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L'écrivaine Laure Adler, l'éditeur Antoine Gallimard et l'avocat François Zimeray réunis à l'occasion de l’événement "Les écrivains autour de Boualem Sansal", ce mardi 18 février à l'Institut du monde arabe.

Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien

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00:00Y a-t-il un espoir de voir bientôt libérer Boilem Sansal ? Voilà maintenant trois mois
00:13que l'écrivain franco-algérien est emprisonné en Algérie, où il est poursuivi, je résume
00:19mais on va en parler plus en détail, poursuivi pour atteinte à la sûreté de l'Etat,
00:23il risque la perpétuité.
00:25Et ce soir, une soirée de soutien est organisée à Paris, à l'Institut du Monde Arabe.
00:29Quelle est l'ampleur justement de ce soutien en France, où certains, à gauche, dans le
00:34milieu culturel, reprochent à Boilem Sansal d'être trop proche de l'extrême droite ?
00:39On va aussi se poser la question.
00:41Avec son avocat ce matin, François Zimré, bonjour.
00:44Bonjour.
00:45Avec son éditeur Antoine Gallimard, bonjour également.
00:46Bonjour.
00:47Et avec une écrivaine, une historienne, journaliste, qui connaît bien Boilem Sansal, pour l'avoir
00:52interviewée notamment plusieurs fois, Laura Adler, bonjour.
00:55Bonjour.
00:57Très bien.
00:58Aussi, bien sûr, les auditeurs d'Inter, rappelez-nous, vous qui nous écoutez au 0145 24 7000 et
01:03écrivez-nous sur l'application de France Inter.
01:05Trois mois, donc, que Boilem Sansal est incarcéré en Algérie, comment va-t-il d'abord, François
01:10Zimré ? Son état de santé n'est pas bon, aux dernières nouvelles.
01:13Écoutez, les informations que… D'abord, il faut savoir que je n'ai pas d'accès
01:16direct à Boilem Sansal, ce qui est en soi un problème pour la défense et pour répondre
01:20à de telles questions qui sont légitimes, à la fois sur un plan humain et sur un plan
01:24professionnel.
01:25Boilem Sansal, son épouse est autorisée à le visiter ?
01:27Son épouse peut le visiter, de façon espacée, et puis les avocats algériens avec qui je
01:33me tiens, par contre, en relation très étroite.
01:37Écoutez, tout ce que je peux dire, c'est qu'il est atteint d'une maladie sérieuse,
01:42grave, qu'il est pris en charge pour cette maladie, mais il n'en est pas moins, ce
01:47n'est pas parce qu'il est correctement suivi, parce que quand je dis qu'il est
01:51correctement suivi, c'est que je n'ai pas de raison de penser à ce stade le contraire.
01:55Évidemment, je me suis inquiété de cela, suivi et sans doute soigné.
02:00Néanmoins…
02:01Je comprends que vous souhaitiez respecter l'intimité de votre client.
02:05Dans la presse, ce matin, on parle d'un cancer.
02:08C'est un cancer qui frappe les hommes d'un certain âge.
02:12Et donc, néanmoins, il n'en est pas moins, un homme âgé et malade, avec lequel nous
02:21avons peu de contacts, et donc les nouvelles que j'ai, et en soi, c'est vraiment un
02:24sujet.
02:25J'aimerais pouvoir répondre à cette question.
02:27Vous parlez de son âge, il a 80 ans, il a longtemps affirmé être né en 49, ce qui
02:33lui donnerait 75 ans.
02:34Non, mais ça, c'est…
02:36Ce que l'on m'a expliqué, c'est qu'en réalité, dans cette génération et dans
02:41ce milieu, pour ce que l'on appelait à l'époque les indigènes, dans l'Algérie
02:47coloniale, eh bien, beaucoup d'enfants n'avaient pas accès à l'état civil dès
02:52leur naissance.
02:53Donc, il aurait été inscrit, c'est l'explication qui m'a été donnée, à l'état civil
02:57à l'âge de 5 ans.
02:58D'où ce décalage entre 75 et 80 ans.
03:01Donc, il en a 80 aujourd'hui, incarcéré encore une fois depuis 3 mois, malade, il
03:05a son état de santé, il a son état moral, psychologique, quelles nouvelles avez-vous
03:11de ce côté-là ?
03:12Je peux imaginer que c'est dur.
