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Comédien au théâtre, acteur de cinéma, et un temps élu, dans le neuvième arrondissement de Paris. Philippe Torreton est engagé à la vie comme à la scène. A l'heure où le paysage politique se fracture et où l'incertitude plane sur le budget de la culture, l'acteur appelle à une plus grande démocratisation de la culture qu'il voit comme un vecteur de lien social, de lutte contre les inégalités et d'émancipation personnelle. Engagé à gauche comment vit-il cette période difficile pour sa famille politique ? D'où lui vient ce sens de l'engagement¿? Qu'a-t-il appris de son expérience en politique ? Pourquoi a-t-il un attachement si fort pour le théâtre. Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Philippe Torreton dans « Un monde, un regard » sur Public Sénat. Année de Production :

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00:00Générique
00:02...
00:22Rares sont les acteurs qui s'engagent autant que notre invité.
00:26Ils s'engagent dans ses rôles, dans ses interprétations,
00:29dans ses textes, mais aussi dans le débat public.
00:32En plus d'être comédien, il est écrivain.
00:34Il fut un temps où il était même un acteur politique.
00:37Engagé, fougueux, passionné, écorché même,
00:40ardent défenseur de la culture, de l'expression, de l'écriture,
00:43du dire, du parler.
00:45L'ancien sociétaire de la comédie française,
00:48récompensé d'un Molière et d'un César,
00:50lance des appels permanents pour que l'on pousse les jeunes
00:53à aller au théâtre, à faire du théâtre,
00:55à tenter l'aventure de l'écriture, même si on craint d'être mauvais.
00:59Même si on fait plein de fautes d'orthographe comme lui,
01:02quand il était gosse.
01:03Ne pas se freiner, ne pas s'empêcher de créer ou d'exprimer.
01:07D'ailleurs, il ne comprend pas que l'on fasse passer la culture
01:09après tout le reste, lorsqu'il y a des économies à faire.
01:12Pour lui, le vivre ensemble n'est possible qu'avec la culture.
01:16Elle est le lien quand la société se disloque, dit-il.
01:19Mais attention, loin d'être un doux rêveur,
01:21il est ancré dans le réel.
01:23Il a les mains dans la terre, proches des paysans,
01:25des campagnes, des viticulteurs, des gens humbles.
01:28Il aurait pu être vigneron ou policier.
01:30La vie des gens, la vie de la cité, tout ça le passionne.
01:33Pourquoi alors avoir abandonné la politique ?
01:36Fait-il de la politique autrement ?
01:38Que pensent-ils des élus de notre époque ?
01:40Posons-lui toutes ces questions.
01:41Bienvenue dans un monde d'un regard.
01:42Bienvenue, Philippe Toretton.
01:43Merci d'avoir accepté notre invitation ici au Dôme tournant, au Sénat.
01:48À qui est-ce que je parle aujourd'hui ?
01:50À l'acteur, au comédien, à l'acteur politique ?
01:53À qui ?
01:54Comme dans l'avare, à qui je m'adresse ?
01:58Au cuisinier ou au cocher ?
02:00Eh bien, voilà.
02:01C'est tout ça en même temps.
02:03Non, moi, je n'ai pas l'impression
02:06de quitter une enveloppe corporelle pour en regagner une autre.
02:10On est tout le temps soi-même, en train d'écrire, en train de jouer,
02:13en train de subir les aléas du monde aussi,
02:17comme vous, comme nous tous.
02:19Et puis, non, je trimballe la même personne.
02:22– On sent que la politique rôde autour de vous,
02:24qu'elle n'est jamais bien loin de vous.
02:26Je me trompe ?
02:27– Ah ben oui, pour reprendre un slogan d'une émission
02:32que j'aime bien sur une radio publique,
02:34si vous ne vous intéressez pas à la politique,
02:37la politique s'intéressera à vous.
02:38Et de toute façon, moi, j'ai voulu mettre les mains dans le cambouis,
02:46j'ai été élu, et puis je me suis rendu compte
02:48que c'était très compliqué de mener une vie de comédien
02:52et une vie de conseiller municipal parisien.
02:57– Dans le 9e arrondissement.
02:58– Voilà, et j'étais élu aussi, donc je siégeais aussi à l'Hôtel de Ville.
