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GÉNÉRATION IMPACT du 5 mars 2025

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00:00Alors Antoine, ce qui m'intéresse, c'est que vous racontiez quand même un peu l'histoire de ce groupe,
00:07comment il est né, comment il s'est développé, c'est quand même une G5,
00:10donc il s'est passé sûrement beaucoup de choses, comment vous pouvez nous raconter l'histoire ?
00:16Alors on a 160 ans d'existence, donc le démarrage de l'histoire c'est le Jura,
00:23et je dis toujours qu'une entreprise est toujours très liée à son écosystème, à la terre où elle est née.
00:30Le Jura, c'est une terre qui est très fertile en oxyde de fer, et puis il y a des forêts, et puis il y a des pâturages.
00:41Et je dis toujours que le groupe Bell, qui a démarré en 1865, il est né avec le comté jurassien,
00:52donc mon arrière-arrière-grand-père a démarré une entreprise d'affinage.
00:57L'origine du groupe, c'est l'affinage du comté.
01:02Et si je reprends l'ADN et ce qui a fait le succès de ce groupe, c'est finalement, je reviens à l'oxyde de fer,
01:08puisque l'oxyde de fer, ça a été toute l'industrie de la micromécanique, et je dis toujours en fait,
01:14l'origine du groupe Bell, c'est d'un côté la micromécanique, de l'autre côté le comté, le fromage,
01:19et ça a été finalement cette association de ces deux sujets pour créer en fait la première entreprise aujourd'hui de snacks en portions,
01:34donc toutes ces petites portions qui ont fait la spécialité du groupe.
01:37Alors au début du siècle, il y a une invention dans le monde du fromage, qui est le fromage fondu,
01:46qui est inventé par des Suisses, les frères Graff, les frères Graff sont voisins de mon arrière-grand-père Léon Bell,
01:52qui va avoir cette vision au fond, qui est de se dire, ce fromage fondu, il vieillit moins, il vieillit plus lentement on va dire,
02:06et donc il entrevoit à la fois la possibilité d'en faire un fromage qu'il va pouvoir exporter dans le monde entier,
02:14et puis il va avoir cette idée géniale de portionner ce fromage, il va donc le rendre accessible et lui permettre de voyager.
02:22En 1921, il crée la marque de la vache qui rit, qu'il va après étendre de manière concentrique, partant de la France.
02:31Là-dessus arrive mon grand-père, son gendre, et mon grand-père, lui historiquement est dans le gaz carbonique,
02:38donc pas tout à fait dans le fromage, il va se concentrer finalement vers la fin de sa vie sur l'activité fromagère et va développer le groupe dans le monde entier.
02:49Suivra mon oncle pour une période assez courte, et puis moi je suis arrivé derrière, et on a continué je dirais l'aventure,
02:56et moi j'ai ouvert finalement, j'ai travaillé sur le portefeuille du groupe en conservant notre ADN qui était au fond la miniaturisation,
03:07cet art de portionner avec des vélocités qu'on est les seuls à savoir faire, travailler cette unicité aussi de notre portefeuille,
03:16et de l'ouvrir sur le monde du végétal, enfin sur autre chose que le monde du laitier.
03:21On marche aujourd'hui donc sur différentes jambes, c'est-à-dire le laitier, le végétal, le fruit.
03:27En 2016, on a fait l'acquisition du groupe materne, les petites pommes potes, et donc on continue à étendre le groupe,
03:34à la fois sur une géographie qui est une géographie mondiale, mais aujourd'hui sur différentes catégories que sont le fruit, le végétal,
03:43et tout ce qui concerne le mélange en fait.
03:45Génial. Vous avez précisé, donc votre père est un gendre en fait.
03:50Mon grand-père.
03:51Votre grand-père est un gendre, donc c'est toujours le sujet dans les entreprises familiales de la place des conjoints.
03:56Oui.
03:57Comment ça se passe cette transition ou ce relais dans la famille ? C'est naturel, c'est compliqué ?
04:04Du temps de mon grand-père, ça s'est fait très naturellement.
04:08C'était déjà un homme d'affaires établi, c'est devenu un grand capitaine d'industrie.
04:14Et mon arrière-grand-père a eu deux enfants, mon grand-oncle et ma grand-mère.
04:20Mon grand-oncle est devenu cinéaste animalier.
04:23La transition s'est faite très naturellement.
04:26Et mon grand-père a bien travaillé, il est resté 60 ans aux commandes,
04:29donc c'est un règne extrêmement long qui a créé d'autres difficultés.
04:34Une difficulté qu'on appelle souvent la génération perdue, ce saut de génération.
04:39Cela étant, à cette époque-là, ça s'est fait très naturellement.
