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Le journaliste et auteur italien Roberto Saviano était l'invité du Grand entretien de France Inter ce jeudi matin. Il publie "Giovanni Falcone" chez Gallimard. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-06-fevrier-2025-8172340

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00:00Merci d'avoir regardé cette vidéo !
00:30C'est parti pour la vidéo !
00:35Je ne sais pas si vous avez déjà regardé ma vidéo d'avant-garde,
00:41où je vous ai fait voir la fête de la météo !
00:45Je suis plus dans le style de la météo aujourd'hui,
00:47mais je ne sais pas si vous avez regardé ma vidéo avant-garde.
00:50Je ne sais pas si vous avez regardé mes vidéos avant-garde,
00:54mais je ne sais pas si vous avez regardé mes vidéos avant-garde.
00:56Il est 8h23, France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7-10.
01:05Et avec Léa Salamé nous recevons ce matin un invité exceptionnel, il est écrivain
01:10italien, il publie Giovanni Falcone chez Gallimard.
01:15Vos questions et réactions au 01-45-24-7000 et sur l'application de Radio France.
01:23Roberto Saviano, bonjour.
01:24Bonjour, buongiorno.
01:26Et bienvenue sur Inter, nous sommes très heureux de vous recevoir pour ce livre Giovanni
01:32Falcone, donc l'histoire d'un homme, l'histoire d'une époque, l'histoire d'un combat, l'histoire
01:39d'un courage aussi.
01:41Cet homme c'est le juge Falcone, assassiné par la mafia en 1992 dans une gigantesque
01:49explosion de 500 kg de TNT sur l'autoroute de Palerme.
01:54Ce fut un événement historique pour tous les Italiens, une tragédie où le mal, où
02:00les salauds triomphèrent du bien et du juste.
02:03C'est un livre monumental, vertigineux, de 600 pages, une enquête qui se lit comme un
02:09thriller.
02:10Vous dites que ce livre, vous avez mis 6 ans à l'écrire, mais que vous le portez en
02:16vous depuis toujours, depuis même l'enfance.
02:20Effectivement, l'histoire de juge Falcone, c'est quelque chose qui a toujours été présent
02:30en moi.
02:31Pourquoi ? Parce que c'est l'histoire d'un homme qui jamais n'a cédé et c'est un homme
02:40qui a choisi d'avoir du courage.
02:43Nous, on pense qu'à la naissance, on est soit courageux, soit moins courageux.
02:50En réalité, le courage, c'est un choix.
02:54Et c'est le choix qu'a fait le juge Falcone.
02:57Le choix du courage, c'est-à-dire qu'il ne voulait absolument pas être martyre.
03:01C'est un homme qui aimait et qui aimait aimer, qui aimait manger, qui aimait prendre du bon
03:08temps et s'amuser.
03:09Un homme qui aimait vivre, mais il savait pour autant qu'il ne pouvait pas dévier
03:16de cette trajectoire qui était la sienne, parce que s'il l'avait fait, il aurait compromis
03:22sa propre sérénité intérieure.
03:25Et donc, dans ce livre, j'ai essayé de faire passer justement cette recherche qui était
03:32la sienne.
03:33C'est-à-dire, quand est-ce qu'on choisit d'être courageux ?
03:36Quand est-ce qu'on choisit d'être courageux ?
03:38Effectivement, cette question traverse tout le livre avec le courage de cet homme.
03:42On entend, et vous le décrivez très bien, cet homme qui a tellement fasciné les Italiens.
03:46Il faut rappeler quand même que son assassinat en 1992 a été un traumatisme national pour
03:51les Italiens.
03:52Ce choix du courage, et c'est vrai qu'à travers ce livre, on entend aussi votre choix
03:57à vous, du courage.
03:59Tout le livre, il y a le juge Falcone et il y a vous.
04:04On entend également votre voix.
04:07Le juge Falcone a contribué à changer notre vision de la mafia.
04:10Pendant longtemps, elle était considérée comme une série de brouilles entre voyous,
04:14de conflits gérés à coup de fusil de chasse entre paysans violents, c'est ce que vous
04:17écrivez.
04:18Or, Falcone va expliquer aux Italiens que pas du tout.
04:20Que c'est une véritable organisation avec un pouvoir central qui gère tout.