03:03Et là, ça demande beaucoup de travail,
03:05parce qu'un élu d'arrondissement, ça va encore,
03:07mais ça demandait pas mal de travail.
03:09– Donc vous n'avez pas quitté le monde politique par dégoût ou par rejet,
03:12mais plus parce que c'était impossible, il fallait le faire à temps plein.
03:14– Ah oui, non, au contraire, si je l'ai quitté,
03:16c'est même par respect d'ailleurs, vis-à-vis de ce monde-là.
03:20Parce que je pense que ça mérite de s'y investir.
03:24Mais à l'époque, je n'avais pas réglé la question
03:26entre mon métier et ça, et l'activité politique,
03:31donc j'ai préféré abandonner la politique
03:34et conserver mon métier de comédien qui me passionne depuis toujours.
03:39– Vous étiez plutôt dans les rangs de la gauche,
03:41qu'est-ce qu'elle vous inspire, la gauche, aujourd'hui,
03:42ou les gauches, devrais-je dire ?
03:43– Beaucoup de tourments, je ne sais même plus trop ce que ça veut dire.
03:50Être de gauche, même si au fond de moi, je le sais,
03:55j'ai toujours une intuition comme ça de gauche,
03:58mais l'avantage d'avancer en âge,
04:02et c'est quand on est un peu ouvert d'esprit,
04:04c'est que voilà, on se fait des amis un peu partout,
04:08on s'aperçoit qu'il y a de l'intelligence partout,
04:12un sentiment de citoyenneté partout,
04:15d'une certaine idée de la France partout aussi,
04:18et d'une certaine justice sociale aussi.
04:21Alors après, c'est une question d'outils,
04:25qu'est-ce qu'on a dans la boîte à outils quand on est de gauche,
04:27et qu'est-ce qu'on a dans la boîte à outils quand on est de droite.
04:30Moi, j'ai tendance à préférer les outils de gauche,
04:32mais encore faudrait-il s'entendre sur c'est quoi les outils maintenant.
04:37Et surtout, je pense que ce qui se passe en ce moment
04:45est vraiment assez grave dans une sorte d'errance politique
04:53où on croit qu'on a encore le temps d'une politique des partis,
04:58et je crois qu'on n'en a plus le temps, en fait.
05:00C'est pour ça que j'ai arrêté de commenter la politique
05:04presque quotidiennement.
05:08Pendant un an, j'avais une chronique dans l'Humain et tout ça,
05:12mais j'en peux plus de ça, en fait.
05:15Parce que c'est mettre un franc dans la machine,
05:19enfin, un franc, ça dit mon âge,
05:21mais c'est une pièce dans la machine.
05:23À chaque fois, on relance et en fait...
05:27Non, la situation est suffisamment grave,
05:29internationalement et nationalement,
05:32pour qu'on s'entende sur le quoi et non pas le qui.
05:38Qu'est-ce qu'on fait ?
05:40Il y a urgence à se précipiter sur le quoi et pas sur le qui.
05:44Après qui ? On trouvera toujours quelqu'un
05:46qui peut supporter ça, qui aura l'analyse,
05:49homme, femme, de droite, de gauche ou du centre, etc.
05:53Mais quoi ? Qu'est-ce qu'on fait ?
05:55Qu'est-ce qu'on fait ?
05:56– Parmi vos grands combats, il y a eu celui de mettre la culture
05:58au premier plan, ça a été vraiment votre sujet,
06:01de pousser les jeunes à faire du théâtre, par exemple,
06:03et on l'a un peu oublié, mais en janvier 2024,
06:05Emmanuel Macron avait promis des cours de théâtre obligatoires
06:08au collège, dès septembre 2024, finalement, ça n'a pas été le cas.
06:13Pourquoi le théâtre vous semblait-il justement un des bons outils
06:17pour peut-être transmettre des valeurs de la citoyenneté ?
06:19Pourquoi le théâtre ?
06:21– Je pense qu'il ne faut pas voir le théâtre à l'école
06:24comme un moyen de véhiculer des valeurs.
06:28– D'accord.
06:29– C'est de l'émancipation personnelle, c'est du vivre ensemble.