04:42Pour être très honnête, aujourd'hui, les gendres ou les pièces, les valeurs ajoutées comme on les appelle,
04:49ne sont pas incluses dans la gouvernance.
04:53– OK. Et donc vous, quand vous êtes petit, à la maison, comment on parle du groupe ?
05:01Il représente quoi pour vous ?
05:02– Alors, il représente un peu tout.
05:05De tout petit, on nous a appris, on nous a fait comprendre
05:08que toute la famille était au service du groupe.
05:11Et moi, c'est quelque chose qui m'a profondément marqué.
05:17Et j'ai toujours expliqué, en tout cas à ma famille, quand j'avais ce poste de dirigeant,
05:26que dans l'ordre, c'était d'abord le groupe, ensuite la famille,
05:29ensuite les individus et pas l'inverse.
05:32C'est très marqué chez nous, cette dimension-là,
05:38et elle est inscrite chez tous les membres de la famille.
05:43En tout cas, ma génération, c'est très net.
05:45– Et c'est vécu comment ?
05:46C'est vécu comme une opportunité, comme un poids, comme une contrainte ?
05:51– C'est une bonne question.
05:52Je ne sais pas si elle est vécue de la même façon par chaque personne de la famille,
05:59chaque membre de la famille.
06:02Je crois que c'est vécu assez naturellement,
06:04parce que ça a toujours été comme ça.
06:08On commence, là, à avoir des discussions sur, au fond,
06:15est-ce que tout mon patrimoine doit être investi dans le groupe familial ?
06:22Est-ce que je peux en profiter un peu plus ?
06:25Voilà, les questions sur les dividendes arrivent.
06:28Mais jusqu'ici, ça s'est plutôt bien passé.
06:31Je ne dis pas que ce sera toujours comme ça.
06:34Et c'est vrai que la génération de dividendes a été mesurée.
06:38Elle a été d'abord très contrôlée par mon grand-père.
06:40Et puis après, mesurée.
06:42C'est une discussion qu'on a chaque année en famille.
06:45Mais de ce point de vue-là, la famille est très raisonnable.
06:48– Vous avez décrit ce passage de relais, le règne assez long de votre grand-père.
06:54– Très long, 60 ans.
06:55– Cette dynamique de génération perdue.
06:56J'aimerais peut-être que vous spécifiez ce que ça veut dire
07:00dans la dynamique de votre famille.
07:01Et puis, comment ça permet votre arrivée et dans quel contexte ?
07:06– Alors, 60 ans de règne, ce phénomène de la génération perdue,
07:10ça veut dire que la génération d'après arrive quasiment à la retraite
07:14au moment où celui d'avant est toujours en poste.
07:20Dans notre famille, il y a eu une petite divergence stratégique
07:23entre mon oncle et mon grand-père.
07:27C'est ce phénomène-là qui a permis,
07:30en tout cas qui a fait que mon grand-père, à un moment,
07:33a un peu changé son plan de succession.
07:38Et c'est à ce moment-là, moi, que je suis rentré dans la maison.
07:42Alors d'abord, au niveau de la holding, on est structuré avec différents étages.
07:47J'ai démarré d'abord à la holding comme gérant-commandité.
07:51On était en commandite à l'époque.
07:54Et puis après, par la suite, j'ai pris la direction générale, la présidence.
08:00À quel moment ça se déclenche chez vous, Antoine, cette envie de rejoindre le groupe ?
08:04C'est quoi la motivation personnelle ?
08:07Alors, pour être tout à fait sincère, je pense que...
08:11Moi, je me suis toujours intéressé au groupe.
08:14Cela étant, la ligne, c'était qu'il ne fallait pas que je regarde dans la direction du groupe,
08:17puisque, en fait, le plan de succession avait été préparé et que je n'en faisais pas partie.
08:22Donc, au moment, au début des années 2000,
08:26quand mon grand-père fait appel à moi, je suis d'abord à la fois très surpris,
08:31mais je saute dans le bateau très rapidement.
08:34Je ne réfléchis pas beaucoup.
08:37Je travaillais dans l'édition, à ce moment-là, donc assez loin.
08:40C'était un job assez éloigné de l'industrie fromagère.
08:45Et vous y allez, du coup ?
08:46On me propose ce poste.
08:49Je comprends qu'il y a quand même une transition un peu compliquée.
08:53Et je décide d'y aller.
08:56Alors, à l'époque, mon grand-père fait le choix de nommer un président-directeur général
09:02qui va gérer la société opérationnelle et à qui il va confier le soin de me former.
09:09Et moi, j'accompagne ce...
09:11Donc, lui, il est non familial, on est d'accord ?
09:12Un non familial.
