Benjamin Morel : "Depuis 1962, on n'a jamais eu de majorité relative et aussi divisée"

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Pour revenir sur l'interview d'Emmanuel Macron dimanche à 20h, Benjamin Morel, politologue, maître de conférences en droit public à Paris II Panthéon-Assas est l'invité de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-lundi-25-septembre-2023-8353216
Transcript
00:00 6h21. Bonjour Benjamin Morel, vous êtes politologue, maître de conférence en droit public à Paris 2
00:05 Panthéon-Assas. On vous a invité ce matin pour analyser la séquence politique du moment, la
00:10 rentrée des députés avec plusieurs projets de loi très importants, la planification écologique
00:14 évidemment, le renouvellement du Sénat et hier soir cette interview d'Emmanuel Macron à la
00:19 télévision. Il a annoncé entre autres un chèque carburant à 100 euros, il a dit aussi qu'il ne
00:23 souhaitait pas finalement interdire les chaudières à gaz. Donc après la double visite royale et
00:28 papale de la semaine dernière, là c'est un retour à la réalité pour le chef de l'État ? C'est un
00:32 retour à la réalité, c'est un retour au problème. Alors à la fois au problème qui aujourd'hui
00:35 structure l'opinion, notamment la question du pouvoir d'achat et puis au problème qui est le
00:39 sien lors de ce quinquennat, pour l'instant en tout cas, c'est-à-dire l'absence de majorité
00:43 parlementaire. Les grands éléments qui ont été lancés hier, ce sont des impulsions, ce sont des
00:47 premiers échelons dans les débats qui vont être ceux de l'automne, notamment le projet de loi
00:53 immigration qui va être très compliqué. Et puis évidemment les deux projets de loi budgétaire,
00:57 avec toutes leurs difficultés et toutes leurs crises, notamment concernant le pouvoir d'achat
01:01 des Français. Alors chaque année, pour tous les présidents, nous journalistes, on utilise des
01:05 formules, on parle de rentrées délicates, sous tension, électriques, à haut risque. Est-ce que
01:10 c'est vraiment le cas pour Emmanuel Macron cette année ? Au moins d'un point de vue parlementaire,
01:13 c'est clairement le cas. Il faut voir que depuis 62, on n'a jamais eu de majorité relative et aussi
01:18 divisée. Et donc ce faisant, le chef de l'État, qui apparaît avoir beaucoup de pouvoir, en fait
01:22 n'en a pas tant que ça. Il ne peut pas faire de grandes annonces parce qu'il n'est pas certain
01:25 qu'il y ait une majorité qui suive. Et cette majorité aujourd'hui est très, très clivée. On
01:29 sait par exemple que le projet de loi immigration va poser problème lors de la précédente législature.
01:34 Pourtant on a une majorité absolue, pléthorique, etc. Le premier moment où ça racle au sein de la
01:38 majorité, c'est le projet de loi Colomb. C'est le projet de loi Asile et Immigration. Donc l'arrivée
01:42 à tendre entre Sachaoui et LR Despons pour avoir un projet de loi consensuel et ne pas le faire
01:48 passer par 49 alinéas de Troyes, c'est réellement, réellement une gageur, surtout avec l'ambiance à
01:52 l'Assemblée Nationale. Il y a un texte bien avant, et il y en a un dès aujourd'hui qui est largement
01:56 clivant également, c'est le projet de loi pour le plein emploi puisque les députés font leur
02:00 rentrée aujourd'hui, session extraordinaire. Donc à 16h, ce projet de loi pour le plein emploi, ça
02:04 va partir très vite, vous pensez ? Ça va être très, très compliqué évidemment parce qu'aucun groupe
02:09 d'opposition n'a aujourd'hui, au vu de la configuration politique, intérêt à faire un cadeau
02:13 à Emmanuel Macron. On est dans une volonté pour les oppositions de se présenter comme étant la
02:18 plus forte opposition parce que sous la Ve République, si vous voulez demain incarner
02:21 l'alternance, il faut incarner l'alternative. Et donc sur les sujets qui sont aujourd'hui les
02:25 sujets structurants, notamment en termes d'emploi, de pouvoir d'achat, il faut apparaître
02:29 comme en développant un logiciel extrêmement hétérogène avec celui de la majorité et au sein
02:34 même de la majorité, comme vous l'avez vu cet été, la course à la succession étant lancée,
02:38 vous avez aussi des clivages. Ça veut dire que forcément recours au 49.3 peut-être, ça peut
02:44 même être acté dès mercredi pour le projet de loi de programmation des finances publiques ? Alors
02:48 il faut être tout à fait clair, c'est-à-dire que le projet de loi de programmation des finances
02:51 publiques, on aura probablement en effet un 49 à l'Ina3, c'est un peu technique, mais il faut voir
02:55 que si jamais on l'a fait courir plus tôt, c'est pour pouvoir en utiliser un peut-être un gratuit.