06:33Les valeurs, les mômes les trouvent,
06:35mais on n'a pas à greffer au théâtre,
06:37pas comme certains vaccins avec des ARN messagers,
06:41on n'a pas à lui mettre comme ça des choses autres que ce qu'il est.
06:45Faire du théâtre à l'école, ça peut être très simple,
06:49moi j'en ai fait pendant deux ans en classe de CM1 et CM2,
06:52on est dans la classe et on apprend un petit bout de phrase d'un grand texte,
06:59j'insiste sur le petit bout de phrase et grand texte,
07:02je leur ai dit mais ce n'est pas de la littérature pour enfants qu'on va faire,
07:06même les adultes ont du mal avec ça,
07:08même les comédiens professionnels ont du mal avec ça,
07:10donc on a fait Shakespeare, on a fait Rostand,
07:14on a fait Corneille à 9 ans,
07:18mais le fait d'en apprendre un tout petit bout
07:21et de se dire que tout seul je ne suis pas grand-chose,
07:26mais à 22 ou 24, ça dépend de l'effectif, je suis le CIDE,
07:31je suis 1 24e du CIDE et ensemble on est tout le CIDE,
07:35et bien ça change tout, et ce n'est pas compliqué,
07:39et ça c'est une méthodologie que j'aimerais bien répandre,
07:43parce que ça ne suppose rien, pas de moyens, ou très peu,
07:49et très vite, en fait on frustre les mômes,
07:56parce que les mômes en deux secondes ils ont retenu les deux verres que vous leur donniez,
08:00et très vite, au bout de trois semaines, il y a des mains qui se lèvent,
08:03on dit, monsieur, je peux réciter la tirade du CIDE ?
08:06Alors qu'on ne leur a pas demandé, et ils ont 9 ans,
08:09la tirade du CIDE à 9 ans,
08:11ou le monologue d'Hamlet, Être ou ne pas être,
08:14et on appelait ça des tentatives de traversée solitaire,
08:18moi-même j'étais étonné, je n'avais pas prémédité ça,
08:22et en fait il n'y a rien de tel que d'allumer une mèche
08:27et de laisser venir après, voir comment ça...
08:30Et ça, c'est de l'émancipation personnelle,
08:33c'est s'apercevoir qu'on peut tout d'un coup imposer le silence par sa phrase,
08:37si on veut que sa phrase soit bien, il faut que l'autre soit bien avant aussi,
08:42donc ça veut dire respecter l'autre,
08:45et ça veut dire respecter aussi celui qui va venir,
08:47il faut que l'autre aussi me respecte, etc.
08:49– Le théâtre n'est pas arrivé à vous parce que quelqu'un de votre famille en faisait,
08:53pas du tout, parlons de votre père d'abord,
08:55dont vous racontez l'histoire dans Jacques à la guerre,
08:58la guerre de mon père aura duré de 1939 à 1956,
09:02dites-vous, je ne pense pas qu'il avait envie d'aller se battre,
09:04ce n'était pas le genre d'avoir envie de casser la gueule à qui que ce soit,
09:07mais quand personne ne pense à toi,
09:08l'armée ça te file des fringues, de la bouffe, un gras, d'une fonction,
09:12tu te couches le soir, t'es rincé, et voilà, c'est parfait.
09:15La guerre presque comme un refuge, c'est étonnant de lire ça aujourd'hui.
09:20– Oui, mais c'est quelque chose qui m'a été révélé
09:27lorsque je tournais Capitaine Conan de Bertrand Tavernier,
09:30et se dire que la guerre, la grande tragédie de la guerre,
09:36c'est qu'on peut aimer ça, c'est que ça vous révèle,
09:40et que des petites vies de rien,
09:42où dans le civil, en temps de paix, on n'est rien,
09:46et là, tout d'un coup, on peut être distingué,
09:49on peut se distinguer, on peut devenir quelqu'un.
09:53Alors évidemment, sur une pente humaine terrible,
09:58mais ce n'est pas le plus beau versant de l'humanité,
10:02mais on devient quelqu'un.