09:13Première fois dans l'histoire du groupe qu'il va y avoir un non familial.
09:17Voilà, donc je vais l'accompagner 8 ans, de 2001 à 2008.
09:24Et en 2008, la famille m'a confié la...
09:30En 2009, début 2009, la famille m'a accepté que je prenne la direction générale.
09:35Je dis accepté parce qu'elle m'a mis, évidemment...
09:37Elle m'a testé quelques années.
09:40Mais j'ai pu, à ce moment-là, rentrer dans l'opérationnel.
09:43Ce qui s'est passé, c'est que, très sincèrement, j'ai été...
09:47À un moment, j'ai voulu être coaché.
09:50Et c'est mon coach de l'époque qui m'a dit,
09:52« Bon, alors qu'est-ce que tu veux, Antoine ? Tu veux y aller ou tu ne veux pas y aller ?
09:55Tu veux rester confortablement assis sur ton poste,
10:00sur ta chaise de gérant de commandité ou tu veux mettre les mains dans le moteur ? »
10:03Et en fait, c'est avec lui que j'ai travaillé ce...
10:07Finalement, ce pas qui était un pas important pour moi,
10:09qui était quand même très challengeant.
10:11Et c'est lui qui m'a amené à prendre cette décision, je dois le connaître.
10:15C'est marrant parce qu'il y a...
10:16Les académiques, ils font beaucoup d'études sur les entreprises familiales
10:19pour essayer de comprendre ce qui marche, ce qui ne marche pas.
10:21Et il y a une étude qui a essayé de comprendre
10:24les cas où ça marchait et les cas où ça ne marchait pas.
10:26Et en gros, il disait, il y a deux cas où ça marche, deux cas où ça ne marche pas.
10:30Les deux cas où ça marche,
10:32le premier cas, c'est lorsque le familial a vraiment un désir de leadership,
10:36il a envie d'y aller.
10:38Et je pense que c'est ça, ce travail que vous avez fait avec votre coach,
10:40c'est d'arriver à vous dire, « Ok, j'y vais. »
10:42Le deuxième cas où ça marche, paradoxalement, et c'est souvent le cas en Asie,
10:45c'est quand le familial, il est forcé d'y aller.
10:49Et en fait, comme il est forcé d'y aller,
10:50sa seule envie, c'est de se fabriquer son prénom, puisqu'il n'a pas le choix.
10:54Puis après, il y a deux cas où ça ne marche pas.
10:56Celui où finalement, la personne n'arrive jamais à se fabriquer son prénom
11:00parce que finalement, la soupe est bonne, il y va,
11:01mais il sera toujours le fils d'oeuf ou la fille d'oeuf.
11:04Et puis le dernier cas, c'est lorsque le familial est appelé
11:06pour sauver l'entreprise familiale.
11:08Il y va souvent par culpabilité et finalement, c'est trop tard.
11:12Il n'arrive jamais à redresser la famille.
11:13Donc là, il y a vraiment le désir.
11:15Oui, il y a le désir.
11:17Mais j'ai été longtemps dans le syndrome de l'imposteur.
11:20En fait, il y a le désir d'y aller, mais en étant parfaitement conscient
11:23que la pente est quand même assez raide.
11:26Moi, j'étais dans une position de middle manager dans mon groupe d'édition.
11:32Donc, j'étais assez loin de ce type de responsabilité.
11:36J'étais conscient du poids aussi que ça représente.
11:40Et être responsable quand même du patrimoine familial.
11:44Et au fond, il y avait un peu cette dimension de vertige.
11:48Par contre, j'avais créé mon entreprise au sortir de mes études.
11:54Donc, je savais que j'avais en tout cas des capacités de leadership ou de vision.
11:59C'était plus sur la partie gestion.
12:02Enfin, on arrive dans un monde qui est un monde, une entreprise qui fait,
12:06à l'époque, combien elle faisait ?
12:08Elle devait faire un milliard et demi de chiffre d'affaires
12:10avec 7 ou 8 000 personnes.
12:13Voilà, international, enfin bon, c'était un monde très nouveau pour moi.
12:17Cela étant, j'ai eu cette période d'observation, de formation
12:21avec Gérard Boivin qui était donc l'ancien directeur industriel
12:25qui avait été promu patron de la boîte.
12:27J'ai appris, j'ai regardé, j'ai écouté.
12:29C'est l'une des clés du succès, ça ? Cette transition avec un nom familial ?
12:33Ah, indiscutablement, indiscutablement.
12:36Je pense que le succès, en tout cas, moi, je dirais qu'il y a plusieurs clés.
12:44Celle-là est indispensable.
12:47À un moment, il faut s'y donner corps et âme.
12:49Je dis toujours, c'est le sens du devoir.