04:24Et que pour combattre la mafia, il faut viser la tête, il faut affaiblir toute l'organisation
04:29et surtout tous les relais de corruption autour.
04:32La corruption économique, la corruption du monde politique, la corruption du monde médiatique.
04:36C'est vraiment le juge Falcone qui a expliqué ça.
04:42C'est exactement ça.
04:44C'est-à-dire qu'avant Falcone, le phénomène criminel, on disait bon, c'est l'affaire
04:51de bande.
04:52Et lui, ce qu'il a permis, c'est qu'il a permis au monde entier d'étudier la criminalité
04:59organisée comme une forme de capitalisme.
05:02Et même, j'irais juste dire qu'aujourd'hui, le capitalisme contemporain, de fait, il est
05:11complètement imprégné de mafia.
05:13Et mafiosisé, si j'ose dire.
05:15C'est-à-dire qu'il a incorporé dans son fonctionnement les règles mafieuses.
05:19Et ça, c'est quelque chose que Falcone avait compris déjà dans les années 90.
05:30C'est pas simplement un juge honnête, le juge Falcone.
05:34Déjà que ce n'est pas forcément une chose facile que d'être un juge honnête, pour
05:39commencer.
05:40Mais au-delà de ça, c'était un anthropologue.
05:43C'est quelqu'un qui connaissait très très bien le droit.
05:46Et c'est aussi quelqu'un qui connaissait le fonctionnement, les rouages du pouvoir.
05:52Le tuer, c'était mettre un coup d'arrêt à son intelligence.
05:56Stopper cela.
05:58Et lui, pendant toute son existence, il y a une chose qu'il a comprise très clairement.
06:03C'est qu'il avait hérité, en quelque sorte, de l'expérience qui avait été accumulée
06:08par les juges qu'il avait précédés et qui avait perdu la vie avant lui.
06:13Et dans ce livre, je raconte par exemple l'histoire de son maître, Roko Kinichi, en
06:19l'occurrence, qui a été tué par une bombe, par une voiture piégée, exactement devant
06:25chez lui.
06:27Et avant Kinichi, il y avait eu d'autres juges qui avaient été éliminés également.
06:31La mort est omniprésente dans le livre.
06:33Au-delà de l'assassinat de Falcone, on réalise le coup humain pour la magistrature italienne
06:40de cette lutte anti-mafia.
06:43Le juge Terranova assassiné.
06:46Le préfet Palerme assassiné avec sa femme.
06:49Le supérieur de Falcone assassiné également.
06:52On pourrait continuer la liste.
06:55Et vous dites que Falcone et ses collègues savaient qu'ils allaient mourir.
07:00Et comparez la lutte contre la mafia à une course de relais.
07:04Si l'un de nous tombe, l'enquête ne tombe pas avec moi.
07:08Si l'un de nous tombe, on sait que le témoin a été passé.
07:12C'est ça ce qui les faisait tenir.
07:14C'était à la fois une méthode de travail et le fait d'avancer groupé.
07:22C'est exactement ça.
07:26Je relais d'ailleurs un épisode qui va peut-être illustrer très bien ce que vous évoquiez.
07:32Un jour, le maître de Falcone, Kinichi, est appelé.
07:38C'est un directeur de banque, ce jour-là, qui lui téléphone.
07:41Il lui dit qu'il y a Falcone qui est en train de demander à toutes les banques
07:46de présenter tous les mouvements de comptes avec les Etats-Unis.
07:52Mais si on fait ça, ça va littéralement complètement paralyser le système financier sicilien.
08:00Rappelons qu'il n'y avait pas d'informatique à l'époque.
08:03En plus, c'était un travail assez compliqué à faire.
08:07Ce directeur de banque lui dit à ce moment-là
08:09« Arrêtez-là, vous êtes en train de détruire l'économie sicilienne ».
08:14Kinichi lui dit « Qu'est-ce que je vais dire à Falcone ? »
08:18Le directeur de banque lui répond qu'il faut qu'il fasse son métier de juge.
08:24« Ça veut dire quoi ? » lui répond l'autre.
08:27« Un juge, ça ne fait rien ! » lui répond-il.
08:29Le juge l'attend, il ne mène pas d'enquête.
08:35Quand Kinichi retourne voir Falcone, il lui raconte ce qui lui a été dit.