10:03– Votre mère n'a pas encore son livre,
10:06contrairement à Jacques et à votre grand-mère,
10:08à qui vous rendez un vibrant hommage dans le roman Mémé,
10:11qui a été un grand succès en librairie,
10:13mais je vais quand même parler de votre mère,
10:14parce que c'est Claudine qui vous inscrit à votre premier cours de théâtre,
10:17sur les conseils de Monsieur Désir, votre prof de français de 5ème,
10:21au collège de Grand-Cuvilly, dans la banlieue de Rouen,
10:24il vous trouvait extrêmement timide,
10:26et pensait justement que le théâtre allait pouvoir vous aider,
10:29on peut dire qu'il a eu le nez creux.
10:32– Sur le désir que ça a suscité, oui, sur la timidité,
10:36je pense qu'on apprend à vivre avec grâce au théâtre,
10:39mais on n'est pas… la timidité est toujours là,
10:43moi je suis quelqu'un d'assez timide,
10:48tout ce qui est festivals, soirs de premières,
10:51projections pour la presse, pour machin, tout ça, ça m'affole moi,
10:55on me dit son nom, deux secondes après je dis mais comment elle s'appelle cette dame,
10:59je ne me souviens plus, je ne retiens pas les noms parce que je suis affolé,
11:04et même quand je vais en tant que simple spectateur au théâtre,
11:07j'ai le trac.
11:09– Pour eux ? – Pour tout le monde, pour moi aussi,
11:11parce que le théâtre c'est engageant, c'est engageant.
11:14– Quand vous étiez-tu, vous étiez tellement timide
11:16que vous préfériez dire que vous ne connaissiez pas la réponse à la question
11:20plutôt que d'y répondre et de réciter ?
11:22– Plutôt que de réciter, ça le sont devant tout le monde,
11:24c'est pour ça que ça devenait quand même un peu handicapant,
11:27donc ce prof, monsieur Désir, a conseillé à ma mère de m'inscrire,
11:32et donc pour moi le théâtre ça a été une prescription quasi médicale,
11:36pas en fait sur ordonnance, et ça m'a plu tout de suite.
11:42– Et à la lueur de celui que vous êtes aujourd'hui,
11:43quel conseil donneriez-vous aux petits garçons que vous étiez,
11:46qu'est-ce que vous lui diriez avant qu'il ne se lance dans la vie ou dans le théâtre ?
11:49– Au lieu de commencer le théâtre en 5ème,
11:51je lui dirais, mais t'aurais dû commencer en CM1.
11:53– Encore plus tôt.
11:56– Oui, encore plus tôt, mais moi je crois de même que,
11:58par exemple, je profite d'être au Sénat pour le dire,
12:01mais pourquoi on étudie la philosophie en terminale ?
12:05Qu'est-ce qu'on en a à secouer de la philosophie ?
12:07Pourquoi on ne fait pas ça dès la maternelle ?
12:09J'entendais une fille qui faisait ça, c'était sur une radio,
12:12elle arrive avec son petit camion,
12:14et elle en avait marre d'enseigner à la philosophie
12:16à des étudiants qu'on n'a rien à faire,
12:18et elle s'est dit, je vais l'enseigner,
12:21je vais faire des ateliers philosophiques en maternelle et en primaire.
12:25Mais c'était émouvant, les petits débats qui s'amorcent comme ça,
12:29c'est à l'origine qu'il faut faire de la philosophie.
12:32– Et même jeune homme, le théâtre, vous n'osiez pas,
12:34vous pensiez plutôt à entrer dans la police,
12:36un peu le complexe du provincial, dites-vous.
12:39Je n'osais pas, même au conservatoire,
12:40je n'osais pas penser qu'à la fin de mes 3 années d'études,
12:42je serais comédien, je crois que c'est un manque de légitimité,
12:45on n'en finit jamais avec ça, c'est une lutte permanente,
12:48j'aimerais bien être plus sûr de moi.
12:50Est-ce que finalement, ce n'est pas aussi cette fragilité,
12:52cette vulnérabilité qui vous a rendu sensible à ce métier
12:55et qui vous fait avoir la carrière que vous avez ?
12:58– Sûrement, c'est une vraie bataille entre ces deux aspects-là.
13:04Comme le texte que je dis en ce moment sur scène,
13:07c'est le Funambule de Jean Genet, à un moment donné, il dit,
13:09on n'est pas artiste sans qu'un grand malheur s'en soit mêlé.
