui, SIGNAL, c'est la supériorité informationnelle pour la guerre navale, donc c'est tout le projet
00:37de la marine pour structurer nos systèmes autour de la donnée et donc qui est la matière
00:43première pour l'intelligence artificielle, donc beaucoup de défis dans ce domaine.
00:46Bienvenue commandant, avec vous sur ce débat, Jean-Pierre Molny, bonjour, vous êtes directeur
00:51adjoint de l'institut de relations internationales et stratégiques autrement connu sous le terme
00:55IRIS, responsable des études liées aux questions de la défense, à l'Europe de la défense, à l'OTAN,
01:02l'industrie de l'armement, aux ventes d'armes. Vous dirigez aussi ARES Group qui est un réseau
01:07de chercheurs européens spécialisés sur les questions d'industrie de défense. Alors ma
01:12première question ça va être sur la conscience politique de l'importance de l'IA aujourd'hui
01:18dans ce domaine militaire puisqu'on a la France qui est inscrite dans la loi de programmation
01:21militaire 2024-2030. Cette nécessité de maîtriser cette technologie aux côtés de
01:28système autonome et de calcul quantique, vous diriez quoi Jean-Pierre Molny, qu'il y a une
01:33conscience qui a été rapide, précoce, progressive, lente, comment vous la qualifieriez au niveau
01:39politique ? La conscience elle est quand même relativement récente de manière générale dans
01:45la société et dans le domaine militaire. Quand je dis récente c'est une dizaine d'années disons.
01:51Dizaine d'années c'est au moment où il y a eu le rapport Cédric Villani sur l'intelligence
01:55artificielle. Alors c'est 2018 son rapport. Et à ce moment là il y a véritablement une prise de
02:02conscience de la société. Maintenant un militaire, si je puis dire, il y a longtemps qui sait à peu
02:09près ce que c'est que l'intelligence artificielle. Je vous dirais un joueur de jeux vidéo aussi,
02:15parce que l'IA c'est un peu la base dans les jeux vidéo. Donc on sait quand même ce que c'est.
02:21Simplement ça a été vraiment pris en charge au niveau politique depuis on va dire entre 5 et 10
02:31ans. Ça correspond aussi au moment au ministère des armées où il y a la création de l'agence
02:35d'innovation de défense. Parce qu'on dit tout de suite on va mettre 100 millions d'euros sur l'IA.
02:39Alors c'est ce que je veux dire, comment ça se concrétise dans les faits ? Donc ça veut dire
02:43des budgets de l'investissement, la création d'une agence et des projets peut-être spécifiques
02:50aussi commandant ? Alors déjà en termes d'organisation il y a effectivement l'agence de
02:54l'innovation de défense qui a été créée. Et puis plus récemment, l'année dernière, le ministre a
03:00créé l'agence ministérielle pour l'IA de défense, l'AMIAD, qui est basée à Rennes. Et donc ça c'est
03:09la partie structurante. Après dans les projets, effectivement ça fait quelques années déjà qu'on
03:13explore un certain nombre de choses dans les forces, que ce soit sur les bateaux, dans les
03:19avions de chasse, sur les théâtres terrestres. Alors ça va être des choses qu'on arrive assez
03:26bien à comprendre quand on utilise des outils civils type de la reconnaissance d'image. Simplement
03:33après il y a des spécificités liées au milieu militaire. C'est pas la même chose de repérer un
03:37chat dans une photo ou une voiture que de repérer un drone ou un avion de chasse. Quelle est la
03:43spécificité ? Parce qu'on a l'impression qu'en fait c'est juste une question de données entrantes.
03:48Qu'est-ce qu'on va apprendre au logiciel à reconnaître ? C'est pas uniquement ça le problème ?
03:51C'est essentiellement ça la difficulté. C'est la capacité à avoir des jeux de données
03:55représentatifs. Vous avez des millions de photos de chats. Avoir suffisamment de données finalement
03:59disponibles. Vous avez des millions de photos de chats, vous n'avez pas des millions de photos de
04:02chats ou de drones iraniens ou chinois ou russes. Et donc arriver à maîtriser ces données fiables,
04:10bien annotées et d'être capable d'éduquer, d'entraîner les IA avec ces données là. C'est
04:14ça aujourd'hui la difficulté essentielle pour l'IA militaire. Alors aujourd'hui j'imagine que
04:20les armées françaises travaillent sur l'intelligence artificielle pratiquement au quotidien. Est-ce que
04:27c'est un outil qui est encore en expérimentation et dont on attend encore les preuves ? Ou est-ce
04:32que vous diriez que c'est vraiment opérationnel ? Non c'est déjà opérationnel dans certaines
04:38petites briques. Après il y a encore beaucoup de projets en expérimentation et en devenir. Mais il
04:45y a déjà des petites briques d'IA qui sont intégrées dans les systèmes. Après une autre particularité
04:49c'est que quand on engage des armes qui peuvent conduire à détruire des adversaires, on doit être
04:58certain de ce qu'on utilise. Et donc quelle est la dose d'autonomie qu'on donne au système ? A quel
05:05moment l'homme confirme ou reprend la main ? C'est ça aussi un des aspects de l'IA militaire.
