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Le constitutionnaliste Benjamin Morel était l'invité de France Inter ce mardi, au lendemain de la proposition d'Emmanuel Macron de nommer Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel. "On a un contexte global où il y a besoin d'un sentiment d'impartialité", relève le politologue. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mardi-11-fevrier-2025-6853066

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00:00Il est 6h21, un jeu de chaises musicales au sein du Conseil Constitutionnel, l'institution
00:04qui s'assure que les lois sont bien conformes à la Constitution.
00:08Trois nouveaux membres s'apprêtent à le rejoindre pour les neuf années à venir et
00:11notamment son futur président qui va succéder à Laurent Fabius.
00:14Emmanuel Macron a fait son choix, il aimerait que ce soit Richard Ferrand, fidèle parmi
00:18les fidèles, marcheur de la première heure, ancien président de l'Assemblée Nationale.
00:23Une proposition qui suscite pas mal de remous, notamment de la part des juristes.
00:27Bonjour Benjamin Morel.
00:28Bonjour.
00:29Vous êtes politologue, constitutionnaliste, maître de conférences en droit à l'université
00:32de Paris Panthéon-Assas, Richard Ferrand, président du Conseil Constitutionnel, c'est
00:37un bon candidat ?
00:38Non, c'est pas un bon candidat et je dirais que le pourquoi c'est pas un bon candidat
00:42pose des questions à la fois structurelles et conjoncturelles.
00:45D'un point de vue structurel, on a un profil qui est tout de même assez faible en droit.
00:48Alors ça veut pas dire qu'il faut mettre que des profs de droit au Conseil Constitutionnel
00:51mais néanmoins, en règle générale, quand on nomme des politiques, il peut être légitime
00:54de nommer des politiques tout bêtement parce qu'il s'agit d'évaluer une procédure
00:58parlementaire qu'ils connaissent, et bien on s'assure qu'il y a un minimum de compétences
01:03juridiques préalables.
01:04Il y en a eu avant lui qui était avocat notamment.
01:06Bien sûr, on parle beaucoup par exemple de Jean-Louis Debré.
01:08Jean-Louis Debré, il a certes été président de l'Assemblée Nationale, c'est vrai, mais
01:11il est également docteur en droit.
01:13Il est également magistrat et donc c'est autre chose du point de vue de la connaissance
01:17du droit constitutionnel.
01:18Et ensuite, surtout, il y a des raisons conjoncturelles.
01:21On a un état de droit qui n'a jamais été aussi faible, aussi attaqué, avec potentiellement
01:26une extrême droite qui demain pourrait arriver au pouvoir, et une contestation globale de
01:30cet état de droit en France comme à l'étranger.
01:32Si vous ne nommez pas une figure d'autorité qui également incarne une forme d'impartialité,
01:38le risque c'est qu'une grande partie de l'opinion se dise « le problème c'est
01:42l'état de droit, l'état de droit est un instrument pour faire taire la démocratie,
01:46débarrassons-nous de l'état de droit, voyez bien qu'il est politisé, c'est un ancien
01:49proche du chef de l'État ».
01:50Oui, c'est ce que j'allais dire, le fait qu'il soit proche du chef de l'État,
01:52ça aussi c'est un grief que vous faites.
01:54Alors oui, c'est un grief d'une certaine façon, et d'autres l'ont été avant
01:58lui, encore une fois, il ne s'agit pas de critiquer la personne, au regard du contexte,
02:03c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de critiquer la personne même de Richard Ferrand.
02:06Le problème, si vous voulez, c'est qu'on a un contexte global où il y a besoin aujourd'hui
02:11d'un sentiment d'impartialité.
02:12Vous savez, c'est ce qu'a jugée la CEDH, la Cour européenne des droits de l'homme,
02:16en 1970.
02:17C'est le fondement de l'État de droit, ce n'est pas seulement l'impartialité
02:19du juge.
02:20C'est bien qu'il soit impartial, et peut-être que Richard Ferrand le serait-il, mais c'est
02:23également l'apparence de l'impartialité, parce que pour qu'on croit collectivement
02:26dans l'État de droit, il faut que le juge donne le sentiment d'être impartial.
02:31Or, quand vous nommez un ancien proche du chef de l'État dans une période où on
02:35va trancher une question prioritaire de conscientité, qui pourrait emporter l'éligibilité ou
02:39l'inégibilité de Marine Le Pen en 2027, où le conseil conscient va être juge électoral
02:43des élections présidentielles, et bien forcément, il y a un sentiment, il y a un
02:48doute.
02:49Ce doute n'est peut-être pas justifié en fait, néanmoins, il s'instillera dans
02:51l'opinion, et à partir de là, ça va affaiblir profondément ce gardien de l'État de droit
02:56dont on a si besoin, qu'est le conseil constitutionnel.
02:58Et si vous vous en préoccupez, c'est que vous trouvez que le conseil est déjà aujourd'hui
03:01une institution fragile ou pas ?
03:03Alors c'est déjà une institution très fragile, et surtout c'est une institution
03:07qui est sous le feu d'une crise politique.
03:09Il faut bien comprendre que le droit constitutionnel, c'est quelque chose de très interprétable.
03:13Peut-être qu'une partie de vos auditeurs pense que le droit c'est des maths et qu'on
03:17fait A plus A égale 2A.
03:19Non, le droit c'est une affaire d'interprétation, et entre deux interprétations il y a un choix
03:24qui est fait.
03:25Et ce choix, et bien il laisse la place à un degré d'opportunité.
03:28Prenez la dernière réforme des retraites, la procédure, elle est baroque, pour le moins.
03:34Le choix de valider, ça ne s'impose pas, c'est un choix qui est un choix, pas forcément
03:39politicien, mais qui est un choix malgré tout politique.