08:42Falcone lui répond « Et puis toi, tu lui as dit quoi ? On arrête là ? »
08:48Et Kinichi le prend par le bras.
08:52Il l'emmène dans un autre bureau.
08:56Et il lui dit « Tu sais qui était assis sur cette chaise-là que je te montre ?
09:00César et Terra Nova.
09:02Et ils l'ont tué.
09:04Et avant lui, il y avait Scaglione.
09:06Et ils l'ont tué.
09:08Et avant lui, il y avait Gaetano Costa.
09:10Ils l'ont tué aussi.
09:13On ne peut pas s'arrêter, ne serait-ce que par respect pour eux.
09:17Donc souvent, j'ai vu que ces juges, s'ils sont allés de l'avant et qu'ils ont continué,
09:23ce n'est pas forcément parce qu'ils disaient « On va y arriver ».
09:26Pas forcément parce qu'ils disaient « Ça y est, on a réussi à convaincre les institutions ».
09:33Ils se sont dit « Mais on ne peut pas trahir la vie des gens qui ont donné leur vie ».
09:40C'est pour ça qu'ils ont continué.
09:41C'est ça qui frappe dans votre livre.
09:44C'est ce combat si déséquilibré entre le droit, la justice d'un côté et le déchaînement de violences de l'autre.
09:50Mais à aucun moment, ni la peur, ni les morts, ni les intimidations ne réussissent à le faire plier,
09:55lui ou ses supérieurs, à se coucher, à renoncer à la lutte contre la mafia.
10:01Ils vont continuer jusqu'au bout.
10:02Et vous avez cette très belle phrase « Giovanni est convaincu qu'il ne mourra pas de vieillesse.
10:07Il en est convaincu depuis si longtemps qu'à défaut d'être serein, il entretient avec cette idée
10:12un rapport franc et désenchanté ».
10:15Et c'est vrai que là, cette phrase, on a l'impression que c'est vous qui parlez Roberto Saviano,
10:21vous qui vivez sous escorte policière depuis 20 ans, depuis que vous avez dénoncé les pratiques de la mafia.
10:27Est-ce que vous aussi vous entretenez avec la mort un rapport franc et désenchanté ?
10:32Au fil des ans, j'ai essayé d'avoir avec Falcone un rapport d'élève à maître.
10:50J'ai essayé de tirer des enseignements de sa vie et de son courage.
10:58Pour autant, je n'ai pas eu peur de mourir ces dernières années.
11:06Non pas que je sois téméraire.
11:09Tout simplement, quand on passe son temps à entendre parler de sa propre mort par les autres,
11:18finalement, c'est quelque chose qu'on ne craint plus parce qu'elle est tellement proche en fait.
11:25Vous n'avez plus peur ? Vous n'avez plus peur de la mort ?
11:27Non, j'ai peur de vivre.
11:29J'ai peur de vivre comme ça.
11:32C'est ça ce qui est le plus lourd pour moi.
11:37Cette situation, je la vis depuis l'âge de 26 ans.
11:44J'en ai 46.
11:47C'est fou que je me sois soumis à cette auto-torture.
11:58Auto-torture pourquoi ?
12:01Parce qu'à tout moment, j'aurais pu interrompre ça.
12:05Je ne suis pas magistrat.
12:07Je n'ai pas ce devoir, je n'ai pas cette obligation de service
12:14qui me contraindrait à continuer ce métier.
12:17C'est ce que je fais parce que je suis écrivain.
12:20Je pouvais tout à fait m'installer en Scandinavie.
12:24Ça m'a d'ailleurs été proposé.
12:26Changer d'identité.
12:29Écrire sur d'autres sujets.
12:31Je n'ai pas voulu.
12:34Je n'ai pas voulu pour deux raisons.
12:37Un, l'ambition.
12:41Je pensais vraiment qu'avec mes mots, je pouvais faire changer les choses.
12:45Et puis l'autre point, c'est la vengeance.
12:48Me venger.
12:50Me venger de ceux qui avaient détruit ma vie.
12:55Et l'un comme l'autre, je dois dire que ça n'a pas été de bonnes idées.
12:59De mauvaises idées parce qu'en fait, je n'ai pas réussi par mes mots à changer la réalité de mon pays.
13:07Et la vengeance, elle a simplement fait quoi ?
13:11Le fait que je continue à vivre comme je vis encore aujourd'hui.
