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00:00Honorable député, Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Monsieur le Premier
00:08Président de la Cour suprême, Monsieur le Procureur général près de la Cour suprême,
00:15Monsieur le Premier Président de la Cour des comptes, Monsieur le Procureur général
00:23près de la Cour des comptes, Mesdames, Messieurs les ambassadeurs et chefs de mission diplomatique,
00:29Monsieur le médiateur de la République, Monsieur le Président de l'Office national
00:37de lutte contre la fraude et la corruption, Mesdames, Messieurs les magistrats, Messieurs
00:44les anciens bâtonniers, Messieurs les dauphins du bâtonnier, Mesdames, Messieurs les avocats,
00:51chers consoeurs, chers confrères, Messieurs les officiers généraux, Messieurs les recteurs
00:59doyens et professeurs des universités, Messieurs les dignitaires religieux et coutumiers, Mesdames,
01:08Messieurs les administrateurs de greffes et greffiers, Mesdames, Messieurs les présidents
01:14de la Chambre des notaires, de l'Ordre des huissiers, de l'Ordre des experts comptables
01:21et comptables agréés, de l'Ordre des experts et évaluateurs agréés, Mesdames, Messieurs
01:28les officiers ministériels et auxiliaires de justice, honorables invités, Mesdames,
01:35Messieurs. En ce début d'année, permettez-moi avant tout de présenter mes voeux les meilleurs
01:43à chacune et chacun d'entre vous et à l'ensemble de la famille judiciaire. Je voudrais aussi
01:51saluer la mémoire des confrères, magistrats, auxiliaires de justice et autres membres de
02:00la famille judiciaire qui nous ont quittés au cours de la dernière année judiciaire.
02:06Ils ont chacun, à sa façon, donné à l'institution judiciaire leurs meilleures années et leur
02:15souffle. Je renouvelle à leur famille l'expression de mes condoléances attristées. Que leurs
02:23âmes reposent en paix. J'ai aussi, à cet instant précis, une pensée respectueuse
02:32pour ces femmes et ces hommes qui accomplissent chaque jour leur mission au service de la
02:38justice, avec dévouement et humanité, sans compter leur temps, dans des conditions souvent
02:46difficiles. C'est grâce à eux que notre institution tient sans relâche.
02:52Monsieur le Président de la République, Président du Conseil supérieur de la magistrature,
02:59le Barreau vous adresse encore ses félicitations suite à votre élection comme Président de la
03:08République du Sénégal. Le choix porté par le peuple sénégalais sur votre personne et
03:17les principes que vous défendez répond certainement à leur réelle aspiration à une vie meilleure,
03:24faite de paix sociale, de justice, de prospérité et d'humanité. Votre engagement en faveur d'une
03:35gouvernance transparente, juste et efficace, qui reflète un sens profond du service de
03:43l'État, est un gage de respect et d'espérance pour tous les Sénégalais. Nous formons le
03:50vœu de succès dans l'accomplissement de votre haute et noble mission.
03:56Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, statutairement acteur de la justice,
04:05vous connaissez bien les préoccupations et les attentes de la famille judiciaire. Mais
04:13votre mission ne demeure pas moins difficile. Les nombreux défis à relever font de vos
04:20responsabilités une très lourde charge. Mais vos compétences largement éprouvées
04:29et votre volonté seront des gages de réussite dans votre mission, réussite que nous souhaitons
04:37autant que vous très vivement. Le Barreau vous réaffirme son soutien pour une justice
04:46de qualité, garante de l'indépendance, de l'impartialité des magistrats et des droits
04:52de la défense.
04:53Monsieur le Premier Président de la Cour suprême, le Barreau vous réitère ses félicitations.
05:02Votre dévouement au service de la justice est reconnu et apprécié de tous. Nous vous
05:10souhaitons une bonne et sereine gouvernance de la Cour suprême.
05:14Monsieur le Procureur général, le Barreau vous félicite et vous souhaite un plein épanouissement
05:25dans vos nouvelles fonctions. Je ne doute pas un instant de votre engagement pour mener
05:32votre mission dans l'unique but d'assurer une bonne qualité de la justice.
05:38Monsieur le Président de la République, Président du Conseil supérieur de la magistrature,
05:44le thème sur lequel vous nous avez convié à réfléchir ce matin d'audience solennelle
05:51de rentrée des Cours et tribunaux, porte sur droit de grève et préservation de l'ordre
05:58public, un thème pour le moins intéressant.