03:41De même, demain on va avoir cette question de priorité de consécutivité sur Marine
03:45Le Pen, la tranchée va avoir des implications politiques, et ne peut pas être considérée
03:49comme étant une simple opération mathématique.
03:51Et dans ce cadre-là, si celui qui tranche n'a pas l'apparence de l'impartialité,
03:56et bien vous allez avoir une partie de l'opinion qui va dire le problème c'est l'état de
03:59droit, le problème c'est que celui qui a été nommé par le chef de l'état avait
04:02pour but d'empêcher la candidature de Marine Le Pen, ou bien d'empêcher la loi immigration
04:05qu'elle ferait en étant arrivée au pouvoir.
04:07Et là vous voyez bien que l'état de droit n'est pas ce qui nous protège, l'état
04:11de droit c'est un instrument pour empêcher la démocratie.
04:14Vite, vite, débarrassons-nous-en.
04:16Est-ce que justement le problème vient du processus de nomination des membres ?
04:20En partie.
04:21C'est-à-dire que le problème encore une fois c'est pas qu'il y a, enfin il y a
04:25aujourd'hui très peu de juristes, et ça c'est un autre problème, mais...
04:28Mais pour vous, parce qu'il y en a certains, il y a certains de vos collègues qui disent
04:30il faudrait l'imposer, il faudrait avoir une formation de juriste pour avoir le droit
04:33d'être au conseil constitutionnel, vous vous dites non, c'est pas nécessaire.
04:36Ça pourrait être nécessaire, mais je pense pas qu'il fallait l'imposer parce que c'est
04:39quoi une formation de juriste ?
04:40Quand vous avez passé 30 ans à la commission des lois, que vous êtes un spécialiste des
04:43libertés fondamentales, etc., prenez par exemple le profil de Philippe Bas, qui va
04:47être nommé par Gérard Larcher.
04:48Le profil de Philippe Bas ne choque pas, le secrétaire général de l'Elysée, il est
04:51énarque, il a été très longtemps président de la commission des lois, c'est l'un des
04:54meilleurs spécialistes aujourd'hui qu'on ait en matière de certains droits, notamment
04:58pour ce qui relève, et ça va être un sujet chaud, de la Nouvelle-Calédonie.
05:01Donc voilà.
05:02Non, le problème c'est le filtre.
05:04Regardez en Allemagne.
05:05Pour nommer un juge à Karlsruhe, l'équivalent du conseil Constit en Allemagne, vous avez
05:10besoin d'une majorité qualifiée du Bundestag ou du Bundesrat pour le nommer.
05:14Donc vous devez convaincre une partie de l'opposition.
05:16En France, c'est le contraire.
05:17En France, vous avez besoin d'une majorité qualifiée très importante pour rejeter une
05:20nomination.
05:21C'est le 3-5ème des parlementaires des commissions des lois.
05:24Des deux commissions des lois réunies, entre guillemets.
05:26Or, ça veut dire que si vous avez un président qui a une majorité, il peut imposer son choix
05:32quand bien même ce choix serait, comme qui dirait l'autre, croquignolesque.
05:35Donc, beaucoup plus qu'exiger des compétences, il faudrait vraiment s'assurer que les juges
05:41nommés soient des juges qui fassent un minimum consensus.
05:44Et puis, il y a une échéance très importante, c'est la présidentielle de 2027.
05:48C'est Laurent Fabius lui-même qui en a parlé, le dernier président de ce conseil, et il
05:54s'en inquiète parce qu'il se dit qu'en cas de victoire de l'extrême droite, possiblement
05:58Marine Le Pen, c'est à voir.
06:00Marine Le Pen, elle, elle a déjà dit qu'elle voulait réviser la Constitution pour y instaurer
06:04la priorité nationale, et là, évidemment, le rôle du conseil constitutionnel serait
06:08essentiel, crucial.
06:09C'est ça, et c'est ça le risque, si vous voulez.
06:11Si demain, vous avez Marine Le Pen qui arrive au pouvoir et qui dit « je fais une grande
06:13loi immigration et je reinstaure la priorité nationale », le conseil va dire « c'est
06:17inconstitutionnel », parce que dans sa jurisprudence, c'est inconstitutionnel.
06:20Qu'est-ce qui va se passer ? Eh bien, si jamais vous avez un conseil qui ne fait pas
06:24autorité, Marine Le Pen va dire « oui, eh bien, on instrumentalise l'état de droit
06:27». Et donc, à partir de là, deux choix.
06:28Soit le conseil ne dit rien.
06:30J'avais fait un article il y a quatre ans dans La Reuve Française du droit constitutionnel
06:32qui montrait que quand il y avait une crise de légitimité au conseil, eh bien, il préférait
06:36se taire.
06:37Et donc, on peut avoir un conseil pusilanime qui laisse tout passer.
06:40Soit le conseil s'oppose, mais s'il manque de légitimité, eh bien, vous pouvez avoir
06:44une Marine Le Pen qui dit « le problème, c'est le conseil, on commence par se débarrasser
06:48du conseil et une fois qu'on se sera débarrassé du conseil, je pourrai appliquer le programme
06:52sur lequel j'ai été légitimement élu ». Et donc, là, vous voyez qu'il y a un vrai
06:56vrai danger de trumpisation de l'avis politique contre l'état de droit si jamais on n'a
07:00pas une institution forte et légitime, forcée de constater que certaines nominations n'y
07:04concourent pas.
07:05Merci beaucoup Benjamin Morel d'être venu ce matin en direct sur France Inter, l'invité
07:09du 5-7 c'est vous, maître de conférences en droit à l'université de Paris, Panthéon-Assas.

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