13:13Donc je dois avoir mon petit grand malheur à moi,
13:19parce que j'ai été épargné par la vie,
13:24mais c'est vrai qu'il y a une insatisfaction,
13:27il y a quelque chose de cet ordre-là,
13:30et en même temps, la légitimité, on court après ça,
13:35et je crois qu'on ne guérit jamais.
13:37Et c'est comme ça,
13:39c'est peut-être qu'il y en a qui s'en sortent mieux avec ça,
13:43mais c'est sûr que venir de province,
13:45ça ne met pas à l'aise d'avoir une famille
13:49qui n'a jamais, ni près ni loin,
13:52touché du doigt ces activités-là, artistiques.
13:57Pareil, quand j'ai débarqué à Paris à 21 ans,
14:02la personne qui m'a engagé à la comédie française
14:03qui était Antoine Vitez,
14:06je ne le connaissais pas, je ne l'avais jamais vu.
14:08Donc quand il m'a dit, je ne vous connais pas,
14:11j'ai répondu, moi non plus.
14:13Il y a eu un petit blanc.
14:14– Oui, mais ça peut faire du bien.
14:16– Un an, j'ai passé, et il m'a dit, écoutez, faisons connaissance.
14:19Et il m'a engagé, voilà.
14:21– Alors pas de théâtre, mais quand même un peu de politique aussi,
14:24dans votre Normandie natale, vous commentiez beaucoup l'actualité,
14:27vos parents ont pleuré de joie à l'élection de François Mitterrand en 1981,
14:30et vous dites, nous étions très sensibles
14:32aux conditions de travail des plus modestes,
14:34mon oncle, maçon, a dû être opéré
14:36parce qu'il avait les sinus remplis de ciment.
14:38J'ai vu autour de moi la dépression s'installer, ça marque.
14:41Il vient de là aussi votre ancrage dans le réel,
14:44dans la vraie vie, qui vous démarque peut-être d'ailleurs des autres.
14:47– Oui, enfin, je ne dois pas être le seul quand même,
14:50mais bien sûr que c'est…
14:54Moi je me souviens, les repas de famille,
14:56la situation professionnelle était au cœur des conversations.
14:59Est-ce qu'il y aura un plan de licenciement chez Renault ?
15:02Il y avait l'usine Costi, la penteau de mer, une tannerie, la fonderie,
15:08et on voit ces ongles devenir sourds, des blessures, l'inquiétude,
15:14de savoir, est-ce qu'ils me demandent de travailler la nuit ?
15:18– Oui, donc le travail comme source d'inquiétude, pas d'épanouissement.
15:22– Oui, quand ça fait partie de, je ne sais pas,
15:25admettons 70% des conversations tournent autour de ça, à table,
15:30ça impacte quand même.
15:32Et donc tout ça, cette façon de s'adapter au réel,
15:37c'est mon enfance, c'est mon adolescence,
15:40et je ne peux pas ignorer ça.
15:47Il n'y a ni fierté ni honte, mais je viens de là,
15:50donc ça me préoccupe, oui, le sort des gens,
15:53l'accès à la culture me préoccupe.
15:55Moi j'en ai marre de jouer devant des…
15:59j'ai envie de dire des personnes âgées,
16:00même si je n'ai rien contre les personnes âgées,
16:02mais j'aimerais bien que les théâtres s'ouvrent,
16:04à un public beaucoup plus jeune,
16:07et je n'arrête pas d'en parler,
16:11de demander aux directeurs et directrices de lieux
16:14est-ce qu'il y a des scolaires ce soir,
16:15est-ce qu'il y a des bords-plateaux d'organisés ?
16:17– Ou d'adapter le prix peut-être de la place.
16:19– Mais bien sûr, mais j'ai le sentiment qu'en France,
16:25puisqu'il y a eu André Malraux et puis quelques autres gugusses,
16:28ça y est, c'est fini, la démocratisation culturelle, c'est fait.
16:33Mais non, c'est comme la marche,
16:35si on s'arrête de marcher, on n'avance plus.
16:37– J'ai un document à vous proposer Philippe Toretton,
16:39je le mets entre vos mains et je vais le décrire évidemment,
16:41parce qu'il est à peine lisible,
16:42il s'agit d'un billet datant du 12 décembre 1943,
16:45écrit par la résistante Jacqueline Péry d'Alaincourt,
16:48internée à Fresnes après avoir été arrêtée et interrogée par la Gestapo.