06:02Tel que posé, le thème fait automatiquement penser dans l'absolu à l'éternel problème
06:11de la conciliation du droit de l'individu avec le droit de la collectivité, de la conciliation
06:19de l'ordre et de la liberté. La dialectique de l'ordre public et des libertés, traversant
06:26la pensée juridique depuis le XVIIIe siècle, est une problématique délicate car inhérente
06:33à l'avènement des sociétés modernes. La multiplication des dispositions législatives
06:39visant à répondre à ces évolutions de fait suscite des interrogations sur la protection
06:46des droits et des libertés. Le droit de grève comme droit fondamental n'a pas échappé
06:54au processus qui consiste à encadrer, par une règle de droit, la portée ou l'exercice
07:02d'un droit ou d'une liberté garantie dans un but prévu par le constituant.
07:07Le Conseil latinien, que je félicite, nous a fait une présentation du thème reposant
07:16sur une étude notionnelle et une analyse de la jurisprudence confrontant les dispositions
07:23d'ordre public aux droits de grève sous un prisme de restriction causé par le caractère
07:29fondamental aussi de l'ordre public. Nous tâcherons d'apporter quelques réflexions
07:37sur le degré d'équilibre des rapports en apparence divergent entre la protection du
07:45droit de grève et la préservation de l'ordre public.
07:48Il m'a paru nécessaire de mettre l'accent sur le caractère équivoque de la limitation
07:57du droit de grève par l'ordre public. Alain affirmait « la liberté ne va pas sans l'ordre,
08:06l'ordre ne vaut rien sans la liberté ». D'abord, l'état de droit ne prône pas l'absolutisme
08:12dans la jouissance des droits. Ceux-ci peuvent et doivent s'exercer dans les limites légales
08:19et réglementaires. Les droits fondamentaux, dont le droit de grève, trouvent leur ancrage
08:26dans la Constitution qui confie aux législateurs de les définir, de délimiter le cadre de
08:33leur exercice et aux juges constitutionnels, gardiens des promesses du constituant, la
08:40mission de préserver l'équilibre dans leurs rapports. C'est ce qu'annonce l'article
08:4625 alinéa 4 de la Constitution qui dispose « le droit de grève est reconnu, il s'exerce
08:54dans le cadre des lois qui le régissent, il ne peut en aucun cas ni porter atteinte
09:00à la liberté de travail ni mettre l'entreprise en péril ».
09:06La prééminence du législateur dans la limitation du droit de grève résulte donc d'une habilitation
09:15du constituant. Pour ce dernier, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence
09:22d'exclure du droit de grève les limitations qui doivent être apportées à ce droit comme
09:30à tout autre droit en vue d'en éviter un usage abusif ou bien contraire aux nécessités
09:37de l'ordre public ou aux besoins des services essentiels du pays dont la continuité doit
09:43être assurée dans la mesure où il concrétise des droits et libertés constitutionnellement
09:50garantis.
09:51Il ressort du législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des
09:59dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité de modifier
10:05des textes antérieurs ou d'abroger ceci en leur substituant, le cas échéant, d'autres
10:12dispositions dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garantie
10:19légale les promesses du constituant. Dès lors, la Constitution porte elle-même les
10:26germes d'un encadrement du droit de grève sans qu'il soit nécessaire de l'apprécier
10:31dans le cadre d'un rapport de confrontation avec la notion d'ordre public. La Constitution
10:38renvoie à la logique de conciliation entre plusieurs droits fondamentaux de même valeur
10:45que le législateur est tenu de concrétiser.
10:47Me diriez-vous, les limites instituées par le constituant et la faculté laissée au
10:53législateur d'organiser le droit de grève renvoient fondamentalement à l'esprit d'ordre
10:59public, la grève restant un fait social majeur. L'ordre public est une norme inhérente
11:08aux droits et son influence sur les droits individuels et collectifs est très marquée.
11:13La Constitution dispose, en son article 25, alinéa 3, « Tout citoyen a le devoir de
11:21respecter et de faire respecter les biens publics, mais aussi de s'abstenir de tous
11:27actes de nature à compromettre l'ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité
11:34publique. »
11:34L'ordre public se présente comme une nécessité démocratique, un pilier de l'état de droit
11:44dont le respect et la préservation sont une obligation fondamentale imposée par la Constitution.
11:50Sa fonction essentielle consiste en réalité à assurer la sauvegarde des droits et libertés
11:58des citoyens lorsqu'ils ne disposent pas par eux-mêmes des moyens de s'autoprotéger
12:05ou de se réaliser. La notion d'ordre public étant une nécessité pour l'exercice des
12:12libertés, il en découle que, dans certaines circonstances, ces libertés peuvent être
12:19limitées pour sauvegarder l'ordre public.
