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00:00Culture Média, Thomas Hill.
00:02Merci beaucoup d'être avec nous pour la suite de Culture Média.
00:05Il va y avoir de la bonne musique jusqu'à 11h.
00:08D'abord parce que Jo U nous a rejoint.
00:10Mais oui !
00:11Salut Jo !
00:12Bonjour à toutes et à tous !
00:13Mais alors aussi parce qu'on va avoir droit à un live de la jeune Solane.
00:24Vous verrez qu'elle a beaucoup de talent cette jeune fille.
00:26Et puis notre invité du jour est aussi un passionné de musique, figurez-vous.
00:30Même si on le connaît davantage comme critique de cinéma.
00:32Mais la musique est aussi très présente dans son dernier livre.
00:35Bonjour Éric Neuf !
00:36Bonjour !
00:37Merci d'être avec nous ce matin.
00:39C'est vrai qu'il y a beaucoup de musique dans votre nouveau roman Pain Total.
00:43Vous dites que votre crâne...
00:44C'est pas un roman.
00:45C'est un récit.
00:47Oui c'est un récit, c'est vrai.
00:48J'aurais préféré que ce soit un roman.
00:49C'est de l'autofiction.
00:50C'est de l'autofiction.
00:51Il n'y a rien de fiction.
00:53Il y a de la voiture mais c'est pas de l'autofiction.
00:55C'est joli ça.
00:56Et c'est vrai que vous dites que votre crâne est un jukebox.
00:59Et dans ce jukebox, il y a notamment ça.
01:10Je savais que ça vous plairait.
01:12Iggy Pop, Lust for Life, qu'on pourrait traduire par l'envie de vivre et de s'éclater.
01:17C'est ce que vous cherchiez à 20 ans, Éric Neuf, comme beaucoup d'entre nous je crois.
01:23Vous amusez et puis faire semblant de bosser sur vos études.
01:26Oui, c'était une génération complètement insouciante, presque inconsciente.
01:31Et on s'amusait beaucoup.
01:32Effectivement, on sortait tout le temps.
01:34Et puis peut-être qu'il y a eu...
01:36Le prix a payé à un moment donné.
01:38Parce que le jour où vous avez eu un terrible accident qui a failli vous coûter la vie.
01:43Vous aviez 22 ans.
01:44C'était le 14 juillet 1978.
01:47Un accident qui a signé la fin de cette jeunesse insouciante.
01:52Oui, malgré moi, j'ai perdu un ami au cours de cet accident.
01:57C'est une histoire dont je n'avais jamais parlé.
02:01Un ami éditeur m'a dit, tu devrais écrire un livre là-dessus.
02:04Et j'ai pensé que c'était le moment.
02:07En plus, c'était assez utile pour moi.
02:10Parce que je me suis dit, je vais enfin savoir ce qui s'est passé sur cette route espagnole la nuit.
02:17Et je vais savoir ce qu'il y a eu après cette image qui me reste toujours en tête.
02:21La dernière image que j'ai avant l'accident, c'est les phares qui balayent le bas-côté.
02:27Et au bout, la pile d'un pont.
02:30Et on dit souvent que dans les accidents de voiture, il y a un trou noir.
02:34Et effectivement, je ne me souviens de rien.
02:37Et j'ai cru qu'en écrivant, je trouverais la vérité.
02:41Et hélas, je ne saurais jamais ce qui s'est passé à cette seconde en juillet 1978.
02:46Ce qui est fou, c'est qu'on est 46 ans après.
02:49Et 46 ans après, vous êtes encore touché et marqué par cet accident.
02:54Quand on vous en parlait, on ne l'oublie jamais.
02:57Non, c'est toujours là, c'est tatoué.
02:59Et puis, ce qui est très curieux, c'est qu'en me mettant à écrire,
03:02je me suis retrouvé à la fois sur cette route catalane dans la nuit,
03:07avec des inconnus, des gyrophares et une espèce de coma qui commençait.
03:11Et sur ce lit d'hôpital où j'ai passé un an.
03:14Et toutes les sensations sont revenues quand je me suis mis à écrire.
03:18Donc, il y a une espèce de disque dur qu'on ne peut pas effacer, je pense,
03:23à l'intérieur de soi quand il vous arrive quelque chose comme ça.
03:26Cet accident, vous l'avez eu en tant que passager d'une voiture décapotable.