16:52Tout au long de sa détention,
16:53elle rencontrera ses sœurs en résistance,
16:55Germaine Tillion, Anis Postelvinet et une certaine Charlotte Delbault,
16:59que vous aimez beaucoup et admirez beaucoup.
17:01Dans ce billet, elle écrit clandestinement à sa famille,
17:05je cite quelques mots,
17:06« Ma maman bien-aimée, bon papa chéri et tous,
17:10après demain viendra mon premier vrai colis de la maison,
17:13quelle joie, vais-je voir l'écriture de maman sur l'étiquette,
17:16ce serait si bon. »
17:17C'est un document qui nous a été transmis par nos partenaires,
17:20les archives nationales.
17:21En janvier 1943, 230 femmes résistantes
17:23entreront à Auschwitz en chantant la marseillaise.
17:26Je sais que ces femmes résistantes vous touchent particulièrement, pourquoi ?
17:32– Parce que quand même, on est issus, vous comme moi,
17:37d'une société très machiste où le résistant, c'est un homme.
17:41Pendant longtemps, ça a été ça.
17:42Et moi, j'ai découvert des femmes comme ça,
17:46Charlotte Delbault notamment, mais pas qu'elle.
17:49Et je trouve que ça corrobore ce que je pense depuis toujours,
18:00c'est-à-dire qu'on nous fait croire qu'on est différent,
18:04hommes et femmes, mais on gagnerait du temps à se dire
18:07qu'on est fondamentalement pareil.
18:10Il y a le même lot de conneries dans un sexe que dans l'autre,
18:15il y a le même courage, la même abnégation,
18:18la même… oui, la même insolence.
18:23On gagnerait du temps à se considérer pareil
18:27et à s'étonner de deux, trois petites différences,
18:30en général physiques, mais c'est tout.
18:31Mais c'est tout, c'est tout.
18:35On est pareil, on est pareil.
18:37Et je trouve que, comme dans les arts,
18:40on a caché des poétesses, des compositrices,
18:44on a caché des sculptrices, ou sculpteuses,
18:50et dans la science, on a piqué des prix Nobel,
18:58on a piqué les travaux, c'est hallucinant.
19:01– Vous êtes profondément féministe, vous diriez ça comme ça ?
19:04En fait, c'est une évidence pour vous ?
19:07– Oui, c'est une évidence, je me sens pas féministe,
19:11parce que je trouve ça…
19:13Comment on pourrait ne pas être féministe, par exemple ?
19:17C'est une question qui me…
19:20Je comprends pas, c'est évident, c'est évident.
19:25Mais je crois qu'il y a beaucoup à faire
19:29pour qu'on se considère comme pareil.
19:32Moi, je me souviens, par exemple, j'étais adolescent
19:36quand tout d'un coup, la mère d'un copain me dit
19:38« Oui, mais les filles, c'est plus fin,
19:42c'est plus sentimental que les mecs. »
19:44Mais quand on est…
19:46Comme dans une phrase que j'adore dans le film « Capitaine Conan »,
19:49« Comme tous ces adolescents un peu fins que le monde bouscule »,
19:54j'adore cette phrase.
19:55Moi, je faisais partie de ces adolescents un peu fins
19:58que le monde bousculait.
19:59Et quand on vous dit que les filles, c'est plus fin,
20:03c'est plus tendre, c'est plus sentimental,
20:05ça m'a fait brère.
20:06Parce que je me dis « Mais non, même moi aussi ! »
20:09Pourquoi on mettrait un sexe là-dessus, enfin ?
20:12C'est…
20:13Et…
20:15Non, non, c'est…
20:17On gagnerait du temps à s'envisager comme pareil.
20:20Mais vraiment, pareil.
20:22– J'ai des photos à vous proposer, Philippe Toretton, la première.
20:25– Je fais une petite incidente, pardon, sur Charlotte d'Elbault.
20:29Je fais la promotion de ma fille parce que j'ai mis
20:34les textes de Charlotte d'Elbault
20:36en face des yeux magnifiques de ma fille aînée, Marie.