12:22Les droits et libertés fondamentaux ne peuvent s'exercer effectivement que dans le cadre
12:28d'un État garantissant l'ordre public, sauf quoi l'anarchie et le non-droit rendraient
12:34impossible le commun vouloir de vie commune. L'État, garant des droits et libertés constitutionnellement
12:42reconnus aux personnes, se donne les moyens d'en assurer l'effectivité. Pour ce faire,
12:50il œuvre à préserver l'ordre public sans que cela ne conduise nécessairement à la
12:55violation des droits de la personne humaine. Par l'affirmation du droit de grève et la
13:01détermination de leur jouissance, la loi devient la principale source de protection,
13:08mais aussi d'encadrement, voire de limitation de ce droit.
13:12L'objectif de la limitation du droit de grève est et doit être la sauvegarde de l'ordre
13:20public, dont la préservation apparaît en même temps comme la condition sine qua non
13:26à la jouissance du dit droit. C'est pourquoi Sébastien Roland disait « L'ordre public,
13:34c'est au fond le rappel par la collectivité que l'exercice d'une liberté qui est reconnue
13:41aux individus ne peut aller jusqu'à menacer l'effectivité même de cette liberté pour
13:47soi, pour les autres, ou l'effectivité d'une autre liberté ». L'ordre public se présente
13:55dès lors comme un démembrement de l'intérêt général.
13:59Ensuite, qui dit restriction ou limitation d'un droit fondamental tel que celui du droit
14:06de grève, dit respect des principes d'égalité, de finalité et de proportionnalité. Le droit
14:13de grève est aujourd'hui l'enjeu d'un rapport de force, reconnaissons-le. C'est devenu davantage
14:20un instrument dans la négociation sociale et moins un moyen d'action et d'expression
14:27des travailleurs. En conséquence se posent la question des enjeux du droit de grève et
14:34les nécessités de garantir dans une société démocratique le respect des droits et libertés
14:40d'autrui ou celle de protéger l'ordre public vu sous l'angle de la liberté d'aller et
14:46de venir, la liberté d'accès aux services publics, notamment sanitaires, sociaux et
14:53d'enseignement, la liberté de travail, la liberté de commerce et d'industrie.
14:58Il n'est pas superflu d'être en droit de s'interroger sur les motivations profondes
15:06à l'origine des choix syndicaux relativement au droit de grève. Le débat sur les finalités
15:13de la grève dans une société confrontée aux réalités évolutives de la vie économique,
15:19sociale et politique amène aujourd'hui à se poser la question sur la nature civique
15:25ou politique, voire hybride du droit de grève et plus précisément sur les limites entre
15:32grève professionnelle et grève politique. Le droit de grève est reconnu aux travailleurs
15:38et aux fonctionnaires qui peuvent cesser de façon collective et concerner leur travail
15:44pour satisfaire leurs revendications professionnelles. Ce droit est généralement exercé par des
15:50syndicats d'entreprise affiliés à des organisations nationales, qui n'échappent pas toujours
15:56à l'influence des organismes politiques dans lesquels leurs membres peuvent militer.
16:01Cette confusion de rôle peut cristalliser une revendication syndicale, notamment dans
16:07le secteur public, paralysant ainsi la continuité du service public, ce qui n'est normalement
16:14pas le sens et la portée du droit de grève qui devient dès lors un facteur de trouble
16:21à l'ordre public plutôt que de l'exercice d'un droit fondamental. De ce point de vue,
16:27la distinction entre le salarié et le fonctionnaire n'est pas pertinente. L'usage régulier
16:33d'un droit ou le dévoiement de ce droit étant le seul critère d'analyse de l'abus
16:41ou du juste exercice du droit de grève.
16:44Est-il possible, voire utile, de faire le départ entre le droit de grève, droit civique,
16:51droit fondamental reconnu par la Constitution, et les enjeux politiques qui peuvent animer
16:57une revendication professionnelle collective ? Les instruments juridiques et légaux sont
17:03des outils utiles ou des armes dangereuses selon les mains dans lesquelles elles se trouvent
17:08et seule une éthique irréprochable et un sens élevé des responsabilités peuvent
17:15garantir le juste usage des droits ainsi que leur encadrement.
17:19Au-delà des réflexions spéculatives qui nous interpellent, la vraie problématique
17:28que pose un retour à la réalité de notre quotidien restera certainement donc la recherche
17:34du juste équilibre dans la conciliation de l'exercice d'un droit de grève à la préservation
17:43du trouble de l'ordre public.