13:14Roberto Saviano, en 2023, l'an dernier, L'Obs vous demandait
13:18« Et si c'était à refaire, est-ce que vous le referiez ? »
13:23Et vous aviez répondu non.
13:25Ce n'est peut-être pas courageux comme réponse, mais c'est honnête.
13:29C'est comme si je m'étais lancé sans parachute, convaincu de pouvoir voler.
13:33Je me suis aperçu que je ne savais pas voler quand je me suis écrasé.
13:38Vous revendiquez l'honnêteté de dire qu'aujourd'hui, vous ne referiez pas Gomorra.
13:44Ce courage que vous admirez chez Falcon.
13:47Il est difficile à tenir toute une vie ?
13:52Non seulement je ne le referais pas,
13:55mais je vous dirais que même là où j'en suis aujourd'hui,
13:58c'est même difficile de m'extraire de cette situation.
14:01Le juge Falcon, il était convaincu qu'en dépit de la guerre,
14:08que lui faisaient ses propres collègues.
14:11Il avait quand même perçu une chose,
14:13c'était que le chemin sur lequel on s'était engagé,
14:18c'était un chemin qui allait mener loin.
14:21C'est quelque chose qu'il avait compris.
14:23Il savait que la lutte avait commencé.
14:26Et que la lumière était présente.
14:29On avait allumé l'électricité.
14:31C'est quelque chose qu'il avait compris.
14:33C'est quelque chose qu'il avait compris.
14:35Il savait aussi qu'il y aurait probablement un bond en avant
14:40lorsque l'Europe dans son intégralité s'unirait
14:44autour de cette connaissance des capitaux d'origine criminelle.
14:50Vous imaginez ?
14:52C'est en train de se faire maintenant.
14:54Seulement des dizaines et des dizaines d'années après ça.
14:57C'est un bon moment.
14:59C'est un bon moment.
15:01C'est en train de se faire maintenant.
15:03Seulement des dizaines et des dizaines d'années après ça.
15:06C'est la grande différence entre lui et moi.
15:10C'est que le juge Falcone, lui,
15:13il avait raison d'ailleurs, il avait vu juste.
15:16Il était convaincu que son sacrifice allait entraîner un vrai changement.
15:21Et pas vous ?
15:27Moi je n'ai pas l'outil qu'il avait.
15:30Moi je parle à mes lecteurs, à mes lectrices, je parle à l'opinion publique.
15:37Et en plus je vis une période politique catastrophique.
15:41L'intérêt de l'Europe pour ce qui se passe dans l'économie européenne,
15:49il n'y a pas d'intérêt, tout le monde s'en fiche.
15:51Savoir qu'il y a cette imprégnation criminelle en Europe.
15:55Exemple.
15:58Si je vous demande là, le pays le plus mafieux de l'Europe,
16:03c'est là où la mafia fait le plus de morts ?
16:06Non, je veux dire vraiment où l'organisation criminelle est la plus forte en Europe.
16:11C'est quel pays c'est le qui fait le plus de morts ?
16:13Plus de victimes qui sont tuées par cette organisation mafieuse ?
16:16Manifestement ce n'est pas l'Italie, donc je ne vais pas me risquer.
16:19Ce n'est pas l'Italie, elle n'est même pas en tête de liste.
16:21Vous n'allez pas nous dire la France ?
16:23Non.
16:24Alors quoi ?
16:25Non, ce n'est pas la France.
16:26Luxembourg ?
16:27Allez, un autre.
16:28La Suède.
16:30La Suède est l'un des pays les plus criminels de l'Occident,
16:36où on compte le plus grand nombre de victimes tuées par des organisations criminelles.
16:40On en parle très très peu.
16:42C'est incroyable.
16:44Et pourquoi est-ce qu'on en parle tellement peu ?
16:46C'est parce qu'on n'a pas les outils.
16:48C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'experts.
16:50Il n'y a personne qui s'occupe suffisamment de ce dossier.
16:56Les polices, même lorsqu'elles mènent des enquêtes internationales,
16:59elles n'arrivent pas ensuite à les diffuser, à les faire passer les enquêtes.
17:02En France, après tout, ce n'est pas tellement différent non plus.
17:04Alors justement, la France, parce que vous en parlez.