03:14On me dit qu'il tient, ça je peux aussi l'imaginer le connaissant, mais encore
03:20une fois, ça n'en est pas moins une épreuve pour un écrivain, pour un homme de cet âge
03:25qui ne s'attendait évidemment pas, parce que ce n'est pas ce qu'il recherchait,
03:29la provocation, et c'est le contraire, pour ceux qui le connaissent ici, ils le savent
03:34très bien, c'est le contraire de sa personnalité, il ne s'attendait pas à être incarcéré
03:39et l'incarcération, c'est toujours une épreuve et de surcroît à cet âge.
03:44Une épreuve pour lui évidemment, une épreuve pour ses proches, pour ceux qu'il connaissent
03:48bien, pour ceux qu'il soutiennent, Laura Adler, comment vous vivez-vous cette incarcération
03:56depuis 3 mois maintenant ?
03:57J'ai été stupéfaite comme tant d'entre nous, le jour où j'ai appris que venant
04:03de France, il avait été arrêté à l'aéroport d'Alger, Boilem Sansa, il est un immense
04:09écrivain qui a déboulé dans le paysage littéraire avec le serment des barbares,
04:16et quand on relit l'œuvre de Boilem Sansa aujourd'hui, on s'aperçoit que c'est
04:20un écrivain universaliste, que c'est un écrivain humaniste, que c'est un écrivain
04:25sur le tard, et d'ailleurs François Zimré, vous rappeliez cet écart d'âge qui a introduit
04:31une sorte de suspicion sur ce qu'il aurait pu dire de son âge, mais il a écrit un
04:36livre sur sa propre enfance, un livre absolument extraordinaire qui s'intitule « L'enfant
04:42fou à l'arbre creux », où il explique lui-même qu'il ne sait pas véritablement
04:48comment il est né, à quelle date il est né, etc.
04:50Donc c'est un écrivain assez tardif, qui est un grand scientifique, qui a eu une éducation
04:57absolument exceptionnelle sur le plan intellectuel, c'est un fils…
05:01Il a eu des fonctions de haut fonctionnaire en Algérie ?
05:03Il faut souligner que c'est un fils de la République d'Algérie, il faut souligner
05:07qu'il aime son propre pays, que toute une partie de son œuvre se passe à célébrer
05:13la beauté d'Alger, la Ville Blanche, il s'inscrit dans la tradition d'Albert Camus
05:22d'ailleurs, c'était important pour lui de vivre chez lui en Algérie.
05:26Ce qui est absolument extraordinaire dans l'œuvre de Boalem Sansal, c'est qu'il
05:29a commencé à être écrivain quand son propre pays a traversé ce qu'on a appelé la décennie
05:34noire.
05:35Avec le serment des barbares, il a fait l'épopée, la transcription de ce que le petit peuple
05:41dont il est issu, car il est issu d'un milieu extrêmement pauvre, avec une histoire romanesque
05:47de l'origine de sa propre mère, il a commencé à écrire comme un moyen d'élucidation
05:53dans un souci de vérité, d'approche de cette vérité et de compréhension pour le
05:59peuple algérien de ce qui s'était produit à l'intérieur de sa propre histoire.
06:03Est-ce que c'est justement ce regard sur cette décennie, sur ce traumatisme dû au
06:08mouvement islamiste en Algérie, ce regard sur ce passé algérien qui lui vaut cette
06:14épreuve aujourd'hui, on va pouvoir en parler, mais pour rester encore quelques instants
06:18sur sa situation à l'instant où on parle, Antoine Gallimard, quel est votre état d'esprit
06:25ce matin ?
06:26Je partage la même approche que Laure, je l'ai connu quand il nous a apporté son manuscrit
06:32qu'on avait reçu par La Poste au début de ce siècle, il y a eu un grand moment pour
06:38nous quand il eut le prix des Libraires de la Paix en 2011, et je veux dire que c'est
06:43un homme, personnellement, qui est admirable de philosophie de la vie, il est calme, et
06:50de douceur, une grande douceur, et c'est vrai que c'est tout sauf quelqu'un qui
06:56veut brûler les choses, et il a un grand respect, un grand amour de son pays, des gens
06:59de ce pays, c'est vrai qu'il est né dans des conditions particulières, qu'il était
07:03au départ un ingénieur, et puis il est devenu écrivain, parce qu'il s'est aperçu que
07:07la vraie liberté, c'est celle qu'on a dans sa tête, et dans sa tête on écrit,
07:11et c'est ainsi qu'on a vu naître ce grand écrivain, et c'est vrai qu'il y a un autre
07:14livre que je recommanderais, pardon, je ne fais pas de publicité pour ma maison, c'est
07:18Le Village de l'Allemand, qui est aussi formidable.