03:31Mais vous avez eu une chance dans votre malheur,
03:33c'est celle d'avoir été éjecté de ce véhicule.
03:36Alors que votre ami Olivier, qui était au volant, n'y survivra pas.
03:40Vous précisez que la ceinture n'était pas obligatoire à l'époque.
03:44Et surtout que vous ne rouliez pas vite.
03:46Vraiment, cet accident aurait pu arriver à n'importe qui.
03:49En plus, c'était la première fois que je montais dans une décapotable.
03:53Donc, c'était aussi la dernière.
03:56Et oui, c'est quelque chose qui m'a marqué.
04:00Et puis, je suis un peu troublé d'en parler,
04:04parce que c'est la première fois que je parle de ce livre.
04:07Merci de m'avoir invité.
04:09On ne peut pas tout le temps rigoler dans la vie, même si j'adore ça.
04:14Et il y a des choses qui comptent plus que d'autres, apparemment.
04:18Tout est revenu, dont cette époque, cette année-là, l'année 78,
04:25qui était pour moi vraiment un très bon souvenir.
04:29Et il y a eu un grand coup d'arrêt.
04:31Ce qui est très impressionnant, d'ailleurs, quand on vous lit Eric Nehoff,
04:34c'est la somme de détails dont vous vous souvenez.
04:38Comme, par exemple, le secouriste qui vous agace
04:40parce qu'il coupe votre nouveau jean Levis.
04:43Ou le brancardier qui ne veut pas vous gratter le nez.
04:46Donc, vous vous dites, c'est d'un coup la personne que je déteste le plus au monde.
04:49Oui, c'est vrai, celui-là, si je le retrouve, je pense que je l'ai tranglé.
04:52Mais c'est vrai que tous les petits détails comptent,
04:54puisque vous êtes complètement dépendant.
04:56C'est gravé dans votre mémoire.
04:58C'est des détails qui vous sont revenus au fil de l'écriture
05:00ou tout était encore là, très précis ?
05:02Le coup du brancardier qui refuse de me gratter le nez,
05:06ça, je m'en suis souvenu depuis tout le temps.
05:08Mais en écrivant, il y a un tas de détails.
05:11Il y a des déclencheurs.
05:12Oui, l'anesthésiste qui, avant de me faire l'injection,
05:18pensant me faire un compliment, vous ressemblez à Connors, le tennisman.
05:23À Jimmy Connors.
05:25Et moi, je n'aimais pas du tout la tête qu'il avait.
05:28Et ça vous a vexé ?
05:29Oui, ça m'a vexé.
05:30Mais bon, l'anesthésie générale, de toute façon, vous ne pouvez pas lutter.
05:35Et c'est vrai que vous en avez eu des anesthésies.
05:37Je rigole, mais ce n'était pas si marrant.
05:39Vous êtes hospitalisé et pendant un an,
05:42on vous administre du pain total.
05:44C'est ce qui donne le titre de votre livre.
05:47Eric Nohoff, vous pouvez nous expliquer ce que c'est ce produit, le pain total ?
05:50Vous expliquer ce que c'est, je n'en sais rien.
05:52En tout cas, c'est ce qu'on vous met dans les veines
05:55pour vous anesthésier complètement.
05:57Et je crois que ce n'est plus ce produit qu'on utilise maintenant.
06:00Ils ont dû faire des progrès.
06:02Non, maintenant, c'est le fentanyl.
06:04Voilà, vous êtes au courant.
06:05Mais ça continue à être utilisé par les services secrets
06:09parce que c'est un sérum de vérité.
06:11Et j'espère que dans ce livre, tout est vrai et que je n'ai pas triché.
06:15Et c'est vrai que ce qui revient sans cesse dans votre livre,
06:17malgré le pain total, c'est la douleur qui est là absolument tout le temps.
06:21Et puis, vous pensez beaucoup à la mort.
06:23Vous perdez carrément le goût de la vie à un moment
06:25parce que c'est trop long, c'est trop dur.
06:27C'est dur. La douleur physique, c'est quelque chose de dégoûtant
06:31parce que je l'en voulais, parce qu'elle prend toute la place.
06:34Il n'y a plus que ça qui compte.
06:36On ne pense à rien d'autre.
06:38On pense à avoir moins mal, à ce que ça s'arrête,
06:40quel que soit le moyen.