20:40Et elle a adoré ça, elle en a fait un seul en scène,
20:43qu'elle a joué au mois de juillet à l'Ascala à Provence
20:46et qu'elle va reprendre à Paris, à l'Ascala à Paris,
20:51tous les mardis, à partir du mois d'avril.
20:53Et…
20:54Alors évidemment, c'est ma fille, etc.
20:57Mais alors, je défie quiconque de ressortir les yeux secs
21:01de ce qu'elle fait.
21:01– Les photos, c'est un rituel dans cette émission.
21:07Première photo, Volodymyr Zelensky,
21:09ancien comédien devenu président de l'Ukraine,
21:13puis chef de guerre, il est passé des tapis rouges au front.
21:18Est-ce qu'il suscite de l'admiration en vous,
21:21passer de comédien à chef de guerre, c'est pas…
21:24– Oui, de l'admiration, mais à travers lui,
21:26c'est tout le peuple ukrainien que je voudrais saluer.
21:29Et tous ces professeurs,
21:31moi je suis en relation avec une prof de littérature
21:35de l'université de Kiev, et c'est pas rien.
21:41La première fois qu'on a fait une visioconférence,
21:44j'ai failli faire une gaffe terrible, parce qu'il n'y avait que des filles.
21:50Et j'ai failli dire, ils sont où les garçons ?
21:52Ils sont au front.
21:53Et heureusement que j'ai pas fait mon gros lourdingue.
21:57– Maladresse de quelqu'un qui connaît moins la guerre.
21:59– Oui, oui.
22:00Et ça, quand vous le constatez en direct comme ça,
22:05bah oui, les garçons sont au front.
22:07– Les maris, les frères.
22:09– Donc à travers lui, que j'admire, personnellement,
22:13mais c'est tout le peuple ukrainien que je salue.
22:16– Une deuxième photo, il s'agit de l'affiche du film
22:18Le Comte de Monte-Cristo, l'adaptation du roman d'Alexandre Dumas,
22:22entrée dans le top 20 des films français les plus vus de l'histoire du cinéma,
22:25les ventes de livres ont aussi explosé à la suite.
22:28C'est ça que j'allais vous demander, ce pont, ce lien entre cinéma, littérature,
22:33ça fait du bien quand un bon film rend hommage aussi à la littérature française
22:37et crée des passerelles comme ça.
22:39– Mais oui, que des pièces de théâtre aussi continuent de se vendre,
22:45que ce soit Cyrano ou d'autres, je trouve ça admirable
22:49et que c'est une source d'inspiration infinie.
22:53Je trouve qu'on a un trésor de guerre, si je puis dire,
22:57en littérature, qu'on sous-exploite totalement.
23:02– Une dernière photo, c'est une grappe de raisin,
23:04mais elle va vous parler quand même, entre 1960 et 2022,
23:08la consommation individuelle de vin a chuté de plus de 60 %,
23:12le nombre de buveurs réguliers ne cesse de baisser chaque année,
23:16qu'en pense le grand amateur de vin que vous êtes et l'ami des viticulteurs ?
23:20– Oui, parce qu'il traverse une période comme l'agriculture en général,
23:24et pas simple, mais…
23:26– Comment vous voyez ça, comment on trouve l'équilibre
23:29entre, évidemment, on ne veut pas pousser les gens à trop boire
23:31parce qu'on sait que c'est mauvais pour eux,
23:33et en même temps, tu es l'ami des viticulteurs qui, eux, en vivent
23:36et défendent leur culture, leur patrimoine.
23:38– Il faut se diversifier, je pense qu'il faut…
23:42De toute façon, c'est une tendance qui est là,
23:46je ne sais pas si ça va continuer à baisser comme ça,
23:48mais on buvait énormément de vin avant,
23:50c'est-à-dire que, quand même, on servait du vin,
23:55ce qu'on appelait l'eau rougie, aux enfants, quand même,
23:57on vient d'un pays comme ça.
23:59– Il y en avait dans les cantines.
24:00– Oui, il y en avait dans les cantines,
24:02dans les cantines, on buvait aussi ce qu'on appelait la boisson,
24:06en Normandie, c'était du cidre coupé avec de l'eau,
24:09qu'on filait aux enfants, donc on part de loin quand même,
24:12on part de très haut, donc que ça baisse un petit peu, voilà.