07:21Il a été le premier, je crois, à parler de la Shoah.
07:25Oui, absolument.
07:26Dans son propre pays.
07:27Donc voilà, c'est une très belle personnalité, je pense qu'aujourd'hui, effectivement,
07:31on se préoccupe parce que c'est comme, être en prison c'est une chose, mais lui,
07:36il n'a jamais pensé, il était un peu fou, qu'il pouvait avoir des problèmes.
07:40Quand il venait à Paris, il venait habiter chez moi, et je veux dire qu'il avait un caractère
07:48très paisible, très profond, remarquable, et il s'intéressait à la foi, à l'histoire
07:53de son pays, mais de tout aussi, la mythologie, la religion.
07:56C'est une grande voie intellectuelle parmi les écrivains du monde entier, majeure.
08:04Je parlais en introduction de l'espoir, est-ce qu'il y a un espoir, François Zimré,
08:10de le voir libéré, ou au moins qu'il ait un procès équitable en Algérie ?
08:15Vous avez signalé et souligné le fait que vous ne pouviez pas aller le voir aujourd'hui
08:20pour travailler directement avec vos confrères algériens et le défendre sur place.
08:25Alors, un espoir de le voir libéré, oui, sinon nous ne serions pas là, je ne crois
08:30pas qu'il puisse être libéré, honnêtement, j'ai pensé à un moment, comme beaucoup,
08:35que l'émotion suscitée par son arrestation et au regard de sa personnalité, de son âge,
08:42de son œuvre, peut-être ferait réfléchir.
08:46Aujourd'hui, je ne crois pas qu'on puisse espérer une libération qui ne passe par
08:51un procès.
08:52Et un procès, donc, il faut s'inscrire dans le cadre de la procédure pénale algérienne,
08:57du code pénal algérien.
08:59Vous demandez s'il peut y avoir un procès équitable en Algérie.
09:02C'est tout le sujet du visa.
09:04Un procès équitable passe par le libre choix de ses défenseurs, sur la capacité de ses
09:10défenseurs à travailler ensemble.
09:12Donc un visa qui vous serait accordé pour aller le défendre.
09:14Pour l'instant, ce n'était pas le cas.
09:15Oui, il y a une longue tradition, qui est plus qu'une tradition, puisque c'est inscrit
09:18dans les textes depuis 1962, de collaboration, de coopération entre les avocats français
09:24et algériens, entre les barreaux.
09:26Et pour le moment, j'ai fait, j'ai même réitéré ma demande de visa.
09:31Je suis dans l'espoir et dans l'attente de l'avoir.
09:34Et en fait, ça va vraiment conditionner la physionomie de cette affaire.
09:37Parce qu'effectivement, ou bien on s'inscrit, ce que je souhaite, parce que je le souhaite,
09:42parce que c'est effectivement la seule façon réaliste de le faire libérer.
09:47Je souhaite qu'il ait, s'il doit y avoir un procès, ce procès doit être rapide,
09:52il doit être équitable, il doit être incontestable sur la forme et sur les droits de la défense.
09:57Et ça passe par la possibilité, pour ce qui me concerne, de pouvoir m'entretenir
10:02avec lui et m'entretenir avec mes confrères algériens, face à face, et d'avoir accès
10:07au dossier.
10:08Et ça passe, c'est important, j'imagine pour vous aussi, par le fait de ne pas l'oublier,
10:12de continuer à en parler.
10:13C'est pour ça qu'il y a cette soirée de mobilisation, de soutien, ce soir, à l'Institut
10:18du monde arabe à Paris.
10:20Antoine Gallimard, vous avez gardé un certain suspense sur les écrivains de renom, avez-vous
10:26dit, écrivains internationaux, qui seront présents, qui sera là ce soir ?
10:29Une soirée qui sera animée par François Bunel.
10:31On connaît bien aussi sur France Inter.
10:34Et on aura, je pense, au moins une centaine d'écrivains, que ce soit Pyrrha Sauline,
10:39Paul Constant, Daniel Pénac, j'espère que Laure, tu viendras, Daniel Salnave, beaucoup d'autres.
10:50Amélie Nothomb, j'ai lu également, Johannes Farr, Eric Bilal, donc tous des gens qui sont
10:57très émus.
10:58Et on pourra à la fois faire des vidéos, des vidéos pour qu'elles soient reprojetées,
11:03des textes.
11:04Je lirai moi-même un petit texte de Modiano.