06:42Et puis, hélas, on oublie la douleur physique.
06:46Là, elle est revenue quand je me suis mis à ma table pour raconter ça.
06:51Mais c'est quelque chose de terrible.
06:54Je compare ça, j'ai un ami de mes parents qui disait
06:58j'en voulais aux Allemands parce que sous l'occupation,
07:01on ne pensait qu'à une chose, la nourriture.
07:03Et là, pendant un an, moi je n'ai pensé qu'à la douleur
07:07et comment l'arrêter ou en tout cas l'atténuer.
07:10Et puis alors ce livre, Pain Total, votre nouveau livre
07:13qui sort jeudi aux éditions Albain Michel et Eric Neuf,
07:16c'est aussi le portrait culturel d'une époque,
07:19de l'année 78 en particulier.
07:21Et on va se plonger dans cette belle année dans un instant.
07:24A tout de suite sur Europe.
07:25Vous écoutez Culture Média sur Europe à 9h30-11h avec Thomas Hill
07:29et avec ce matin le journaliste et écrivain Eric Neuf
07:34pour son nouveau livre Pain Total.
07:36Alors ça sort jeudi dans deux jours aux éditions Albain Michel.
07:40Et alors je trouve que vous avez un mérite,
07:42c'est d'éviter un écueil dans ce livre,
07:44celui de tirer une grande leçon de vie de ce qui vous est arrivé.
07:48Vous auriez pu terminer le livre en citant Nietzsche,
07:51ce qui ne me tue pas, me rend plus fort.
07:53Non, vous vous dites...
07:54C'est toute une connerie.
07:55Voilà, exactement.
07:56Et vous dites qu'il n'y a aucun bienfait à tirer du terrible accident
07:59auquel vous avez survécu.
08:00Ça ne voulait rien dire en fait.
08:02Non, non, non.
08:03Ça vous marque, mais vous ne savez pas pourquoi.
08:06Puis on n'apprend rien.
08:07La douleur, ce n'est pas quelque chose de très intéressant.
08:10On peut s'en passer.
08:12Et ce qui ne vous tue pas vous rend plus faible.
08:14La preuve, vous êtes esquinté, vous ne pouvez plus courir,
08:16vous ne pouvez plus faire de ski.
08:19Vous avez des traumatismes aussi psychologiques.
08:21Il n'y a pas que physique, j'imagine.
08:23Psychologiques, comme disait Oscar Wilde,
08:26je m'en occupe, mais prenez-moi les douleurs physiques.
08:29Mais non, ça a dû compter.
08:32Mais ce qui a le plus compté,
08:34c'est peut-être aussi le fait d'avoir perdu un ami
08:36au cours de cet accident.
08:38C'est une lettre à un ami perdu aussi, ce bouquin.
08:42Et ce livre, c'est aussi un mélange
08:45entre votre histoire et l'histoire d'une époque,
08:48l'histoire de l'année 78.
08:50C'est vraiment une plongée dans la musique,
08:52dans la littérature, dans le cinéma
08:55de vos années d'étudiant, comme par exemple...
09:00Là, c'est musique et cinéma.
09:01Musique et cinéma.
09:07Stallone, c'était vraiment votre héros,
09:10comme Clint Eastwood, que vous citez aussi,
09:12Mel Brooks, les Charlots, La Septième Compagnie.
09:15Vous êtes très nostalgique, j'ai l'impression,
09:17de tout ce cinéma des années 70.
09:19Non, c'est parce que je l'ai vécu en direct.
09:22C'était formidable d'avoir tous ces films
09:24qui vous arrivaient chaque semaine à la figure.
09:27En plus, on trouvait ça normal.
09:29On a pris des mauvaises habitudes.
09:32Ça faisait partie des sorties.
09:35Et ce qui m'a manqué pendant cette année
09:37d'hospitalisation,
09:39c'est de ne pas pouvoir aller au cinéma.
09:41Je voyais que sortait
09:44Voyages au bout de l'enfer,
09:46et je n'y avais pas droit.
09:47C'était une frustration terrible.
09:49Vous, vous aviez seulement la télévision.
09:52Oui, je regardais Daniel Gilbert.
09:55Il n'y a pas de question de dire quel film
09:57vous aviez regardé à la télé.
09:58C'est autre chose.
09:59Il n'y avait pas énormément de chaînes en 78.