12:52Moi, j'étais dans le sens du devoir.
12:54J'ai tout lâché pour ce groupe, enfin tout lâché.
12:57Je m'y suis consacré, voilà, pleinement, vraiment pleinement.
13:02Avec aussi un attachement, on s'attache.
13:05On découvre ce que c'est que le pouvoir.
13:08On découvre ce que c'est que...
13:10Je me rappelle, j'étais toujours étonné de pouvoir demander autant.
13:13En disant, au début, j'étais plutôt dans...
13:16Est-ce que vous avez le temps ? Etc.
13:18J'ai appris qu'en fait, la pyramide, je dirais, des personnels,
13:24des collaborateurs du groupe pouvaient me permettre de demander beaucoup, en tout cas.
13:29Mais je suis resté avec ce syndrome de l'imposteur très longtemps.
13:32Le deuxième facteur, c'est que j'ai eu beaucoup de liberté.
13:34C'est-à-dire que mon grand-père est finalement mort très peu de temps après m'avoir nommé.
13:40Et je dois reconnaître et les remercier et de dire à la famille
13:43que la famille m'a foutu une paire royale.
13:47Et donc, j'ai pu être moi-même.
13:48Ça, je pense que c'est un facteur de succès important.
13:50Donc, je suis arrivé avec un œil neuf.
13:54Je suis arrivé sans aucune prétention de vouloir apprendre le métier
13:57à ceux qui le connaissaient beaucoup mieux que moi.
13:59Mais je suis arrivé aussi avec mes idées, mes convictions.
14:02Et donc, j'ai imprimé un management qui était à la fois un management
14:06avec beaucoup de délégation, beaucoup de liberté,
14:11mais une vision qui était assez affirmée.
14:14Je suis rentré aussi avec une réputation.
14:16Enfin, quand je suis arrivé dans le groupe, ça a créé beaucoup d'émotions.
14:19Je n'étais pas du tout prévu sur le plan de succession.
14:23Je me rappelle, tous les cadres étaient en train de faire leur CV.
14:26Donc, il a fallu aussi convaincre.
14:29Et puis, je dis toujours, en fait, la légitimité d'un dirigeant,
14:32elle se fait sur quelques décisions importantes.
14:37Alors, c'était quoi ces décisions importantes ?
14:39La première décision, ça a été de dire...
14:41Alors, je me suis retrouvé assez rapidement avec...
14:44Mon grand-père avait décidé de mettre en place un vrai board avec des indépendants
14:48qui étaient plutôt des personnalités reconnues.
14:55Et au fond, ces personnalités avaient un peu un doute sur le tandem
15:00qui était le tandem Antoine Fievé avec Gérard Boivin.
15:06Et donc, il a fallu, je dirais, tenir aussi les équilibres.
15:12Il a fallu que je fasse un peu le ménage aussi dans le board.
15:14Et ça, ça a été une première décision importante où la boîte s'est dit,
15:17bon, le petit ne se fait pas manger par son conseil d'administration.
15:22Il y a eu l'achat de l'air damer où le board était plutôt contre
15:26et où j'avais donné finalement...
15:29Enfin, moi, j'avais décidé qu'on ferait cette acquisition
15:32qui était recommandée par les équipes.
15:33Les équipes, bon, ça a été une très belle acquisition.
15:38Voilà, c'est une partie d'une réussite.
15:40L'achat de mom était quelque chose de déterminant, la façon dont on gère.
15:45Au fond, on dit beaucoup de choses, on ne s'en souvient pas,
15:48mais qui peuvent marquer les gens.
15:49En fait, après, les choses se font un peu naturellement.
15:52Mais c'est comme ça, en tout cas, que j'ai construit ma légitimité.
15:55Sans vouloir non plus, encore une fois,
16:00je pars du principe qu'un dirigeant est là pour ne pas savoir.
16:03Les dirigeants qui savent ont souvent des dirigeants qui se trompent.
16:08Et ce n'est pas grave de se tromper, mais moi, je préfère ne pas savoir.
16:13Ça oblige à écouter, ça oblige à interroger, ça oblige à challenger.
16:17Puis après, il faut bien décider.
16:20On va passer à la prochaine partie qui va venir observer et regarder avec vous
16:26comment se prennent les décisions dans la gouvernance d'une entreprise familiale.
16:30Et donc, je rappelle qu'il y a toujours ces fameux trois cercles qui s'entrelacent.
16:36Le cercle de l'entreprise, le cercle des actionnaires, le cercle de la famille.
16:39Ces trois cercles peuvent avoir des objectifs différents,
16:42parfois en conflit d'intérêt.
16:44Et donc, tout de suite, les trois cercles.

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