11:05Donc on pense qu'effectivement, ça fait partie d'une indispensable rencontre aussi
11:12au niveau des écrivains, quel que soit le bord, effectivement, qu'on soit de droite
11:15ou de gauche, ce qui est important, ce n'est pas le problème.
11:18Pourquoi c'est important, justement, Laure Adler ?
11:20Parce que la liberté d'expression, comme l'a dit Patrick Cohen sur votre antenne
11:25il y a 20 minutes, est complètement mise en péril.
11:29Quelle que soit l'appartenance idéologique d'un écrivain, un écrivain, c'est un éveilleur
11:34de conscience, c'est quelqu'un qui nous donne la force de l'imaginaire, c'est quelqu'un
11:38qui nous donne l'esprit de cette liberté tant mal menée aujourd'hui.
11:41Et c'est quelqu'un qui nous permet de nous agrandir intérieurement.
11:46Et si vous le voulez bien, d'abord, achetez les livres de Boilem Sansalle.
11:50Moi, c'est la première chose que j'ai faite quand j'ai su qu'il était arrêté.
11:53Je suis allé dans une librairie, d'ailleurs les libraires sont formidables, parce qu'ils
11:57font des petites niches avec les livres de Boilem Sansalle, et il y a un livre très
12:02court, absolument magnifique, de Boilem qui s'intitule « Poste restante alger ».
12:06Et voici ce qu'il dit, il dit « Je n'écris pas en tant qu'algérien musulman et nationaliste
12:13ombrageux et fier, mais j'écris en tant qu'être humain, enfant de la glèbe et
12:19de la solitude, agarre et démuni qui ne sait pas ce qu'est la vérité, dans quel pays
12:24elle habite, qui la détient et qui la distribue.
12:26Je la cherche, et à vrai dire je ne cherche rien, je n'ai pas ses moyens.
12:30Je raconte des histoires, de simples histoires de braves gens que l'infortune a mis face
12:37à des malandrins à cette main ». Voilà ce que c'est que la prose, l'écriture
12:42de Boilem Sansalle.
12:43Et justement je rebondis sur cet extrait que vous venez de lire, Laure, puisque vous teniez
12:49en particulier à ce qu'on entend de la voix de Boilem Sansalle.
12:53Ah vous l'avez retrouvé ? Ce matin on l'a retrouvé, c'était chez
12:55vous dans l'une de vos émissions sur France Culture, il y a dix ans, tout juste, et on
13:00l'écoute.
13:01Et les Algériens sont très étrangers l'un à l'autre, entre l'Ouralie et le Constantinois,
13:05c'est deux univers complètement, c'est la même distance qu'il y a entre un Russe
13:09et un Américain.
13:11Et puis il y a eu des événements qui ne favorisaient pas cela.
13:14Après l'indépendance, il y a eu un régime qui a divisé les Algériens, l'islamisme
13:19est arrivé à diviser les Algériens, et aujourd'hui la ségrégation se fait par
13:25l'argent, par l'arribisme, la corruption, donc il y a à la base une tension permanente
13:32entre vous mettez deux Algériens dans une même pièce, vous revenez dix minutes après
13:37à des étincelles.
13:38Mais en même temps, ils apprécient, malgré cette tension, malgré ces différences, ils
13:47aiment bien vivre ensemble.
13:49Ce regard critique et en même temps cette tendresse, c'est ce qui caractérise dans
13:53son regard sur la société algérienne.
13:56François Zimré, vous qui le défendez, encore une fois, je reviens à cette soirée, cette
14:02mobilisation, c'est essentiel.
14:03Elle est importante d'abord parce que ce n'est pas une soirée polémique, ce n'est
14:06pas une soirée politique, elle n'est pas contre l'Algérie, elle est autour de l'œuvre,
14:13de la pensée, de la tendresse, elle est une soirée tendre en réalité dans sa composition,
14:18dans sa conception, et je pense que c'est la meilleure chose à faire parce que dans
14:22toute affaire, vous savez, le rôle de l'avocat c'est d'évacuer tout ce qui vient polluer
14:30une affaire et son contenu, sa dimension émotionnelle, passionnelle ou politique.
14:37Et dans cette affaire, elle est considérable, donc il faut le protéger de cela.
14:42Il y a un contexte dont il est l'otage, le contexte d'une relation extrêmement dégradée,
14:47politique, ça a été beaucoup commenté, on y reviendra peut-être, et notre rôle c'est
14:52vraiment de le protéger de cela.