10:01Il n'y avait pas de plateforme.
10:03Et en 78, ce qui tourne en permanence
10:06à la télé, c'est ça.
10:14En étant à l'hôpital, c'est quand même moyen.
10:17En plus, je détestais Patrick Arnaud.
10:20Je ne sais pas pourquoi.
10:22Encore aujourd'hui ?
10:24Oui, ça n'est pas comme tout en plus.
10:26On détestait le disco à l'époque.
10:28Mais aujourd'hui, tout le monde adore ça.
10:30Moi y compris.
10:32Quand on le voyait danser avec sa canne,
10:35il nous agaçait beaucoup.
10:37Mais il y avait, paraît-il, derrière lui,
10:40une danseuse inconnue qui est devenue Madonna.
10:44Votre truc, c'était plus le rock à l'époque ?
10:46Oui, les Rolling Stones surtout.
10:49Bien sûr.
10:50Et puis, Karine Chéry.
10:56J'étais assez étonné.
10:58Karine Chéry qui est notre collègue.
11:00Vous étiez fan d'elle.
11:02On l'aimait bien.
11:05Pour des raisons sentimentales ?
11:07Pour tout.
11:09Et surtout, il y avait derrière elle un danseur
11:11qui avait une tête à claques.
11:14On n'a jamais su qui c'était.
11:16Un type qui visiblement pensait
11:18que c'était lui, la vedette du show.
11:21Le gars qui pousse tout le monde.
11:24La personne importante.
11:26Vous avez commencé à en parler.
11:28Un groupe qui vous a trahis,
11:30ce sont les Rolling Stones.
11:35La grande trahison des Stones.
11:37La grande trahison des Stones.
11:39Miss You.
11:40Pour vous, c'était vraiment une trahison.
11:42C'est ce que vous racontez dans le livre.
11:44Oui, parce que le disco, pour nous,
11:46c'était honteux.
11:48Et eux, ils avaient basculé là-dedans.
11:50Mais on aime beaucoup ça aujourd'hui.
11:52Et puis, les Rolling Stones, à la limite,
11:55j'ai eu une période de désaffection pendant 20 ans.
11:58Mais je préfère leur concert maintenant
12:01à ceux du début.
12:04Ils me bluffent encore complètement.
12:07Ça a fait débat parmi les amateurs des Stones.
12:10Oui, mais aujourd'hui,
12:12c'est une période des Stones
12:14qui est pas mal réévaluée.
12:16C'était tout simplement un groupe
12:18qui essayait de rester pertinent,
12:20de rester en phase avec son époque.
12:22Avec quelques maladresses, évidemment.
12:24Mais parmi les groupes qui ont eu
12:26la même trajectoire à l'époque que les Stones,
12:28il y en a beaucoup qui n'ont pas survécu.
12:30Alors qu'eux, aujourd'hui,
12:32ils n'ont pas réfléchi à citer une de leurs chansons
12:34des 30 dernières années.
12:36Mais quand on les entend en live,
12:38on se dit que ça marche.
12:40C'est pas mal, ça marche.
12:42La bande-son, moi, de 1978,
12:44c'était surtout le bruit des chariots à roulettes
12:46et des sandales des infirmières
12:48sur le linoleum.
12:50Il faut sans spoiler le livre,
12:52je crois qu'on peut quand même dire
12:54que vous finissez par en sortir de cet hôpital.
12:56Et ceux que vous remerciez dans ce livre,
12:58ce sont vos parents qui ont été présents
13:00du début à la fin, à vos côtés.
13:02Vous vous demandez d'ailleurs
13:04si vous les avez assez remerciés à l'époque.
13:06Oui, c'est vrai, parce que je ne me rendais pas compte
13:08de l'effort et du traumatisme
13:10que ça a été pour eux.
13:12Il y a quand même eu un moment
13:14où, en Espagne,
13:16il a fallu annoncer
13:18aux parents
13:20qu'il y en avait un des deux qui était mort,
13:22ils ne savaient pas lequel.
13:24C'est terrible à vivre.
13:26Et ça, vous le racontez dans votre livre,
13:28Pain Total, ça apparaît jeudi
13:30chez Albin Michel. Dans un instant,
13:32sur Europe 1, on va encore parler musique
13:34avec Joe Hume qui va mettre son
13:36costume de père castor.
13:38Il va nous raconter une belle histoire.

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