03:00 C'est un 49 à l'Ina3 par session, ordinaire, extraordinaire. Et donc là, on a un jeu. Or
03:06 aujourd'hui, le nombre de 49 à l'Ina3 va être relativement nombreux. Si on en a un sur les
03:11 projets de loi de finances publiques qui ne comptent pas comme un texte budgétaire, ça fait
03:14 déjà un. Et ensuite, si vous voulez l'utiliser sur le projet de loi immigration notamment, ça en
03:19 ferait un deuxième. Donc on arrive à jouer à la marge, il y aura également des 49 à l'Ina3,
03:23 et ça c'est certain sur les budgets. Et vous pensez qu'il y a un risque pour le gouvernement
03:26 qu'une motion de censure cette fois soit votée ? C'est très peu probable en réalité, parce que la
03:30 seule motion de censure qui pourrait réellement passer, ce serait une motion de censure qui
03:32 serait déposée par LR. Et là, à ce moment-là, les voix du RN d'un côté et les voix de l'ANUP
03:36 pourraient se retrouver sur cette motion de censure, alors que les uns et les autres refusent
03:40 de voter pour une motion de censure unique. Le problème évidemment, c'est que LR n'a pas
03:44 vraiment intérêt aujourd'hui à une motion de censure. Le risque d'une motion de censure,
03:48 ce n'est pas obligatoire. Mais a priori, malgré tout, il y aurait une possibilité pour Emmanuel
03:52 Macron de le faire, ce serait de dissoudre. S'il y a des solutions, les candidats LR seraient
03:56 quand même sur un siège éjectable. Benjamin Morel, j'aimerais qu'on s'arrête maintenant
03:59 à quelques minutes sur le Rassemblement National, spécifiquement. Le RN qui, par exemple,
04:04 s'envisage de s'abstenir sur la loi de programmation des finances publiques, c'est un cadeau empoisonné
04:08 pour Emmanuel Macron ? C'est l'aider à faire passer cette loi de programmation ?
04:12 C'est toute la stratégie du RN lors de cette législature. Elle fonctionne plutôt bien
04:15 en réalité. On reparlera peut-être des élections sénatoriales, mais cette vision d'un RN
04:20 qui serait plus consensuel, qui se normaliserait, qui se notabiliserait, c'est quelque chose
04:24 qui aujourd'hui prend dans l'opinion, et c'est le principal problème du RN. Des diabolisations,
04:28 et notamment crédibilisation. Ce n'est pas la première fois. Souvenez-vous, dès l'élection
04:32 de Yael Brown-Pivet au Perchoir. Et bien à ce moment-là, Sébastien Chenuel, à surprise
04:37 générale, retire sa candidature pour permettre une élection rapide de la présidente de
04:40 l'Assemblée. Ce qui est un geste de bonne volonté, ce qui est un geste qui se veut
04:43 républicain. Cette stratégie-là, elle est suivie, elle est continue, et elle est fonctionnelle.
04:48 C'est aussi cette même stratégie pour sa niche parlementaire mi-octobre, avec des textes
04:53 comme sur les tarifs de l'énergie, pour une prise en charge totale par la sécurité
04:57 sociale des femmes qui souffrent d'endométriose. Ce sont des pièges politiques pour la majorité.
05:03 Est-ce qu'il faut le voir comme ça, ou ce sont des vrais textes qu'ils défendent
05:06 pour le bien-être des Français, selon leurs idées ?
05:08 C'est des signaux qui sont des signaux qui sont extrêmement forts, évidemment. Parce
05:11 que ces textes, soyons clairs, ils ont très très peu de chances in fine d'être adoptés.
05:15 Il faudrait qu'ils soient repris par le Sénat, etc. Donc ils n'auront pas au bout. Ce sont
05:17 des signaux politiques.
05:18 Même si sur le fond, sur l'endométriose, beaucoup de partis sont d'accord.
05:22 Bien sûr. Mais ensuite, vous savez, une proposition de loi, pour qu'elle arrive au bout, il
05:25 faut qu'elle soit reprise par un groupe au Sénat. Or, il n'y a pas de groupe RN
05:30 au Sénat aujourd'hui.
05:31 Donc c'est un signal envoyé à l'opinion, en disant "Nous ne parlons pas que d'immigration,
05:35 nous parlons également d'autres problèmes quotidiens". Donc vous voyez, nous sommes
05:37 un parti crédible. Et c'est un signe, évidemment, vis-à-vis de la majorité, en disant "Vous
05:42 ne pouvez pas ne pas voter ces textes, donc vous ne pouvez pas ne pas être d'accord
05:45 avec nous".
05:46 Vous évoquiez le Sénat, le RN, trois élus dans du scrutin d'hier. C'est un retour
05:52 pour le RN. Comment vous l'analysez ?
05:54 C'est un retour qu'on pourrait penser comme étant modeste, mais en réalité, il
05:59 faut voir les signaux faibles lors d'une élection sénatoriale. C'est-à-dire que
06:02 vous avez eu beaucoup de votes des grands électeurs, donc 95% de conseils municipaux,
06:07 pour le RN. Dans certains départements, vous avez jusqu'à 15% de votes pour le RN.
06:13 Donc beaucoup plus que les fois précédentes.
06:15 Beaucoup plus. Ils ont parfois quadriplé leurs scores. Et donc, ça c'était très
06:19 extrêmement fort. Ça veut dire que des élus qui n'ont pour la plupart pas été élus
06:23 sur une étiquette RN, des élus qui ont vu leur département voter très majoritairement
06:28 RN aux dernières législatives, qui ont vu le député s'implanter, serrer la main
06:32 de M. le Préfet, etc. Ces élus-là, aujourd'hui, sont prêts à voter Rassemblement National.
06:37 Le tabou a sauté.
06:38 C'est un vrai tabou qui a sauté. Et ça, c'est très nouveau.
06:41 Merci Benjamin Morel pour vos explications. Maître de conférence en droit public à
06:45 Paris 2, Panthéon, Assas. Et à propos de la planification écologique qu'on n'a
06:49 pas abordé avec vous, mais Nicolas Demorand et Léa Salamé reviendront longuement avec
06:53 avec leurs invités à 8h20, le climatologue Jean Jouzel et le député européen Pascal Canfin.

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