14:54Il y a le contexte effectivement diplomatique entre la France et l'Algérie et on va en
14:57parler.
14:58Il y a un contexte aussi plus politique, polémique, sur les accointances qu'il aurait
15:05avec un milieu identitaire d'extrême droite, il est visé, ou il serait visé en Algérie,
15:11notamment pour ses propos à un média qui s'appelle Frontières, un média identitaire,
15:17dont il est membre du comité stratégique propos sur un sujet ultra sensible qui est
15:23la question des frontières entre l'Algérie et le Maroc.
15:25Qu'est-ce que vous comprenez de ces critiques et même de ce débat sur l'orientation politique
15:31d'Adolphe Sensel ?
15:32D'abord, on ne peut pas le défendre correctement sans le comprendre, sans chercher à le comprendre,
15:39et le défendre, ce n'est pas forcément défendre ce qu'il a dit, ni dire qu'il
15:43a eu raison, ni qu'il a eu tort, mais simplement dire qu'en s'exprimant ainsi, il n'a
15:51ni entendu, ni eu pour effet de mettre en danger la sécurité de l'État, et par conséquent
15:56il n'a pas violé l'article 87 bis du code pénal algérien.
15:59Ce fameux article qui sanctionne, je vais le citer puisque vous en parlez, qui sanctionne
16:04comme acte terroriste ou subversif tout acte visant la sûreté de l'État, l'intégrité
16:09du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions.
16:13Voilà ce qu'il reprochait.
16:14Oui, l'article fait en réalité deux pages, j'ai commandé le code pénal algérien,
16:18je me suis plongé dedans, et effectivement on voit mal comment il a eu pour intention
16:24ou pour effet de mettre en danger la sûreté de l'État.
16:27Et c'est ça qu'il faut affirmer du point de vue de la défense.
16:32Dans ce contexte dont vous signalez à quel point il est polémique, il est explosif,
16:38vous savez le rôle de l'avocat c'est toujours de s'exprimer au nom de son client,
16:43de porter sa voix, d'ailleurs étymologiquement c'est l'origine du mot, il m'est souvent
16:47arrivé de penser qu'il fallait lui offrir aussi ma retenue et parfois mon silence.
16:52Ce débat sur son orientation politique, il a lieu d'être ?
16:56Ecoutez, comme vient de le dire François Zimré, ses opinions politiques, à ce que
17:01je sache, elles s'expriment principalement dans les livres qu'il publie.
17:04Et dans les livres qu'il publie, y compris dans le dernier qui est sorti l'année dernière
17:09qui s'intitule « Vivre », il exprime encore une fois une sorte de conscience, de compréhension
17:17de son peuple, une sorte de nostalgie et de quête éperdue vers un pays qui pourrait
17:24s'écouter, parce qu'il dit que les Algériens ne s'écoutent pas.
17:28Et je pense qu'à l'intérieur de l'œuvre de Boalem Sansal, en dehors de cet écrivain
17:35qui est un orfèvre de la langue française et qui s'inscrit dans la lignée des catébiassines
17:41qui disaient que le français était un butin de guerre, et bien il y a un message effectivement
17:47de définition de l'écrivain comme quelqu'un qui peut raccommoder les douleurs et les
17:53souffrances passées pour s'élancer vers un avenir encore une fois beaucoup plus prometteur.
17:59Donc, qui les dit des conneries ? Ce n'est pas le problème.
18:03Le problème c'est que nous, en tant qu'appartenant au monde de la culture qui est si amoché
18:09en ce moment et qui devient quelque chose de super ringard, il est important de comprendre
18:16que les écrivains sont des vigies allumées dans cette nuit d'incertitude qui est en
18:20train de s'avancer.
18:21Antoine Gallimard.
18:22Je dirais qu'en même temps, ce qui est important aujourd'hui, ce qu'il faut voir, c'est
18:28que Boalem est la victime du problème franco-algérien.
18:32Aujourd'hui, j'en discutais, je lui disais à Boalem, tu ne t'inquiètes pas, inquiet
18:37de te faire arrêter à tout moment, avec tous les propos que tu tiens depuis plusieurs
18:40ans.
18:41Ce n'est pas récent, ce n'est pas la première fois, ça fait dix ans qu'il est là, justement
18:46pour évoquer la liberté.
18:47Je vais juste vous citer une petite phrase qu'il a dite une fois, être en prison, d'accord,
18:52mais la tête libre de vagabondé, c'est ça que j'écris dans mes livres, ça n'a rien
18:57de choquant ou de subversif.