05:11Parce qu'on a le sentiment que justement le domaine militaire permet de faire progresser
05:18souvent l'innovation, les technologies, parce qu'on met de l'investissement aussi important. Ce sont
05:22des domaines régaliens. Mais j'imagine que c'est aussi un domaine où on fait encore plus attention
05:29justement à l'usage de ces technologies. Il y a énormément d'inquiétudes. Quelles sont les limites
05:34que vous verriez vous sur l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le domaine
05:39militaire ? Qu'est-ce qu'on n'ira pas faire ? Qu'est-ce qu'on ne peut pas faire ? Les limites c'est le
05:44résultat. C'est-à-dire qu'il ne faut pas se tromper. Il ne faut pas se tromper de cible. Il ne faut pas se
05:49tromper de reconnaissance. Donc il y a une exigence en termes de certification qui est
05:56bien plus forte que dans le domaine civil. Après la techno, c'est la même techno de base que
06:01dans le domaine civil puisque c'est des données et des algorithmes. L'autre chose c'est que ça
06:06progresse avec le temps. C'est une techno qui progresse petit à petit. Plus on a de données,
06:12plus on progresse sur les algorithmes, plus on progresse sur les supercalculateurs. Avant de
06:17venir à la différence peut-être entre le monde civil et le monde militaire, j'ai écouté France
06:24Culture. L'IPhone 16, visiblement, il y avait de grosses erreurs puisqu'il disait que Raphaël
06:30Nadal avait fait son coming out. Alors là c'est le problème des IA génératives.
06:36C'est que des statistiques finalement. Effectivement. Donc ce qui est sûr,
06:43c'est que vous le confirmerez, c'est qu'on reste sur un système en France où on a toujours l'homme
06:50dans la boucle au dernier moment pour prendre la décision. Ce qui ne veut pas dire que l'IA ne va
06:56pas faire du traitement avant de prendre cette décision. Je vais donner un exemple. Au début
07:03des années 2000, pour le rafale, l'avion de combat, on s'est aperçu que le pilote, quand on
07:10est passé au rafale avec des capacités air-sol, que le pilote ne pouvait plus tout faire. Donc à
07:16ce moment-là, on a dit il y aura deux hommes dans le rafale. On a commencé à construire des
07:20rafales avec deux pilotes. Maintenant on peut passer à un. On peut passer à un parce que l'IA va
07:30suppléer le pilote et pouvoir traiter les informations qu'on avait déléguées au copilote.
07:41Donc on est bien dans un système où on progresse petit à petit. Comme avec les voitures autonomes
07:45finalement. Exactement. Comment aujourd'hui on s'empare de cette technologie ? Très concrètement,
07:52de manière opérationnelle, sur quoi vous travaillez ? C'est un outil pour l'information,
07:57pour la maintenance ? Un peu de tout. Si on prend le domaine opérationnel du combat,
08:02vous allez utiliser de l'IA avec de la reconnaissance d'image, on en parlait tout à
08:07l'heure. Mais ça va être aussi de l'aide à la décision dans des environnements complexes. J'ai
08:14quitté un commandement de frégate l'été dernier. J'étais en mer Rouge au printemps dernier,
08:18dans l'environnement d'attaque du trafic commercial par les drones et les missiles
08:23outils. Là vous avez une quantité d'informations qui arrivent au niveau des opérateurs sur le bateau,
08:28qui est juste colossale. Et donc pour arriver à ne pas se tromper, on utilise de l'IA pour
08:35essayer d'aider l'opérateur, le décharger d'une certaine charge cognitive pour qu'en fait il
08:40concentre son attention et son expertise sur les tâches à haute valeur ajoutée. C'est-à-dire,
08:45est-ce que j'engage ou pas ? Est-ce que je confirme un engagement ? Ou alors je retiens
08:49le feu ? Les américains, c'était dans la presse il n'y a pas si longtemps, ont abattu un de leurs
08:56propres avions de chasse qui décollait dans un porte-avions. On voit bien que dans des
09:00environnements extrêmement complexes comme ça, avoir de l'aide à la décision c'est fondamental.