17:06Peut-être que vous ne lisez pas les journaux, mais en tout cas,
17:09en ce moment, il y a une vraie résonance et une vraie lumière
17:12mise sur la lutte contre le narcotrafic par le gouvernement.
17:15En tout cas, on en parle beaucoup plus qu'avant.
17:17Ce narcotrafic qui gangrène toutes les villes de France,
17:20on en a parlé avec notamment le maire de Cannes qui était là,
17:23qui fait vivre, directement ou indirectement, 240 000 personnes en France.
17:27Et on voit bien, depuis quelques mois, on voit bien que les méthodes
17:31ne sont pas réservées à l'Italie ou à la Suède, comme vous en parlez.
17:35Ça fait longtemps que vous alertiez sur l'explosion du narcotrafic en France.
17:39Vous avez d'ailleurs été auditionné par la commission d'enquête du Sénat
17:42qui a rendu un rapport qui était passionnant.
17:44Ils vous ont écouté.
17:45Vous avez le sentiment qu'en France, on a tardé à l'allumage ?
17:54On a un peu tardé, mais ça commence.
18:01On commence à s'en occuper.
18:03Je dirais que la plus grande erreur, c'est de penser que c'est un problème
18:08qui se passe dans la rue.
18:10Le blanchiment, c'est le méga problème de la France.
18:16Il y a, bien sûr, les flux de cocaïne qui arrivent en France.
18:24Ça, c'est une chose.
18:26Désormais, la France est une plaque tournante du trafic de drogue.
18:34Une plaque tournante pour l'ensemble de l'Europe.
18:36Et moi, ce qui me désole, c'est que le débat, selon moi,
18:42ne prend pas en compte la place du système financier dans tout cela.
18:46C'est ça, le problème central, pour moi.
18:49Sur le narcotrafic, ici, Roberto Saviano,
18:53on parle de criminalité organisée, on parle de gang,
18:57mais le mot de mafia est moins employé.
19:01Est-ce qu'on a tort ?
19:03Et d'autre part, le rapport sénatorial sur le trafic de drogue
19:08qui date du mois de mai,
19:11montre comment la corruption des agents de l'État français
19:15est une réalité à toutes les strates et dans toutes les professions.
19:19Pensez-vous que la France puisse encore éviter la gangrène ?
19:23Ou c'est trop tard ?
19:25Est-ce qu'on a un problème de mot ?
19:27Et est-ce qu'on a maintenant un problème de timing, si j'ose dire ?
19:30Ce à quoi vous assistez,
19:42c'est comme si on ne voyait que les doigts d'un corps entier,
19:45mais le reste du corps serait encore caché,
19:48vous ne verriez que les doigts.
19:53La lumière est allumée, c'est important,
19:58mais parfois, c'est vrai qu'en France, on n'a même pas les mots
20:02pour décrire les choses.
20:05Par exemple, le terme de « banditisme » dans la langue française.
20:09Ça ne va pas le mot de banditisme ?
20:11C'est trop faible le mot de banditisme ?
20:14Banditisme, c'est romantique.
20:19Il y a des mafias en France.
20:22Il y a la mafia corse,
20:27qui a donné les règles qui sont appliquées par les organisations arabes.
20:35Les codes des banlieues sont, de toute évidence, des codes mafieux.
20:41Et moi, pour avoir étudié cette question,
20:44j'ai la chance d'être italien et de les connaître, ces codes.
20:48Et ça, c'est vraiment la particularité, je dirais,
20:51c'est-à-dire que dans les banlieues du monde entier,
20:54on voit que les codes sont les mêmes.
20:58Et c'est pour ça que souvent,
21:01les groupes pop sont plus en avance, je dirais,
21:04que les journalistes qui étudient la politique,
21:07parce qu'ils vont connaître ces règles.
21:10Oui, vous dites, la France, longtemps, elle n'a pas voulu voir,
21:13ou elle a expliqué que c'était un problème de rue.
21:16Elle ne voit pas qu'il y a une vraie mafia en France.
21:19La droite française a expliqué que c'était un problème d'Italiens
21:22et les autres, c'est les marocains, c'est les nigériens, c'est les russes,
21:25mais ce n'est pas nous.
21:26Et la gauche, vous dites, elle n'a jamais pris au sérieux la question
21:29la gauche française, il n'y a pas de problème de narcotrafic,
21:32si on les croit.