18:58C'est un homme pour qui la littérature est tout, et aujourd'hui, le fait qu'il y ait
19:03encore maintenant, encore très fort, que le ministre de la Culture, là, va dans le
19:07Sahara occidental, c'est très très fort, et pour Boalem, je veux dire, il ne se rende
19:13pas compte que la situation sera de plus en plus difficile.
19:16Justement, vous dites qu'il est en quelque sorte l'otage des relations exécrables entre
19:23la France et l'Algérie, et qui ne cessent de se tendre ces dernières semaines, ces
19:27derniers mois.
19:28Effectivement, quand Rachida Dati va hier en visite qu'elle qualifie d'historique dans
19:33le Sahara occidental, qui est une région disputée entre le Maroc et l'Algérie, et
19:37pour laquelle la France a reconnu la souveraineté du Maroc, ça c'est un gros problème entre
19:42la France et l'Algérie.
19:43Quand Emmanuel Macron dit publiquement, il y a quelques semaines, que l'Algérie se déshonore
19:49en continuant, en gardant en détention Boalem Sansal, est-ce que tout cela, ça vous aide
19:55quand le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau part en guerre, j'allais dire, ce n'est
20:00pas le bon terme, mais contre des influenceurs algériens qui seraient à la botte du pouvoir
20:04d'Alger, tout ça, ça vous aide ou ça vous desserre, François Zimré ?
20:08Vous connaissez la réponse, mais ce que je crois, c'est qu'il faut s'inscrire dans
20:15le cadre de la procédure qui est ouverte à Alger, et rester dans ce cadre-là, et
20:23le protéger, mais en fait c'est vrai de toute affaire, mais celle-ci en particulier, le
20:28protéger de tout cela, et faire la différence entre ce qui est le contexte de la relation
20:36franco-algérienne, qui est malheureusement très dégradée, et puis un homme vers qui
20:48on porte des accusations, en fonction d'un texte, et qu'il faut réfuter, dans le cadre
20:53de la procédure pénale algérienne, et il ne faut pas accepter qu'il soit le bouc émissaire
21:01de cette relation, qui est de part et d'autre très enflammée, et il faut être étanche
21:09à ça, et c'est pour ça que la seule façon d'en sortir, c'est un procès, et si possible
21:15un procès équitable.
21:16Vous disiez envisager de saisir l'ONU, l'Union africaine, l'UNESCO, est-ce que c'est toujours...
21:24Ça c'est si nous venons à la conclusion qu'il n'est pas possible d'exercer les droits
21:30de la défense, et bien on fera ce qu'il faut faire dans ces cas-là, et on le dénoncera,
21:35mais je veux croire qu'il est encore possible de le défendre et de travailler main dans
21:43la main avec les confrères algériens.
21:45Le mot de la fin pour vous, Laura Delaire, sur le symbole que représente Boilem Sansa,
21:51vous en avez très bien parlé, mais c'est un moment, vous dites, critique, et pour lequel
21:56il faut se mobiliser.
21:57On voit bien que la notion de liberté d'expression est malmenée absolument partout, il suffit
22:01d'écouter le discours de Vance à Munich il y a deux jours, on voit bien que l'indifférence
22:07nous saisit à voir qu'un écrivain est otage d'une situation absolument kafkaïenne, ubuesque,
22:16et qu'on sait très bien que Boilem Sansa n'a jamais atteint la sûreté de l'État
22:21algérien.
22:22Moi je me demandais, c'est une question que je pose à François Zimmel, si les délégués
22:27de gens, d'écrivains allaient voir le gouvernement algérien pour dépolitiser l'affaire, et
22:34pour permettre que la liberté d'expression puisse continuer, et que Boilem Sansa puisse
22:39continuer à vivre.
22:41C'est une idée qui est lancée, il faudrait que les autorités algériennes…
22:45Bien sûr, c'est une belle idée, encore faut-il pouvoir y aller, et c'est plus difficile
22:52qu'on peut l'imaginer.
22:53Vous pourrez évoquer cette idée, Laura Adler ce soir, lors de cette soirée de soutien
22:58à Boilem Sansa, avec plusieurs dizaines d'écrivains de renom du monde entier qui seront à l'Institut
23:04du monde arabe.
23:05C'est à partir de 19h30 je crois.
23:06Merci Laura Adler, merci beaucoup, merci Antoine Gallimard et merci à vous François Zimmeret,
23:11l'avocat de Boilem Sansa.

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