09:03Et pour ça l'IA est très utile. Donc reconnaissance d'images. Dans un autre domaine, vous allez
09:09pouvoir utiliser de la reconnaissance acoustique. Vous avez sans doute vu le film Le chant du loup
09:13avec les oreilles d'or. Donc analyser des sons dans l'eau, vous avez énormément de bruit par
09:18l'activité biologique, le bruit ambiant de toute l'activité maritime. Faire le tri là-dedans,
09:23vous pouvez utiliser de l'IA pour faire un premier tri, un premier filtre et ensuite
09:27l'oreille d'or va concentrer son énergie et son expertise sur la reconnaissance fine. Il va se
09:32décharger de toute la partie de tâche un petit peu moins noble. Donc vous avez ce genre d'usage.
09:37Et après dans des domaines plus logistiques, maintenance etc. Mais là c'est pas spécifique
09:44aux militaires mais la maintenance prédictive évidemment sur des avions de chasse, des rafales,
09:48sur des bateaux. C'est extrêmement précis et utile de pouvoir avoir des petits signaux faibles
09:53d'un moteur qui commence à dérailler, avoir des petites difficultés et d'anticiper pour ne pas
09:57avoir une avarie et retirer un bateau ou un avion de ligne. Et toute la partie, j'ai envie de dire,
10:03guerre de l'information. Parce que j'avais reçu François Bernard Wisch de l'IRIS qui nous disait
10:10avec le numérique et les réseaux sociaux finalement la guerre en Ukraine c'est la première racontée
10:14par les bombardés. Il avait dit ça dans une de mes émissions Smartech. C'est aussi un enjeu
10:20aujourd'hui d'utiliser l'IA pour écouter l'information et peut-être aussi la fabriquer.
10:25Alors oui dans le domaine de l'influence, c'est comme ça qu'on l'appelle dans les armées. Il y a
10:32évidemment là aussi la bataille du glaive et du bouclier, l'équilibre entre le glaive et le
10:39bouclier. Donc à la fois utiliser de l'IA pour aller saturer l'adversaire avec des informations
10:45qui peuvent être fausses et donc perturber sa perception du théâtre. Et à l'inverse nous,
10:50mettre en place des outils et notamment avec de l'IA pour faire le tri, essayer de détecter les
10:56fausses informations, faire le tri dans la masse d'informations pour avoir une meilleure perception
10:59là aussi de ce qui se passe. Donc ça fait partie des choses sur lesquelles vous travaillez. Ça
11:03demande des budgets colossaux j'imagine tous ces investissements. Ça demande des budgets et on
11:09en parlait avant d'entrer sur le plateau. Ça demande aussi de l'information, sur la question
11:15de l'information, des informations. Parce qu'effectivement on peut faire du traitement.
11:22Le traitement ça va permettre d'alerter notamment sur les mauvaises informations ou sur la
11:30désinformation. Mais c'est quelque chose dont il faudrait que tous les citoyens s'en parlent.
11:34Véritablement les former justement à... Sur le sujet de l'esprit critique ? Oui, tout à fait.
11:41Enfin là on en parle vraiment comme d'une arme de guerre. Je vous pose la question des budgets,
11:46c'est aussi savoir quel est notre niveau d'autonomie stratégique sur ces nouvelles technologies. Parce
11:50que moi quand je parle du numérique, clairement le niveau d'autonomie que je vois il est proche
11:56de zéro. C'est-à-dire que les données massivement viennent quand même des grands centres d'entraînement
12:03qui sont tenus par des entreprises américaines. Les hébergements eux-mêmes sont tenus par des
12:08américains. Les IA qu'on utilise au quotidien d'eux-mêmes. Qu'est-ce qu'il en est dans le
12:14domaine militaire en matière de souveraineté ? C'est un sujet majeur. Alors pour ce qui est des
12:21données, il est évident que quand on m'entraîne, enfin quand on utilise sur un système d'armes une
12:27intelligence artificielle, on doit absolument maîtriser les données qu'on met dedans. Donc
12:32on va utiliser... On ne va pas utiliser un modèle qui a été entraîné dans une grande ferme de
12:37données aux Etats-Unis ou ailleurs. On va justement... Et c'est un des intérêts de l'AMIAD qui a été
12:43créé, mais de tous les efforts qu'on fait depuis quelques années dans ce domaine, c'est de générer
12:48des jeux de données qui sont fiables, annotés par des experts et avec lesquels on va pouvoir
12:54entraîner les IA. Sur nos supercalculateurs. Sur nos calculateurs et dans nos bases de données.