21:33Or, oui, il y a une mafia en France, vous le dites clairement,
21:36une mafia qui est mondialisée.
21:38Les hacocaïnes viennent de partout, du Mexique, de Colombie, des Balkans,
21:41et il faut s'attaquer à ça.
21:43Gérald Darmanin, il est allé en Italie il y a quelques jours
21:46pour s'inspirer de vos méthodes anti-mafia.
21:48Il a maintenant l'idée de créer un parquet antiterroriste.
21:51Anticriminalité, pardon.
21:53Anti-mafia, comme le parquet antiterroriste.
21:56Et de mettre tous les gros trafiquants dans une même prison ultra sécurisée.
21:59C'est l'idée qu'a Gérald Darmanin.
22:01Est-ce que ça va dans le bon sens à vos yeux ?
22:03Oui, ça va dans le bon sens.
22:06Enfin un parquet national anti-mafia.
22:12Et c'est ça qui peut permettre d'avoir la vision d'ensemble.
22:19Et c'est aussi, peut-être encore plus,
22:22ce qui va permettre de comprendre comment l'argent
22:25qui circule dans les banlieues
22:27devient ensuite une richesse qui se déplace.
22:35Le trafic de stupéfiants, à l'heure où je vous parle,
22:38c'est vraiment une rubrique fondamentale
22:42du produit intérieur brut européen.
22:45C'est un des postes...
22:48Oui, pour la France, c'est entre 5 et 6 milliards.
22:51C'est colossal.
22:53C'est colossal.
22:55Il y a une raison à cela.
22:59C'est-à-dire que plus on est malheureux,
23:02plus la vie devient compliquée,
23:05et plus l'accès aux stupéfiants, aux drogues,
23:10devient quelque chose de nécessaire pour la vie même
23:12de millions et de millions de personnes.
23:14Et malheureusement, les mafias,
23:16elles connaissent bien ce circuit-là.
23:19Les cartels mexicains comprennent
23:23que le fentanyl,
23:26qui, heureusement, n'est pas encore arrivé en Europe,
23:30ils savent que le fentanyl
23:32était en fait demandé par des masses
23:36de personnes aux Etats-Unis.
23:38Et donc, ils ont inséré ces cartels,
23:41le fentanyl, et l'ont mis sur le marché petit à petit,
23:45et ils ont fait feu de tout bois.
23:47C'est-à-dire qu'ils ont même utilisé le système
23:50de santé américain
23:53qui prescrivait des anthalgiques ou des opiacés.
23:55Ils profitent du malheur des peuples occidentaux,
23:58en fait, qui vont chercher dans la drogue
24:00du sang, ou de l'aide, ou quoi que ce soit.
24:03Il y a un détail d'importance,
24:06c'est qu'en France, si on n'a pas de fentanyl,
24:09en tout cas, pour l'instant,
24:11c'est uniquement parce que les cartels corses
24:14ne le veulent pas.
24:16Si on se permet de vendre du fentanyl à Paris,
24:20on est un homme mort.
24:23C'est fou !
24:25C'est-à-dire qu'ils sont en train de défendre le marché
24:27qui ne veut pas du fentanyl,
24:29et c'est pour ça qu'il n'y a pas de fentanyl en France.
24:31Oui, pour deux raisons.
24:33D'abord, parce que ça coûte trop peu.
24:36Et deuxièmement, c'est que si on diffuse
24:39l'épidémie de dépendance à la drogue,
24:42ensuite il y a répression de la part des pouvoirs publics.
24:45Immanquablement.
24:47Merci Roberto Saviano.
24:49Merci aussi de la part de nos auditeurs.
24:52Alain, le témoignage et surtout le courage
24:55de Roberto Saviano sont incommensurables.
24:58Des hommes de sa trompe sont précieux pour la société.
25:01Merci.
25:04Bonjour Roberto Saviano.
25:08Je profite de votre présence à l'antenne de France Inter
25:11pour vous remercier de porter la cause
25:14de Falcone à travers votre écriture.
25:17Merci encore d'avoir été à notre micro.
25:19Merci pour ce livre.
25:21« Giovanni Falcone chez Gallimard » est en librairie aujourd'hui.
25:24Merci à Hélène Joguet pour la traduction simultanée
25:27de vos propos.
25:29Il est 8h48.

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