24:17Là, je me souviens d'un de mes premiers profs de théâtre,
24:21qui a été docker sur le port de Rouen,
24:23il me disait qu'il voyait des mecs arriver le matin
24:26avec leur petit casier à bouteilles, il y avait six bouteilles,
24:29c'était leur consommation personnelle de la journée, en vin rouge.
24:34Six bouteilles de vin, donc…
24:37– C'est bien qu'on retrouve un peu de…
24:40– Mais je pense qu'il faut aller, c'est ce qu'ils font d'ailleurs,
24:43mais il faut aller vers la qualité,
24:45même si avec le réchauffement climatique, ça devient compliqué.
24:49Maintenant, j'ai vu qu'il y a des vignobles en Bretagne,
24:53en Normandie, etc. Et puis se diversifier,
24:58moi je crois beaucoup à ça, un de mes meilleurs amis
25:01est vigneron dans le Beaujolais, il a des vaches, en bio,
25:05il est éleveur et vigneron, et je pense qu'il faut…
25:10Je crois qu'il y a un, pour moi,
25:12j'ai pas étudié la question plus que ça,
25:16mais j'ai le sentiment qu'il y aurait du bon sens à revenir,
25:19avec les méthodes modernes, etc.
25:21Mais à la ferme, où on fait du vin, on fait du céréal,
25:27on fait des bestiaux, on fait du lait,
25:29on fait les produits dérivés du lait.
25:31– Une activité complète.
25:32– Mais je crois, et territorialisée,
25:34où il y aurait des débouchés de ça, partout.
25:37Et de façon à ce qu'on ne soit pas obligé
25:39de faire traverser le pays par des camions frigorifiques, etc.
25:43– La politique n'est jamais bien loin, quand vous parlez,
25:45et les propositions qui vont avec.
25:48Philippe Touréton, nous sommes entourés de quatre statuts,
25:50qui représentent chacune une vertu.
25:52Il y a ici la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
25:57J'aimerais savoir s'il y a une vertu dont vous avez envie de parler,
26:02que vous avez envie de défendre, qui vous caractérise,
26:04qui vous parle plus que les autres.
26:05– Hum, hum, hum…
26:07– Sagesse, prudence…
26:08– Sagesse, ce serait difficile d'en faire l'économie,
26:11mais la justice, pareil, la prudence, oui,
26:16mais j'aime cette phrase de Brel qui dit
26:18« le monde sommeille par manque d'imprudence ».
26:21Et la prudence, ouais…
26:26– Alors l'éloquence ?
26:27– L'éloquence, je déteste ça.
26:28– Ah bon ? – Ah, je déteste.
26:30– Donc il n'y a aucune de ces vertus qui vous parle ?
26:31– Non, si, la justice, bien sûr.
26:33Si, j'ai commencé par dire que la sagesse est au-dessus de tout,
26:37mais la justice me paraît…
26:40Mais l'éloquence, non, je n'aime pas ça.
26:42Non, enfin, ce que je n'aime pas, c'est la mode en ce moment de l'éloquence.
26:48On fait des ateliers d'éloquence, etc., des concours d'éloquence.
26:52Je n'aime pas ça.
26:53Ce que j'essaye de dire aux mots, moi, c'est « qu'est-ce que tu as à me dire ? »
26:57Et donne-toi les moyens de le dire.
27:00C'est ça qui compte.
27:01– D'abord le fond du message, et ensuite la forme.
27:03– Sinon, parler comme ça, etc., il suffit de rentrer dans un hémicycle
27:09et puis on voit ce que ça donne.
27:11Mais non, qu'est-ce qu'on a à dire, réellement ?
27:14Qu'est-ce qui nous pousse à dire ?
27:17Et ça, ça me paraît plus important.
27:19Mais la justice, moi, je suis passionné par la justice.
27:22– Alors justice et sagesse, au-dessus des deux.
27:25– Ouais, voilà, l'une en face de l'autre.
27:28– Merci beaucoup, Philippe Toretton, d'avoir été notre invité.
27:30Merci d'avoir accepté de répondre à mes questions.
27:33Merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine.
27:35Émissions à retrouver en replay sur notre plateforme publicsena.fr
27:39mais aussi en podcast, vous le savez maintenant.
27:41À très vite, merci.
27:42– Sous-titrage ST' 501

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