12:59Et donc la technologie en elle-même, elle peut être civile, mais en revanche, ce qu'on en fait
13:06et les données qu'on met dedans et la maîtrise qu'on a de ces jeux de données pour les utiliser,
13:11ça on doit le maîtriser absolument. Il y a une prise de conscience sur le sujet, que ce soit au
13:16niveau français ou au niveau européen. Quand on regarde notamment les projets qui sont financés
13:21au niveau européen par le Fonds européen de défense, vous avez un certain nombre qui concerne
13:25l'intelligence artificielle. Donc il y a véritablement un effort qui est fait pour
13:31effectivement arriver à plus d'autonomie stratégique, parce qu'il est évident que c'est
13:36un domaine clé à ce niveau-là. Et pour le coup, je pense que la prise de conscience est globale au
13:43niveau européen. Au salon Euronaval, j'ai vu que la DGA avait présenté un prototype de
13:51drones de combat sous-marin de 10 tonnes. Et j'ai noté le terme qui avait été employé, qu'un des
13:57enjeux c'est d'avoir finalement des drones à l'autonomie décisionnelle contrôlée. C'est ça
14:03aujourd'hui la limite qu'on laisse à la technologie et à l'IA dans le domaine militaire ?
14:07Aujourd'hui dans les armées françaises, après dans d'autres pays la réalité peut être différente,
14:12mais dans les armées françaises, la limite qu'on se fixe c'est qu'il y a toujours un homme à la fin
14:16pour la décision d'engagement de l'arme. Il peut y avoir une autonomie dans plein de domaines, dans
14:21la recherche, dans le renseignement, dans l'analyse, de plein de choses. En revanche, dès lors qu'il y a
14:25un engagement d'arme, il y a un homme qui reste présent. Donc la notion de munitions rôdeuses,
14:30on commence à travailler sur ces questions-là. Donc ça permet d'amener une munition proche de la
14:35zone où on veut produire un effet militaire. En revanche, la décision d'engager cette munition,
14:39en tout cas c'est notre doctrine actuelle, il y aura toujours un homme qui appuiera sur le bouton.
14:44Et alors vous êtes d'accord pour dire que l'IA va révolutionner la manière dont on va faire la
14:48guerre demain, ou l'éviter d'ailleurs ? Oui, parce que les phénomènes de dronisation,
14:55les phénomènes de données de masse qui saturent les théâtres, sans l'IA, on n'y arrivera pas. Pour
15:02nous, l'IA c'est conserver cette autonomie de décision déjà et ce préavis, donc garder un
15:07préavis de perception, de compréhension de la situation pour avoir ce petit préavis sur
15:12l'adversaire. Et ça sans l'IA, il est probable qu'on n'y arrivera pas. Je pense qu'il y a un
15:17autre élément sur l'IA qui est important, c'est que comme vous avez toute cette préparation,
15:22j'ai envie de dire de digestion des données, tout ça se fait très rapidement avec l'IA,
15:28donc vous pouvez avoir une accélération du rythme des opérations. Or, accélérer le
15:34rythme des opérations, c'est aussi avoir la supériorité sur l'adversaire. Et comme tout
15:38le monde accélère, il ne faut pas être les derniers dans la course. Merci. Une particularité sur l'IA
15:44dans le domaine de défense, c'est que contrairement aux véhicules autonomes, on n'est pas dans un
15:49environnement de réseau civil complètement maillé. On peut se retrouver dans des endroits où il n'y a
15:56plus de réseau, il n'y a plus rien. Et donc vous pouvez être amené à avoir un outil qui n'est
16:02connecté à plus rien. Donc il faut être capable aussi de travailler sans réseau. C'est ce qu'on
16:09appelle le back to the 80s, être capable de travailler avec de l'IA complètement connecté
16:14et en même temps d'être capable de tout couper pour le faire sans ces réseaux. Merci beaucoup
16:18commandant, capitaine de vaisseau Xavier, officier de cohérence du numérique et chef du bureau
16:23numérique de la marine et merci Jean-Pierre Molny, directeur adjoint à l'IRIS.

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